CUB CORRESPONDANT : 72063
DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-190-09
EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
RELATIVEMENT à une demande de prestations
- et -
RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par la Commission de la décision d'un conseil arbitral rendue le 13 février 2008 à Ste-Foy, Québec
GUY GOULARD, juge-arbitre
Le prestataire a travaillé pour un détaillant jusqu'au 6 septembre 2007. Il a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi qui fut établie à compter du 9 septembre 2007. La Commission a déterminé que le prestataire avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. En conséquence, la Commission a imposé une exclusion d'une durée indéterminée prenant effet le 9 septembre 2007.
Le prestataire en appela de la décision de la Commission devant un conseil arbitral qui accueillit son appel. La Commission porta la décision du conseil en appel devant un juge-arbitre. Cet appel a été entendu à Québec, Québec le 20 février 2009. Le prestataire était présent et il était représenté.
Ce dossier a été entendu conjointement avec six autres dossiers impliquant un total de sept prestataires. Six des sept appels avaient été entendus par le même conseil arbitral et le septième conseil comprenait une des membres qui avaient entendu les six autres appels. Les conseils en sont arrivés à la même conclusion pour les mêmes motifs. Les faits dans ces dossiers étaient à toutes fins pratiques les mêmes dans tous les dossiers. La durée d'emploi des prestataires avec l'employeur variait de deux à dix ans.
Le motif fourni par l'employeur pour avoir congédié les sept prestataires visés dans ces appels peut se résumer comme suit. Après plusieurs années de tolérance face à la consommation de produits alimentaires par certains employés travaillant dans son entrepôt, l'employeur avait avisé les employés, en octobre 2006, que cette pratique ne serait plus tolérée. Suite à une enquête, l'employeur a déterminé en septembre 2007 que les prestataires visés dans les dossiers dont je suis saisi avaient consommé des produits appartenant à l'employeur en contravention de la politique à cet égard. Dans certains des dossiers, la nature exacte des produits consommés n'était pas spécifiée mais il s'agissait de consommation, sur les lieux, de produits tels des éclairs au chocolat et des petits fruits. L'employeur avait décidé que les gestes des prestataires constituaient du vol et les avait congédiés. Un employé avait été suspendu à l'automne 2006 pour un tel geste mais ce fait n'était pas connu des employés visés dans ces appels.
Les prestataires avaient reconnu les gestes que l'employeur leur reprochait. Ils avaient indiqué qu'il s'agissait de produits provenant de caisses endommagées. Un des prestataires avait indiqué que les produits consommés étaient destinés à la poubelle. Tous les prestataires avaient indiqué que suite à l'avertissement donné en octobre 2006, la consommation de denrées dans l'entrepôt de l'employeur avait continuée au vu et su de tous, incluant les contremaîtres de l'employeur qui, selon le témoignage des prestataires, consommaient eux aussi les mêmes denrées. À la connaissance des prestataires, il n'y avait eu aucune sanction pour de tels gestes.
Tous les prestataires se sont présentés devant le conseil arbitral et étaient représentés. Le conseil a souligné que les prestataires n'avaient pas contesté les gestes qui leur étaient reprochés. Le conseil a aussi souligné que la pratique de consommation dans l'entrepôt de l'employeur avait continué régulièrement à la vue de tous et sans aucune sanction ou avertissement dont les prestataires étaient au courant. Le conseil a déterminé que l'employeur n'avait pas appliqué sa politique et que son inaction pouvait avoir conforté les prestataires dans leur croyance que ce qu'ils faisaient n'était pas assez grave pour mettre leur emploi en péril. Le conseil a souligné que mêmes des contremaîtres consommaient de telles denrées sans recevoir de sanction. Le conseil a conclu qu'il n'était pas raisonnable de conclure que les prestataires savaient ou devaient savoir que les actes reprochés allaient entraîner leur congédiement. Les deux conseils arbitraux impliqués dans ces appels ont unanimement accueilli les appels des sept prestataires.
En appel des décisions des conseils arbitraux, la Commission a soumis que les conseils avaient erré en fait et en droit en décidant que les prestataires visés n'avaient pas perdu leur emploi en raison de leur inconduite puisque le geste qu'on leur reprochait constituait un vol et que la jurisprudence a établi qu'un prestataire qui est congédié pour vol a perdu son emploi en raison de son inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi. La Commission a soumis que, même si les gestes reprochés aux prestataires avaient été tolérés par l'employeur, il s'agissait de conduite interdite par l'employeur et que ces gestes constituaient donc de l'inconduite au sens de la Loi.
