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  • CUB 75215

    EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    RELATIVEMENT à une demande de prestations par
    A.B.

    - et -

    RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par l'employeur VILLE DE GATINEAU de la décision d'un Conseil arbitral rendue le 23 juin 2009 à Gatineau (Québec).

    DÉCISION

    L'honorable R.J. Marin

    Cet appel de l'employeur est rendu sur la foi du dossier à la demande de l'appelant, la ville de Gatineau.

    Pour les fins de l'appel, j'ai permis une extension aux parties, un délai pour déposer des représentations additionnelles. Je souligne toutefois que, lorsque celles-ci débordent le cadre de l'argumentation en apportant des faits nouveaux, ceux-ci sont exclus de ma considération. Seules les représentations ont été retenues. Les faits ont déjà été établis par le Conseil arbitral et aucun nouveau fait n'est recevable à l'occasion de la décision du juge-arbitre.

    Historique

    Le prestataire A.B. était employé à titre de technicien des eaux auprès de la ville de Gatineau depuis 1985. Les pièces 2 au dossier d'appel consistent d'une demande de bénéfices formulée par le prestataire, dans laquelle il indique : son dernier jour travaillé, le 18 février 2009 et retournera au travail. Il affirme à la pièce 2.6 qu'il s'agit d'un congédiement ou suspension. Il explique à la pièce 2.7 : « mon employeur m'a accusé d'avoir commis un acte violent ou d'avoir adopté un comportement inapproprié ».

    La Commission initie une enquête sur les faits qui ont enclenché une rupture d'emploi. À l'occasion d'un appel téléphonique le 20 février 2009, un représentant de l'employeur souligne à la pièce 4 :

    Il a été suspendu pour une mesure disciplinaire.

    Pour manquement à l'égard d'un supérieur par des propos inacceptable [sic].

    À la pièce 5, le prestataire, dans une conversation téléphonique, indique:

    C'est un problème de relation inter-personnel [sic]. Il a fait un grief mais dit que cela peut prendre jusqu'à 1 an mais ajoute qu'il doit reprendre le travail au début de mai. Il déclare qu'il n'y a aucune possibilité de ne pas travailler pour cette personne car il n'y a qu'un contremaitre [sic].

    La Commission, face à ces renseignements, émet un avis [pièce 6 du dossier]. Effectivement, la Commission approuve la demande du prestataire, lui accorde des bénéfices et ajoute :

    Nous avons pris cette décision conformément à la Loi sur l'assurance-emploi parce que les renseignements que vous avez fournis à la Commission sont insuffisants pour prouver que votre ancien(ne) employé(e) a perdu son emploi en raison de son inconduite.

    La Commission vient modifier son avis à la pièce 8.1, dans son argumentation à l'intention du Conseil. Elle écrit :

    ... alors qu'il devrait se lire comme suit: nous avons pris une décision conformément à la Loi sur l'assurance-emploi parce que les raisons, pour lesquelles il a été suspendu de ses fonctions n'illustrent pas une inconduite. Dans l'affaire Desrosiers (A-128-89) la Cour d'appel fédérale a entériné le principe établi par le juge-arbitre dans le CUB 16233, qu'une erreur de contenu qui ne cause aucun préjudice au prestataire n'est pas fatale à la décision portée en appel et confère au conseil arbitral le droit de maintenir la décision de la Commission.

    Le Conseil est donc saisi d'une suspension au sens de l'article 31 de la Loi. Sur réception de l'avis de la Commission à la pièce 7.1, l'employeur réplique sa réaction; je reproduis un paragraphe de sa lettre en date du 12 mai 2009 :

    M. A.B. n'a pas été congédié de la Ville de Gatineau mais plutôt suspendu sans traitement pour un cumulatif de quarante (40) jours de travail pour deux fautes qu'il a commise [sic], soit un manquement à l'égard d'un supérieur (attitude et propos inacceptables) lors d'un évènement du 4 décembre 2008 et un manquement à l'égard de supérieurs (propos inacceptables et non intention de se conformer à une consigne) lors d'un évènement du 8 janvier 2009.

    Le litige

    Le Conseil doit trancher la question à savoir si le prestataire était apte à être exclu de prestations puisque l'employeur l'avait suspendu de ses fonctions.

