TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande de prestations
- et -
d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par la prestataire à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à Mississauga (Ontario) le 22 janvier 2009
Michel Beaudry, juge-arbitre en chef désigné
La prestataire interjette appel de la décision du conseil arbitral de confirmer la position de la Commission selon laquelle elle n'était pas fondée à quitter volontairement son emploi et n'était donc pas admissible au bénéfice des prestations, aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi. Comme la prestataire n'a pas demandé la tenue d'une audience, la décision sera rendue sur la foi du dossier.
La prestataire a présenté une demande de prestations le 15 octobre 2008, indiquant qu'elle avait quitté son emploi dans un supermarché le 30 septembre 2008 pour des raisons de santé. Elle a expliqué qu'elle souffrait de douleurs au coude droit et au bas du dos et le fait qu'elle travaillait dans une cuisine l'obligeait à fatiguer sa main, à soulever de nombreux objets et à se tenir debout toute la journée. Elle a communiqué avec son médecin, qui lui a dit qu'elle devait accomplir d'autres tâches ou quitter son emploi (pièce 2-6). La prestataire a joint à sa demande un certificat médical daté du 7 octobre 2008 indiquant qu'elle souffrait d'une épicondylite au coude droit et qu'elle devait accomplir d'autres tâches où elle n'aurait pas à soulever de lourds objets ou à utiliser son coude droit pendant quatre semaines (pièce 3).
Dans une lettre datée du 31 octobre 2008, la Commission a fait savoir à la prestataire qu'elle avait besoin de renseignements supplémentaires pour déterminer si elle avait droit au bénéfice des prestations. Dans cette lettre, la Commission a également invité la prestataire à répondre à une série de questions sur son emploi au supermarché et les raisons de son départ. La prestataire a répondu au questionnaire en ces termes (pièce 4-2) :
« J'ai démissionné pour des raisons de santé. Je souffre de douleurs au coude droit et au bas du dos depuis plus d'un an. J'ai suivi un traitement médical en 2008. Mon médecin m'a recommandé de demeurer au repos pendant au moins quatre jours et de suivre un traitement médical parce que mes douleurs au coude droit et au bas du dos s'étaient intensifiées le 30 septembre 2008. Je devais ensuite accomplir des tâches modifiées. Je pouvais seulement effectuer des travaux légers, car je devais éviter de fatiguer ma main et de soulever des objets lourds. Après m'être reposée pendant quatre jours, j'ai demandé si je pouvais accomplir d'autres tâches, ce qui était impossible car aucune autre tâche dans le supermarché ne répondait aux exigences de mon médecin. J'occupais un poste dans les cuisines du supermarché. Je travaillais 44 heures par semaine. Mes principales tâches étaient de préparer et de cuire des mets, ce qui m'obligeait à utiliser beaucoup ma main droite et à soulever des objets lourds toute la journée. »
[Traduction]
La prestataire a également indiqué qu'elle était disponible pour travailler et capable de le faire, pourvu qu'on lui demande d'accomplir des travaux légers où elle pourrait demeurer assise.
La Commission a communiqué avec l'employeur, qui a déclaré qu'il avait offert d'autres tâches à la prestataire, conformément aux recommandations du médecin, mais que celle-ci avait refusé de les accomplir et décidé de démissionner. L'employeur a également indiqué à la Commission que la prestataire n'avait pas demandé de congé de maladie. La Commission a envoyé une nouvelle lettre à la prestataire pour lui demander pourquoi elle avait refusé d'accomplir les autres tâches et qu'elle n'avait pas demandé de congé de maladie avant de remettre sa démission. La prestataire a répondu ce qui suit (pièce 5-2) :
« Je ne pouvais plus continuer de travailler car mes douleurs au coude droit et au bas du dos s'étaient intensifiées. Mon trouble au coude droit m'a même causé des douleurs à la main gauche pendant que je travaillais le 28 septembre 2008. Mon employeur m'a alors dit que je devais lui présenter un certificat médical, car il comprenait qu'aucune autre tâche dans le supermarché ne répondait aux exigences liées à mon problème de santé. Le 30 septembre 2008, l'entreprise a accepté ma démission. J'ai présenté un certificat médical à mon gestionnaire le 11 novembre 2008. Il m'a fait remplir un formulaire concernant mon retour au travail, mais il m'a conseillé de ne pas retourner travailler étant donné qu'il approuvait ma démission. J'ai travaillé au supermarché pendant plus de deux ans. J'ai demandé quelques jours de congé par le passé pour soigner mes douleurs au coude droit et au bas du dos, mais celles-ci sont réapparues chaque fois que je suis retournée au travail. Je crois que je ne devrais plus effectuer ce genre de travail compte tenu de mes problèmes de santé, car mes douleurs réapparaissent chaque fois que je rentre d'un congé de maladie. C'est la raison pour laquelle j'ai quitté mon emploi sans tarder. »
[Traduction]
La Commission a de nouveau communiqué avec l'employeur et a discuté avec le superviseur de la prestataire. Celui-ci a déclaré que la prestataire occupait le poste de gestionnaire adjointe des cuisines, et qu'on lui avait offert des tâches de supervision et d'administration après avoir reçu son certificat médical. La prestataire a toutefois refusé ces nouvelles tâches et remis sa démission. Le superviseur a reconnu que la prestataire aurait eu de la difficulté à accomplir les nouvelles tâches qu'on lui avait proposées. En effet, comme les préposés aux cuisines sont très occupés, les clients auraient certainement demandé l'aide de la prestataire, qui, se trouvant sur place, aurait difficilement pu refuser (pièce 7).
