EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
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RELATIVEMENT à une demande de prestations par
A.B.
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RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par la Commission de la décision d'un Conseil arbitral rendue le 19 août 2009, à Montréal, Qc
M. E. LAGACÉ, juge-arbitre
La Commission interjette appel de la décision unanime du Conseil arbitral qui rescinde sa décision ayant pour effet de déclarer le prestataire inadmissible aux prestations pour avoir volontairement quitté son emploi sans justification aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi (la Loi) et pour ne pas avoir accumulé depuis un nombre suffisant d'heures assurables pour recevoir des prestations d'assurance-emploi.
Les faits
Avant de quitter son travail le demandeur travaille comme opérateur de machine à enduction servant à la fabrication du bardeau d'asphalte. Cette machine enduit d'un revêtement de goudron et de granules d'asphalte le rouleau de fibre de verre qui l'alimente et chauffe le tout à 400 degrés pour produire du bardeau d'asphalte.
Le prestataire opérait cette machine 4 jours consécutifs, 12 heures par jour, selon un horaire rotatif comprenant soit des jours de semaine ou soit des jours de fin de semaine et des heures de nuit ou de jour. Il était exposé constamment dans son aire de travail à une chaleur intense de plus de 35 degrés, à des émanations de goudron, d'asphalte et de particules de fibre de verre. Après ses quarts de travail il lui arrivait de plus en plus de moucher du noir. Bien que n'ayant pas consulté de médecin pour ce symptôme, il sentait néanmoins que son environnement de travail affectait tant sa santé physique que morale, et ce d'autant plus que des compagnons de travail avaient dû consulter des médecins pour des problèmes de santé au niveau pulmonaire.
Bien que l'employeur acceptait de fournir généralement un équipement protecteur (casque de sécurité, lunettes et masque), le prestataire soutient qu'il lui arrivait de devoir commencer son quart de travail sans masque protecteur parce qu'aucun n'était disponible à ce moment là. De plus, il devait régulièrement enlever son masque qu'il ne pouvait supporter pendant tout son quart de 12 heures en raison de la chaleur intense de l'endroit et celle créée par le masque. Il soutient avoir dénoncé cette situation intolérable à son contremaître, tout comme d'autres collègues de travail, avec le résultat qu'un comité chargé d'enquêter sur la situation avait convaincu l'employeur de faire nettoyer les ventilateurs, de faire installer un écran protecteur entre la machine et son opérateur et d'effectuer d'importantes modifications au système de ventilation. Toutefois et malgré la recommandation principale du comité d'améliorer le système de ventilation pour le rendre acceptable l'employeur avait préféré investir une somme importante à d'autres fins avec le résultat que le prestataire respirait pendant les longues heures de ses quarts de l'air très chaud et pollué par divers types d'émanations nuisibles à sa santé.
L'employeur reconnaît que les conditions de travail de l'opérateur de machine à bardeaux sont loin d'être faciles et que malgré les efforts de l'entreprise pour assainir les lieux et les rendre plus acceptables l'opérateur n'en devait pas moins travailler dans un endroit poussiéreux, sous une extrême chaleur et avec des quarts de travail long et difficiles. L'employeur ne contredit pas l'allégation du prestataire à l'effet d'avoir préféré investir ailleurs que dans l'amélioration d'un système de ventilation adéquat tel que le recommandait le comité chargé d'évaluer la situation.
Épuisé mentalement et physiquement d'avoir à travailler dans un tel environnement aussi néfaste et craignant à juste titre pour sa santé voilà que le prestataire songe déjà à quitter et à regarder pour du travail ailleurs et dans un environnement plus sain lorsqu'il apprend par le journal que le gouvernement serait disposé à aider les travailleurs prêts à faire carrière dans le domaine de l'aéronautique. Ainsi donc le demandeur se présente à l'École des métiers d'aérospatiale de Montréal pour des séances d'information données en présence de représentants de l'aéronautique Bombardier, passe les tests psychologiques, pose sa candidature pour un cours d'alternance travail-études (10 semaines de formation non rémunérées suivi de 10 semaines de stage rémunéré) qui le mènera à un emploi presque garanti chez cet employeur à la fin de son stage si cette entreprise ouvre massivement les 3000 postes prévus dans son plan d'affaires pour la fabrication de ses avions de Série C.
