• Accueil >
  • Bibliothèque de la jurisprudence
  • CUB 71254

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    d'une demande de prestations

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par le prestataire à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral le 14 septembre 2007 à Bathurst (Nouveau-Brunswick)

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GUY GOULARD

    Le prestataire a travaillé jusqu'au 30 mai 2007. Il a présenté une demande initiale de prestations d'assurance-emploi qui a pris effet le 3 juin 2007. La Commission a déterminé que le prestataire avait quitté volontairement son emploi sans justification et elle l'a exclu du bénéfice des prestations pour une période indéterminée à compter du 3 juin 2007.

    Le prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral, qui a rejeté l'appel dans une décision rendue à la majorité. Il a ensuite porté la décision du conseil en appel devant un juge-arbitre. Cet appel a été instruit à Bathurst, au Nouveau-Brunswick, le 3 octobre 2008, en présence du prestataire et de son épouse qui lui apportait son aide.

    Le prestataire a indiqué qu'il avait quitté son emploi en Ontario parce que sa femme et lui ont décidé de s'installer au Nouveau-Brunswick afin de pouvoir prendre soin de la mère âgée du prestataire. Le prestataire a décrit la situation de sa mère aux pièces 5, 8, 11 et 13. La mère du prestataire et ses conditions de vie sont bien décrites à la pièce 11, dont voici un extrait :

    « Comme je l'ai mentionné dans ma lettre précédente, mon père est décédé des suites d'un cancer le 25 mai 2006. Il est mort paisiblement à la maison. C'est ce qu'il souhaitait, être à la maison et non dans un lit d'hôpital. Inutile de dire que sa volonté a exigé ma présence ici pendant une longue période. J'aimerais souligner le fait que j'ai effectué six voyages entre l'Ontario et le Nouveau-Brunswick en 2006. J'ai été très reconnaissant envers mon employeur pour sa gentillesse, sa compréhension et son soutien pendant ma période de deuil.

    Après le décès de mon père, ma mère est demeurée seule à la maison. J'ai gardé un contact étroit avec elle par téléphone et j'ai fait de mon mieux pour la réconforter à distance. À l'automne 2006, elle a dû passer différents tests (test pour le stress, moniteur Holter, électrocardiogramme) parce qu'elle avait des palpitations. À plusieurs reprises, ma mère a pleuré au téléphone et se montrait déprimée à l'idée de dormir seule dans la maison. Lorsque l'automne s'est installé, elle a commencé à s'isoler de plus en plus, car les conditions météorologiques ne lui permettaient pas de se déplacer facilement. Elle devait également s'occuper de faire du feu pour alimenter l'appareil de chauffage au bois qui se trouvait au sous-sol. Lors de l'une de mes visites à la maison, en 2006, ma mère m'a demandé d'installer une rampe dans l'escalier menant au sous-sol, car elle estimait qu'elle serait plus en sécurité si elle pouvait se tenir à quelque chose lorsqu'elle montait ou descendait les escaliers. Nous avons fait ça pour elle. Il est devenu évident pour moi que ce n'était pas sain ni sécuritaire que ma mère habite toute seule dans sa maison à son âge. Je suis devenu très inquiet pour elle et j'estimais que j'avais la responsabilité de prendre la situation en main et de l'aider à rester à la maison comme elle le souhaitait.

    Ma femme et moi avons discuté de la situation en long et en large avec nos fils. Ils nous ont dit qu'ils appuieraient notre décision et qu'ils étaient sûrs que nous prendrions la bonne.

    Malheureusement, autour de février 2007, ma mère a glissé sur une plaque de glace en tentant de s'appuyer sur un arbre alors qu'elle transportait un sceau de cendre à jeter dans le jardin, ce qui a entraîné une foulure à la cheville et une blessure dans le haut de la poitrine. Elle a vu son médecin de famille qui lui a dit qu'un ligament de sa cheville était déchiré et qu'elle devait essayer de ne pas se tenir sur cette jambe autant que possible et il lui a donné des anti-inflammatoires pour l'aider à contrôler la douleur. Malheureusement, cet événement m'a rendu encore plus inquiet, car la situation faisait en sorte qu'elle aurait encore plus de difficulté à se déplacer dans la maison pour préparer ses repas et accomplir les tâches ménagères quotidiennes. Je me suis rendu à la maison à une autre occasion en mai 2007 et ma mère m'a dit qu'elle souhaitait que je déménage chez elle si cela était possible. Elle comprenait à quel point ce déménagement aurait une incidence pour ma famille, mais elle estimait qu'elle avait besoin de moi à ses côtés. Elle a utilisé ces mots : "reviens simplement à la maison". »

    [Traduction]

    À la pièce 13, le prestataire a expliqué pourquoi il n'avait pas examiné la possibilité d'installer sa mère dans un appartement pour personnes âgées. Il a également expliqué en détail pourquoi personne d'autre ne pouvait s'occuper de sa mère. La soeur du prestataire vit en Colombie-Britannique et tous les autres membres de la famille du prestataire et les amis de la famille sont âgés et ne peuvent pas apporter leur aide.

