TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande de prestations
- et -
d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la Commission à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Brandon (Manitoba) le 4 janvier 2008
Le juge-arbitre GUY GOULARD
Le prestataire a travaillé pour une entreprise jusqu'au 29 juin 2007. Le 11 octobre 2007, il a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi et celle-ci a pris d'effet le 7 octobre 2007. Le prestataire a demandé l'antidatation de sa demande afin qu'elle prenne effet le 1er juillet 2007 pour obtenir un meilleur taux de prestations. La Commission a refusé l'antidatation parce que le prestataire n'avait pas démontré qu'il avait un motif valable justifiant son retard à présenter sa demande de prestations.
Le prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral, qui a accueilli l'appel. La Commission a interjeté appel de la décision du conseil. Cet appel a été instruit à Brandon (Manitoba), le 20 novembre 2008, en présence du prestataire.
Le prestataire a expliqué qu'il n'avait pas présenté sa demande plus tôt parce qu'après avoir perdu son emploi, il avait déménagé pour suivre son épouse. À son arrivée dans son nouveau lieu de résidence le 27 juillet 2007, il croyait pouvoir trouver un emploi facilement, voire rapidement. Il ne connaissait pas le régime d'assurance-emploi car il n'avait jamais présenté de demande de prestations.
Dans sa lettre d'appel au conseil arbitral, le prestataire a répété qu'il n'était pas arrivé dans son nouveau lieu de résidence avant le 27 juillet 2007, soit un mois après avoir quitté son emploi. Avant son déménagement, il avait envoyé son curriculum vitae à six employeurs potentiels de son nouveau lieu de résidence. Le prestataire n'a reçu aucune réponse parce qu'il était en train de déménager. Il croyait qu'il devait attendre son relevé d'emploi avant de présenter une demande de prestations. Il ignorait qu'il devait présenter une demande de prestations immédiatement en raison de son inexpérience du régime. Le prestataire a alors commencé à chercher un travail et, le 8 août 2007, a décroché un emploi comme vendeur d'automobiles rémunéré à commission. Cependant, il n'a pas obtenu de bons résultats dans le cadre de ce travail en raison de son manque d'expérience. Il a alors réalisé qu'il devrait présenter une demande de prestations d'assurance-emploi et a entrepris les démarches nécessaires.
Devant le conseil arbitral, le prestataire a déclaré qu'il avait composé le numéro 1-800 de la Commission et qu'on lui avait dit qu'il devait attendre six semaines avant de présenter une demande de prestations. Il a donc décidé de déménager dans son nouveau lieu de résidence et d'y présenter une demande. Le prestataire a consacré quatre semaines à son déménagement. Il a cherché un emploi avant et après son déménagement. Il a trouvé un emploi comme vendeur d'automobiles, mais n'a pas touché un gros salaire. Le prestataire a déclaré qu'il avait de nouveau composé le numéro 1-800 et qu'on lui avait dit qu'il pourrait présenter une demande de prestations et que celle-ci serait antidatée sans aucun problème. Pendant son troisième mois de travail comme vendeur d'automobiles, la situation a empiré et il a décidé de présenter une demande de prestations. Il s'était entendu avec son employeur pour pouvoir chercher un autre emploi tout en continuant à vendre des automobiles. Il a fait une demande d'emploi dans tous les magasins d'alimentation de la ville et dans d'autres endroits dans l'espoir qu'une occasion se présente.
Le conseil arbitral a examiné la preuve et a accueilli l'appel du prestataire pour les raisons suivantes :
Le conseil est d'avis que le prestataire avait un motif valable pour présenter tardivement sa demande de prestations. Le conseil trouve extrêmement crédible la description faite par le prestataire des événements qui l'ont amené à décider de reporter la présentation de sa demande. Comme le prestataire n'avait jamais demandé de prestations d'assurance-emploi auparavant, il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable et, avant de déménager dans son nouveau lieu de résidence, a demandé conseil en composant le numéro 1-800 de la Commission. Si le conseil reconnaît qu'il incombe au prestataire d'obtenir les bons renseignements, il est cependant d'avis que comme ce dernier était un nouveau venu dans le système, il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable en composant le numéro 1-800 et en demandant conseil. De l'avis du conseil, à ce stade de ses démarches, il n'avait aucune raison de « ne pas croire » l'agent qui l'a renseigné par téléphone. Malheureusement, on lui a donné des renseignements erronés qui l'ont amené à retarder la présentation de sa demande après son arrivée dans son nouveau lieu de résidence.