Dans une lettre datée du 8 décembre 2008, la Commission a informé la prestataire qu'elle ne recevrait pas de prestations régulières d'assurance-emploi étant donné qu'elle n'était pas fondée à quitter son emploi au supermarché le 30 septembre 2008 au sens de la Loi sur l'assurance-emploi. La Commission était d'avis qu'il aurait été raisonnable que la prestataire évite de démissionner et prenne plutôt les quatre jours de congé recommandés par son médecin avant d'accomplir les nouvelles tâches proposées par l'employeur pendant quatre semaines. Si la prestataire avait eu besoin de prendre d'autres congés de maladie, elle aurait pu en faire la demande. Pour cette raison, la Commission a exclu la prestataire du bénéfice des prestations pour une période indéterminée aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi à partir du 5 octobre 2008 (pièce 8).
La prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral au motif que ses douleurs au coude droit et au bas du dos constituaient une justification pour quitter son emploi.
Le conseil arbitral a rejeté l'appel de la prestataire pour, entre autres, les raisons suivantes :
Le conseil constate que la prestataire a quitté volontairement son emploi le 30 septembre 2008. Le certificat médical date du 7 octobre 2008 et a été présenté par la prestataire après sa démission. Le conseil constate que la prestataire n'a pas exploré toutes les autres solutions raisonnables envisageables avant de démissionner. Le conseil constate également que l'employeur a proposé à la prestataire des tâches modifiées qu'elle avait refusées. Le conseil s'est appuyé sur l'arrêt Tanguay (A-1458-84), où il a été souligné que lorsqu'un prestataire quitte son emploi, il lui incombe de prouver que son départ était la seule solution raisonnable dans son cas. La prestataire a fait le choix personnel de quitter volontairement son emploi.
La prestataire interjette maintenant appel devant le juge-arbitre en faisant valoir que les dispositions de l'alinéa 115(2)c) de la Loi, c'est-à-dire que le conseil arbitral a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, s'appliquent dans son cas.
Dans sa lettre d'appel, la prestataire s'est exprimée en ces termes :
« Je dois expliquer les détails suivants, car mon travail mettait ma santé en danger.
Je suis arrivée au Canada en 2006 et j'ai tout de suite commencé à travailler au supermarché. J'ai travaillé fort dès mon premier quart de travail et pendant les deux années suivantes, car j'étais très reconnaissante de pouvoir travailler au supermarché. Mon ardeur au travail m'a permis de passer d'un horaire à temps partiel à un horaire à temps plein, puis d'occuper un poste de superviseure. J'occupe désormais le poste de chef des cuisines. Cependant, j'ai commencé à éprouver des douleurs physiques il y a environ six mois. J'avais mal lorsque je devais soulever des gros objets avec ma main droite, et je ne pouvais étirer complètement les doigts de ma main droite sans ressentir une douleur. Après un certain temps, la situation s'est empirée au point où je devais utiliser ma main gauche pour ouvrir mon pouce et mon index de façon à pouvoir prendre des objets arrondis.
