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  • CUB 75656

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    T.H.

    - et -

    d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par le prestataire à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à Corner Brook (Terre-Neuve-et-Labrador) le 31 juillet 2009

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GUY GOULARD

    Le prestataire a travaillé pour Central Health – Health Community Services jusqu'au 3 juillet 2008. Il a présenté une demande initiale, et une période de prestations d'assurance-emploi débutant le 6 juillet 2008 a été établie à son profit. La Commission a déterminé que le prestataire n'avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite, et elle a informé l'employeur que le prestataire était admissible au bénéfice des prestations.

    L'employeur a interjeté appel de la décision de la Commission devant un conseil arbitral, qui a accueilli l'appel. Le prestataire a porté cette décision en appel. L'appel a été instruit à Gander (Terre-Neuve-et-Labrador) le 3 septembre 2010. Le prestataire s'est présenté à l'audience et était représenté par M. L.W. L'employeur ne s'est pas présenté.

    Dans la présente affaire, la Commission a soutenu tout au long du processus d'appel, c'est-à-dire à la fois devant le conseil arbitral et devant le juge-arbitre, que l'employeur n'avait fourni aucun élément de preuve permettant de conclure que le prestataire avait été congédié en raison de son inconduite. La Commission et le prestataire ont affirmé que la seule preuve présentée par l'employeur entre le moment où le prestataire a déposé sa demande de prestations et le moment où le prestataire s'est présenté devant le juge-arbitre consistait en de simples allégations selon lesquelles le prestataire avait harcelé des collègues. L'employeur a déclaré qu'il avait lancé une enquête, mais il n'a présenté aucun détail ou résultat de cette enquête. L'employeur a ajouté que plusieurs plaintes avaient été déposées contre le prestataire, mais il a refusé de fournir le nom des plaignants ou le détail des plaintes. Dans ses observations écrites au conseil arbitral, la Commission a indiqué que la preuve était insuffisante pour établir que le prestataire s'était rendu coupable d'inconduite.

    Il convient de noter que la Newfoundland and Labrador Association of Social Workers a demandé à l'employeur de fournir des éclaircissements au sujet de la nature exacte des allégations portées contre le prestataire, mais que l'employeur n'a jamais répondu à la demande.

    Le conseil arbitral aurait apparemment commencé l'instruction de l'appel de l'employeur le 23 juin 2009. Cependant, le dossier d'appel ne comprend aucune indication sur ce qui s'est produit le 23 juin 2009 ni sur les éléments de preuve qui auraient été présentés ce jour-là. Selon les commentaires reproduits dans la pièce 16, il semble que le conseil aurait ajourné l'appel en attendant que l'employeur fournisse des éclaircissements au sujet des allégations portées contre le prestataire. La Commission a demandé à l'employeur de fournir des renseignements supplémentaires, mais celui-ci a répondu qu'il était d'avis qu'il avait déjà fourni suffisamment de renseignements. L'employeur n'a présenté aucun renseignement supplémentaire.

    Dans la pièce 18-1, la Commission a répété qu'elle était d'avis que l'employeur n'avait pas présenté suffisamment de preuves factuelles pour étayer les allégations d'inconduite portées contre le prestataire.

    Le conseil arbitral a repris l'audience le 31 juillet 2009. Le prestataire et son représentant, M. L.W., ainsi que le représentant de l'employeur se sont présentés devant le conseil. Aucun autre élément de preuve n'a été présenté à l'audience, à l'exception d'une copie de l'évaluation du rendement du prestataire de 2003. Le conseil a résumé la preuve présentée à l'audience en ces termes :

    « Aucun autre renseignement précis n'a été présenté; le prestataire a répété l'information contenue dans le dossier d'appel et a expliqué le déroulement de l'enquête d'une tierce partie. La plainte d'un employé a donné lieu à une enquête au cours de laquelle de nombreux autres collègues du prestataire se sont plaints de son comportement au travail. L'enquête a ensuite mené à la suspension du prestataire avec traitement, puis à son congédiement pour inconduite.

    Étant donné que l'affaire fait toujours l'objet d'un processus d'arbitrage, aucun autre renseignement n'a pu être fourni pour le moment.

    Le prestataire, sous l'avis de son avocat, n'a pas présenté au conseil de déclaration signée concernant ses gestes. Il a cependant présenté une copie de son évaluation de rendement de 2003. »
    [Traduction]

    Le conseil arbitral a noté que la Commission avait conclu que la preuve présentée par l'employeur ne permettait pas d'établir que le prestataire s'était rendu coupable d'inconduite. Le conseil s'est ensuite reporté à la lettre de l'employeur datée du 10 juillet 2009 dans laquelle on décrit la nature des allégations portées contre le prestataire. Le conseil a conclu que cet élément de preuve établissait que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Pour cette raison, le conseil a accueilli l'appel de l'employeur.

