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  • CUB 70776

    EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par le prestataire de la décision d'un conseil arbitral rendue le 5 mars 2007 à Edmundston, Nouveau Brunswick

    DÉCISION

    GUY GOULARD, juge-arbitre

    Le prestataire a travaillé pour un homme du 19 septembre 2005 au 15 octobre 2005 et pour une compagnie de produits du 15 mai 2006 au 21 juillet 2006. Le 11 décembre 2006, il présenta une demande de prestations qui devait prendre effet le 10 décembre 2006. Le prestataire a demandé que sa demande soit antidatée au 30 juillet 2006. La Commission refusa d'antidater la demande parce que le prestataire n'avait pas prouvé qu'il avait un motif valable justifiant son retard à soumettre sa demande de prestations.

    Le prestataire en appela de la décision de la Commission devant un conseil arbitral qui rejeta son appel. Il en appela de la décision du conseil. Cet appel a été entendu à Edmundston, Nouveau Brunswick le 15 avril 2008. Le prestataire était présent.

    Dans sa demande d'antidatation (pièce 5), le prestataire a expliqué que durant la semaine du 6 août 2006 il s'était rendu au bureau du centre d'emploi et qu'un agent de la Commission l'avait avisé de revenir quand il aurait sa cessation d'emploi et que, sans ce document, ça n'avancerait rien et qu'il n'aurait pas ses prestations plus vite. Il a ajouté que son employeur était hors du pays jusqu'au 8 décembre 2006 et qu'il n'avait pas pu obtenir son relevé d'emploi avant cette date car personne d'autre ne pouvait le lui donner. Il a souligné que ce n'était que la troisième fois qu'il demandait des prestations, qu'il avait toujours voulu travailler et n'avait jamais abusé le système.

    Dans son avis d'appel au conseil arbitral, le prestataire a répété les explications qu'il avait fournies dans sa demande d'antidatation.

    Le prestataire s'est présenté devant le conseil arbitral avec son employeur de la compagnie de produits. Le prestataire a répété à maintes reprises qu'il s'était présenté à un Bureau de la Commission dans les deux semaines après sa perte d'emploi et qu'une agente de la Commission lui avait dit qu'il devait attendre d'avoir son relevé d'emploi pour présenter sa demande de prestations. Il avait communiqué avec son employeur en Tunisie afin de demander son relevé d'emploi. L'employeur avait indiqué qu'il le fournirait dès son retour au Canada. Malheureusement, l'employeur n'est revenu au Canada qu'en décembre et a alors remis le relevé d'emploi au prestataire qui a immédiatement présenté sa demande de prestations. Le prestataire a réitéré qu'il n'était pas retourné au bureau de la Commission parce qu'il avait accepté la directive de l'agente de la Commission à l'effet qu'il devait attendre son relevé d'emploi.

    L'employeur a confirmé que le prestataire avait communiqué avec lui en Tunisie pour demander son relevé d'emploi. L'employeur a expliqué pourquoi le relevé ne pouvait être émis avant son retour au Canada. Il a aussi indiqué qu'il avait espéré revenir plus tôt et avait même espéré pouvoir offrir un retour au travail au prestataire à l'automne. L'employeur a reconnu qu'il avait été responsable du retard à émettre un relevé d'emploi au prestataire. L'employeur a aussi indiqué que les autres employés qui avaient été mis à pied en même temps que le prestataire n'avaient reçu leur relevé d'emploi qu'en décembre mais que cela ne les avait pas affectés négativement parce qu'il n'avait pas besoin d'une antidatation pour avoir accumulé le nombre d'heures d'emploi requis durant leur période de référence, comme c'était le cas pour le prestataire. Il a soumis qu'Il était injuste que le prestataire se voit privé de ses prestations en raison du délai à obtenir son relevé d'emploi.

    Le conseil arbitral a revu la preuve et a rejeté l'appel du prestataire pour les motifs suivants :

    « Les prestataires sont avisés de revenir appliquer avant la fin de la quatrième semaine suivant leur mise à pied même s'ils n'ont pas obtenu leur relevé d'emploi.

    Une personne raisonnable, dans la situation du prestataire aurait contacté à nouveau le bureau pour s'informer des mesures à prendre pour régler son problème.

    Attendre 4 mois pour soumettre sa demande de chômage ne constitue pas un motif valable aux termes de la loi d'après les faits au dossier.

    L'ignorance de la loi ne constitue pas un motif valable au sens de la loi pour appliquer en retard pour des bénéfices d'A-E. »

    En appel de la décision du conseil arbitral, le prestataire a réitéré que la raison pour laquelle il avait retardé à soumettre sa demande de prestations était qu'il avait été informé par une agente de la Commission qu'il devait attendre d'avoir son relevé d'emploi avant de présenter sa demande de prestations. Il avait fait tout ce qu'il pouvait pour obtenir son relevé d'emploi et avait présenté sa demande de prestations dès qu'il l'avait reçu. Il n'avait pas communiqué avec la Commission à nouveau parce qu'il s'était fié sur l'information qu'on lui avait donnée.

