• Accueil >
  • Bibliothèque de la jurisprudence
  • CUB 76282

    EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    RELATIVEMENT à une demande de prestations par
    H.T.

    - et -

    RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par l’employeur, Ville de Gatineau, de la décision d'un conseil arbitral
    rendue le 28 octobre 2009 à Gatineau (Québec)

    DÉCISION

    GUY GOULARD, juge-arbitre

    Le prestataire a travaillé pour la Ville de Gatineau jusqu’au 3 juin 2009. Il présenta une demande de prestations initiale qui fut établie à compter du 7 juin 2009. La Commission détermina que le prestataire n’avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite et avisa l’employeur de cette décision.

    L’employeur en appela de la décision de la Commission devant un conseil arbitral qui rejeta l’appel. L’employeur porta la décision du conseil en appel devant un juge-arbitre. Cet appel a été entendu à Ottawa, Ontario le 16 décembre 2010. Le prestataire était présent et représenté par Me C.R. L’employeur était représenté par M. O.G.

    Les versions respectives de l’employeur et du prestataire à l’égard des faits qui avaient donné lieu au congédiement peuvent se résumer comme suit.

    La raison donnée par l’employeur pour avoir congédié le prestataire était à l’effet que ce dernier s’était approprié des biens appartenant à l’employeur. Il s’agissait de différents objets dont un escalier, un lavabo, de la toiture et des fenêtres. De plus, le prestataire aurait utilisé des outils appartenant à l’employeur dont un camion pour transporter les objets mentionnés sans la permission de l’employeur, le tout durant ses heures de travail. Un autre employé et un contremaître avaient aussi été congédiés pour leur implication dans l’incident.

    Le prestataire avait maintenu tout au long du dossier qu’il croyait avoir la permission de s’approprier les objets mentionnés. Il avait expliqué qu’il s’agissait d’objets laissés dans un édifice abandonné qui devait être démoli. Il avait indiqué qu’il avait eu la permission d’un contremaître pour prendre l’escalier et la donner à un autre employé. Ces deux personnes avaient aussi été congédiées. Le prestataire avait ajouté que suite aux accusations de l’employeur, tous les objets avaient été retournés à l’employeur. Le prestataire avait aussi indiqué que c’était pratique courante que des employés de la Ville de Gatineau pouvaient prendre de tels objets abandonnés.

    L’employeur avait indiqué que les objets mentionnés n’avaient pas été abandonnés et qu’il n’y avait pas eu de décision relativement à la démolition de l’édifice où les objets avaient été pris. L’employeur avait reconnu qu’il n’y avait pas de politique écrite sur le type d’agissements visés dans les allégations contre le prestataire.

    La Commission avait accepté les explications du prestataire à l’égard des allégations de l’employeur et avait conclu que le prestataire n’avait pas été congédié en raison de son inconduite.

    Devant le conseil arbitral l’employeur et le prestataire avaient maintenu leur position telle que décrite ci-haut.

    Dans une décision bien rédigée, le conseil arbitral avait résumé en détails la preuve de l’employeur et du prestataire et, après une analyse approfondie de cette preuve, le conseil avait très bien motivé sa décision de rejeter l’appel de l’employeur. Le conseil avait accepté les explications du prestataire et avait conclu que, compte tenu de ce qui avait été une pratique courante depuis longtemps, le prestataire ne pouvait s’attendre à ce que les gestes qu’on lui reprochait auraient pu mener à son congédiement.

    L’employeur en appela de la décision du conseil arbitral devant un juge-arbitre. Devant moi, l’employeur et le prestataire ont maintenu les positions qu’ils avaient présentées devant le conseil et ont présenté fondamentalement les mêmes arguments qu’ils avaient présentés devant le conseil. La Commission a soumis que la décision du conseil était bien fondée sur la preuve et la jurisprudence pertinente et que l’appel de l’employeur devrait être rejeté.

    La jurisprudence (Guay (A-1036-96), Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), McCarthy (A-600-93), Ash (A-115-94), Ratté (A-255-95) et Peace (A-97-03)) nous enseigne que le conseil arbitral est le maître dans l'appréciation de la preuve et des témoignages présentés devant lui et qu'un juge-arbitre ne doit pas substituer son opinion à celle d'un conseil arbitral, sauf si sa décision lui paraît avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

    Dans le CUB 43808, le juge Marin écrivait:

    « Le conseil est le juge des faits, et un juge-arbitre ne peut pas renverser facilement une telle conclusion, car le conseil avait une meilleure possibilité d'observer les témoins, leur attitude et leur comportement au moment de l'interrogatoire.

