EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
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RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par l'employeur de la décision d'un conseil arbitral rendue le 30 janvier 2008 à Sept-Îles, Québec
GUY GOULARD, juge-arbitre
La prestataire a travaillé pour un CLSC jusqu'au 14 août 2007. Elle a présenté une demande de prestations qui fut établie à compter du 19 août 2007. La Commission détermina que la prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite et a imposé une exclusion d'une durée indéterminée à compter du 19 août 2007.
La prestataire en appela de la décision de la Commission devant un conseil arbitral qui accueillit son appel. L'employeur porta la décision du conseil en appel devant un juge-arbitre. Cet appel a été entendu à Québec, Québec le 1er août 2008. La prestataire n'était pas présente mais elle était représentée par avocat. L'employeur était représenté par avocat aussi. La Commission a indiqué qu'elle n'intervenait pas dans cet appel.
Le motif fourni par l'employeur pour avoir suspendu et ensuite congédié la prestataire était que celle-ci avait tenu publiquement, le 12 août 2007, sur les ondes d'une radio communautaire, des propos mensongers et diffamatoires à l'égard de son employeur et de son personnel de direction. Dans la lettre de suspension (pièce 4-4), on avait aussi allégué que la prestataire s'était appropriée une disquette appartenant à son employeur. L'employeur n'avait pas, par la suite, maintenu ce deuxième motif. L'employeur ajoutait dans la lettre de congédiement (pièce 4-5), que la prestataire avait, dans son entrevue sur les ondes, affirmé que des fraudes avaient été commises dans les dossiers du Directeur général de l'employeur. L'employeur avait ajouté que la prestataire avait par la suite malicieusement porté des accusations contre le Directeur général. L'employeur avait indiqué que les fautes alléguées contre la prestataire étaient graves et avaient eu pour effet de briser le lien de confiance avec l'employeur. On avait donc décidé de la congédier.
La prestataire avait déposé une plainte de harcèlement psychologique auprès des Normes du travail avant son congédiement et, subséquemment, une plainte pour congédiement sans juste cause.
La prestataire avait expliqué à la pièce 6 que, lors d'une réunion du conseil d'administration de son employeur où elle siégeait à titre de Secrétaire de direction, on lui avait demandé de se retirer lors de la discussion du renouvellement du contrat du Directeur général. Quand elle est revenue à la réunion, on lui demanda de signer comme quoi elle acceptait une résolution qui avait été discutée en son absence, ce qu'elle refusa de faire. Ne sachant que faire, elle était allée sur la place publique pour dénoncer certains agissements.
Le conseil d'administration ainsi que le conseil de Bande avaient indiqué qu'ils attendaient le résultat d'une enquête avant d'intervenir dans les questions impliquant la prestataire et son employeur.
Dans sa lettre d'appel au conseil arbitral, la prestataire a indiqué qu'une enquête avait été ouverte parce que le Directeur général avait falsifié certains documents. Elle a ajouté que ce qu'elle avait dit sur les ondes de la radio était de notoriété publique à l'égard de ce qu'elle avait allégué contre son Directeur général. Elle a indiqué que c'est à titre de membre du conseil d'administration de son employeur qu'elle avait agi en allant sur les ondes publiques.
La prestataire a participé à l'audience devant le conseil arbitral par conférence téléphonique. L'employeur ne s'est pas présenté pour l'audience.
Devant le conseil arbitral, la prestataire a réitéré qu'en allant sur les ondes de radio, elle avait agi non pas à titre d'employée du CLSC mais en tant que membre du Conseil d'administration de celui-ci. Le conseil a résumé comme suit le témoignage de la prestataire à l'égard du motif pour ses commentaires à la radio :
« Elle ajoute que, sachant que des choses irrégulières s'étaient produites chez son employeur, par le directeur général, elle en a informé les autres membres du C.A. puis les membres du Conseil de bande, environ une semaine avant le 12 août 2007. Les premiers n'ont pas agi et les seconds ont dit qu'ils examineraient la question. Le 12 août 2007, elle a utilisé les ondes de la radio communautaire pour informer la communauté de ce qui se passait au CLSC, considérant que c'était son devoir de membre du Conseil d'administration en tant que responsable d'un fonctionnement harmonieux de l'établissement.
La prestataire a nié avoir tenu des propos diffamatoires et mensongers comme l'employeur le prétend; elle affirme n'avoir dit que la vérité et n'avoir donné que des informations déjà rendues publiques.
Elle nie avoir volé une cassette contenant des informations confidentielles et affirme avoir été informée par la Sûreté du Québec que la cassette était en sa possession. Elle explique que, même si elle l'avait eue, elle n'aurait pas pu s'en servir, n'ayant pas les équipements requis.
En réponse à une question, la prestataire a indiqué qu'elle a agi à la fois comme employée du CLSC, comme bénéficiaire des services de l'établissement et comme membre du Conseil d'administration. Elle coulait que cessent les pratiques illégales du directeur général.
Elle a aussi mentionné que, de par ses fonctions de secrétaire de direction, elle avait accès à des informations confidentielles mais qu'elle ne s'en était jamais servi avant de devenir membre du Conseil d'administration. Elle ajoute avoir agi pour le bien de la communauté et pour des questions d'éthique.
La prestataire a conclu en déclarant que son comportement était conforme au « Public Servants Disclosure Protection Act » (PSDPA). »
Le conseil arbitral a revu toute la preuve, tant celle versée au dossier que celle présentée à l'audience et a accueilli l'appel de la prestataire pour les motifs suivants:
« Le Conseil considère important de tenir compte du statut de membre du Conseil d'administration que détenait la prestataire au moment où elle a posé les gestes qui lui sont reprochés.
La prestataire a en effet déclaré à plusieurs reprises qu'elle avait agi en raison de son statut de membre du Conseil d'administration.
