TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande de prestations
- et -
d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par le prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Bathurst (Nouveau- Brunswick) le 20 novembre 2007
Le juge-arbitre GUY GOULARD
Le prestataire a travaillé pour un conseil scolaire jusqu'au 22 mai 2007. Il a présenté une demande initiale de prestations d'assurance-emploi, laquelle a pris effet le 20 mai 2007. La Commission a déterminé que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite, et elle lui a imposé une exclusion pour une période indéfinie à compter du 20 mai 2007.
Le prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral, lequel a rejeté l'appel. Le prestataire a ensuite interjeté appel de la décision du conseil devant un juge-arbitre. Cet appel a été instruit à Bathurst (Nouveau-Brunswick) le 3 octobre 2008. Le prestataire était présent à l'audience et était représenté par son avocat.
Dans le dossier d'appel, le seul élément de preuve qui concerne les raisons invoquées par l'employeur pour justifier le congédiement du prestataire est libellé comme suit (pièce 4) :
« L'employeur a déclaré que le client avait des problèmes d'assiduité, mais que son congédiement avait résulté de la découverte du fait qu'il avait déjà été condamné pour voies de fait avec une arme meurtrière, et qu'il avait récemment été arrêté pour possession de cocaïne en vue d'en faire le trafic. Le conseil a déclaré que le client avait manqué 53,5 jours de travail de septembre 2005 à avril 2006 et qu'on l'avait tenu à l'oeil. Cependant, le point le plus important était que, lorsqu'ils signaient un contrat, les employés signaient également chaque année une déclaration attestant qu'ils n'avaient été ni inculpés d'activités criminelles, ni mêlés à des activités de cette nature. Si le client avait été condamné en 2006, les faits avaient forcément dû se produire avant cette date. Le client avait signé, pour les deux années, une déclaration selon laquelle il n'avait aucun antécédent de ce genre, ce qui s'est avéré faux. À la lumière de cette information et des nouvelles les plus récentes reçues de la police, l'employeur a congédié le client pour abus de confiance et pour avoir falsifié des dossiers. »
[Traduction]
Je remarque que la Commission a déclaré ce qui suit, dans les observations écrites qu'elle a présentées au conseil arbitral (pièce 8-1) :
« Le prestataire affirme que l'infraction a été commise après qu'il eut été embauché par l'employeur, et il a admis, à la question 6 de la section "Renvoi/congédiement", qu'il a été mêlé à l'infraction criminelle alléguée, et que celle-ci a été commise pendant les heures de travail. »
[Traduction]
Cette interprétation des affirmations faites par le prestataire dans sa demande de prestations est incomplète et trompeuse. Voici le libellé de ces affirmations :
« Je travaillais comme employé permanent à temps plein pour le conseil scolaire sans qu'il y ait aucun problème, et tous mes collègues me respectaient et s'entendaient très bien avec moi. Un lundi après-midi, au centre-ville, la police m'a arrêté au volant de ma voiture et elle a perquisitionné et saisi mon véhicule. Les policiers ont affirmé avoir trouvé de la drogue dans ma voiture alors que c'était impossible - je n'avais rien sur moi et il n'y avait rien dans ma voiture, alors il est impossible qu'ils aient trouvé quoi que ce soit. J'ai demandé à voir les preuves qu'ils avaient contre moi, s'ils en avaient, mais on ne m'a jamais rien montré. Même les formulaires d'accusation ne mentionnent nulle part la drogue que les policiers affirment avoir trouvée dans ma voiture. J'ai demandé à mon avocat d'écrire une lettre décrivant la situation, de faire enquête sur cette question pour moi et de recevoir l'information divulguée par la police. Sans égard à mes RESPONSABILITÉS, la police a pris l'initiative de rapporter les accusations qui pesaient contre moi au conseil scolaire ainsi qu'au directeur de l'école secondaire où je travaillais. Lorsqu'on leur a demandé si ma présence à l'école à proximité des jeunes posait un risque, les policiers ont répondu qu'il n'y avait aucun risque mais qu'ils souhaitaient porter les accusations à l'attention des autorités scolaires. Par suite de ces événements, on a mis fin à mon emploi PERMANENT À TEMPS PLEIN, et j'ai été incapable de trouver du travail depuis lors. »
[Traduction]
Le prestataire a ensuite déclaré que l'infraction criminelle alléguée avait été commise après qu'il eut été embauché, et qu'il avait été mêlé à cette infraction criminelle alléguée (souligné par mes soins).
