TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations
et
d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par la Commission à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue le 31 octobre 2007 à Kelowna (Colombie-Britannique)
DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-32-09
Le juge-arbitre GUY GOULARD
La prestataire a travaillé pour un arrondissement scolaire du 6 septembre 2004 au 29 juin 2005. Le 13 juillet 2005, elle a présenté une demande initiale de prestations d'assurance-emploi, laquelle a pris effet le 3 juillet 2005. La Commission a déterminé que la prestataire avait repris le travail le 6 septembre 2005 et qu'elle a travaillé jusqu'au 7 octobre suivant, date à laquelle elle a perdu son emploi ou n'a pu le reprendre en raison d'un conflit collectif. La Commission a donc établi que la prestataire n'était pas admissible au bénéfice des prestations du 7 au 21 octobre 2005, en application du paragraphe 36(1) de la Loi sur l'assurance-emploi.
La prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral, qui a accueilli l'appel. La Commission a appelé de la décision du conseil. Ce dernier appel a été instruit à Kamloops (Colombie-Britannique) le 27 octobre 2008. La prestataire a assisté à l'audience en compagnie de son représentant syndical.
Les faits entourant la présente affaire ne sont pas contestés. La prestataire n'a pas pu reprendre le travail le 7 octobre 2005 en raison d'une grève des membres de la Fédération des enseignants de la province. La Commission a déterminé que la prestataire n'avait pu reprendre le travail en raison d'un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif, et que celle-ci n'était pas admissible au bénéfice des prestations pendant l'arrêt de travail, au sens du paragraphe 36(1) de la Loi sur l'assurance-emploi, qui est ainsi libellé :
« 36.(1) Sous réserve des règlements, le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi en raison d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations avant :
a) soit la fin de l'arrêt de travail;
b) soit, s'il est antérieur, le jour où il a commencé à exercer ailleurs d'une façon régulière un emploi assurable. »
J'ai été saisi de cette affaire pour la première fois le 9 août 2007. J'avais alors conclu que la majorité des membres du conseil arbitral qui avait initialement instruit l'appel de la prestataire n'avait pas examiné la question en litige de façon appropriée. J'avais renvoyé l'affaire devant un conseil arbitral constitué de nouveaux membres en lui donnant la consigne de trancher trois questions : déterminer, primo, si l'arrêt de travail qui a empêché la prestataire de travailler était attribuable à un conflit collectif ou à un différend de nature politique, secundo, si la prestataire avait pris part au conflit de travail en question, s'il est considéré comme tel, et tertio, si la prestataire n'avait pas travaillé pour respecter la ligne de piquetage ou si son employeur lui avait demandé de ne pas se présenter au travail.
Dans son appel devant le conseil arbitral constitué de nouveaux membres, la prestataire a fait valoir, par l'intermédiaire de son représentant syndical, que l'arrêt de travail qui l'avait empêchée de travailler n'était pas attribuable à un conflit collectif tel qu'il est défini dans la Loi sur l'assurance-emploi, mais plutôt à une protestation de nature politique de la Fédération des enseignants de la province contre le gouvernement provincial. La Commission a maintenu sa position, à savoir que la prestataire n'avait pu entrer au travail en raison d'un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif tel qu'il est défini dans la Loi, qu'elle avait pris part au conflit collectif en question et que son employeur ne lui avait pas demandé de ne pas rentrer travailler.
Dans sa décision, le conseil arbitral expose ses constatations de fait et la conclusion qu'il a tirée à l'unanimité :
« Le conseil juge que l'arrêt de travail en question est plutôt de nature politique. Le représentant de la prestataire a présenté des arguments, y compris le CUB 44692c et s'est appuyé sur des documents déjà au dossier, notamment les communications du SCFP. La Commission n'a pas fourni au conseil d'autres renseignements sur cette question, selon ce qu'avait demandé le juge-arbitre. L'examen des documents fournis par la Commission, essentiellement composés d'articles de journaux, débouche sur une discussion concernant le caractère politique de l'arrêt de travail et le caractère illégal de la grève. Les deux documents concernant les arrondissements scolaires ne permettent pas de déterminer quelle est la nature de l'arrêt de travail.
Bref, les membres du conseil n'ont pas été en mesure d'établir à partir de documents provenant d'une source faisant autorité (sur laquelle la Commission pouvait fonder son interprétation) qu'il s'agissait bien d'un conflit collectif.
Pour ce qui est de la deuxième question définie par le juge-arbitre, à savoir si la prestataire avait participé au conflit collectif, son intérêt n'est que théorique, constate le conseil, étant donné qu'il a conclu que l'arrêt de travail constituait plutôt une protestation politique qu'un conflit collectif.
