TRADUCTION
Dans l'affaire de la Loi sur l'assurance-emploi
L.C. 1996, ch. 23
et
d'une demande de prestations
et
d'un appel interjeté par la Commission devant un juge-arbitre à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à Brampton (Ontario) le 14 janvier 2008
Appel instruit à Toronto (Ontario) le 23 octobre 2008
LE JUGE-ARBITRE R. C. STEVENSON
La Commission interjette appel de la décision d'un conseil arbitral d'accueillir l'appel du prestataire à l'encontre de l'exclusion du bénéfice des prestations qui lui a été imposée par la Commission pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification.
Le prestataire a quitté son emploi au sein d'un groupe partenaire le 9 septembre 2007. On lui a offert un contrat de consultation pour un bureau de protection de l'enfance, situé à Khartoum, dans la République du Soudan. Une lettre du bureau de Khartoum, adressée au prestataire et datée du 5 septembre 2007, indique ce qui suit :
Il est convenu que votre contrat commence le 20 septembre et prenne fin le 19 février 2008, pour un total de cinq mois. Toutefois, la date de début du contrat peut être modifiée pour correspondre à la date de début réelle au cas où il y aurait un changement de date d'arrivée.
...
Veuillez vous assurer d'avoir un visa d'entrée valide avant de partir.
[Traduction]
À la même date, le même bureau a envoyé à la section des visas de l'ambassade du Soudan à Ottawa un document attestant que le prestataire travaillera sous contrat pendant cinq mois, soit de septembre 2007 à février 2008. Étant donné que les autorités soudanaises n'ont pas octroyé de visa au prestataire, ce dernier a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi le 9 novembre. Voici un extrait de l'article 29 de la Loi sur l'assurance-emploi :
c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
(vi) assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir immédiat.
La Commission est d'avis qu'une solution raisonnable aurait été que le prestataire fasse ce qui suit :
1. s'assurer de répondre à l'exigence relative au visa avant de quitter son emploi;
2. demander un congé autorisé puisqu'il ne s'était fait offrir qu'un emploi contractuel;
3. demander à récupérer son emploi lorsqu'il a découvert qu'un visa ne pouvait lui être délivré.
Le conseil arbitral a conclu que le prestataire avait quitté son emploi parce qu'un emploi contractuel sûr l'attendait.
La Commission ne conteste pas que le prestataire a quitté son emploi pour un poste temporaire sûr dans un avenir immédiat. Elle invoque que le contrat ne garantissait pas le maintien en emploi à la fin du contrat de cinq mois. Elle cite plusieurs décisions de juges-arbitres établissant qu'il se peut que le fait de quitter un emploi permanent pour un emploi temporaire ait été un motif valable aux yeux du prestataire mais que cela ne constituait pas une justification au sens de la Loi. La Commission cite également la décision récente de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada (Procureur général) A-75-07, 2008 CAF 18.
J'interviens ici pour indiquer que les motifs du prestataire étaient purement altruistes.
Dans l'arrêt A-75-07, la Cour était appelée à juger une affaire dans laquelle un prestataire avait quitté un emploi permanent pour un emploi saisonnier qui offrait un salaire plus élevé et de meilleures conditions de travail dans une industrie prometteuse où il manquait de main-d'œuvre. La Cour a fait la distinction entre la circonstance de l'« assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir immédiat » et les autres circonstances énumérées à l'alinéa 29c) de la Loi. Au paragraphe 21, le juge Letourneau a signalé ce qui suit :
Le sous-alinéa 29c)(vi) revêt aussi une autre caractéristique importante qui le démarque des autres situations couvertes par l'article 29. Comme cette Cour le soulignait dans les affaires Canada (Procureur général) c. Campeau, 2006 CAF 376 et Canada (Procureur général) c. Côté, 2006 CAF 219, le sous-alinéa 29c)(vi) est le seul qui, avec la clause résiduaire contenue au sous-alinéa 29c)(xiv) (toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement), ne suppose pas l'intervention d'un tiers. En d'autres termes, la réalisation de la circonstance prévue au sous-alinéa 29c)(vi) dépend de la seule volonté du prestataire. Comme je le soulignerai plus loin, cette caractéristique du sous-alinéa 29c)(vi) nous ramène au fondement même et aux principes du régime de l'assurance qui, faut-il le rappeler, est un régime d'indemnisation fondée sur le risque.
Aux paragraphes 26 à 28, il a abordé les motifs sur lesquels se fonde le principe qu'une personne peut quitter son emploi pour occuper un emploi saisonnier :
[26] Premièrement, le sous-alinéa 29c)(vi) permet à un prestataire de quitter un emploi pour un autre emploi. La disposition législative n'apporte ni qualificatif ni restriction au terme « autre emploi ». Si le législateur avait voulu exclure du bénéfice des prestations les départs pour des emplois saisonniers, il lui eût été facile de dire au sous-alinéa 29c)(vi) « l'assurance raisonnable d'un emploi autre que saisonnier dans un avenir immédiat ».
[27] Deuxièmement, l'alinéa 30(1)a) permet à la personne qui a quitté un emploi pour en occuper un autre de recevoir des prestations si, depuis qu'elle a quitté son emploi, elle a exercé un emploi assurable suffisamment longtemps (p. ex. le nombre d'heures requis) pour être admissible au bénéfice des prestations. Encore là, le terme emploi assurable utilisé à l'article 30 n'exclut pas l'emploi saisonnier et les heures comptabilisées par suite de cet emploi.
[28] Enfin, le régime d'assurance-emploi reconnaît l'admissibilité au bénéfice des prestations pour des travailleurs qui exercent des emplois saisonniers reliés, par exemple, à la pêche, à la chasse et au domaine de la construction.
Dans ce qui précède, nous pouvons remplacer « saisonnier » par « temporaire » pour le cas qui nous occupe. Je ne sais pas si l'emploi au bureau de protection de l'enfance du Soudan aurait fait partie des emplois assurables aux termes de l'article 5 du Règlement sur l'assurance-emploi.
La question de savoir si un prestataire a quitté volontairement son emploi sans justification relève à la fois des faits et du droit. En pareil cas, la norme de contrôle judiciaire à appliquer consiste à déterminer si la décision du conseil arbitral est raisonnable.
Je dois conclure que la décision du conseil arbitral est raisonnable compte tenu de toutes les circonstances liées à la situation du prestataire.
L'appel de la Commission est rejeté.
Ronald C. Stevenson
Juge-arbitre
FREDERICTON (NOUVEAU-BRUNSWICK)
Le 5 novembre 2008