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  • CUB 76246

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    d’une demande de prestations présentée par
    I.V.

    - et -

    d’un appel interjeté devant un juge-arbitre par la Commission
    à l’encontre de la décision rendue par un conseil arbitral
    à Regina (Saskatchewan) le 31 mars 2010

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GERALD T.G. SENIUK

    Il s’agit d’un appel interjeté par la Commission à l’encontre de la décision rendue par un conseil arbitral qui a accueilli l’appel de la prestataire à l’encontre de la décision de la Commission de répartir à titre de rémunération les montants reçus en vertu d'une entente, en application des articles 35 et 36 du Règlement sur l’assurance-emploi (le Règlement).

    La prestataire a quitté l'emploi qu'elle occupait au gouvernement du Yukon le 17 février 2008 (pièce 3) pour accompagner son fiancé (pièce 2.6) et a, par ailleurs, présenté une plainte à la Commission des droits de la personne du Yukon au sujet du harcèlement sexuel au travail (pièce 11.7). La Commission des droits de la personne a recommandé que le gouvernement du Yukon (ministère de la Justice, Centre correctionnel de Whitehorse) verse à la prestataire un montant forfaitaire de 30 000 $ représentant une indemnisation au titre des dommages-intérêts généraux et punitifs de même que le remboursement des frais juridiques engagés (pièce 11.8).

    Le directeur de la Commission des droits de la personne a rédigé une entente à l’amiable à l’intention des parties (pièce 11.8), mais, chose inexplicable, l'entente définitive se présente plutôt sous la forme d’un document manuscrit qui, à en juger par l’écriture et les corrections biffées, semble avoir été rédigé à la hâte (pièce 21.1). Le document porte la mention « Sous réserve de tout droit ou précédent » [Traduction] et est conclu entre I.V., la Commission de la fonction publique du Yukon (l’employeur) et l’AFPC (le syndicat). Voici, entre autres, ce qu’on y trouve :

    L’Employeur versera à la P. vingt-neuf mille dollars (29 000 $) moins les retenues requises, au titre de la perte financière, et dix mille dollars (10 000 $) au titre des dommages-intérêts, en application de l’article 24 de la Loi sur les droits de la personne du Yukon.

    La Plaignante retirera sans délai [modification insérée] toutes les plaintes déposées auprès de la Commission des droits de la personne du Yukon.
    [Traduction]

    Par la suite, la prestataire a reçu et encaissé un chèque de 23 450,76 $ qui représentait le versement d’un montant de 29 000 $ décrit dans la facture jointe comme « tenant lieu de salaire » [Traduction].

    Les dommages-intérêts payés à un ancien employé qui a été congédié injustement sans préavis constituent un revenu provenant d’un emploi, lorsqu’ils visent à indemniser l’employé d’une perte de revenu attribuable à un congédiement injustifié. Pour que des dommages-intérêts n’aient pas valeur de rémunération, il faudrait que le ou la prestataire démontre que la somme lui a été versée pour un motif autre que la perte de salaire, c’est-à-dire pour une perte qui n’est absolument pas du tout liée aux avantages découlant d’un emploi. Ainsi, une somme versée en règlement du préjudice causé à la santé ou à la réputation d’une personne ou en indemnisation de ses frais de justice ne serait pas répartie à titre de rémunération. Lorsqu’il n’existe pas de circonstances spéciales, toute somme versée par un employeur à un employé licencié ou congédié est versée à titre de dédommagement pour la perte de revenu (Canada (P.G.) c. Walford, [1979] 1 C.F. 768 (C.A.F.) A-263-78; Canada (P.G.) c. Tetreault, [1986] A.C.F. No 176 (C.A.F.) A-527-85; Canada c. Mayor, [1998] A.C.F. No 310 (C.A.F.) A-667-88; Canada (P.G.) c. Harnett, [1992] A.C.F. No 152 (C.A.F.) A-34-91; Canada (P.G.) c. Radigan, [2001] A.C.F. No 153 (C.A.F.) A-567-99).

    S’appuyant sur la preuve présentée, la Commission a estimé que ce versement devait être réparti conformément aux dispositions des paragraphes 35(2) et 36(9) du Règlement. La Cour d’appel fédérale a décrété depuis longtemps que tout montant versé dans le cadre d’une entente à l’amiable pour dédommager la perte d’un revenu d’emploi, y compris le salaire tenant lieu de préavis, constitue une rémunération au sens du paragraphe 35(2) du Règlement (Canada (PG) c. Walford, A-263-78; Canada c. Mayor, A-667-88; Canada (PG) c. Harnett, A-34-91).