Pour ce qui est de la troisième question, le juge-arbitre a demandé au conseil de déterminer si la prestataire n'avait pas travaillé pour respecter la ligne de piquetage ou pour se conformer aux directives de son employeur. Le représentant de la prestataire a déclaré que cette dernière n'avait pas franchi la ligne de piquetage mais connaissait mal ses obligations à cet égard. Sur les lieux, elle a signé des documents en croyant qu'ils venaient confirmer qu'elle s'était présentée au travail mais qu'il n'était pas possible de travailler. Le représentant a confirmé que l'employeur de la prestataire n'avait pas demandé à cette dernière de ne pas se présenter au travail. Elle voulait travailler et elle était disposée à le faire. Elle a été déçue de ne pas en avoir l'occasion.
Le conseil s'est penché sur le CUB 44692c, décision où le juge-arbitre avait constaté que plusieurs organisations avaient interrompu les services de leurs membres pour protester contre une mesure législative en matière de réforme de l'éducation sur laquelle se penchait l'Assemblée législative. L'interruption des services n'était pas le fait d'une opposition entre employeurs et employés, et les responsables des commissions scolaires ont reconnu qu'elle n'était pas dirigée contre elles. Le juge-arbitre a conclu que, au sens du paragraphe 2(1), il n'y avait pas un conflit entre employeurs et employés, et que l'arrêt de travail n'était pas attribuable à un conflit collectif sur les lieux d'emploi du prestataire. »
Dans le cadre de l'appel à l'encontre de la décision du conseil arbitral, la Commission a allégué que le conseil avait commis une erreur de fait et de droit en concluant que la prestataire n'avait pas perdu son emploi en raison d'un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif (voir définition à l'article 2) au sens du paragraphe 36(1) de la Loi sur l'assurance-emploi. La Commission a souligné le fait que plusieurs questions faisaient l'objet de négociations entre la Fédération des enseignants et l'employeur, lequel était représenté par l'association patronale provinciale, et que par conséquent, l'arrêt de travail qui a fait en sorte que la prestataire s'est retrouvée au chômage était attribuable à un conflit collectif tel que défini dans la Loi. De plus, la prestataire a pris part au conflit en tant que membre du syndicat et a reçu une indemnité de grève. Elle n'a pas franchi la ligne de piquetage et son employeur ne lui a pas demandé de ne pas se présenter au travail. La Commission a fait valoir qu'aucun élément de preuve n'étaye la conclusion du conseil selon laquelle l'arrêt de travail était plutôt un conflit de nature politique.
Le représentant syndical de la prestataire a allégué qu'il n'y avait pas eu de grève illégale à cause des négociations entre les enseignants et l'employeur du fait que celles-ci se poursuivaient. La Fédération des enseignants a décidé de déclencher une grève en réaction à la décision du gouvernement provincial de contraindre par voie législative les enseignants à reprendre le travail, et ce, malgré le fait que les négociations entre les enseignants et leur employeur étaient toujours en cours. Le représentant a fait valoir qu'un certain nombre de pièces confirmaient cette allégation. Le gouvernement n'avait pas pris part aux négociations jusqu'alors. C'est lorsqu'il est intervenu que les enseignants ont pris des mesures en guise de protestation contre cette intervention, et non pas en raison d'une impasse avec l'employeur.
Le représentant a également fait valoir que la somme que la prestataire avait reçue de la Fédération des enseignants n'était pas une indemnité de grève et n'avait aucun lien avec une participation quelconque à l'arrêt de travail, mais qu'elle avait été versée à tous les membres de la Fédération touchés par l'arrêt de travail. Il a également indiqué que puisqu'il n'y avait pas eu de grève officielle, il ne s'agissait pas vraiment d'une ligne de piquetage, mais plutôt d'une petite manifestation. Le représentant a ajouté que les pièces 18-6 et 18-8 apportent la preuve que la prestataire s'est fait dire qu'il n'y avait pas de travail pour elle. Il a affirmé que la prestataire n'avait pas pris part aux activités entourant l'arrêt de travail. Il a insisté sur le fait que les enseignants et leur employeur étaient en cours de négociations et que le contrat existant était valide jusqu'à ce qu'il soit remplacé. Il a fait valoir que la décision du conseil était fondée sur la preuve, laquelle avait permis d'établir que l'arrêt de travail qui avait empêché la prestataire de travailler découlait d'un processus de nature politique et non pas d'un conflit collectif mettant en cause les enseignants et leur employeur.
Comme l'a constaté le conseil arbitral, plusieurs pièces versées au dossier d'appel montrent que la Fédération des enseignants a décidé de déclencher une grève en réaction à la décision du gouvernement provincial de contraindre par voie législative les enseignants à reprendre le travail (pièces 2-3, 2-6, 2-7, 2-9 et 2-15). Il a également été établi que les négociations entre les enseignants et leur employeur à propos d'un nouveau contrat étaient toujours en cours, quoiqu'elles n'avançaient pas bien (pièces 2-1 et 2-2). Les enseignants espéraient que l'intervention du gouvernement contribue aux négociations en cours (pièce 2-1). Au lieu de cela, le gouvernement provincial les a contraints de reprendre le travail. Les commentaires suivants figurent dans les pièces mentionnées précédemment :
[Traduction]
À l'article 2 de la Loi sur l'assurance-emploi figure la définition suivante d'un « conflit collectif » :
« conflit collectif » Conflit, entre employeurs et employés ou entre employés, qui se rattache à l'emploi ou aux modalités d'emploi de certaines personnes ou au fait qu'elles ne sont pas employées.