Le représentant des prestataires a soumis que les décisions des conseils arbitraux étaient bien fondées sur la preuve ainsi que sur la jurisprudence bien établie relativement à la définition d'inconduite au sens de l'article 30 de la Loi sur l'assurance-emploi. Il a souligné que les conseils arbitraux avaient bien résumé la preuve présentée et avaient déterminé que, compte tenu de la tolérance et l'inaction de l'employeur à l'égard de gestes portés à la connaissance même de contremaîtres, les prestataires ne pouvaient se douter que ces gestes pouvaient mettre leur emploi en danger. Il a aussi souligné que les denrées consommées par les prestataires provenaient de caisses endommagées et étaient destinées aux poubelles, que cette pratique était chose courante depuis de nombreuses années et qu'à la connaissance des prestataires il n'y avait jamais eu de sanction pour de tels gestes. Le représentant des prestataires a soumis qu'une jurisprudence bien établie de la Cour d'appel fédérale prévoit que, pour qu'il y ait inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi, un prestataire doit raisonnablement savoir que le geste porté est de telle nature à pouvoir mener à son congédiement. Il a soumis que la preuve avait démontré que les prestataires visés dans ces appels ne pouvaient même pas se douter que les gestes qu'on leur reprochait pouvaient mettre leur emploi en danger.
Il est de jurisprudence constante que, pour être considéré comme de l'inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi, le geste reproché doit avoir un caractère volontaire ou délibéré ou résulter d'une insouciance telle qu'il frôle le caractère délibéré et que le prestataire pouvait normalement prévoir qu'il serait susceptible de provoquer son congédiement (Tucker (A-381-85), McKay-Eden (A-402-96), Langlois (A-94-95) et nombre de CUBs dont le CUB 26446). Dans Tucker (supra), le juge MacGuigan avait écrivait :
« Afin de déterminer s'il y a eu inconduite dans la présente affaire, il faut examiner les principes de droit généraux applicables à la relation employé-employeur. A cet égard, je note que dans le texte écrit par Innis Christie, Employment Law in Canada (1980), il est mentionné à la page 361 :
« Il est clair que, pour l'employé, il est plus grave de manquer à certaines de ses obligations implicites qu'à d'autres. »
(...)
Sous le terme "misconduct" (inconduite), le Black's Law Dictionary (1979, 5e éd.) dit ce qui suit :
« ... ce terme a pour synonymes délit, méfait, écart de conduite, délinquance, inconvenance, mauvaise administration et infraction, mais pas négligence ni insouciance.
L'inconduite, qui rend l'employé congédié inadmissible au bénéfice des prestations de chômage, existe lorsque la conduite de l'employé montre qu'il néglige volontairement ou gratuitement les intérêts de l'employeur, par exemple, en commettant des infractions délibérées, ou ne tient aucun compte des normes de comportement que l'employeur a le droit d'exiger de ses employés, ou est insouciant ou négligent à un point tel et avec une fréquence telle qu'il fait preuve d'une intention délictuelle... »
Même si le second extrait cité ci-dessus ne se rapporte pas à la Loi sur l'assurance-chômage en vigueur au Canada, il correspond parfaitement, à mon sens, à notre droit, dans la mesure où il indique que, pour constituer de l'inconduite, l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail. Aucune volonté de la sorte ne s'est manifestée dans la présente affaire. »
Et dans Langlois (supra), le juge Pratte indiquait :
« L'inconduite dont parle l'article 28(1), et qui, comme le fait de quitter volontairement son emploi, entraîne, suivant l'article 30.1, l'exclusion du prestataire du bénéfice des prestations pour toute la durée de sa période de prestations, n'est pas un simple manquement de l'employé à n'importe quelle obligation liée à son emploi; c'est un manquement d'une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu'il serait susceptible de provoquer son congédiement. »
La Cour fédérale d'appel a aussi déterminé dans l'arrêt Choinière (A-471-95) que le fait qu'un employeur juge qu'une conduite mérite un congédiement ne suffit pas, en soi, à établir que ladite conduite constitue une inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi. Le juge Marceau indiquait :
« Nous ne le croyons pas, tenant compte de la jurisprudence de cette Cour qui s'est employée, à maintes reprises récemment, à répéter qu'on avait eu tort de penser un moment que l'opinion de l'employeur sur l'existence d'une inconduite justifiant le congédiement pouvait suffire à mettre en application la pénalité devenue si lourde de l'article 28 et qu'il fallait, au contraire, une appréciation objective permettant de dire que l'inconduite avait vraiment été la cause de la perte de l'emploi. »
Dans les dossiers dont je suis saisi, le conseil a revu la preuve et a conclu que les prestataires impliqués ne pouvaient soupçonner que leur conduite mettait en danger leur emploi compte tenu du fait que cette conduite avait été longuement tolérée même de la part de contremaîtres et que ces gestes avaient été posés à la vue et la connaissance de contremaîtres sans jamais qu'il y ait sanction, du moins à la connaissance des prestataires visés. Le conseil pouvait donc conclure sur cette preuve que les gestes des prestataires ne constituaient pas une inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi.
La jurisprudence (Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), McCarthy (A-600-93), Ash (A-115-94), Ratté (A-255-95) et Peace (A-97-03)) nous enseigne qu'un juge-arbitre ne doit pas substituer son opinion à celle d'un conseil arbitral, sauf si sa décision lui paraît avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Je ne peux conclure que le conseil arbitral a erré de la sorte. Au contraire la décision du conseil est entièrement compatible avec la preuve présentée devant lui et avec les mesures législatives pertinentes telles qu'interprétées dans la jurisprudence.
Par conséquent, l'appel est rejeté.
Guy Goulard
JUGE-ARBITRE
OTTAWA, Ontario
Le 12 mars 2009