    Pendant l'instruction de l'appel à l'encontre de la décision du conseil arbitral, le représentant du prestataire a indiqué qu'aucun élément de preuve porté à la connaissance du conseil ne permettait de conclure que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Le représentant a fait valoir que l'employeur n'avait donné aucun détail de l'enquête qu'il avait supposément lancée, qu'il n'avait fourni le nom d'aucun des plaignants et qu'il n'avait présenté aucune preuve des allégations portées par ces plaignants contre le prestataire. Le représentant a également rappelé que l'employeur avait dit qu'il fournirait des détails concernant les allégations portées contre le prestataire, mais qu'il ne l'avait jamais fait. Le représentant a dit que la Newfoundland and Labrador Association of Social Workers n'a jamais informé le prestataire des mesures qu'elle a prises pour clarifier les allégations de l'employeur. Le prestataire demeure un membre en règle de la Newfoundland and Labrador Association of Social Workers, et il a obtenu un emploi au gouvernement provincial. Le représentant a affirmé que l'évaluation du rendement du prestataire de 2003 contredisait la déclaration de l'employeur selon laquelle les collègues du prestataire avaient toujours été insatisfaits de son rendement. M. L.W. a fait valoir, comme l'avait fait la Commission, qu'aucun élément de preuve factuel présenté au conseil ne permettait de conclure que le prestataire avait été congédié en raison de son inconduite. Il a soutenu que l'appel du prestataire devait être accueilli.

    L'avocat de la Commission s'est dit parfaitement en accord avec la position et la déclaration du représentant du prestataire. Il a fait valoir que l'employeur avait refusé de fournir les détails demandés par la Commission concernant les allégations portées contre le prestataire. Il a indiqué que l'employeur s'était contenté de soulever des allégations et qu'il ne les avait étayées sur aucune preuve factuelle. Il n'a fourni ni le détail ni le résultat de l'enquête qu'il avait supposément lancée, ni le nom des employés qui ont porté plainte contre le prestataire ni encore la nature exacte de ces plaintes.

    Il est établi dans la jurisprudence que, pour prouver qu'un prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite, l'employeur et la Commission doivent présenter des éléments de preuve factuels de la mauvaise conduite reprochée au prestataire. Il ne suffit pas que l'employeur soulève des allégations sans fondement pour conclure à de l'inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (Meunier [A-130-96] et CUB 43356, 57559 et 65750). Dans la décision CUB 65750, le juge Rouleau a écrit ce qui suit :

    « Pour constituer de l'inconduite, l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle inconscience ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail. Il faut un élément psychologique, soit un caractère délibéré, soit une conduite à ce point insouciante qu'elle frôle le caractère délibéré. Il incombe à la Commission ou à l'employeur d'établir que la perte de l'emploi d'un prestataire est attribuable à son inconduite. Afin de s'acquitter de cette obligation, il faut conclure que l'inconduite a été la raison du renvoi et non simplement l'excuse de ce renvoi. Le conseil arbitral doit disposer d'une preuve suffisamment détaillée pour pouvoir, premièrement, savoir comment l'employé s'est comporté et, deuxièmement, déterminer si ce comportement était répréhensible. Tant qu'il subsiste un doute quant à l'inconduite alléguée, on ne peut affirmer que le prestataire a perdu son emploi pour cette raison.

    Il ne suffit pas de démontrer que l'employeur considérait que la conduite de l'employé était répréhensible ou qu'il a réprimandé l'employé pour s'être mal comporté. De plus, un congédiement motivé n'est pas nécessairement la même chose qu'un congédiement pour motif d'inconduite. De simples erreurs, l'incompétence ou un malentendu entre un employeur et un employé peuvent constituer autant de motifs de renvoi, mais ils ne constituent pas pour autant de l'inconduite en vertu de la Loi. »

    Dans l'arrêt Meunier (supra), le juge Décary s'est exprimé en ces termes :

    « Force est de constater qu'essentiellement la seule preuve au dossier de la Commission était la version des faits de l'employeur, et encore cette version était-elle remarquablement vague et spéculative. La Commission, dans ses observations écrites au conseil, a dit accepter d'emblée les explications de l'employeur parce que, selon elle, il ne se pouvait pas que l'employeur, "une entreprise de bonne foi et responsable", ait pu "porter de telles accusations sans avoir obtenu au préalable des informations sérieuses". Non seulement la Commission n'a-t-elle pas cherché à vérifier la nature et le bien-fondé de ces "informations préliminaires" sur lesquelles l'employeur disait se fonder, mais de plus, en dépit de la demande de supplément d'enquête que lui faisait le conseil, a-t-elle jugé inutile de poursuivre l'enquête.

    La Commission, à notre avis, n'a pas fait son devoir. Il n'est pas suffisant, pour démontrer l'inconduite que sanctionne l'article 28 et le lien entre cette inconduite et l'emploi, de faire état du dépôt d'allégations de nature criminelle non encore prouvées au moment de la cessation d'emploi et de s'en remettre, sans autre vérification, aux spéculations de l'employeur. Les conséquences qui s'attachent à une perte d'emploi en raison d'inconduite sont sérieuses. On ne peut pas laisser la Commission et, après elle, le conseil arbitral et le juge-arbitre, se satisfaire de la seule version des faits, non vérifiée, de l'employeur à l'égard d'agissements qui ne sont, au moment où l'employeur prend sa décision, qu'allégations non prouvées. »

    En conséquence, je considère que le conseil arbitral a commis une erreur de droit et de fait lorsqu'il a conclu que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

    Pour cette raison, l'appel est accueilli, la décision du conseil arbitral est annulée, et celle de la Commission est confirmée.

    Guy Goulard

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 8 novembre 2010

    2011-01-16