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  • CUB 70703

    TRADUCTION

    Dans l'affaire de la Loi sur l'assurance-emploi
    L.C. 1996, ch. 23

    - et -

    d'un appel interjeté par le prestataire devant un juge-arbitre à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à New Glasgow (Nouvelle-Écosse) le 26 juillet 2007

    Appel instruit à New Glasgow, en Nouvelle-Écosse, le 14 mai 2008

    DÉCISION

    LE JUGE-ARBITRE R. C. STEVENSON

    Pour la deuxième fois, le prestataire interjette appel de la décision du conseil arbitral de rejeter son appel à l'encontre d'une décision antérieure de la Commission de l'exclure du bénéfice des prestations de chômage parce qu'il avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

    L'employeur a déclaré que le prestataire avait été congédié le 21 mars 2006 pour deux infractions, à savoir le fait d'avoir utilisé de façon inappropriée ou endommagé la trousse d'outils d'un compagnon de travail et le fait d'avoir consommé de la nourriture dans une partie de l'usine de l'employeur où cela était interdit.

    Le premier conseil arbitral qui a instruit l'appel du prestataire a effectivement négligé d'exercer sa compétence en omettant de se prononcer sur la question de l'inconduite relativement aux deux incidents précis invoqués par l'employeur comme motif de congédiement du prestataire.

    Le 18 juin 2007, j'ai accueilli l'appel du prestataire à l'encontre de cette décision et j'ai renvoyé l'affaire devant un conseil arbitral composé d'autres membres en vue d'une nouvelle audition. Dans ma décision (CUB 68380), j'ai déclaré que dans une affaire d'inconduite, le conseil arbitral doit appliquer un processus en quatre étapes : premièrement, il doit déterminer quelle est la conduite qui, selon les dires de l'employeur ou de la Commission, relève de l'inconduite; deuxièmement, formuler une conclusion de fait quant à savoir si la conduite alléguée a bel et bien été constatée; troisièmement, le cas échéant, s'il s'agissait d'un acte d'inconduite; et enfin, si la conduite a été constatée et qu'elle relevait de l'inconduite, le conseil doit déterminer si le prestataire a perdu son emploi en raison de cet acte d'inconduite

    Le nouveau conseil arbitral a instruit l'affaire le 26 juillet 2007. Le deuxième conseil a aussi rejeté l'appel du prestataire et le présent appel devant le juge-arbitre est à l'encontre de cette décision.

    Les principales conclusions du deuxième conseil sont les suivantes :

    Le fait en cause est que le prestataire a été congédié parce qu'il a endommagé la boîte à outils d'un autre employé et qu'il a mangé dans une zone non désignée comme une zone de repas. . . . Dans le cas qui nous occupe, le caractère délibéré de la conduite, ce qui est le cas en l'espèce, et le préjudice causé aux intérêts de l'employeur et à la discipline, aussi évidents en l'espèce. . . . Pendant la délibération, le conseil a conclu que la déclaration de l'employeur était plus crédible.

    [Traduction]

    Le conseil n'a pas expliqué pourquoi la déclaration de l'employeur était plus crédible. Dans la décision CUB 24189, le juge Rothstein, siégeant en qualité de juge-arbitre, a déclaré ce qui suit :

    Il ne mentionne pas précisément quelles déclarations du prestataire sont contradictoires, et il ne ressort pas clairement de ses motifs pourquoi il a jugé que le prestataire n'était pas digne de foi. Or, à mon avis, lorsqu'un tribunal rend une décision négative au regard de la crédibilité, il a l'obligation de donner au moins quelques exemples des incohérences ou des contradictions qui l'ont amené à tirer cette conclusion. Dans MEI, [1989], 9 Imm. L.R. (2d) 150 (CAF), le juge d'appel Heald cite un passage tiré de (Dossier 550/84), [1985], 51 O.R. (2d) 302 (Div. Ct.) où le juge Reed indique aux pages 310 et 311 :

    Dans une allocation maintenant célèbre, Sir Robert McGarry, vice-chancelier d'Angleterre, a rappelé aux juges que la personne la plus importante dans un procès, ce n'est pas le juge, qui siège sur l'estrade du haut de sa dignité, ni les avocats, aussi éminents qu'ils puissent être, mais c'est la partie perdante : voir « Temptation of the Bench » [1978] XVI Alta. L. Rev., p. 406. Pour que l'on puisse continuer de croire dans le système juridique, il est nécessaire que la partie perdante soit convaincue qu'elle a été traitée avec équité, que son point de vue a été compris par le juge, et qu'il a été convenablement apprécié et examiné. Il est donc important que les motifs de la décision soient précisés, et ce dans une langue que la partie qui a reçu le coup puisse comprendre.

