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  • CUB 75881

    EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    RELATIVEMENT à une demande de prestations par
    H.T.

    - et -

    RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre
    par la Commission de la décision d'un conseil arbitral rendue
    le 2 mars 2010 à Montréal, Québec

    DÉCISION

    GUY GOULARD, juge-arbitre

    La prestataire a travaillé pour Cableco Inc. jusqu’au 6 novembre 2009. Elle a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi qui fut établie à compter du 8 novembre 2009. La Commission a déterminé que la prestataire avait quitté son emploi sans justification et a imposé une exclusion d’une période indéterminée à compter du 8 novembre 2009.

    La prestataire en appela de la décision de la Commission devant un conseil arbitral qui accueillit l’appel. La Commission a porté la décision du conseil en appel devant un juge-arbitre. Cet appel a été entendu à Montréal, Québec le 7 octobre 2010. Bien qu’on lui ait envoyé un avis d’audience, la prestataire n’a pas comparu devant le soussigné. Elle n’avait pas communiqué avec la Commission ou avec le Bureau du juge-arbitre depuis le 28 avril 2010 alors qu’elle avait envoyé une lettre d’une ancienne employée de Cableco Inc. La Commission a soumis que le conseil arbitral avait erré en droit et en fait en décidant que la prestataire avait établi une justification, au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, pour avoir quitté son emploi.

    Les faits pertinents à cet appel peuvent se résumer comme suit.

    La prestataire avait été absente de son travail pour deux semaines parce que ses deux filles étaient sérieusement malades. Elle avait fourni de la preuve à cet effet. À la pièce 4, la prestataire avait indiqué que, durant la deuxième semaine de son congé, elle avait téléphoné à son employeur pour demander si elle pouvait entrer le lundi suivant si ses enfants allaient bien. L’employeur avait répondu qu’elle ne savait pas si la prestataire pourrait entrer le lundi suivant car elle devait en parler avec une autre personne au bureau. L’employeur avait souligné que la prestataire avait manqué beaucoup de travail et avait indiqué qu’elle rendrait une réponse à la prestataire le vendredi. Craignant de perdre son emploi, la prestataire avait commencé à se chercher un autre emploi. Avant de recevoir une réponse, la prestataire avait envoyé un courriel à son employeur (pièce 7-2). Dans ce courriel, la prestataire avait indiqué qu’elle était indécise à l’égard de son futur et remettait sa vie en question. Elle avait aussi indiqué qu’elle aurait besoin d’un emploi plus rémunérateur. Elle avait souligné que l’employeur lui reprochait ses absences mais expliquait que cela était dû au fait que ses enfants étaient malades. La prestataire avait indiqué à l’employeur que si on voulait engager une autre personne, elle comprendrait. La prestataire avait écrit qu’elle avait passé deux semaines d’enfer avec ses filles qui avaient été très malades une après l’autre. Elle avait souligné qu’elle était « brûlée », qu’elle manquait d’énergie et qu’elle était totalement « vidée ». Elle avait demandé à l’employeur de lui écrire si elle le désirait. Elle avait réitéré qu’elle comprendrait si on la congédiait. Elle avait terminé en indiquant qu’elle avait besoin de temps. Ce courriel avait été envoyé à 13h52 le 24 novembre 2009.

    Le lendemain, le 25 novembre 2009, l’employeur avait répondu à la prestataire, par courriel, qu’on considérait son courriel de la veille comme une démission qu’on acceptait. On soulignait avoir consulté Emploi Canada qui avait confirmé que le courriel de la prestataire pouvait être considéré comme une démission. L’employeur ajoutait qu’on allait lui faire parvenir « ses papiers » et son 4% moins la somme qu’elle devait à la petite caisse.

    En appel de la décision de la Commission au conseil arbitral, la prestataire a soutenu qu’elle n’avait jamais démissionné de son emploi et a souligné que l’employeur ne l’avait pas convoquée au bureau pour discuter de sa situation. Elle a souligné qu’elle n’avait jamais signé de lettre de démission.

    La prestataire et l’employeur ne se sont pas présentés devant le conseil arbitral qui a revu et résumé la preuve au dossier. Le conseil a souligné qu’il en arrivait à une interprétation très différente de celle de la Commission en ce qui a trait à la preuve au dossier d’appel. Le conseil a accueilli l’appel de la prestataire pour les motifs suivants :

    « En effet, la prestataire s’est absentée pendant une période de deux (2) semaines pour prendre soin de ses enfants qui étaient atteints de la grippe AH1N1 et pendant cette période, elle était en contact avec son employeur qui tergiversait quant à son retour au travail.

