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  • CUB 75570

    EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    RELATIVEMENT à une demande de prestations par
    I.Q.

    - et -

    RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par la Commission de la décision d'un conseil arbitral rendue le 17 juillet 2008 à Ste-Foy, Québec

    DÉCISION

    GUY GOULARD, juge-arbitre

    La prestataire avait travaillé pour IGA des Sources Ste-Catherine jusqu'au 12 mai 2008. Elle a présenté une demande de prestations qui fut établie à compter du 18 mai 2008. La Commission détermina par la suite que la prestataire avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite et a imposé une exclusion d'une période indéterminée à compter du 18 mai 2008.

    La prestataire en appela de la décision de la Commission devant un conseil arbitral qui accueillit l'appel. La Commission a porté la décision du conseil en appel devant un juge-arbitre. Cet appel a été entendu à Québec, Québec le 10 juillet 2009. La prestataire était présente.

    Le motif de congédiement fourni par l'employeur était à l'effet que la prestataire avait consommé de la marchandise dans le magasin où elle travaillait sans avoir payé pour celle-ci. L'employeur considérait que le geste de la prestataire constituait un vol et l'avait donc congédiée pour cette raison.

    La prestataire a reconnu avoir consommé un produit à l'érable d'une valeur de 6,99 $ sans avoir payé pour cette marchandise. Elle a expliqué qu'il s'agissait d'un produit qui avait été laissé à un endroit où les employés pouvaient prendre et consommer des articles sans les payer. Le gérant prenait les produits laissés à cet endroit et les donnait aux employés. Le jour en question, le gérant n'était pas présent et la prestataire avait présumé qu'elle pouvait consommer un article laissé à cet endroit sans devoir le payer. La prestataire croyait qu'il s'agissait d'un coup monté dans le but de la congédier en raison d'un conflit qu'elle avait avec son gérant étant donné que deux autres collègues de travail avaient également consommé le même produit et n'avaient pas été congédiés. La prestataire n'avait pas reçu d'avertissement ou autre sanction. Elle avait déposé une plainte aux Normes du travail.

    La prestataire a comparu devant le conseil arbitral et a indiqué que le produit qu'elle avait consommé venait d'une boîte ouverte et qu'il était de pratique dans le magasin que des produits provenant de boîtes ouvertes pouvaient être consommés sans frais. Le conseil a souligné que l'employeur avait remis une lettre de suspension et de congédiement qui n'était pas conforme à celle qui avait été donnée à la prestataire. Le conseil a indiqué qu'il accordait beaucoup plus de crédibilité au témoignage de la prestataire. Le conseil a aussi revu de la jurisprudence et a accueilli l'appel de la prestataire pour les motifs suivants :

    « La prestataire ne pouvait s'attendre à être congédiée pour un geste que même le code d'étique (pièce 4.8) ne sanctionne pas précisément et qui n'est pas assimilé au vol (pièces 4.5 et 4.6)

    Le Conseil constate qu'il n'y a pas inconduite au sens de la Loi et de la jurisprudence précitée. »

    En appel de la décision du conseil arbitral, la Commission a soumis que le conseil avait erré en droit et en fait en décidant que la prestataire n'avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite. La Commission a soumis que le geste de la prestataire, soit la consommation d'un produit sans le payer, constituait un manquement à une obligation de son contrat de travail d'une portée telle que la prestataire aurait dû normalement prévoir qu'un tel geste serait susceptible de provoquer son congédiement. La Commission a souligné que la prestataire avait reconnu son geste.

    La prestataire a maintenu qu'elle ne croyait pas avoir enfreint un règlement de l'employeur. Elle a réitéré que tout le monde dans le magasin faisait la même chose que ce qu'elle avait fait. La prestataire a remis copie d'une entente de règlement à l'égard de la plainte qu'elle avait portée aux Normes du travail. Dans cette entente, l'employeur s'engageait à payer à la prestataire un montant de 2 000,00 $ à titre d'indemnité de fin d'emploi en plus de lui remettre une lettre confirmant que le motif de vol ou fraude invoqué lors de la rupture d'emploi était sans doute excessif. L'employeur avait envoyé une lettre à cet effet qui fut également déposée par la prestataire.