    Dans une décision unanime, le Conseil rejette l'appel de l'employeur relativement à l'avis de la Commission.

    Le Conseil, dans sa décision, reflète bien les échanges aux pièces 4, 5 et 6 du dossier d'appel en commentant également sur pièces 7 et 8, comme il était mandaté de le faire. Un paragraphe en particulier mérite d'être reproduit; le troisième paragraphe à la pièce 10.3 :

    Tous s'entendent pour reconnaître que la source du débat concerne l'obligation de rester disponible sur appel pendant les congés des fêtes. À ce jour, l'employeur et le syndicat ne s'entendent pas à ce sujet. Le prestataire considérait qu'il n'avait pas à rester disponible, qu'il n'y a rien dans la convention à ce sujet. L'employeur n'est pas du même avis. La question n'était pas de savoir si l'appelant pouvait prendre congé, mais de déterminer s'il devait rester disponible pendant son congé. Dans le contexte des discussions à ce sujet, le prestataire aurait tenu des propos injurieux et agressifs.

    Enfin, le Conseil se prononce aux pièces 10.4 et 10.5 de la façon suivante :

    CONSTATATIONS DES FAITS ET APPLICATION DE LA LOI

    Le prestataire a-t-il été suspendu de son emploi à cause de sa propre inconduite? Dans l'affirmative, le paragraphe 30(1) de la Loi sur l'assurance-emploi nous dit qu'il n'est pas éligible à recevoir les prestations d'assurance-emploi. La définition de l'inconduite nous est donnée par la jurisprudence; la décision Tucker (A-381-85) sert de premier point de repère. L'inconduite est un geste délibéré ou insouciant à un point tel qu'il est presque intentionnel, susceptible de briser le lien de confiance entre l'employé et l'employeur. Le lien de cause à effet entre l'inconduite et le congédiement doit être démontré, comme l'indique la jurisprudence suivant Nolet (A-517-91) et Namaro (A-834-82). Enfin, le fardeau de la preuve repose sur l'employeur et la Commission, comme l'a établi l'arrêt Falardeau (A-396-85).

    Le Conseil ne doute pas que dans cette affaire, l'employeur a tenté d'appliquer les règles de procédures qui étaient en accord avec ses politiques et la convention collective. Dans ce contexte, le Conseil ne doute pas qu'il y ait eu avertissements, gradation des sanctions et analyse objective et de la situation. Mais le Conseil ne doit pas essayer de se substituer à l'employeur. Il ne doit surtout pas rendre sa décision en tentant de déterminer si la sanction était justifiée ou proportionnelle. La question est plutôt de savoir si le prestataire a pausé un geste insouciant ou délibéré dont il savait que la conséquence pouvait être le congédiement ou la suspension.

    Le fardeau de la preuve revient à l'employeur. Le Conseil considère que l'employeur a tenté de démontrer que le prestataire avait un dossier chargé en matière de contestation, d'affrontement verbal et d'écart de langage. Cependant, le Conseil ne croit pas que la preuve soit faite en ce qui concerne les événements spécifiques qui ont mené à la suspension. L'employeur considère que par ses paroles et son attitude, le prestataire a dépassé des bornes qu'il savait ne pas devoir franchir. Le prestataire dit le contraire, en expliquant qu'il a eu des discussions assez fermes avec son supérieur, mais rien d'excessif.

    Face à une telle contradiction, face à une crédibilité égale des parties, le Conseil doit donner le bénéfice du doute au prestataire. Il choisit donc de donne rune prépondérance de crédibilité au prestataire. Il en découle que la preuve ne suffit pas à établir que le prestataire aurait été à ce point injurieux ou agressif qu'il ne pouvait ignorer qu'il mettait son emploi en danger. Le Conseil croit qu'il y a eu accrochage, mais qu'il n'est pas clair que le prestataire ait dépassé les bornes.

    DÉCISION

    Le Conseil arbitral rejette l'appel À L'UNANIMITÉ.

    L'employeur interjette appel de la décision du Conseil, alléguant que celle-ci est erronée et fondée sur une mauvaise conclusion de fait, sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Il me demande de casser la décision et d'exclure les bénéfices de prestations au prestataire.