    Cette décision a été portée en appel par la prestataire devant le conseil arbitral, lequel a conclu que « l’intention de la Commission des droits de la personne (pièce 8) et de la prestataire était la bonne interprétation à donner à l’accord de médiation et que, en conséquence, le paragraphe 35(2) est inapplicable » [Traduction] (pièce 24.5). Les sommes versées à titre de dommages-intérêts ne sont pas une rémunération au sens de l’article 35 (CUB 62226). Voici un extrait pertinent de sa décision (pièces 24.4 - 24.5) :

    PREUVE PRÉSENTÉE À L’AUDIENCE

    La prestataire a témoigné en personne et était crédible et catégorique. Le conseil accepte son témoignage. La prestataire a déposé d’autres éléments de preuve documentaire sous forme de copies :

    L’avocat du syndicat et l’employeur ont assuré à la prestataire qu’elle n’a pas été employée après avoir quitté son emploi et que toute somme consentie en guise de règlement ne pouvait être une rémunération ou un salaire.

    Dans son rapport, la Commission des droits de la personne du Yukon a recommandé qu’aucune partie de la somme versée ne tienne lieu de salaire (pièce 11-8).

    L'entente à l’amiable présumée a été conclue après qu’une sommation eut été envoyée de Moose Jaw à Whitehorse en vue d’une médiation, six mois après que la prestataire eut donné naissance à des jumeaux. Au cours de la médiation, il ne lui a pas été permis d’être accompagnée de quelqu’un. L’avocat du syndicat a fait valoir dans son argumentation que tout règlement ne devait pas constituer un salaire sur cette base et, après avoir été intimidée pendant trois jours, la prestataire a signé le document. L’avocat du syndicat a emprunté son dossier pour l’examiner et, par la suite, a refusé de le lui rendre et a cessé de répondre à ses appels téléphoniques.

    CONSTATATION DES FAITS, APPLICATION DE LA LOI
    Dans ces circonstances, l’intention de la Commission des droits de la personne (pièce 8) et de la prestataire était la bonne interprétation à donner à l’accord de médiation et, par conséquent, le paragraphe 35(2) est inapplicable.

    DÉCISION
    Le conseil accueille l’appel.
    [Traduction]

    À son tour, la Commission a porté la décision du conseil arbitral en appel en invoquant comme motifs le bien-fondé et une erreur de droit. Voici un extrait de l’argumentation de la Commission devant le juge-arbitre :

    Les questions que le conseil devait trancher étaient de savoir si le versement de 29 000 $ constituait une rémunération au sens du paragraphe 35(2) du Règlement sur l’assurance-emploi et si cette somme devait être répartie sur une période de la période de prestations en vertu du paragraphe 36(9) du Règlement. Le conseil a accueilli l’appel sans expliquer pourquoi le paragraphe 35(2) du Règlement était inapplicable et sans tenir compte du paragraphe 36(9) du Règlement. Le fait pour le conseil de ne pas avoir justifié sa décision en vertu du paragraphe 114(3) de la Loi sur l’assurance-emploi est une erreur de droit.
    Bellefleur c. Canada (PG), 2008 CAF 13

    Selon la Commission, ni la pièce 8 ni le « document d’intention » [Traduction] de la Commission des droits de la personne en date du 20 octobre 2007 (pièce 11.8) ne font allusion au versement de 29 000 $. Deuxièmement, la prestataire n’a présenté aucune preuve pour étayer son allégation selon laquelle tout le règlement était pour des dommages-intérêts. Au contraire, la preuve non contestée dans le dossier a confirmé que le montant de 29 000 $ a été versé pour perte financière à titre de salaire tenant lieu de préavis pour la période allant de février à août 2008 tandis qu’un montant de 10 000 $ a été payé en vertu de l’article 24 de la Loi sur les droits de la personne du Yukon à titre de dommages-intérêts pour atteinte à la dignité/aux sentiments (pièces 5, 6, 9, 21, 22). Le conseil a erré en droit en ne tenant pas compte de cet élément de preuve et en n’appliquant pas le critère juridique prévu au paragraphe 35(2) du Règlement à la preuve portée à sa connaissance.
    Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159; Schooner c. Canada (PG), 2004 CAF 411; Déry c. Canada (PG), 2008 CAF 291.
    [Traduction]

