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    CUB CORRESPONDANT : 76247


    EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    RELATIVEMENT à une demande de prestations par
    Q.H.

    - et -

    RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre
    par la prestataire de la décision d'un Conseil arbitral rendue
    le 4 février 2010, à Repentigny, Québec

    DÉCISION

    MAXIMILIEN POLAK, juge-arbitre

    La prestataire a interjeté appel d’une décision d’un Conseil arbitral qui avait accueilli l’appel de l’employeur d’une décision de la Commission à l’effet que les gestes reprochés à la prestataire par l’employeur ne démontraient pas une inconduite de sa part. La Commission avait donc approuvé la demande de prestations d’assurance-emploi de la prestataire (pièce 7).

    Cet appel a été entendu à Joliette, le 18 novembre 2010. La prestataire ainsi que son procureur étaient présents.

    Dans ce dossier, une demande initiale de prestations d’assurance-emploi a été établie à compter du 15 novembre 2009 (pièce 2). L’employeur, Olymel Société en Commandite, a suspendu la prestataire pour cinq (5) jours ouvrables du 16 novembre 2009 au 20 novembre 2009 suite à une plainte de harcèlement psychologique et une enquête administrative (pièce 5-2).

    La Commission a demandé à l’employeur de fournir des renseignements contenus dans le dossier de la prestataire, car la Commission ne peut conclure à de l’inconduite sur la simple allégation de la lettre de suspension. L’employeur a refusé compte tenu que le dossier est un dossier de harcèlement et qu’il ne divulguera pas la recherche des faits et des plaintes (pièce 6-1).

    Selon la prestataire, elle ne sait pas exactement ce qu’on lui reproche ainsi que les dates où elle aurait commis du harcèlement.

    Elle considère que la suspension est injuste, que la gradation des sanctions n’a pas été suivie tel qu’inscrit dans la convention collective. Elle a déposé un grief demandant que la période de suspension soit retirée de son dossier (pièce 4-1).

    La Commission a conclu que les faits ne démontraient pas que la prestataire a été suspendue en raison de sa propre inconduite parce que l’employeur n’a pas fourni à la Commission quelles sont les actions ou omissions exactes reprochées à la prestataire démontrant une inconduite. La Commission a donc accueilli la demande de prestations d’assurance-emploi (pièce 7).

    L’employeur conteste la décision de la Commission comme mal fondée en fait et en droit (pièce 8).

    Il importe de citer les extraits suivants de la décision du Conseil arbitral :

    « (...) Version de l’employeur

    L’employeur a fourni au conseil les éléments de preuves suivants : il a reçu une plainte écrite, a mené une enquête exhaustive et a tenu compte des éléments propres à chaque dossier. Les autres employés n’ont pas été suspendus car il n’avait pas de lettre de plainte. Il a appliqué les critères de harcèlement selon les cas.

    Il a appliqué l’article de la convention collective et a jugé que la raison était suffisamment sérieuse pour agir immédiatement.

    Il a tenu compte des témoignages et a rejeté les simples allégations. Dans ce cas, il a conservé seulement 2 allégations. Il a entendu suffisamment de témoignages pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas de simples conflits personnels.

    (...) Version de la prestataire

    La prestataire affirme qu’elle n’était pas au courant des allégations portées contre elle. Elle est syndicaliste et se défend lorsque nécessaire cependant elle affirme demeurer respectueuse. Elle est une personne directe et elle peut répliquer. Une fois que c’est dit, c’est fini. Elle confirme qu’elle a « pété » les plombs et qu’il lui arrive d’utiliser un langage grossier.

    (...) Le conseil a attentivement étudié les deux versions présentées et est arrivé à la conclusion que l’employeur avait prouvé, par une enquête poussée, l’inconduite de la prestataire. Il a analysé les faits soigneusement, a entendu de nombreux témoignages et a rejeté les allégations jugées non crédibles. Il a tenu compte des éléments de preuves et de la conduite antérieure de la prestataire. Il a appliqué la politique concernant le harcèlement prescrite par les normes du travail. Il a fourni une preuve suffisante pour que le conseil puisse conclure qu’il détient les preuves nécessaires pour prouver l’inconduite en matière de harcèlement. La prestataire a affirmé qu’elle connaissait la politique en matière de harcèlement. Elle devait savoir que ce comportement volontaire et répétitif ne saurait être toléré par l’employeur.

    Le conseil appuie sa décision sur le CUB 64397, le juge Gobeil écrivait [sic] : « Il m’apparaît comme une simple règle de bon sens que l’agressivité physique ou verbale ne saurait être tolérée sur les lieux de travail. Elle menace la sécurité à tous les égards, l’efficacité au travail, le climat de travail, vicie la relation entre les employés et entre l’employé fautif et son entourage et son employeur qui ne peut donner sa confiance à un employé qui affiche un tel comportement. Aussi, une jurisprudence très abondante retient comme étant de l’inconduite l’agressivité physique ou verbale en milieu de travail : CUB 36008, CUB 39756, CUB 54191, CUB 56370, CUB 62083. »

    Le conseil a conclu que la prestataire a fait preuve d’inconduite et a été suspendu [sic] en raison de cette inconduite.

    DÉCISION

    À l’unanimité, le conseil arbitral accueille l’appel de l’employeur. »

    La prestataire, dans son appel devant moi, allègue que le Conseil arbitral a erré en fait et en droit (pièces 17-3, 17-4).