Le conseil arbitral accepte la position de la prestataire sur ce point et assume qu'elle a effectivement été motivée par sa notion de devoir d'un membre de Conseil d'administration. En effet, elle a d'abord tenté d'agir à l'intérieur de son Conseil d'administration puis elle a impliqué les membres du Conseil de bande.
Le Conseil estime dans les circonstances et en dépit du court laps de temps écoulé entre la rencontre au Conseil de bande et l'intervention publique de la prestataire, que le comportement reproché à cette dernière ne constitue pas un geste d'inconduite au sens de la Loi.
Par conséquent, elle n'a pas été congédiée en raison de son inconduite selon les articles 29 et 30 de la Loi. »
En appel de la décision du conseil arbitral, l'avocat de l'employeur a soumis que le conseil avait erré en droit et en fait en concluant que la prestataire n'avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite. Il a soumis que le conseil avait erré dans son interprétation de la notion d'inconduite et en accordant le bénéfice du doute à la prestataire. Il a soumis que la preuve avait établi que la prestataire avait été congédiée pour avoir présenté des propos diffamatoires sur les ondes publiques à l'égard de son Directeur général, ce que le conseil arbitral avait omis de prendre en considération. Il a soumis que la lettre de réprimande, qui avait été adressée à la prestataire et qui se retrouve au dossier, indiquait qu'il y avait un problème avec la prestataire et que celle-ci avait agi de façon à attaquer son Directeur générale en réponse à cette lettre.
L'avocat de l'employeur a souligné que la prestataire était allé voir son député, le Protecteur du citoyen, le conseil de bande et même la police qui avait ouvert une enquête. N'étant pas satisfaite des réponses de ces différentes personnes et institutions, la prestataire avait alors décidé de se servir des ondes publiques pour attaquer son Directeur général de façon mensongère. Il a ajouté que l'enquête avait blanchi le Directeur générale. Il a soumis que la prestataire ne pouvait se prévaloir de sa position au conseil d'administration pour abuser de l'information qu'elle détenait par le biais de son poste de directrice d'administration. Il a souligné que la prestataire n'avait jamais nié avoir tenu les propos reprochés sur les ondes de la radio. Il a ajouté que la prestataire aurait dû attendre le dénouement de l'enquête en cours et voir ce que le conseil d'administration ferait. Il a soumis que la prestataire avait agi pour soulever la population contre son Directeur général et que ceci constituait une inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi.
L'avocat de la prestataire a soumis que la décision du conseil était bien fondée sur la preuve devant le conseil. Il a soumis que le conseil avait bien analysé l'ensemble de la preuve et en était arrivé à une conclusion qui était conforme à cette preuve. Il a souligné que le conseil avait bien expliqué pourquoi il avait accepté les explications de la prestataire à l'égard de ses agissements. Il a aussi souligné qu'il n'y avait aucune preuve au dossier à l'égard de la nature et le contenu exact des commentaires de la prestataire sur les ondes.
La jurisprudence (A-547-01, A-600-93, A-115-94, A-255-95 et A-97-03) nous enseigne qu'un juge-arbitre ne doit pas substituer son opinion à celle d'un conseil arbitral, sauf si sa décision lui paraît avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Dans l'arrêt A-115-94 (supra) la juge Desjardins écrivait:
« Il ressort clairement de la décision du conseil que l'opinion majoritaire et l'opinion minoritaire avaient toutes deux été examinées à fond. Certes, les tenants de l'opinion majoritaire auraient pu conclure autrement, mais ils ont choisi de ne pas croire la prétention de l'intimé portant qu'il avait quitté son emploi en raison de sa santé. La juge-arbitre ne pouvait substituer son opinion à celle de la majorité. Les membres du conseil étaient les mieux placés et les mieux en mesure d'apprécier la preuve et de tirer des conclusions relativement à la crédibilité. Il y avait en outre une preuve abondante appuyant la conclusion de la majorité. »
Dans l'arrêt A-547-01 (supra), le juge Létourneau indiquait que le rôle d'un juge-arbitre se limite à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier.
Et plus récemment, dans le A-97-03 (supra), le juge Sexton ajoutait:
« Dans l'arrêt A-610-01, précité, la Cour a conclu que l'application de l'analyse pratique et fonctionnelle, lorsqu'un juge-arbitre examine une décision rendue par conseil, laquelle décision comporte une question mixte de droit et de fait, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) A-123-03, 2003 CAF 377, la Cour a également conclu que la question de savoir si un employé est fondé à quitter son emploi est une question mixte de droit et de fait qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable.
Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, la Cour suprême a déclaré qu'une décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l'a fait sur la base de la preuve soumise. »
Dans la présente affaire le conseil a bien résumé et analysé la preuve au dossier et à l'audience et a accepté le témoignage et les explications de la prestataire à l'égard de ses agissements. Même si je n'étais pas d'accord avec la conclusion du conseil, ce qui n'est pas nécessairement le cas, je ne peux conclure que la décision du conseil est déraisonnable au sens de la jurisprudence de la Cour d'appel fédérale. Je ne décèle aussi aucune erreur de droit de la part du conseil arbitral.
Le juge-arbitre n'est pas habilité à juger de nouveau une affaire ni à substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du conseil. Les compétences du juge-arbitre sont limitées par le paragraphe 115(2) de la Loi. À moins que le conseil arbitral n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'il ait erré en droit ou qu'il ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance et que cette décision est déraisonnable, le juge-arbitre doit rejeter l'appel.
L'employeur n'a pas démontré que le conseil arbitral a erré de la sorte.
En conséquence, l'appel de l'employeur est rejeté.
Guy Goulard
JUGE-ARBITRE
OTTAWA, Ontario
Le 18 août 2008