    Dans l’arrêt Bellefleur, A-139-07, la Cour d’appel fédérale a expliqué ce que le conseil arbitral était tenu de faire pour motiver sa décision. Prise dans le contexte approprié, la décision du conseil arbitral répondait à ce critère en l’espèce. Voici un extrait de l’arrêt Bellefleur :

    [3] Un conseil arbitral doit justifier les conclusions auxquelles il en arrive. Lorsqu’il est confronté à des éléments de preuve contradictoires, il ne peut les ignorer. Il doit les considérer. S’il décide qu’il y a lieu de les écarter ou de ne leur attribuer que peu de poids ou pas de poids du tout, il doit en expliquer les raisons, au risque, en cas de défaut de le faire, de voir sa décision entachée d’une erreur de droit ou taxée d’arbitraire.

    [4] Dans l’affaire Parks c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 770 (QL), aux paragraphes 5 et 6, notre Cour rappelait le principe en ces termes en référant à l’alinéa 79(2) de la Loi sur l’assurance-chômage, maintenant devenu l’alinéa 114(3) :

    5. Nous sommes tous d’avis que le conseil a commis une erreur de droit lorsqu’il a omis de se conformer au paragraphe 79(2). En particulier, nous sommes d’avis qu’il incombait au conseil de dire, au moins brièvement, qu’il a rejeté des parties cruciales de la preuve du demandeur et d’expliquer pourquoi il a agi ainsi. En l’espèce, le conseil disposait de plusieurs documents de l’employeur qui constituaient des éléments de preuve de la nature du ouï-dire. Le témoignage par affidavit et les déclarations orales du réclamant devant le conseil étaient incompatibles, sous plusieurs aspects, avec ces documents. Le conseil s’est contenté de faire état de ses conclusions sans expliquer pourquoi il a préféré une version des événements à l’autre.

    6. Même si, en vertu de l’interprétation que nous donnons au paragraphe 79(2), nous n’estimons pas que le conseil arbitral soit tenu de décrire en détail ses conclusions de fait, nous sommes d’avis que, pour se conformer à ce paragraphe, le conseil arbitral doit, lorsque la crédibilité fait l’objet d’une question litigieuse, dire au moins brièvement, dans le cadre de ses « conclusions [...] sur les questions de fait essentielles », qu’il rejette certains éléments de preuve sur ce fondement et pourquoi il a rejeté ces éléments. Lorsqu’il omet d’agir ainsi, il commet une erreur de droit.

    Je reviendrai sur ce point plus loin mais il me semble que l’arrêt Bellefleur donne raison au conseil dans l’affaire en litige. De la même façon, on peut faire une distinction quant aux faits avec la décision Hallée (A-337-07) citée par la Commission, en ce sens que le conseil dans cette décision a explicitement et pour les mauvaises raisons écarté des faits importants. Tel n’est pas le cas dans le présent appel. Dans la décision Hallée, la Cour d’appel fédérale a expliqué l’erreur commise en l’espèce par le conseil arbitral en ces termes :

    [4] Il ressort clairement de la décision du Conseil que ce dernier a choisi de ne pas tenir compte des deux erreurs commises antérieurement par la défenderesse, sous prétexte que la convention collective prévoyait de les exclure.

    [5] L’existence de trois erreurs consécutives a été démontrée à toutes les étapes du dossier, tant dans les documents soumis en preuve que de l’aveu même de la défenderesse.

    [6] L’argument à l’effet que cette partie importante de la preuve puisse être exclue suivant des dispositions de la convention collective, ne tient pas la route, puisque le Conseil avait le devoir d’examiner toute la preuve soumise et le fait d’exclure les deux erreurs antérieures constitue une erreur de droit.

    [7] Par ailleurs, le fait d’avoir donné le mauvais médicament à une résidante malgré le fait que celle-ci lui ait mentionné que ce n’était pas le médicament habituel, que la défenderesse s’était aperçue de son propre aveu que ce n’était pas le médicament habituel et n’a pas vérifié l’information sur la dosette, que la résidante a dû être conduite à l’hôpital et qu’il s’agissait de la troisième fois que la défenderesse faisait une erreur de cette importance, démontre de façon non équivoque que la défenderesse a démontré une insouciance ou une négligence telle qu’il frôle le caractère délibéré.