La preuve en l'espèce a permis d'établir que les négociations avec l'employeur étaient toujours en cours lorsque la Fédération des enseignants a décidé d'ordonner le déclenchement d'une grève des enseignants. Cette mesure résulte clairement de l'intervention du gouvernement, qui a imposé par voie législative un règlement au conflit opposant les enseignants et leur employeur. Le conseil pouvait donc conclure que le conflit qui a mené à l'arrêt de travail était davantage une protestation de nature politique que le résultat d'un conflit entre « employeurs et employés », comme l'indique la définition de « conflit collectif » présentée dans la Loi.
Dans la décision CUB 44692C, les faits sont similaires à ceux qui entourent le cas présent : les enseignants en cause et leur employeur étaient en négociations lorsqu'environ 126 000 membres de la Fédération des enseignants de la province, ce qui représente cinq syndicats affiliés, ont décidé de faire la grève pour protester contre un projet de loi du gouvernement. Le juge-arbitre Stevenson avait alors conclu que l'arrêt de travail n'était pas lié à un conflit entre les commissions scolaires (employeurs) et les enseignants (employés), mais constituait plutôt une forme de protestation politique contre le gouvernement provincial.
Il existe une abondante jurisprudence selon laquelle la question de savoir si un prestataire a perdu son emploi en raison d'un conflit collectif au sens du paragraphe 36(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est une question de fait (décisions CUB 16952, 16903 et 16653 et arrêt A-209-89 de la Cour d'appel fédérale). La jurisprudence a également permis d'établir sans équivoque que le conseil arbitral est le principal juge des faits dans les affaires ressortissant à l'assurance-emploi.
Dans l'arrêt A-1036-96, le juge Marceau déclare ceci :
« Nous sommes tous d'avis, après ce long échange avec les procureurs, que cette demande de contrôle judiciaire portée à l'encontre d'une décision d'un juge-arbitre agissant sous l'autorité de la Loi sur l'assurance-chômage se doit de réussir. Nous pensons, en effet, qu'en contredisant, comme il l'a fait, la décision unanime du Conseil arbitral, le juge-arbitre n'a pas respecté les limites dans lesquelles la Loi assoit son pouvoir de contrôle.
[...]
De toute façon, dans tous les cas, c'est le Conseil arbitral - le pivot de tout le système mis en place par la Loi pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation - qui est celui qui doit apprécier. »
Dans l'arrêt A-115-94, la juge Desjardins explique ce qui suit :
« Il ressort clairement de la décision du conseil que l'opinion majoritaire et l'opinion minoritaire avaient toutes deux été examinées à fond. Certes, les tenants de l'opinion majoritaire auraient pu conclure autrement, mais ils ont choisi de ne pas croire la prétention de l'intimé portant qu'il avait quitté son emploi en raison de sa santé. La juge-arbitre ne pouvait substituer son opinion à celle de la majorité. Les membres du conseil étaient les mieux placés et les mieux en mesure d'apprécier la preuve et de tirer des conclusions relativement à la crédibilité. »
Enfin, dans l'arrêt A-97-03 (supra), le juge Sexton affirme ceci :
« Dans l'arrêt A-610-01, précité, la Cour a conclu que l'application de l'analyse pratique et fonctionnelle, lorsqu'un juge-arbitre examine une décision rendue par conseil, laquelle décision comporte une question mixte de droit et de fait, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans l'arrêt A-123-03, 2003 CAF 377, la Cour a également conclu que la question de savoir si un employé est fondé à quitter son emploi est une question mixte de droit et de fait qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable.
Dans l'arrêt [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, la Cour suprême a déclaré qu'une décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l'a fait sur la base de la preuve soumise. »
En outre, dans l'arrêt A-547-01, le juge Létourneau précise que le rôle du juge-arbitre se limite à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés à la connaissance de ce dernier.
Dans le cas présent, la décision du conseil est entièrement compatible avec la preuve qui lui a été présentée, laquelle a permis d'établir que la Fédération des enseignants a décidé d'appeler ses membres à la grève en réaction à la décision du gouvernement de mettre fin aux négociations par voie législative. Je ne peux conclure que le conseil a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Au contraire, la décision du conseil est fondée sur la preuve qui lui a été présentée.
Par conséquent, l'appel est rejeté.
Guy Goulard
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 26 novembre 2008