TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d’une demande de prestations présentée par
D.V.
- et -
d’un appel présenté devant un juge-arbitre par le prestataire à l’encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à Calgary (Alberta) le 6 juillet 2010
Le juge-arbitre ROBERT L. BARNES
Le prestataire, D.V., interjette appel à l’encontre de la décision du conseil arbitral (le conseil) datée du 6 juillet 2010.
Comme aucune des deux parties n’a demandé que l’on tienne une audience relativement à cet appel, la décision est rendue sur la foi du dossier.
La compétence d’un juge-arbitre dans une affaire comme celle qui nous occupe est établie au paragraphe 115(2) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi). Cette disposition prévoit les motifs d’appel suivants :
a) le conseil arbitral n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
M. D.V. remet en question la décision du conseil au motif qu’elle est entachée d’une erreur de fait en lien avec l’élément de preuve selon lequel il a correctement informé son employeur des raisons pour lesquelles il ne se présentait pas au travail.
La norme de contrôle judiciaire applicable à un appel en vertu de l’article 115 de la Loi est décrite par la Cour d’appel fédéral dans l’affaire Budhai c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 298 [2003] 2 C.F. 57 :
[47] Compte tenu des facteurs ci-dessus examinés, je conclus que les juges-arbitres devraient faire preuve de réserve lorsqu'ils déterminent si un conseil arbitral a commis une erreur de droit en appliquant la loi aux faits d'une affaire relevant de leur expertise. Toutefois, l'absence d'une clause privative forte, la nature décisionnelle des fonctions du conseil et son manque d'expertise juridique m'amènent à conclure que c'est la norme de contrôle de la décision déraisonnable simpliciter plutôt que celle de la décision manifestement déraisonnable qu'il convient d'appliquer.
[48] D'autre part, les juges-arbitres devraient déterminer si le conseil a correctement tranché les questions d'interprétation de la loi qui se posent au vu de la décision que celui-ci a rendue, ou qui peuvent avec raison être considérées comme ayant implicitement été tranchées dans la décision. Dans ce contexte, il convient de mentionner la remarque que la Cour suprême du Canada a faite dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, précité, aux paragraphes 8 à 10, à savoir qu'il appartient à l'organisme d'appel judiciaire de veiller à ce que le droit pertinent soit appliqué.
En l’espèce, la seule question en litige concerne le caractère adéquat avec lequel le conseil a traité les éléments de preuve contradictoires présentés par les parties. Le prestataire et son frère ont prêté serment devant le conseil. Ils ont tous deux indiqué avoir téléphoné à l’employeur à plusieurs reprises pour lui faire savoir que le prestataire était malade.
Malgré la décision antérieure de la Commission d’accepter les éléments de preuve présentés par le prestataire, le conseil a considéré les choses autrement et a rejeté la demande. Il a toutefois omis d’expliquer de quelle façon il avait réglé la question des éléments de preuve contradictoires. Le conseil n’a pas démontré que les éléments de preuve selon lesquels le prestataire a tenté de communiquer avec son employeur n’étaient pas crédibles. De plus, dans ses motifs, il a même blâmé le prestataire de n’avoir pas été en mesure d’expliquer pourquoi l’employeur n’avait pas reçu ses messages. Le conseil a fondé sa décision sur ce qui suit :
En l’espèce, le conseil tient pour avéré que le prestataire n’a pas fourni de certificat médical indiquant qu’il était incapable de travailler et qu’il n’a pas discuté de ses problèmes de santé avec son employeur, en dépit du témoignage selon lequel il a formé des gens à cet effet par le passé. Par conséquent, le prestataire est le seul responsable de sa situation de chômage. Son comportement a entrainé une perte d’emploi, soit par congédiement, soit par départ volontaire.
La conclusion susmentionnée est problématique, car elle n’indique pas de quelle façon le conseil a évalué les éléments de preuve présentés par le prestataire ni, plus important encore, pourquoi il les a rejetés. L’obligation légale de fournir des motifs adéquats pour appuyer sa conclusion lorsque la crédibilité fait l’objet d’une question en litige, obligation à laquelle doit se conformer le conseil, est décrite dans le passage suivant de l’affaire Parks c. Canada (Procureur général), 228 NR 130, 1998 CanLII 8058 (CAF), tiré du paragraphe 5 :
Nous sommes tous d'avis que le conseil a commis une erreur de droit lorsqu'il a omis de se conformer au paragraphe 79(2). En particulier, nous sommes d'avis qu'il incombait au conseil de dire, au moins brièvement, qu'il a rejeté des parties cruciales de la preuve du demandeur et d'expliquer pourquoi il a agi ainsi. En l'espèce, le conseil disposait de plusieurs documents de l'employeur qui constituaient des éléments de preuve de la nature du ouï-dire. Le témoignage par affidavit et les déclarations orales du réclamant devant le conseil étaient incompatibles, sous plusieurs aspects, avec des documents. Le conseil s'est contenté de faire état de ses conclusions sans expliquer pourquoi il a préféré une version des événements à l'autre. Même si en vertu de l'interprétation que nous donnons au paragraphe (2), nous n'estimons pas que le conseil arbitral soit tenu de décrire en détail ses conclusions de fait, nous sommes d'avis que, pour se conformer à ce paragraphe, le conseil arbitral doit, lorsque la crédibilité fait l'objet d'une question litigieuse, dire au moins brièvement, dans le cadre de ses « conclusions [...] sur les questions de fait essentielles », qu'il rejette certains éléments de preuve sur ce fondement et pourquoi il a rejeté ces éléments. Lorsqu'il omet d'agir ainsi, il commet une erreur de droit.
Les raisons fournies par le conseil en l’espèce sont inadéquates et n’appuient pas la conclusion tirée. Par conséquent, l’affaire doit être renvoyée devant une nouvelle autorité décisionnaire afin d’être examinée de nouveau.
Pour les motifs susmentionnés, l’appel devant le juge-arbitre est accueilli.
R. L. Barnes
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 9 décembre 2010