Le demandeur s'adresse à Emploi-Québec pour obtenir l'autorisation nécessaire à cette formation; on la lui refuse au motif qu'il dispose déjà d'un emploi. Mais le demandeur ne peut plus tolérer les conditions de son travail; aussi malgré ce refus d'Emploi-Québec il poursuit avec sa démarche et seule issue pour lui d'en sortir et attend d'être accepté dans le cours de formation avant de quitter son emploi avec l'espoir d'une nouvelle carrière dans un environnement de travail plus sain chez Bombardier.
Malheureusement après avoir complété avec succès son cours et son stage en milieu de travail voici que la société Bombardier devait à raison de la crise économique retarder la fabrication de ses avions de série C et par voie de conséquence l'ouverture massive des emplois promis aux étudiants du programme en question avec le résultat que le prestataire, même si toujours sur la liste de rappel de Bombardier, se retrouve à la recherche d'un autre emploi, d'où sa demande de prestations. Il faut se rappeler ici, puisque c'est de connaissance judiciaire, que même le gouvernement fédéral du pays n'avait pas prévu l'importance de la crise économique et ses conséquences. On peut comprendre que Bombardier ne l'ait pas plus prévue et bien entendu encore moins le demandeur.
Or voici que la Commission conclut que le prestataire a quitté volontairement son emploi sans justification faute par lui d'avoir démontré que son départ constituait la seule solution raisonnable. Insatisfait de cette décision le prestataire interjette appel au Conseil arbitral en alléguant avoir quitté un travail néfaste à sa santé pour un cours d'alternance travail-études dans le domaine de l'aéronautique avec l'assurance publique qu'à la toute fin de ce stage il obtiendrait un poste de travail chez Bombardier.
Après avoir entendu le prestataire et analysé les faits mis en preuve le Conseil conclut que le prestataire était bien fondé à quitter un travail aux conditions dangereuses pour sa santé avec l'espoir d'obtenir un emploi chez Bombardier après son stage à cette entreprise dans le cadre du programme travail-études où il avait jugé bon de s'inscrire. Suite à de nouveaux renseignements obtenus de l'employeur sur la questions des heures assurables du prestataire la Commission a demandé au Conseil d'accueillir l'appel de celui-ci, cette question devant faire l'objet d'une nouvelle décision de la Commission une fois l'appel finalisé.
La Commission réitère que malgré que son appel au juge-arbitre porte sur les deux questions, son appel vise uniquement la question de savoir si le prestataire était justifié de quitter son emploi pour les motifs retenus par le Conseil?
La Commission reproche au Conseil de n'avoir pas déterminé si, compte tenu de toutes les circonstances, le prestataire avait une autre solution raisonnable que de quitter son emploi. Il est vrai que le Conseil ne s'est pas posé cette question essentielle qui résulte de l'article 29c) de la Loi, et qu'il se contente de conclure que les conditions de travail étaient néfastes pour la santé du prestataire puisqu'il travaillait de longues heures sur une machine à bardeaux qui dégage beaucoup de fumée et des poussières de fibre de verre, et le soir quand il se mouchait la sécrétion de ses muqueuses était noire. Il s'agit là d'une erreur de droit oui, mais allons voir si elle est fatale et si la preuve permet au soussigné d'y remédier en rendant, tel que l'autorise l'article 117 de la Loi, la décision que le Conseil aurait dû rendre.
La preuve en dossier permet de conclure que les conditions de travail du prestataire étaient dangereuses pour sa santé au point de le justifier à quitter son emploi volontairement, et ce sans qu'il soit nécessaire d'entendre le prestataire. Et si le Conseil ne s'est pas demandé s'il existait pour le prestataire dans les circonstances où il se trouvait une autre solution plus raisonnable que de quitter, encore faut-il voir s'il existait pour lui à ce moment là une autre solution?