Dès son arrivée dans son nouveau lieu de résidence, il a cherché consciencieusement un emploi, qu'il a trouvé moins de deux semaines après son arrivée, allant même jusqu'à accepter un poste dans un domaine dans lequel il n'avait ni connaissance, ni expérience, et ce uniquement pour avoir un travail. Après avoir trouvé cet emploi, il n'a pas pensé qu'il pourrait avoir besoin de prestations d'assurance-emploi et n'a donc pas présenté de demande à ce moment-là. Au cours du premier mois, il a réalisé un excellent chiffre d'affaires et a pensé qu'il lui serait possible de gagner sa vie avec cet emploi. Même durant le second mois, durant lequel ses résultats avaient été moins encourageants, il arrivait à se tirer d'affaire en se disant que ses ventes allaient augmenter au fur et à mesure qu'il allait acquérir de l'expérience. Durant tout ce temps, il a réussi à postuler pour d'autres emplois et s'était entendu avec son employeur pour pouvoir se libérer s'il était convoqué à des entrevues. Durant le troisième mois, lorsqu'il est devenu plus évident qu'il ne réussirait pas aussi bien qu'il l'espérait dans la vente d'automobiles à commission, il a une fois encore demandé conseil à un agent au numéro 1-800 de la Commission, qui l'a amené à croire qu'il pouvait encore présenter une demande de prestations et qu'à cause de sa situation, il n'y aurait aucun problème pour autoriser l'antidatation de celle-ci. Le conseil conclut que les démarches effectuées par le prestataire pour s'assurer d'un emploi futur étaient adéquates et qu'il a pris des mesures raisonnables pour s'assurer qu'il faisait ce qu'il avait à faire. Le conseil ne peut blâmer le prestataire d'avoir reçu des renseignements erronés de la part des préposés de la ligne 1-800.
Dans son appel de la décision du conseil arbitral, la Commission a soutenu que le conseil avait commis une erreur de droit en concluant que le prestataire avait un motif valable pour avoir tardé à présenter sa demande aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi sur l'assurance-emploi. La Commission a fait valoir que le prestataire n'avait pas prouvé qu'il avait agi comme une personne raisonnable parce qu'il ne s'était pas renseigné au sujet de ses droits et obligations relativement à sa demande en vertu de la Loi. La Commission a fait remarquer que le prestataire n'avait pas mentionné, avant sa comparution devant le conseil, qu'il avait communiqué avec la Commission et qu'on lui avait dit qu'il avait six semaines pour présenter sa demande de prestations et, par la suite, qu'il n'aurait aucun problème avec sa demande d'antidatation. La Commission a avancé que cela était incroyable. Elle a soutenu qu'il faudrait accorder plus d'importance aux raisons invoquées initialement par le prestataire pour avoir tardé à présenter sa demande, c'est-à-dire qu'il croyait pouvoir trouver un emploi et qu'il avait commencé à travailler à temps partiel tout en cherchant un autre emploi.
Le prestataire a répété qu'il avait agi suivant les renseignements fournis par la Commission, soit qu'il avait huit semaines pour présenter sa demande de prestations. Il avait réussi à se trouver un emploi avant et ne croyait pas avoir besoin de présenter une demande de prestations.