L'employeur n'a déposé aucune copie des documents que le prestataire aurait signés et qui correspondraient, selon ledit employeur, aux faux renseignements fournis par le prestataire et à la falsification de dossiers commise par celui-ci. La pièce 9 est une copie d'un formulaire identique à celui que le prestataire aurait signé. L'extrait suivant est tiré de ce document :
« J'ATTESTE QUE, depuis le dernier relevé des antécédents criminels présenté au Conseil ou à l'Ordre des enseignants et des enseignantes, le cas échéant, ou qu'en dépit du fait que je n'ai fait l'objet d'aucune vérification antérieure des antécédents criminels, ou que depuis la dernière déclaration d'infraction que j'ai présentée au Conseil :
Je n'ai, jusqu'à la date de la présente déclaration, été condamné pour aucune infraction au Code criminel du Canada pour laquelle la réhabilitation n'a pas été délivrée ou octroyée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire du Canada,
OU
J'ai, sous le régime du Code criminel du Canada, été condamné pour les infractions énumérées ci-après, infractions pour lesquelles la réhabilitation n'a pas été délivrée ou octroyée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire du Canada.
Liste des infractions (Utiliser une autre page au besoin.) »
[Traduction]
Dans sa lettre d'appel au conseil arbitral, le prestataire a passé en revue ses antécédents de travail. Il a affirmé n'avoir fourni aucune information fausse à son employeur, étant donné qu'il n'a pas de casier judiciaire et qu'il n'a jamais été reconnu coupable de quoi que ce soit. En ce qui concerne les accusations récemment portées contre lui, il a affirmé que son avocat l'avait assuré qu'elles seraient retirées avant le procès, ou qu'il serait déclaré non coupable.
Le prestataire a participé à l'audience devant le conseil arbitral par vidéoconférence. Il avait, au préalable, déposé un certain nombre de documents, y compris plusieurs attestations selon lesquelles il avait été un bon employé. Il a également fourni des documents indiquant qu'on lui avait accordé une absolution sous conditions avec période de probation relativement aux accusations de voies de fait armées, le 24 avril 2006. Le ministère du Procureur général a déclaré, dans une lettre, que le prestataire avait observé toutes les conditions de sa probation. Voici un extrait de cette lettre :
« Une absolution sous condition est un moyen utilisé par la Cour pour donner une seconde chance à une personne. Il s'agit d'une situation dans laquelle une personne a été reconnue coupable d'une infraction, mais n'a pas été condamnée pour celle-ci. L'individu en cause a eu raison de répondre à la question par la négative. Nous avons la certitude que c'est ce que son avocat lui aurait recommandé. C'est également ce que nous lui aurions conseillé. »
[Traduction]
Dans les observations qu'il a présentées au conseil arbitral, le prestataire a affirmé que son avocat lui avait conseillé de ne pas déclarer au conseil scolaire qu'il avait été reconnu coupable de voies de fait armées en 2006, puisqu'il avait reçu une absolution sous conditions. Il a répété qu'il n'était pas coupable des infractions dont il était maintenant accusé. Lorsque le conseil lui a demandé pourquoi il n'avait pas déclaré l'accusation au criminel dont il avait fait l'objet en 2006, le prestataire a répondu qu'il avait suivi le conseil de son avocat.
Le conseil a examiné la preuve et la jurisprudence en matière d'inconduite, et il a rejeté l'appel du prestataire pour les raisons suivantes :
« Pour constituer de l'inconduite, il n'est pas nécessaire que l'acte reproché soit commis au travail, sur les lieux de travail ou dans l'exercice de fonctions confiées par l'employeur. Une infraction ou un acte criminel qui entraîne une condamnation en vertu du Code criminel constitue de l'inconduite et entraîne l'exclusion du bénéfice des prestations lorsqu'il a abouti à la suspension de l'employé concerné parce qu'il est dans l'impossibilité de respecter ses conditions d'emploi.
Le paragraphe 30(2) de la Loi prescrit l'exclusion, pour une période indéfinie, de tout prestataire qui a perdu son emploi à cause de son inconduite. Pour que l'acte reproché constitue de l'inconduite au sens du paragraphe 30 de la Loi, il doit être volontaire ou délibéré ou témoigner d'une telle insouciance qu'il frôle le caractère délibéré. Il doit également y avoir un lien de cause à effet entre l'inconduite et le congédiement.
Le conseil arbitral a conclu que le prestataire avait perdu son emploi à cause de l'infraction qu'il est présumé avoir commise, une infraction qui constitue de l'inconduite aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi. »
Dans le cadre de l'appel interjeté à l'encontre de la décision du conseil arbitral, l'avocat du prestataire a soutenu que le conseil avait commis une erreur de fait et de droit lorsqu'il avait conclu que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite, étant donné que le conseil avait omis d'indiquer lequel des actes du prestataire constituait de l'inconduite. Il a souligné que la raison invoquée par l'employeur relativement au congédiement du prestataire était, comme l'indique la pièce 4, le fait que ce dernier avait signé des déclarations sur lesquelles il avait fourni des renseignements faux, et qu'il avait falsifié des documents. L'avocat du prestataire a soutenu que la preuve démontrait clairement que le prestataire n'avait pas signé de fausses déclarations ni falsifié des dossiers. Il a fait référence, dans ses observations écrites, à l'article 730 du Code criminel du Canada, lequel prévoit que l'obtention d'une absolution sous condition ne constitue pas une condamnation faisant suite à l'accusation pour laquelle l'absolution sous conditions est accordée. L'avocat du prestataire a soutenu que l'employeur et le conseil arbitral avaient fait erreur lorsqu'ils avaient conclu que le prestataire avait sciemment et intentionnellement trompé son employeur.