    Il est de jurisprudence constante qu'un prestataire qui a retardé à présenter une demande de prestations parce qu'il avait été mal informé par un agent de la Commission sur la procédure à suivre peut ainsi avoir établi un motif valable pour son retard à présenter sa demande (CUBs 18145, 16287, 37589 et 47115). Dans le CUB 47115, le juge Marin avait écrit :

    « La loi vise à assurer que la Commission est au courant des demandes de prestations en instance. La loi précise qu'une personne raisonnable doit prendre les mesures nécessaires pour tenir la Commission au courant des demandes de prestations en instance; un prestataire doit poursuivre avec une certaine rigueur sa demande de prestations, que ce soit des prestations régulières ou des prestations de maladie. Une personne raisonnable et prudente cependant peut-elle être induite en erreur lorsque la Commission prend des mesures équivoques et envoie de la correspondance ambiguë? Je ne suis pas d'avis que la Commission peut être à l'abri de versements de prestations quand elle contribue directement à mal orienter un prestataire alors qu'elle est au courant qu'il s'agit d'une demande en instance. L'ignorance de la loi et l'oubli ne sont généralement pas des excuses acceptables. Une désinformation de la part de la Commission doit cependant fournir un motif valable en vertu du paragraphe 10(5) de la Loi. »

    Et dans le CUB 37589, le juge Rouleau avait indiqué :

    « Lorsque la Commission donne des renseignements erronés ou lorsqu'elle omet de fournir l'information requise, il en résulte manifestement des situations qui peuvent compromettre l'admissibilité aux prestations du prestataire. Un prestataire qui a fait toutes les démarches requises pour s'informer de son droit aux prestations sera perçu comme ayant établi un « motif valable » de retard lorsque son défaut de présenter sa demande de prestations plus tôt résulte directement d'un renseignement erroné de la part de la Commission. Dans le CUB 11100, le juge-arbitre a considéré ce à quoi il faut raisonnablement s'attendre de la part d'un prestataire à qui un représentant de la Commission a donné un renseignement qui l'a conduit à ne pas présenter sa demande de prestations dans le délai prescrit par la Loi :

    Si, comme il le prétend, il a effectivement accepté les avis de cette personne, alors le prestataire a « agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi » [...]

    Une personne raisonnable, justifiée au premier abord d'accepter des avis qui font apparemment autorité, continue naturellement à les accepter jusqu'à ce qu'on attire son attention sur leur caractère erroné et peu digne de foi. »

    La Cour d'appel fédérale a établi, dans A-172-85, que, même si un prestataire a omis de s'enquérir sur ses droits et obligations relativement à une demande de prestations, il est quand même nécessaire de prendre en considération toutes les circonstances qui ont mené le prestataire à ne pas s'enquérir et déterminer s'il avait agi comme une personne raisonnable et qu'il s'agit là d'une appréciation au moins en partie subjective. Le juge Marceau écrivait:

    « A mon avis, lorsqu'un prestataire a omis de formuler sa demande dans le délai imparti et qu'en dernière analyse, l'ignorance de la loi est le motif de cette omission, on devrait considérer qu'il a prouvé l'existence d'un "motif valable" s'il réussit à démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi. Cela signifie que chaque cas doit être jugé suivant ses faits propres et, à cet égard, il n'existe pas de principe clair et facilement applicable; une appréciation en partie subjective des faits est requise, ce qui exclut toute possibilité d'un critère exclusivement objectif. Je crois cependant que c'est là, ce que le législateur avait en vue et c'est, à mon avis, ce que la justice commande. »

    Et dans le CUB 20088, le juge Jerome ajoutait:

    « L'objet sous-jacent des dispositions régissant l'antidatation est d'assurer qu'une personne ne puisse être empêchée, pour des raisons purement techniques, de recevoir les prestations auxquelles elle a par ailleurs légitimement droit. (...) La question de savoir si un prestataire a satisfait à ce critère est une question de fait à trancher à la lumière des faits particuliers de chaque cas. La prestataire doit établir qu'elle avait un motif justifiant

    Les exemples de motifs justifiant le retard acceptés depuis l'arrêt A-172-85 (1985) 1 FC 710 englobent certaines situations où le prestataire a reçu des renseignements erronés de la Commission ou d'un tiers, connaissait peu le fonctionnement du régime d'assurance-chômage ou avait souffert d'une grave maladie ou incapacité durant la période visée par l'antidatation. »

    Comme l'écrivait le juge Muldoon dans le CUB 11100 :

    « Maintenant, une personne raisonnable n'est pas une personne paranoïaque, en proie à l'anxiété, qui met en doute ou qui refuse de croire des conseils faisant apparemment autorité, au point de chercher à vérifier ces avis une deuxième et une troisième fois, chaque jour ou à intervalle régulier, de crainte que ces avis soient erronés. Une personne raisonnable, justifiée au premier abord d'accepter des avis qui font apparemment autorité, continue naturellement à les accepter jusqu'à ce qu'on attire son attention sur leur caractère erroné et peu digne de foi. Ce comportement décrit précisément la conduite qu'a adoptée le prestataire, laquelle était celle d'une personne raisonnable. Après tout, la justification initiale ne se détériore pas ou ne perd pas autrement sa valeur avec le temps, même après une longue période. »

    Dans ce dossier, le retard du prestataire à présenter sa demande de prestations avait été causée par la mauvaise information que lui avait donnée une agente de la Commission. Le prestataire avait tout fait en son possible pour obtenir son relevé d'emploi et, dès qu'il l'a reçu, il a présenté sa demande. Il avait de toute évidence établi un motif valable justifiant son retard au sens du paragraphe 10(4) de la Loi sur l'assurance-emploi tel qu'interprété dans une jurisprudence bien établie.

    En conséquence, je conclus que le conseil arbitral a erré en droit et en fait en décidant comme il l'a fait. La décision du conseil est annulée. La preuve au dossier me permet de rendre la décision qu'aurait dû rendre le conseil arbitral. L'appel du prestataire est accueilli.

    Guy Goulard

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA, Ontario
    Le 16 juillet 2008

    2011-01-16