La Cour d'appel fédérale a statué dans de nombreuses affaires que le critère à appliquer pour établir qu'un prestataire avait un motif valable pour tarder à présenter une demande de prestations consiste à déterminer s'il a agi comme une personne raisonnablement prudente l'aurait fait dans des circonstances similaires, c'est-à-dire clarifier sa situation d'emploi ou déterminer ses droits et obligations (A-644-93, A-172-85, A-242-05). Le juge Marceau s'est exprimé comme suit dans l'arrêt A-172-85 :
À mon avis, lorsqu'un prestataire a omis de formuler sa demande dans le délai imparti et qu'en dernière analyse, l'ignorance de la loi est le motif de cette omission, on devrait considérer qu'il a prouvé l'existence d'un « motif valable » s'il réussit à démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi. Cela signifie que chaque cas doit être jugé suivant ses faits propres et, à cet égard, il n'existe pas de principe clair et facilement applicable; une appréciation en partie subjective des faits est requise, ce qui exclut toute possibilité d'un critère exclusivement objectif. Je crois cependant que c'est là, ce que le législateur avait en vue et c'est, à mon avis, ce que la justice commande.
Dans cette affaire, le juge Marceau a également déclaré que pour trancher la question à savoir si, dans des circonstances données, le prestataire a réussi à démontrer qu'il avait un motif valable pour avoir tardé à présenter sa demande de prestations en agissant comme une personne raisonnable, il faut établir les faits.
Dans la présente affaire, le conseil a appliqué le critère établi par la Cour d'appel fédérale. Il a déterminé, selon la preuve, que le prestataire avait agi comme une personne raisonnable et qu'il s'était renseigné auprès de la Commission au sujet de ses obligations. La conclusion du conseil est étayée par un examen exhaustif de la preuve et les arguments avancés par le prestataire.
Selon la Commission, l'explication additionnelle donnée par le prestataire à l'audience n'était pas crédible. Le conseil a déterminé que la description par le prestataire des événements qui ont entraîné son retard était « extrêmement crédible ».
Il est clairement établi dans la jurisprudence que le conseil arbitral est le principal juge des faits dans les affaires relatives à l'assurance-emploi, et que le rôle du juge-arbitre se limite à déterminer si l'appréciation des faits par le conseil arbitral est raisonnablement compatible avec la preuve portée à sa connaissance (A-547-01, A-600-93, A-115-94, A-255-95 et A-97-03).
Dans l'arrêt A-1036-96, le juge Marceau s'est exprimé en ces termes :
Nous sommes tous d'avis, après ce long échange avec les procureurs, que cette demande de contrôle judiciaire portée à l'encontre d'une décision d'un juge-arbitre agissant sous l'autorité de la Loi sur l'assurance-chômage se doit de réussir. Nous pensons, en effet, qu'en contredisant, comme il l'a fait, la décision unanime du Conseil arbitral, le juge-arbitre n'a pas respecté les limites dans lesquelles la Loi assoit son pouvoir de contrôle.
[...]
De toute façon, dans tous les cas, c'est le Conseil arbitral - le pivot de tout le système mis en place par la Loi pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation - qui est celui qui doit apprécier.
Dans l'arrêt A-97-03 (précité), le juge Sexton a déclaré ce qui suit :
Dans l'arrêt A-610-01, précité, la Cour a conclu que l'application de l'analyse pratique et fonctionnelle, lorsqu'un juge-arbitre examine une décision rendue par conseil, laquelle décision comporte une question mixte de droit et de fait, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans l'arrêt 2003 CAF 377, la Cour a également conclu que la question de savoir si un employé est fondé à quitter son emploi est une question mixte de droit et de fait qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable.
Dans l'arrêt [...], [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'une décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l'a fait sur la base de la preuve soumise.
Dans la présente affaire, le conseil a appliqué le critère juridique approprié pour trancher la question en litige. Je ne peux conclure, en appliquant le critère relatif au caractère raisonnable tel qu'établi dans l'arrêt susmentionné, que le conseil arbitral aurait commis une erreur dans l'établissement des faits.
En conséquence, l'appel est rejeté.
Guy Goulard
Juge-arbitre
OTTAWA (Ontario)
Le 11 décembre 2008