L'avocat de la Commission a concédé qu'aucun élément de preuve n'appuyait la conclusion que le prestataire avait donné des réponses fausses ou trompeuses dans ses déclarations à l'employeur, compte tenu de ce qu'« absolution sous conditions » signifie selon la loi.
Il est bien établi dans la jurisprudence qu'un élément essentiel du genre d'inconduite qui justifie d'imposer une inadmissibilité au bénéfice des prestations est que les actes doivent avoir été volontaires, et commis sans égard aux répercussions qu'ils auraient sur le rendement du prestataire au travail. Comme l'a déclaré la juge MacGuigan, dans l'arrêt A-381-85, l'inconduite doit être de la nature d'« un comportement indésirable qui n'équivaut pas exactement au véritable chômage auquel la Loi entend remédier ». Dans la décision de la Cour, le juge MacGuigan a affirmé ce qui suit :
Le juge-arbitre a eu raison de conclure que, pour constituer de « l'inconduite », les actes reprochés doivent avoir été volontaires, ou du moins procéder d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail. Cette conclusion est appuyée par la définition fournie dans le dictionnaire pour le mot « inconduite », qui, dans un contexte de travail, désigne le « mépris délibéré et volontaire des intérêts de l'employeur ». Il est encore plus important de remarquer que l'idée derrière l'article 41(1) est d'imposer une inadmissibilité en guise de châtiment pour un comportement indésirable qui n'équivaut pas exactement au véritable chômage auquel la Loi entend remédier. Cette idée sous-entend nécessairement la présence d'un élément psychologique, soit un caractère délibéré, soit une conduite à ce point insouciante qu'elle frôle le caractère délibéré.
Dans l'arrêt A-94-95, le juge Pratte s'est exprimé comme suit :
« L'inconduite dont parle l'article 28(1), et qui, comme le fait de quitter volontairement son emploi, entraîne, suivant l'article 30.1, l'exclusion du prestataire du bénéfice des prestations pour toute la durée de sa période de prestations, n'est pas un simple manquement de l'employé à n'importe quelle obligation liée à son emploi; c'est un manquement d'une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu'il serait susceptible de provoquer son congédiement. »
(souligné par mes soins)
(L'article 28 de la Loi sur l'assurance-chômage est maintenant l'article 30 de la Loi sur l'assurance-emploi.)
En outre, dans la décision CUB 65750, le juge Rouleau a écrit ce qui suit :
« Pour constituer de l'inconduite, l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle inconscience ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail. Il faut un élément psychologique, soit un caractère délibéré, soit une conduite à ce point insouciante qu'elle frôle le caractère délibéré. Il incombe à la Commission ou à l'employeur d'établir que la perte de l'emploi d'un prestataire est attribuable à son inconduite. [...] Le conseil arbitral doit disposer d'une preuve suffisamment détaillée pour pouvoir, premièrement, savoir comment l'employé s'est comporté et, deuxièmement, déterminer si ce comportement était répréhensible. Tant qu'il subsiste un doute quant à l'inconduite alléguée, on ne peut affirmer que le prestataire a perdu son emploi pour cette raison.
Il ne suffit pas de démontrer que l'employeur considérait que la conduite de l'employé était répréhensible ou qu'il a réprimandé l'employé pour s'être mal comporté. De plus, un congédiement motivé n'est pas nécessairement la même chose qu'un congédiement pour motif d'inconduite. De simples erreurs, l'incompétence ou un malentendu entre un employeur et un employé peuvent constituer autant de motifs de renvoi, mais ils ne constituent pas pour autant de l'inconduite en vertu de la Loi. »
En l'espèce, le prestataire a démontré qu'il n'avait pas fourni d'informations fausses. La réponse qu'il a donnée dans sa déclaration était conforme au Code criminel, et il l'a donnée sur avis de son avocat. Aucun élément de preuve n'expliquait ce qui avait donné lieu à l'accusation en cause, ni si cette dernière était liée, d'une manière ou d'une autre, à l'emploi du prestataire, ni si elle aurait pu avoir des conséquences nuisibles sur cet emploi. Le prestataire avait en outre nié sa culpabilité à l'égard des allégations dont découlaient les nouvelles accusations qui pesaient contre lui.
Le conseil arbitral a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu que la preuve démontrait que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Aucun élément de preuve n'étayait cette conclusion.
La preuve au dossier ou, en l'occurrence, son absence suffit pour que je puisse rendre la décision qui aurait dû être rendue par le conseil arbitral. L'appel du prestataire est accueilli et la décision du conseil arbitral est annulée.
Guy Goulard
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 17 octobre 2008