EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
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RELATIVEMENT à une demande de prestations par
E.T.
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RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par la Commission de la décision d'un Conseil arbitral rendue le 24 mars 2010 à Alma (Québec)
Louis-Philippe LANDRY, juge-arbitre
La Commission se porte en appel de la décision du Conseil qui a accueilli l'appel de la prestataire suite à la décision de la Commission de refuser d'antidater au 17 décembre 2006, une demande de prestation formulée le 28 janvier 2010.
Les faits en litige ne font pas véritablement l'objet de litige. En décembre 2005, la prestataire avait formulé une demande de prestations et une période de prestations a été établie pour valoir jusqu'au 16 décembre 2006. Pendant l'année 2006 la prestataire a travaillé successivement pour deux employeurs, son dernier emploi s'étant terminé le 1er octobre2006.
La prestataire s'est par la suite présentée à un bureau de la Commission et elle a présenté à un fonctionnaire son formulaire de cessation d'emploi de son dernier employeur. Le fonctionnaire a alors informé la prestataire que les heures travaillées chez ce dernier employeur ne lui permettrait pas de recevoir de prestations après le 16 décembre.
Il est admis par ailleurs que si la prestataire avait informé le fonctionnaire de ses heures de travail auprès de son premier employeur en 2006, elle aurait eu droit à des prestations après le 16 décembre 2006.
La prestataire se fondant sur l'avis reçu n'a donc pas fait à l'époque d'autres démarches. La prestataire a cependant affirmé que pendant la période subséquente au 16 décembre 2006 elle était disponible pour travailler. Le dossier n'indique pas quelle recherche d'emploi la prestataire a pu faire après cette date.
Après avoir utilisé ses économies pour vivre, la prestataire a dû demander de l'aide de dernier recours auprès du Ministère de la sécurité du revenu en janvier 2010. Après discussion avec un représentant de ce ministère elle a été informée qu'elle aurait probablement eu droit à des prestations additionnelles en décembre 2006. La prestataire a donc formulé une demande de prestations à la Commission et elle a demandé que cette demande soit antidatée au 17 décembre 2006.
Le Conseil a conclut que dans ces circonstances, la Commission avait eu tort de refuser cette demande.
La situation dans les présentes est tout à fait particulière. En effet il est bien établi qu'une telle demande doit être formulée le plus tôt possible après le moment où une personne est devenue éligible à des prestations. La raison est fort simple. Après le début d'une période de prestation, le prestataire doit régulièrement attester de sa disponibilité au travail et démontrer qu'il fait une recherche d'emploi. Plus la demande sera tardive, plus il sera difficile pour la Commission de faire rétroactivement le suivi qui aurait dû être fait pendant la période de prestations.
Les questions qui se posent sont donc de déterminer si la prestataire a, dans les circonstances, agit comme une personne raisonnable et également si la prestataire avait un motif valable justifiant son retard.
Il est bien établi qu'en principe l'ignorance de la loi à elle seule ne constitue pas un motif valable. De même l'erreur causée par un renseignement erroné obtenu d'un tiers ne constitue pas non plus en principe un motif valable. La conduite du prestataire demeure un critère important pour déterminer de la validité du motif de retard invoqué. Qu'en est-il cependant de l'erreur occasionné par une mauvaise information obtenue d'un fonctionnaire de la Commission?
La procureure de la Commission plaide qu'ici il n'y a pas d'erreur. Le fonctionnaire sur la foi des seuls renseignements fournis par le prestataire n'a pas commis d'erreur puisque cette dernière s'est limitée à faire état de son dernier emploi. Ce dernier emploi ne permettait pas de prolonger les prestations après le 16 décembre.
Le Conseil a conclu suivant la preuve que la prestataire "a reçu des mauvaises informations de la part de la Commission et que ces informations étaient incomplètes". Cette conclusion de fait ne paraît donc pas déraisonnable dans les circonstances. En effet il aurait suffit que le fonctionnaire d'expérience pose une seule question additionnelle à la prestataire pour découvrir qu'elle était admissible à des prestations après le 16 décembre 2006 savoir : ‘'avez-vous occupé un ou d'autres emplois en 2006''. Dans le contexte d'un prestataire possédant peu ou pas de connaissance de la Loi, le fonctionnaire de la Commission a certes un devoir d'assistance qui va au-delà de la simple réponse à une question posée par une personne qui vient se renseigner quant à ses droits.
Le Conseil conclut donc que la prestataire a été induite en erreur lors de sa consultation avec un fonctionnaire de la Commission. Le Conseil a également conclut que cette information incomplète constituait un motif valable justifiant le retard de la prestataire à formuler sa demande. En fait c'est un fonctionnaire du Ministère de affaires sociales du Québec qui, après s'être enquis de la situation de travail de la prestataire en 2006, l'a informé de ses droits.
L'arrêt Albrecht de la Cour d'appel fédérale (A-172-85) peut être utile pour cerner la question en litige dans les présentes. En effet dans cet arrêt un juge arbitre avait conclut que même les informations erronées obtenues d'un tiers pouvaient dans un cas où le prestataire plaidait l'ignorance de la loi constituer un motif valable justifiant un retard. La Cour d'appel fédérale a maintenu cette décision. Le juge Marceau s'exprime comme suit sur la question :
"Dans ses motifs de jugement, le juge-arbitre nous rappelle à juste tire que le "motif valable de retard vise la manière d'agir du prestataire". Le prestataire est. en effet, soumis à une obligation impliquant un devoir de prudence et j'admets sans peine que pour garantir le dépôt rapide des demandes de prestations, ce que le législateur considère comme très important, il faut interpréter cette obligation et ce devoir comme étant très sévères et très stricts. Évidemment, je ne doute pas qu'il serait illusoire pour un prestataire d'invoquer un "motif justifiant son retard" lorsque sa conduite ne peut être imputée qu'à son indifférence ou à son incurie. J'admets également sans peine qu'il ne suffit pas pour le prestataire d'invoquer simplement sa bonne foi et son ignorance totale de la loi. Mais le respect d'une obligation et du devoir de prudence qui l'accompagne n'exige pas des actes qui vont au-delà des limites raisonnables. A mon avis, lorsqu'un prestataire a omis de formuler sa demande dans le délai imparti et qu'en dernière analyse, l'ignorance de la loi est le motif de cette omission, on devrait considérer qu'il a prouvé l'existence d'un "motif valable" s'il réussit à démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi. Cela signifie que chaque cas doit être jugé suivant ses faits propres et, à cet égard, il n'existe pas de principe clair et facilement applicable; une appréciation en partie subjective des faits est requise, ce qui exclut toute possibilité d'un critère exclusivement objectif. Je crois cependant que c'est là, ce que le législateur avait en vue et c'est ce que la justice commande."
(souligné ajouté)
Dans les présentes le Conseil après analyse de la preuve a conclu à l'existence d'un motif raisonnable justifiant le retard. Même si le délai écoulé avant de formuler la demande paraît exceptionnellement long, on ne peut conclure que cette décision est déraisonnable dans les circonstances.
Pour ces motifs l'appel de la Commission est rejeté.
Louis-Philippe Landry
JUGE-ARBITRE
Gatineau (Québec)
Le 23 septembre 2010