    La Commission a soumis que les documents fournis par la prestataire ne changeaient pas le motif donné par l'employeur lors du congédiement.

    J'ai entendu un groupe d'appels impliquant sept prestataires qui avaient été congédiés pour un motif très similaire à la situation de la prestataire dans le cas en l'espèce (H.W. (CUB 72003)). Dans ces cas, les prestataire avaient consommé des produits tels des éclairs au chocolats et des petits fruits provenant de caisses endommagées sans payer pour ces marchandises. Bien que l'employeur ait averti qu'une telle conduite ne serait plus tolérée, la pratique avait continué sans mesure disciplinaire et les prestataires avaient éventuellement été congédiés pour leurs gestes. Dans les sept cas, les conseil arbitraux avaient accueilli les appels des prestataires impliqués. Les conseils avaient indiqué que l'inaction de l'employeur à l'égard des gestes des prestataires visés pouvait avoir soutenu leur croyance que ce qu'ils faisaient n'était pas assez grave pour mettre leur emploi en péril. Les conseils arbitraux avaient déterminé qu'il n'était pas raisonnable de conclure que les prestataires savaient ou devaient savoir que les actes reprochés allaient entraîner leur congédiement.

    Dans les dossiers H.W. et al, j'ai fait référence à de la jurisprudence, Tucker (A-381-85), McKay-Eden (A-402-96), Langlois (A-94-95), et j'ai souligné que dans Langlois (supra) le juge Pratte indiquait :

    « L'inconduite dont parle l'article 28(1), et qui, comme le fait de quitter volontairement son emploi, entraîne, suivant l'article 30.1, l'exclusion du prestataire du bénéfice des prestations pour toute la durée de sa période de prestations, n'est pas un simple manquement de l'employé à n'importe quelle obligation liée à son emploi; c'est un manquement d'une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu'il serait susceptible de provoquer son congédiement. »

    J'ai également souligné que la Cour d'appel fédérale avait déterminé dans l'arrêt Choinière (A-471-95) que le fait qu'un employeur juge qu'une conduite mérite un congédiement ne suffit pas, en soi, à établir que la dite conduite constitue une inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi. Dans cet arrêt, le juge Marceau avait écrit :

    « Nous ne le croyons pas, tenant compte de la jurisprudence de cette Cour qui s'est employée, à maintes reprises récemment, à répéter qu'on avait eu tort de penser un moment que l'opinion de l'employeur sur l'existence d'une inconduite justifiant le congédiement pouvait suffire à mettre en application la pénalité devenue si lourde de l'article 28 et qu'il fallait, au contraire, une appréciation objective permettant de dire que l'inconduite avait vraiment été la cause de la perte de l'emploi. »

    J'ai souligné que dans les sept dossiers en question, le conseil avait revu la preuve et avait conclu que les prestataires impliqués ne pouvaient soupçonner que leur conduite pouvait mettre en danger leur emploi compte tenu du fait que cette conduite avait été longuement tolérée même de la part de contremaîtres et que ces gestes avaient été posés à la vue et la connaissance de contremaîtres sans jamais qu'il y ait sanction, du moins à la connaissance des prestataires visés. J'ai déterminé que les conseils arbitraux pouvaient conclure sur la preuve fournie que les gestes des prestataires ne constituaient pas une inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi. J'ai donc rejeté les appels de la Commission. Récemment la Cour d'appel fédérale a rejeté les appels de la Commission à l'encontre de mes décisions (Castonguay (A-189-09)). Le juge Noël a indiqué que j'avais eu raison de conclure que la preuve devant le conseil pouvait justifier sa décision à l'effet que le geste reproché ne constituait pas une inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi.

    Compte tenu de la similitude, non seulement des circonstances dans le dossier en l'espèce et dans les dossiers H.W. et al, mais aussi des motifs pour les décisions tant des conseil arbitraux impliqués que de mes décisions et de la décision de la Cour d'appel fédérale, je conclu donc que la Commission n'a pas démontré que le conseil arbitral a erré dans le présent dossier.

    En conséquence, l'appel de la Commission est rejeté.

    Guy Goulard

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA, Ontario
    Le 25 octobre 2010

    2011-01-16