    Le prestataire a attiré l'attention du conseil sur de récents articles parus dans les journaux concernant le manque de services destinés aux personnes âgées et les efforts réalisés pour trouver des solutions de rechange à l'hospitalisation en favorisant la prestation de soins à domicile aux personnes âgées.

    Le prestataire s'est présenté devant le conseil arbitral. Nous n'avons aucun renseignement sur ce qu'il a pu déclarer devant le conseil puisque sa décision est muette à ce sujet.

    La majorité des membres du conseil a résumé ainsi la preuve présentée par le prestataire :

    « Sa mère a 80 ans et ne peut plus vivre seule. Il n'avait pas songé à installer sa mère dans une maison pour personnes âgées ou à engager quelqu'un qui viendrait s'occuper d'elle. Il estimait qu'il avait besoin d'être avec elle. »

    La majorité des membres du conseil a rejeté l'appel du prestataire pour les raisons suivantes :

    « Le prestataire n'a pas démontré qu'il existait un élément d'urgence, de nécessité ou de compulsion l'obligeant à quitter immédiatement son emploi sans avoir trouvé au préalable un autre travail. Il a quitté son emploi pour des raisons personnelles qui ne peuvent pas justifier un départ volontaire.

    Le prestataire n'a pas convaincu le conseil arbitral qu'il avait épuisé toutes les solutions de rechange avant de quitter son emploi et d'aller s'installer au Nouveau-Brunswick. Nous considérons que sa décision était davantage de nature "morale" qu'une décision motivée par l'état de santé de sa mère. »

    Le membre dissident résume la preuve et explique pourquoi il aurait accueilli l'appel, dans les termes suivants :

    « Voici les faits sur lesquels s'appuie ma décision :
    1. l'explication crédible du prestataire;
    2. l'obligation qu'avait le prestataire aux termes de l'article 29c)(v) de prendre soin d'un enfant ou d'un membre de la famille immédiate;
    3. le prestataire estimait qu'il avait l'obligation de rentrer chez lui et de s'occuper de sa mère du fait de la dégradation de son état de santé;
    4. il avait l'obligation morale de prendre soin de sa mère après la mort de son père;
    5. le prestataire estime que la qualité des soins que recevrait sa mère dans une résidence pour personnes âgées ou si elle recevait une aide à domicile serait la même que si sa femme et lui s'occupaient de sa mère. Le soutien que sa mère recevrait ainsi lui permettrait de recouvrer la santé et le moral. »

    Le sous-alinéa 29c)(v) prévoit précisément que la nécessité de prendre soin d'un proche parent peut constituer une justification pour quitter son emploi. Le prestataire avait expliqué qu'il avait quitté son emploi pour cette raison. Il avait cherché un autre emploi avant de déménager. Il n'avait pas l'intention de devenir chômeur. Il avait affirmé qu'il avait commencé à chercher du travail peu de temps après son arrivée au Nouveau-Brunswick. Lorsque j'ai instruit l'affaire, le prestataire a ajouté que sa femme et lui avaient trouvé du travail et qu'ils travaillaient désormais tous les deux.

    Il incombait à la majorité des membres du conseil d'à tout le moins d'examiner les éléments de preuve présentés par le prestataire à la lumière des dispositions de l'alinéa 29c)(v) de la Loi (CUB 56569 et 55033). La majorité des membres du conseil ne l'a pas fait et, de ce fait, a commis une erreur de droit.

    Par ailleurs, le membre dissident a tenu compte de cette disposition législative pour tirer ses conclusions.

    Je conclus que la majorité des membres du conseil a commis une erreur de droit et j'annule leur décision.

    J'estime que la preuve en l'espèce a permis de démontrer clairement que le prestataire avait quitté son emploi pour s'occuper de sa mère âgée. Il a décrit dans un langage très clair la situation de sa mère; la façon dont elle a vécu dans sa communauté toute sa vie et dans sa maison pendant une cinquantaine d'années, son désir, tout comme celui de sa propre mère, de continuer d'habiter dans sa maison, ce qu'elle ne pouvait pas faire sans aide. Comme l'a expliqué le prestataire, sa femme et lui ont eu de la difficulté à quitter l'Ontario, où ils travaillaient et élevaient leurs enfants, pour déménager afin de s'occuper de la mère du prestataire. Ils ont cherché du travail et en ont trouvé. C'est exactement ce genre de situation qui est prévue au sous-alinéa 29c)(v), comme l'a reconnu le membre dissident du conseil.

    Par conséquent, l'appel du prestataire est accueilli et la décision majoritaire du conseil est annulée.

    Guy Goulard

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 17 octobre 2008

    2011-01-16