    Voilà une situation qui diffère considérablement de celle en cause dans le présent appel. Le conseil arbitral, comme on peut le constater à la lecture de l’extrait de la décision ci-dessus, a pris note de tous les éléments pertinents de la preuve. La situation présentée dans une autre décision de la Cour d’appel fédérale qui s’appuyait sur l’arrêt Bellefleur, bien qu’elle n’ait pas été citée par la Commission, ressemble davantage à celle du présent appel. Il s’agit de la décision rendue dans l’affaire Lona McKinnon (Fosker) 2010 CAF 250, A-16-10, dont voici des passages :

    [2] La demanderesse a fait une demande de prestations de maladie pour la période du 7 mai au 1er juillet 2006, durant laquelle elle se serait absentée du travail pour récupérer d’une chirurgie. Elle a déclaré à la Commission n’avoir touché aucun revenu durant cette période. Au cours de l’enquête qu’elle a menée, la Commission a reçu de l’employeur des bordereaux de paye indiquant que la demanderesse était retournée au travail le 30 mai 2006. La demanderesse a d’abord réagi en affirmant que les paiements auraient été faits pour des heures accumulées avant sa chirurgie. La Commission a conclu que la demanderesse avait reçu en trop un montant de 2 010 $ versé en prestations et qu’elle avait sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses. La Commission lui a infligé une pénalité de 1 005 $.

    [3] À l’audience devant le conseil arbitral, la demanderesse a témoigné qu’elle n’avait reçu aucun paiement durant la période en question, ni même pour les heures qu’elle avait accumulées. Le conseil arbitral a accueilli l’appel en justifiant comme suit sa décision sur ce point central :

    Nous sommes d’avis que les témoignages de la prestataire et de son mari sont dignes de foi parce qu’ils étaient cohérents. Nous sommes d’avis que les bordereaux de paye de l’employeur étaient incohérents et mal faits. Nous sommes d’avis que la prestataire a toujours déclaré qu’elle n’avait jamais reçu les montants que l’employeur lui a censément versés au cours de la période de prestations.

    [4] Dans un appel subséquent, le juge-arbitre a annulé la décision du conseil arbitral et rétabli la décision de la Commission. Premièrement, le juge-arbitre a conclu que le conseil arbitral n’avait pas accordé suffisamment d’importance à une déclaration que l’employeur avait faite à Développement des ressources humaines Canada. Deuxièmement, le juge-arbitre a écrit que le conseil arbitral avait écarté des éléments de preuve importants, notamment des renseignements relatifs aux dossiers de paye de l’employeur et la première explication fournie par la demanderesse selon laquelle elle avait été payée pour des heures accumulées. Le juge-arbitre a dit que, si le conseil arbitral souhaitait rejeter ces éléments de preuve, il devait justifier pourquoi il choisissait de le faire. Le juge-arbitre a annulé la décision du conseil arbitral et rétabli la décision initiale de la Commission.

    [5] La présente demande soulève deux questions : Le juge-arbitre a-t-il fait erreur en concluant que les motifs du conseil arbitral étaient insuffisants? Le cas advenant qu’il n’ait pas fait cette erreur, s’est-il trompé en rétablissant la décision de la Commission?

    [6] La demanderesse soutient que le juge-arbitre a fait erreur en exigeant que le conseil arbitral traite expressément de chacun des éléments de preuve contradictoires dans ses motifs et en substituant sa propre analyse de la preuve à celle du conseil arbitral. Il est bien établi que la norme de contrôle applicable à la décision d’un juge-arbitre sur une question de droit est celle de la décision correcte : MacNeil c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2009 CAF 306, 396 N.R.157.

    [7] Comme notre Cour l’a affirmé dans Bellefleur c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 13, au paragraphe 3, le conseil arbitral ne peut écarter un élément de preuve important ou le rejeter sans explication. Par ailleurs, il est important de se rappeler que le conseil arbitral ne se compose pas d’avocats et que son processus se veut informel et efficace pour les parties au litige. Ses décisions ne devraient donc pas être examinées à la loupe : Roberts c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration) (1985), 60 N.R. 349, au paragraphe 10 (C.A.F.). Il n’est pas nécessaire que le conseil arbitral analyse chacun des éléments de preuve dans ses motifs, l’exigence fondamentale étant plutôt que le conseil arbitral explique dans ses motifs comment il est parvenu à sa décision : Clifford c. Ontario (Attorney General), 2009 ONCA 670, 98 O.R. (3d) 210, au paragraphe 20.