    Dans l’arrêt Ash (supra) la juge Desjardins écrivait:

    « Il ressort clairement de la décision du conseil que l'opinion majoritaire et l'opinion minoritaire avaient toutes deux été examinées à fond. Certes, les tenants de l'opinion majoritaire auraient pu conclure autrement, mais ils ont choisi de ne pas croire la prétention de l'intimé portant qu'il avait quitté son emploi en raison de sa santé. La juge-arbitre ne pouvait substituer son opinion à celle de la majorité. Les membres du conseil étaient les mieux placés et les mieux en mesure d'apprécier la preuve et de tirer des conclusions relativement à la crédibilité. Il y avait en outre une preuve abondante appuyant la conclusion de la majorité. »

    Dans l'arrêt Guay, le juge Marceau avait indiqué :

    « De toute façon, dans tous les cas, c'est le conseil arbitral, le pivot de tout le système mis en place par la Loi, pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation, qui est celui qui doit apprécier. »

    Dans l’arrêt Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (supra), le juge Létourneau indiquait que le rôle d’un juge-arbitre se limite à décider si l’appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier. Et plus récemment, dans Peace (supra), le juge Sexton ajoutait:

    « Dans l'arrêt Budhai, précité, la Cour a conclu que l'application de l'analyse pratique et fonctionnelle, lorsqu'un juge-arbitre examine une décision rendue par conseil, laquelle décision comporte une question mixte de droit et de fait, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Sacrey, 2003 CAF 377, la Cour a également conclu que la question de savoir si un employé est fondé à quitter son emploi est une question mixte de droit et de fait qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable.

    Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, la Cour suprême a déclaré qu'une décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l'a fait sur la base de la preuve soumise. »

    J’ai revu la preuve et, en particulier, la décision bien étoffée du conseil arbitral et je suis d’avis que le conseil a bien analysé et résumé la preuve au dossier et à l’audience. Le conseil a accepté le témoignage du prestataire à l’effet que, compte tenu de la pratique connue du prestataire qui permettait aux employés de prendre des objets abandonnés et du fait que le prestataire pouvait croire que les objets qu’il avait pris étaient destinés à être jetés, le prestataire ne pouvait s’attendre que ce geste puisse conduire à son congédiement.

    Dans les CUB 72002, CUB 72003, CUB 72004, CUB 72005, CUB 72062, CUB 72063 et CUB 72064, j’avais fait référence à de la jurisprudence : Tucker (A-381-85), McKay-Eden (A-402-96), Langlois (A-94-95), et j’ai souligné que dans Langlois (supra), le juge Pratte avait indiqué :

    « L'inconduite dont parle l'article 28(1), et qui, comme le fait de quitter volontairement son emploi, entraîne, suivant l'article 30.1, l'exclusion du prestataire du bénéfice des prestations pour toute la durée de sa période de prestations, n'est pas un simple manquement de l'employé à n'importe quelle obligation liée à son emploi; c'est un manquement d'une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu'il serait susceptible de provoquer son congédiement. »

    J’avais aussi souligné que la Cour d’appel fédérale avait déterminé dans l'arrêt Choinière (A-471-95) que le fait qu'un employeur juge qu'une conduite mérite un congédiement ne suffit pas, en soi, à établir que ladite conduite constitue une inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi. Dans cet arrêt, le juge Marceau avait écrit :

    « Nous ne le croyons pas, tenant compte de la jurisprudence de cette Cour qui s'est employée, à maintes reprises récemment, à répéter qu'on avait eu tort de penser un moment que l'opinion de l'employeur sur l'existence d'une inconduite justifiant le congédiement pouvait suffire à mettre en application la pénalité devenue si lourde de l'article 28 et qu'il fallait, au contraire, une appréciation objective permettant de dire que l'inconduite avait vraiment été la cause de la perte de l'emploi. »

    J’avais également souligné que dans les sept dossiers en question, le conseil avait revu la preuve et avait conclu que les prestataires impliqués ne pouvaient soupçonner que leur conduite pouvait mettre en danger leur emploi compte tenu du fait que cette conduite avait été longuement tolérée même de la part de contremaîtres. J’ai conclu que les conseils pouvaient conclure sur la preuve fournie que les gestes des prestataires ne constituaient pas une inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi. J’avais rejeté les appels de la Commission. La Cour d’appel fédérale a rejeté les appels de la Commission à l’encontre de mes décisions (Castonguay (A-189-09)). Le juge Noël a indiqué que j’avais eu raison de conclure que la preuve devant le conseil pouvait justifier sa décision à l’effet que le geste reproché ne constituait pas une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi en raison du fait que le prestataire ne savait pas que ses agissements auraient pu conduire à son congédiement.

    En conséquence, je conclus que le conseil arbitral n’a pas erré dans sa décision. L’appel de l’employeur est rejeté.

    Guy Goulard

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 21 janvier 2011

    2011-01-16