Le demandeur et ses collègues de travail s'étaient plaints de conditions de travail considérées dangereuses pour leur santé. Oui l'employeur avait bien tenté suite à la recommandation d'un comité d'assainir les lieux en faisant nettoyer les conduits d'aération et en ajoutant des écrans protecteurs entre l'opérateur et les machines à bardeaux, mais ces solutions temporaires ne réglaient en rien le véritable problème; malgré la recommandation du comité l'employeur n'avait toujours rien fait pour améliorer le système de ventilation qui requérait d'importantes modifications pour le rendre acceptable et permettre une meilleure aération des lieux où circulait toujours de l'air très chaud et des particules nocives à la santé. Retourner voir l'employeur avant de le quitter, lui dénoncer de nouveau ce qu'il connaissait déjà et espérer faire mieux que le comité pouvait donner quoi de plus au prestataire? L'employeur n'avait-il pas déjà préféré investir une somme substantielle à d'autres fins que dans la modification de son système de ventilation nécessaire au bien-être de ses employés?
Vrai le Conseil ne s'est pas exprimé dans sa décision sur la question de savoir si le prestataire avait d'autres solutions que de quitter, mais c'est probablement parce que, tout comme le soussigné, il ne voyait pas d'autres solutions que celle choisie finalement par le prestataire. Sa santé montrait déjà des signes inquiétants, l'employeur n'avait toujours pas démontré une volonté de modifier de façon substantielle le système d'aération pour assainir l'aire de travail dont les conditions étaient dangereuses pour la santé des opérateurs de machine à bardeaux et avait même investi une somme importante ailleurs, il n'existait donc pour le prestataire aucune autre solution raisonnable que de quitter et surtout de le faire avant que sa santé soit irrémédiablement hypothéquée.
Le conseil a entendu le prestataire, a cru sa description des conditions de travail et conclut qu'elles étaient néfastes pour sa santé; le soussigné ne peut que partager cette conclusion basée sur le gros bon sens sans qu'il soit nécessaire de l'appuyer d'un certificat médical. Même l'employeur reconnaît que les conditions de travail du prestataire étaient très difficiles; on ne lui a pas demandé si elles étaient dangereuses pour la santé et sans doute n'aurait-il pas voulu l'admettre, mais il n'a pas contredit non plus l'affirmation du prestataire voulant qu'il ait préféré investir ailleurs que dans l'amélioration d'un système d'aération qui aurait permis de rendre les conditions de travail moins dangereuses.
La décision du prestataire de vouloir suivre un cours de formation au moment de quitter son travail était peut-être un choix personnel qui ne constituait pas en soi une justification au sens de la Loi pour donner droit aux prestations, s'il s'agissait là du seul but poursuivi par le prestataire; mais n'oublions pas qu'il n'avait pas d'autre solution à ce moment là que de quitter un travail aux conditions dangereuses pour sa santé.
Si le prestataire eut quitté son travail uniquement parce que ses conditions de travail étaient dangereuses, comme c'est le cas ici, il n'aurait pas perdu son droit aux prestations en attendant de trouver un autre travail plus sécuritaire. Pourquoi devrait-il perdre son droit aux prestations parce qu'au même moment où il doit quitter ce travail pour protéger sa santé voici que se présente à lui l'occasion de s'inscrire à un cours avec stage rémunéré en milieu de travail? Le demandeur ne demande pas après tout des prestations pour la période de ce cours mais seulement à compter de la fin de celui-ci alors qu'il se remet à la recherche d'un autre emploi parce que l'ouverture des postes chez Bombardier pour la production de ses avions de série C est retardée à cause de la crise économique. Même s'il doit rechercher activement un autre travail il n'en demeure pas moins sur la liste de rappel de Bombardier avec une nouvelle qualification en plus.
Puisque la Commission a reconnu que le prestataire a accumulé chez son employeur avant de quitter un nombre d'heures assurables suffisant, à elle maintenant de rendre une nouvelle décision à ce sujet puisque le soussigné ne voit pas la nécessité de retourner le dossier au Conseil même si celui-ci , contrairement au soussigné n'a pas déterminé que compte tenu des circonstances le prestataire n'avait aucune autre solution raisonnable que de quitter.
POUR CES MOTIFS, je déclare que non seulement les conditions de travail justifiaient le prestataire à quitter son travail parce que dangereuses pour sa santé, mais de plus tenant compte de toutes les circonstances mises en preuve son départ constituait la seule solution raisonnable; en conséquence je rejette l'appel de la Commission.
M. E. Lagacé
JUGE-ARBITRE
Montréal (Québec)
Le 16 juillet 2010