    [8] Dans la présente affaire, le conseil arbitral a expliqué sa décision en écrivant qu’il avait jugé les témoignages de la demanderesse et de son mari dignes de foi en raison de leur cohérence. Étant donné que les conclusions relatives à la crédibilité se fondent sur une multitude de facteurs tangibles et intangibles, il est difficile pour un tribunal d’exprimer de manière détaillée pourquoi il juge un témoignage crédible. Les motifs du conseil arbitral sont suffisants à cet égard.

    [9] Le conseil arbitral a également bien tenu compte de la preuve qui pesait contre la demanderesse. Il a fait état en particulier des bordereaux de paye – le premier élément de preuve contre la demanderesse – et il a jugé qu’ils étaient [TRADUCTION] « incohérents et mal faits ». Le conseil arbitral a noté que la déclaration que l’employeur avait faite à Ressources humaines et Développement des compétences Canada était incompatible avec la preuve des talons de chèque de paye.

    [10] Le conseil arbitral a tenu compte de la preuve qui pesait contre la demanderesse et, dans ses motifs, il a expliqué pourquoi il choisissait de la rejeter : il a jugé que la preuve de la demanderesse était plus cohérente. Le conseil arbitral était mieux placé que le juge-arbitre ou la Cour pour apprécier la preuve et la crédibilité des témoins et sa conclusion était raisonnable. Il n’était pas tenu d’accorder plus d’importance à la déclaration que l’employeur a faite à Ressources humaines et Développement des compétences Canada qu’au témoignage de la demanderesse.

    [11] La demande est accueillie. La décision du juge-arbitre sera annulée et l’affaire lui sera renvoyée avec la directive de rejeter l’appel de la décision du conseil arbitral interjeté par la Commission.

    Comme dans l’affaire McKinnon citée ci-dessus, le conseil en l’espèce a tenu compte de la preuve qui pesait contre la prestataire (l'entente manuscrite et le chèque) et a jugé que la prestataire était crédible. Il est clair que le conseil arbitral n’est pas allé jusqu’à énumérer méticuleusement les raisons qu’il avait de croire l’explication de la prestataire voulant que le versement avait vraiment été fait pour les dommages-intérêts découlant du règlement d’une plainte pour harcèlement sexuel devant la Commission des droits de la personne. Il est tout aussi clair que le conseil a trouvé la prestataire crédible et a fondé ses conclusions sur cette constatation. Voilà une constatation des plus raisonnables de la part du conseil arbitral compte tenu de tous les éléments de preuve dont il avait été saisi. Pourquoi, lorsqu'une prestataire a quitté son emploi, un employeur serait-il porté à lui verser des sommes tenant lieu de salaire? Pourquoi un tel versement à la prestataire serait-il conditionnel au retrait de la plainte qu’elle avait déposée devant la Commission des droits de la personne pour harcèlement sexuel au travail? La prestataire a quitté son emploi pour déménager avec son fiancé, et non pour échapper au harcèlement sexuel. Compte tenu du dossier en preuve, la formulation utilisée pour qualifier ce règlement, à savoir « tenant lieu de salaire » [Traduction] (pièce 22) ou « perte financière » (pièce 21.1), n’a aucun sens. Sauf pour l’explication donnée par la prestataire, il n’existe aucun autre élément pour expliquer les contradictions que renferme ce dossier documentaire.

    La recherche de la vérité est l’une des fonctions importantes qui incombe à un conseil arbitral. Le conseil arbitral a le droit, comme il l’a fait en l’espèce, d’aller au-delà des termes d’une entente à l’amiable et d’apprécier l’authenticité des faits. Voilà qui a été expressément admis dans la décision Meechan de la Cour d’appel fédérale, 2003 CAF 368, A-140-03, dans laquelle on peut notamment lire ce qui suit :

    [18] Nous reconnaissons que le conseil arbitral n’était aucunement lié par la décision de la commission d’arbitrage. Nous reconnaissons également que le fait que les parties aient qualifié les dommages-intérêts accordés n’est pas concluant.

    De la même façon, dans le cadre du présent appel, le conseil arbitral n’a pas trouvé que l'entente manuscrite était concluante. Le conseil n’a pas écarté cette preuve, il s’est plutôt fié à la preuve crédible de la prestataire pour cerner la vérité de l’affaire, et cette vérité semble évidente d’après le dossier : le versement était pour des dommages-intérêts servant à régler un cas de harcèlement sexuel, suivant la recommandation faite par la Commission des droits de la personne du Yukon qui a enquêté sur l’affaire.