    Je pense que cet énoncé s'applique également aux décisions des tribunaux. Dans Armson, le juge d'appel Heald a indiqué aux pages 157 et 158 :

    À mon avis, la décision est déficiente pour une autre raison. Dans les circonstances de l'espèce, la Commission d'appel de l'immigration avait le devoir envers le demandeur de lui exposer, en termes clairs et indubitables, les motifs du rejet de sa revendication du statut de réfugié fondé sur l'absence de crédibilité.

    En espèce, les motifs qui ont incité le conseil arbitral à rendre une décision négative au regard de la crédibilité du prestataire n'étaient pas exposés en termes clairs et indubitables.

    Dans l'arrêt (1998), 228 N.R. 130; no de greffe A-321-97, la Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit :

    [5] Nous sommes tous d'avis que le conseil a commis une erreur de droit lorsqu'il a omis de se conformer au paragraphe 79(2) [maintenant le paragraphe 114(3) de la Loi sur l'assurance-emploi]. En particulier, nous sommes d'avis qu'il incombait au conseil de dire, au moins brièvement, qu'il a rejeté des parties cruciales de la preuve du demandeur et d'expliquer pourquoi il a agi ainsi. En l'espèce, le conseil disposait de plusieurs documents de l'employeur qui constituaient des éléments de preuve de la nature du ouï dire. Le témoignage par affidavit et les déclarations orales du réclamant devant le conseil étaient incompatibles, sous plusieurs aspects, avec des documents. Le conseil s'est contenté de faire état de ses conclusions sans expliquer pourquoi il a préféré une version des événements à l'autre.

    [6] Même si en vertu de l'interprétation que nous donnons au paragraphe (2), nous n'estimons pas que le conseil arbitral soit tenu de décrire en détail ses conclusions de fait, nous sommes d'avis que, pour se conformer à ce paragraphe, le conseil arbitral doit, lorsque la crédibilité fait l'objet d'une question litigieuse, dire au moins brièvement, dans le cadre de ses "conclusions [...] sur les questions de fait essentielles", qu'il rejette certains éléments de preuve sur ce fondement et pourquoi il a rejeté ces éléments. Lorsqu'il omet d'agir ainsi, il commet une erreur de droit.

    Et, plus récemment, dans l'arrêt A-139-07, 2008 C.A.F. 13, la Cour a déclaré ce qui suit :

    Un conseil arbitral doit justifier les conclusions auxquelles il en arrive. Lorsqu'il est confronté à des éléments de preuve contradictoires, il ne peut les ignorer. Il doit les considérer. S'il décide qu'il y a lieu de les écarter ou de ne leur attribuer que peu de poids ou pas de poids du tout, il doit en expliquer les raisons, au risque, en cas de défaut de le faire, de voir sa décision entachée d'une erreur de droit ou taxée d'arbitraire.

    Dans le cas qui nous occupe, la Commission a demandé la raison du congédiement parce que la demande de prestations et le relevé d'emploi produit par l'employeur indiquent que le prestataire a été congédié. Au cours d'un entretien téléphonique (pièce 4-1), une représentante de l'employeur a affirmé que le prestataire a été congédié pour les deux raisons susmentionnées. Elle a également fait référence aux mesures disciplinaires imposées au prestataire pour absentéisme et pour avoir fumé dans des zones non désignées. Le coordonnateur des ressources humaines de l'employeur a fourni à la Commission une copie de la lettre de congédiement (pièce 5-2), qui fait aussi allusion au dossier disciplinaire du prestataire, et une copie d'un extrait des règles de l'employeur (pièce 5-3), qui interdit la consommation de nourriture dans les zones de production.