J'ai consulté un médecin, qui m'a dit de prendre des médicaments et de suivre des traitements de physiothérapie. Cependant, la lourde charge de travail liée à mes fonctions a fait en sorte que les douleurs se sont graduellement déplacées dans mon bras, ce qui était très grave selon mon médecin. Celui-ci m'a recommandé de trouver un nouvel emploi, mais j'ai décidé de demeurer au supermarché étant donné qu'il n'est pas toujours facile de commencer un nouvel emploi et que je ne voulais pas abandonner mon poste après tous les efforts que j'avais déployés pour gravir les échelons. Je suis alors passée du rayon des mets chauds à celui des desserts, où les tâches étaient moins exigeantes physiquement. Toutefois, malgré le fait que je n'avais plus à accomplir de tâches difficiles au plan physique, je devais néanmoins assumer de nombreuses tâches simples et répétitives avec les deux mains. En outre, le fait que je travaillais plus de huit heures par jour, six jours par semaine, a aggravé mon trouble à la main droite. J'étais déprimée de ne plus pouvoir utiliser pleinement ma main droite, ce qui nuisait à ma qualité de vie et à celle de ma famille. La douleur était telle que je me réveillais au milieu de la nuit. Je n'ai donc eu d'autre choix que de quitter mon emploi pour éviter d'aggraver mon état de santé. »
[Traduction]
En outre, la prestataire a présenté un autre certificat médical daté du 27 janvier 2009 indiquant qu'elle souffrait d'une épicondylite depuis six mois et qu'elle ne pouvait accomplir aucune tâche nécessitant l'utilisation de son avant-bras droit (pièce 13-4).
Le sous-alinéa 29c)(iv) de la Loi sur l'assurance-emploi prévoit qu'un prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi si ses conditions de travail représentent un danger pour sa santé ou sa sécurité.
En l'espèce, je suis d'avis que le certificat médical présenté par la prestataire montre que celle-ci ne pouvait pas continuer de travailler étant donné que ses tâches avaient sérieusement aggravé l'épicondylite dont elle souffrait. En outre, la prestataire a indiqué dans sa lettre d'appel devant le juge-arbitre qu'elle avait tenté d'accomplir d'autres tâches avant de démissionner, passant du rayon des mets chauds à celui des desserts. Toutefois, même si ce changement a quelque peu soulagé les douleurs de la prestataire, celle-ci devait quand même effectuer des gestes répétitifs avec ses mains qui ont eux aussi aggravé son état de santé.
Dans l'arrêt Dubois c. Canada (Commission de l'assurance-emploi), la Cour d'appel fédérale a exprimé ce qui suit en ce qui a trait à l'acceptation de nouveaux éléments de preuve par le juge-arbitre :
Nous tenons à exprimer des réserves sérieuses à l'égard de l'application par un arbitre de règles formelles dégagées pour la bonne marche des tribunaux judiciaires. L'arbitre est un échelon dans le processus d'administration de la Loi sur l'assurance-chômage, une loi d'ordre éminemment social, où les prestataires agissent d'eux-mêmes la plupart du temps sans représentations et où les arbitres au niveau de la première instance n'ont même pas de formation juridique. Les principes de justice suggèrent l'introduction d'un libéralisme total au niveau de l'acceptation des représentations des prestataires à tous les niveaux [...]
J'accepte les nouveaux éléments de preuve présentés par la prestataire en ce qui a trait à son état de santé et j'estime qu'ils établissent qu'elle était incapable d'accomplir ses tâches professionnelles, y compris les tâches modifiées au rayon des desserts. De plus, je suis d'avis que, compte tenu des circonstances, il serait déraisonnable d'exiger que la prestataire continue d'effectuer des tâches susceptibles d'aggraver sérieusement son état de santé douloureux tout en cherchant un autre emploi. Une telle exigence placerait un fardeau bien trop lourd sur les épaules de la prestataire et ne respecterait pas l'esprit ou l'intention de la législation sur l'assurance-emploi.
Pour ces raisons, j'accueille l'appel de la prestataire et j'annule la décision du conseil arbitral. J'estime que la prestataire a présenté de nouveaux éléments de preuve montrant qu'elle était fondée à quitter volontairement son emploi.
Michel Beaudry
JUGE-ARBITRE EN CHEF DÉSIGNÉ
VANCOUVER (Colombie-Britannique)
Le 10 septembre 2009