    Il faut lire toutes les déclarations faites par le conseil sous la rubrique « Preuve présentée à l’audience » comme autant de raisons offertes par le conseil pour en arriver à sa conclusion ultime. Il s’agit de constatations de fait, et non simplement de notation de faits. Cela ressort clairement d’une lecture équitable de l’ensemble de la décision, tout particulièrement lorsque le préambule à tout ce qui se trouve sous la section « Preuve présentée à l’audience » repose sur la constatation que la prestataire est crédible. Ces raisons indiquent que tous les éléments pertinents de la preuve ont été pris en considération mais que l’on s’est fié à la preuve présentée par la prestataire pour bien interpréter la preuve documentaire se trouvant au dossier. Comme le veut la mise en garde servie par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt McKinnon (précité) :

    [7] Comme notre Cour l’a affirmé dans Bellefleur c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 13, au paragraphe 3, le conseil arbitral ne peut écarter un élément de preuve important ou le rejeter sans explication. Par ailleurs, il est important de se rappeler que le conseil arbitral ne se compose pas d’avocats et que son processus se veut informel et efficace pour les parties au litige. Ses décisions ne devraient donc pas être examinées à la loupe : Roberts c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration) (1985), 60 N.R. 349, au paragraphe 10 (C.A.F.). Il n’est pas nécessaire que le conseil arbitral analyse chacun des éléments de preuve dans ses motifs, l’exigence fondamentale étant plutôt que le conseil arbitral explique dans ses motifs comment il est parvenu à sa décision : Clifford c. Ontario (Attorney General), 2009 ONCA 670, 98 O.R. (3d) 210, au paragraphe 20.

    Cet appel est semblable à la décision rendue par Cour d’appel fédérale dans l’affaire Radigan, A-567-99, dont voici un extrait :

    [7] Pour déterminer si les montants du règlement constituent une rémunération ou non, il importe d’avoir à l’esprit les principes de base. D’abord, on doit tenir compte de l’alinéa 57(2)a) du Règlement sur l’assurance-emploi, qui prévoit que la rémunération dont il faut tenir compte pour déterminer s’il y a eu un arrêt de rémunération comprend :

    a) le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi;

    [8] Notre Cour considère depuis longtemps qu’un paiement effectué en vertu d’un règlement intervenu dans le cadre d’une action pour congédiement injustifié constitue un « revenu provenant [d’un] emploi », à moins que le prestataire puisse établir qu’en raison de « circonstances particulières », une partie de ce revenu doit être considérée comme une rémunération concernant une autre dépense ou perte.

    [9] Bien que notre Cour ait, dans l’arrêt Dunn, souscrit « de façon générale » aux principes énoncés dans Renaud, nous avons souligné dans cet arrêt que :

    ... dans chaque cas, le conseil doit déterminer quels sont les divers éléments d’un règlement d’après les faits qui lui sont présentés en preuve [... ]

    [10] Bien que la formulation de la décision du conseil arbitral soit insatisfaisante, celui-ci a tout de même entendu le témoignage de la défenderesse, et il disposait des observations de la Commission en ce qui concerne l’état du droit, selon lequel elle devait conclure à l’existence de « circonstances particulières » pour que l’exclusion de la somme de 4 000 $ de la rémunération soit justifiée. Il a conclu, sur le fondement de ce témoignage et ces observations, que les 4 000 $ devaient être exclus de la rémunération. La Commission n’a pas convaincu le juge-arbitre, et elle ne nous a pas convaincus non plus, que le conseil a commis une erreur de fait ou de droit en parvenant à cette conclusion.

    Le conseil arbitral s’est bien acquitté de ses tâches, il a tenu compte de tous les éléments pertinents de la preuve, il a étayé sa décision de raisons appropriées et sa décision basée sur les faits est raisonnable. Le conseil arbitral n’a commis aucune erreur de droit ni omis de tenir compte d’éléments de la preuve ni tiré des conclusions de fait de façon arbitraire ou déraisonnable.

    L’appel est rejeté.

    Gerald T.G. Seniuk

    JUGE-ARBITRE

    Saskatoon (Saskatchewan)
    Le 14 janvier 2011

    2011-01-16