    Je suis d’accord avec la prestataire. Le paragraphe 114(3) de la Loi sur l’assurance-emploi exige que le Conseil arbitral explique pourquoi il rejette les éléments de preuve soumis par une ou l’autre des parties au litige. Le paragraphe se lit comme suit :

    « (...) 114(3) La décision d’un conseil arbitral doit être consignée. Elle comprend un exposé des conclusions du conseil sur les questions de fait essentielles. »

    Dans le cas présent, le Conseil arbitral a basé sa décision uniquement sur la version de l’employeur sans expliquer pourquoi il a rejeté les déclarations et le témoignage détaillé de la prestataire.

    Le juge Linden a bien exprimé le devoir du Conseil arbitral dans McDonald (A-297-97) en disant : « Il faut absolument que le Conseil arbitral aborde soigneusement les points litigieux réellement soulevés devant lui et qu’il explique ses conclusions dans un raisonnement cohérent et logique. Tout ce qui est moindre est inacceptable ».

    En omettant d’agir ainsi, le Conseil arbitral a commis une erreur de droit. Mais il y a plus. Le 14 décembre 2009, la prestataire explique à une agente de la Commission qu’elle considère que la suspension est injuste, que la gradation des sanctions n’a pas été suivie tel qu’inscrit dans la convention collective (pièce 4-1). Le 17 décembre 2009, l’employeur, par l’entremise de son directeur des ressources humaines, refuse de donner des renseignements contenus dans le dossier des employés parce que c’est un dossier de harcèlement (pièce 6-1).

    La Commission a donc approuvé la demande de la prestataire parce que la preuve était insuffisante pour prouver l’inconduite de la prestataire (pièce 7).

    La prestataire a toujours coopéré dans le cadre de l’enquête de harcèlement psychologique. Le 28 septembre 2009, elle a donné une déclaration détaillée à l’effet qu’elle n’a jamais harcelé d’autres employés (pièce 4-3).

    On ne peut pas dire que les plaignants et l’employeur démontraient autant de coopération. La politique de l’employeur, visant à contrer toute forme de harcèlement, prévoyait la médiation dans les termes suivants : « Possibilité de médiation en tout temps. Si une enquête est entamée, il est préférable de la suspendre afin de maintenir un climat propice à la résolution de conflit » (pièce 12-6). Il est difficile à comprendre pourquoi tous les plaignants ont refusé la médiation (pièce 15-3). C’était certainement une raison pour le Conseil arbitral d’être prudent avec l’évaluation de la preuve des plaignants. L’employeur témoigne devant le Conseil arbitral que, pour chacune des allégations, il a confronté la prestataire sans mentionner la provenance de la preuve. Je suis d’accord avec la prestataire quand elle a déclaré :

    « (...) Jamais personne ne nous a dit d’arrêter de dire ou de faire quoi que ce soit à l’égard de qui que ce soit. Après cette interrogation, nous ne savons toujours pas ce qui se passe. C’est seulement qu’au 16 novembre 2009 que nous trois, nous apprenons par un avis écrit, que nous sommes suspendus. Nous avons été punis, mais nous ne savons toujours pas pourquoi. Nous ne savons pas qui nous avons harcelé, ni de quelle façon ».

    L’employeur, dans sa lettre du 16 novembre 2009, avise la prestataire qu’on lui a donné une dernière chance compte tenu de ses longues années de service et son dossier disciplinaire vierge. Une suspension de cinq (5) jours a été imposée (pièce 5-2).

    Cependant la convention collective prévoit la gradation des mesures disciplinaires comme suit :

    - un avertissement verbal
    -un avertissement écrit
    -une réprimande écrite
    -la suspension
    -le congédiement (pièce 5-4).

    Il est difficile à comprendre pourquoi l’employeur n’a pas respecté les étapes décrites dans la convention collective et a donné une dernière chance à une employée avec 22 ans de service et un dossier disciplinaire vierge en imposant immédiatement une suspension. Une autre raison pour le Conseil arbitral d’être prudent dans l’évaluation de la preuve de l’employeur.

    Je fais miennes les paroles du juge-arbitre Denault dans CUB 17649 qui disait : « Comment alors un conseil arbitral peut-il respecter les principes de justice naturelle alors qu’il tire une conclusion de faits en s’appuyant uniquement sur des faits contestés relativement auxquels l’employeur n’a présenté aucune preuve que le prestataire pouvait vérifier? »

    Le Conseil arbitral n’a pas adéquatement apprécié la preuve devant lui. En écartant une preuve fondamentale de la part de la prestataire sans justifier sa décision, le Conseil arbitral a erré en droit
    (Bellefleur c. Canada (PG), 2008 CAF 13).

    L’enquête tenue par l’employeur n’a pas respecté les principes de justice naturelle. Le Conseil arbitral a accepté une preuve que la prestataire ne pouvait pas vérifier parce que l’employeur refusait de révéler les noms des plaignants et les détails du harcèlement. En même temps, ce Conseil arbitral écartait une preuve très détaillée de la prestataire sans dire pourquoi.

    Le moins qu’on puisse dire dans ce dossier, c’est que les éléments de preuve présentés de part et d’autre à cet égard sont équivalents.

    Selon l’article 49(2), le bénéfice du doute dans un tel cas doit être accordé à la prestataire.

    Pour ces motifs, je conclus que le Conseil arbitral a erré en fait et en droit.

    En conséquence, l’appel de la prestataire est accueilli, la décision du Conseil arbitral est annulée.

    Maximilien Polak

    JUGE-ARBITRE

    Montréal, Québec
    Le 24 décembre 2010

    2011-01-16