    La Commission a interrogé le prestataire par téléphone. Les notes de la conversation (pièce 6) indiquent notamment ce qui suit :

    Il a dit, aux environs du 18 mars, que la boîte à outils était sur le banc d'une autre personne. Il l'a secoué un peu. Quelqu'un d'autre a ensuite essayé de lui dire qu'elle était endommagée. La boîte à outils appartenait à un entrepreneur qui lui a dit par la suite que la boîte n'était pas endommagée. . . . Il a affirmé qu'il n'avait pas mangé de muffin le 21 mars.

    [Traduction]

    Les notes d'une autre conversation avec le coordonnateur des ressources humaines (pièce 8) indiquent ce qui suit :

    Elle a dit qu'il [l'employeur] avait les déclarations écrites de 3 personnes (2 employés et 1 entrepreneur) concernant la boîte à outils et 1 déclaration d'une de ces 3 personnes concernant la consommation de nourriture dans la zone de maintenance. Elle a dit qu'il [l'employeur] ne fournirait aucune copie de ces déclarations écrites.

    [Traduction]

    Le prestataire a toujours nié que la boîte à outils était endommagée et qu'il avait mangé un muffin dans une zone interdite à la date présumée. Les éléments de preuve sont donc comparables à ceux de l'affaire A-321-97 - des documents de l'employeur qui constituaient des éléments de preuve de la nature du ouï dire contredits par les déclarations faites de vive voix par le prestataire à la Commission et au conseil arbitral.

    L'employeur a refusé de fournir à la Commission les déclarations écrites mentionnées à la pièce 8 et il n'a pas participé à l'audience devant le conseil arbitral.

    Bien que les paragraphes 48(2) et 50(5) permettent à la Commission de demander à un prestataire de fournir l'information concernant une demande de prestations, l'article 51 l'autorise seulement, dans les cas d'inconduite et de départ volontaire, à offrir à l'employeur la possibilité de donner des renseignements sur les raisons de la cessation d'emploi.

    Il a été établi qu'il faut accorder peu d'importance aux éléments de preuve obtenus par la Commission au cours d'une conversation téléphonique avec quelqu'un qui ne connaît pas directement le comportement présumé ou qui ne l'a pas observé personnellement (CUB 17898).

    En règle générale, lorsqu'un appel devant le juge-arbitre est accueilli parce qu'un conseil arbitral n'a pas expliqué pourquoi il a estimé que la preuve d'une partie était plus crédible que l'autre, l'affaire devrait être renvoyée pour une nouvelle audition. Toutefois, le prestataire a déjà été devant deux conseils arbitraux, et je suis réticent à l'envoyer devant un troisième. Je ferai plutôt ce que le juge Strayer, siégeant en qualité de juge-arbitre, a fait dans la décision CUB 10720. Voici ce qu'il a déclaré :

    . . . il n'appartient pas au juge-arbitre de revenir sur les décisions de fait ordinaires du conseil arbitral. Toutefois, dans le cas présent, il est très difficile d'accepter la décision du conseil puisque celui-ci a préféré les informations par ouï-dire et de seconde main de l'employeur, sans les vérifier, aux déclarations verbales du prestataire et de son témoin, Mme Mueller. Si l'employeur choisit de ne pas comparaître et la Commission, de ne pas présenter une preuve plus convaincante, l'appelant ne devrait pas être pénalisé parce que le conseil a été incapable d'interroger directement l'employeur ou son représentant. Dans une affaire comme celle-là, où les preuves se contredisent, je crois que le juge-arbitre peut décider que si l'on ignore une preuve orale claire et que l'on préfère des déclarations écrites par ouï-dire, cela peut aboutir à une décision de fait erronée, prise sans tenir compte des éléments de preuve portés à la connaissance du conseil.

    L'appel est accueilli.

    Ronald C. Stevenson

    Juge-arbitre

    FREDERICTON (NOUVEAU-BRUNSWICK)
    Le 9 juin 2008

    2011-01-16