    Deux questions méritent d'être analysées. En un premier temps, le conflit entre l'employeur et l'employé était-il caractérisé d'inconduite au sens de la loi? La deuxième question à étudier consiste de la conclusion du Conseil sur la crédibilité des parties. Le Conseil n'a pas retenu la version de l'employeur, mais retient celle du prestataire. On me demande d'intervenir sur cette conclusion.

    Je m'empresse de souligner l'absence d'enregistrement ou de notes sténographiques de la séance devant le Conseil. Je suis dans une situation précaire pour me prononcer sur la question de crédibilité. À tout événement, celle-ci relève du Conseil et non du juge-arbitre, à moins de pouvoir démontrer des erreurs de parcours palpables de la part du Conseil. Le témoignage n'est inconnu; seule l'interprétation que le Conseil tire du témoignage n'est connue.

    Les échanges entre le prestataire et ses supérieurs sont sûrement musclés; il n'y a aucun doute en mon esprit, de l'existence d'un certain mépris mutuel. Toutefois, je ne siège pas comme arbitre dans un conflit ouvrier ou chargé de l'application de l'application des Normes du travail. Je suis désigné pour déterminer si, en l'espèce, il y a eu de l'inconduite au sens de l'assurance-emploi.

    Comme l'a souligné le Conseil dans sa décision, la Cour d'appel fédérale a énoncé dans Tucker (A-381-85), l'inconduite doit consister d'un geste délibéré ou insouciant, au point être intentionnel et susceptible de briser le lien de confiance qui doit exister entre l'employé et l'employeur.

    Enfin, la Cour d'appel fédérale dans les affaires Nolet (A-517-91) et Namaro (A-834-82) exige la preuve d'un effet de causalité entre la conduite et le congédiement. Comme l'affirme la Cour d'appel fédérale dans Falardeau (A-396-85), le fardeau de la preuve repose sur l'employeur et la Commission.

    L'employeur maintient l'existence d'un problème d'attitude généralisé qui dépasse les limites du conflit de personnalités avec un supérieur. L'employeur considère avoir respecté le principe de la gradation des sanctions. Je m'empresse de souligner : mes fonctions m'empêchent de commenter sur la sévérité de la sanction. Toutefois, il semble qu'un écart de langage ou un mépris ne frôle pas nécessairement l'inconduite.

    Le prestataire se défend bien d'avoir dépassé les bornes. Il admet avoir été « choqué » et croyait que le superviseur faisait preuve de mauvaise foi et avait un esprit de confrontation; il prétend qu'il s'agissait d'un conflit de personnalités.

    Jurisprudence

    Le juge Rouleau, au CUB 36177, mentionne :

    En l'espèce, la preuve démontre clairement qu'il existait un problème d'incompatibilité entre la prestataire et son supérieur. La jurisprudence constante a établi que les difficultés de communication entre un prestataire et son employeur ou l'incompatibilité ne constituent pas en soi de l'inconduite. J'estime que la conclusion de la majorité du conseil arbitral est erronée.

    Je suis enclin à appliquer cette jurisprudence. À tout le moins, à la lumière des mépris et paroles échangés par les deux côtés, il est difficile de conclure qu'il s'agissait d'inconduite en l'espèce.

    Une deuxième question reste à trancher : la crédibilité accordée à la version du prestataire plutôt qu'à la version de l'employeur. La Cour d'appel fédérale dans Fakhari c. Procureur général du Canada (1996), 197 N.R. 300, énonce :

    Nous sommes d'avis que le juge-arbitre n'était pas habilité à substituer son appréciation de la preuve et sa conclusion à celles du Conseil. » [TRADUCTION]

    Cette jurisprudence a été retenue d'ailleurs par le juge Gobeil au CUB 65804.

    Conclusion

    L'employeur n'a pas démontré la justification de mon intervention. En rejetant l'appel, je souligne particulièrement une décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Hickey (A-578-07) où la cour souligne que la norme de contrôle en révision judiciaire est celle du caractère raisonnable avec déférence pour le Conseil.

    L'appel est donc rejeté, la décision du Conseil est confirmée ainsi que l' avis initial de la Commission.

    R.J. MARIN

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA, Ontario
    Le 27 septembre 2010

    2011-01-16