    La prestataire, manifestement, était dans un état physique et psychologique précaire, tel qu’elle le soutient d’ailleurs dans le courriel envoyé à l’employeur (pièce 7-2).

    Il apparaît évident que l’entreprise n’était pas dans une situation financière solide. Il y avait eu plusieurs mises à pied pour manque de travail et la prestataire a fait les frais, de cette situation.

    La prestataire n’a donc pas donné sa démission mais fait part à son employeur de ses inquiétudes et des besoins qu’elle avait en ce qui concernait ses conditions d’emploi.

    Subsidiairement, le Conseil arbitral se trouve dans une situation où les deux versions sont contradictoires. Dans ces circonstances, le Conseil arbitral se doit de donner le bénéfice du doute à la prestataire en vertu de l’article 49(2) de la Loi. »

    En appel de la décision du conseil arbitral, la Commission a soumis que, contrairement à ce qu’avait déterminé le conseil, la prestataire avait démissionné de son emploi sans démontrer de justification au sens de la Loi sur l’assurance-emploi pour son geste. La Commission a soumis que la prestataire s’était contentée de demeurer chez-elle au lieu de communiquer avec son employeur pour discuter de sa situation.

    Je souligne que, dans son courriel du 24 novembre, la prestataire n’avait pas indiqué qu’elle démissionnait de son emploi. Elle avait tout au plus indiqué qu’elle aurait compris si l’employeur l’avait congédiée en raison de ses absences, même motivées pour prendre soin de ses enfants. Elle avait indiqué qu’elle était en mauvais état psychologique et qu’elle était en réflexion sur son avenir. Elle avait conclu en invitant l’employeur à lui écrire en réponse. Le lendemain, l’employeur donne sa réponse. On considère le message de la prestataire comme une démission qu’on accepte. Il semble évident qu’il aurait alors été futile pour la prestataire de tenter de discuter de la situation avec l’employeur. Elle avait invité un dialogue et fut avisée que son emploi était terminé.

    La jurisprudence nous enseigne que le conseil arbitral est le maître dans l'appréciation de la preuve et des témoignages présentés devant lui. La Cour d'appel fédérale s'est exprimée comme suit sur ce sujet dans l'arrêt Guay (A-1036-96):

    « De toute façon, dans tous les cas, c'est le conseil arbitral, le pivot de tout le système mis en place par la Loi, pour ce gui est de la vérification des faits et de leur interprétation, qui est celui qui doit apprécier. »

    La jurisprudence (Guay (A-1036-96), Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), McCarthy (A-600-93), Ash (A-115-94), Ratté (A-255-95) et Peace (A-97-03)) nous enseigne aussi qu'un juge-arbitre ne doit pas substituer son opinion à celle d'un conseil arbitral, sauf si sa décision lui paraît avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Dans l’arrêt Ash (supra) la juge Desjardins écrivait:

    « Il ressort clairement de la décision du conseil que l'opinion majoritaire et l'opinion minoritaire avaient toutes deux été examinées à fond. Certes, les tenants de l'opinion majoritaire auraient pu conclure autrement, mais ils ont choisi de ne pas croire la prétention de l'intimé portant qu'il avait quitté son emploi en raison de sa santé. La juge-arbitre ne pouvait substituer son opinion à celle de la majorité. Les membres du conseil étaient les mieux placés et les mieux en mesure d'apprécier la preuve et de tirer des conclusions relativement à la crédibilité. Il y avait en outre une preuve abondante appuyant la conclusion de la majorité. »

    Dans l’arrêt Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (supra), le juge Létourneau indiquait que le rôle d’un juge-arbitre se limite à décider si l’appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier.

    Et plus récemment dans Peace (supra), le juge Sexton ajoutait:

    « Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Sacrey, 2003 CAF 377, la Cour a également conclu que la question de savoir si un employé est fondé à quitter son emploi est une question mixte de droit et de fait qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable.

    Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, la Cour suprême a déclaré qu'une décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l'a fait sur la base de la preuve soumise. »

    Le juge-arbitre n'est pas habilité à juger de nouveau une affaire ni à substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du conseil. Les compétences du juge-arbitre sont limitées par le paragraphe 115(2) de la Loi. À moins que le conseil arbitral n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'il ait erré en droit ou qu'il ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance et que cette décision est déraisonnable, le juge-arbitre doit rejeter l'appel.

    En l’espèce, le conseil a bien résumé et analysé la preuve au dossier et en est arrivé à une décision qui est entièrement compatible avec la preuve au dossier.

    Par conséquent, l’appel est rejeté.

    Guy Goulard

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA, Ontario
    Le 10 novembre 2010

    2011-01-16