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  • CUB 76308

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    d’une demande de prestations présentée par
    G.P.

    - et -

    d’un appel interjeté devant un juge-arbitre par la Commission à l’encontre de la décision rendue par un conseil arbitral
    à Thunder Bay (Ontario) le 2 septembre 2010

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GERALD T.G. SENIUK

    La Commission porte en appel la décision d’un conseil arbitral donnant raison à la prestataire qui contestait en appel le refus par la Commission de lui accorder le bénéfice des prestations pendant une période de congé scolaire, aux termes de l’article 33 du Règlement sur l’assurance-emploi (le Règlement).

    L.Y., du ministère de la Justice du Canada, représentait la Commission et A.B., avocat du cabinet Green and Chercover, représentait la prestataire.

    La question à trancher c’est si la prestataire, qui était employée comme éducatrice de la petite enfance, était une enseignante et, à ce titre, n’avait pas droit au bénéfice des prestations pour les semaines comprises dans une période de congé scolaire aux termes de l’article 33 du Règlement.

    L’alinéa 54j) de la Loi habilite la Commission à prendre des règlements pour interdire le versement de prestations aux personnes qui travaillent dans des secteurs où surviennent annuellement des périodes pendant lesquelles aucun travail n’est exécuté par un nombre important de personnes.

    C’est en vertu des pouvoirs ainsi conférés qu’a été pris l’article 33 du Règlement dont voici le libellé :

    MODALITÉS SUPPLÉMENTAIRES POUR LES ENSEIGNANTS
    (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.
    « période de congé » La période qui survient annuellement, à des intervalles réguliers ou irréguliers, durant laquelle aucun travail n’est exécuté par un nombre important de personnes exerçant un emploi dans l’enseignement. (non-teaching period)
    « enseignement » La profession d’enseignant dans une école maternelle, primaire, intermédiaire ou secondaire, y compris une école de formation technique ou professionnelle. (teaching)

    (2) Le prestataire qui exerçait un emploi dans l’enseignement pendant une partie de sa période de référence n’est pas admissible au bénéfice des prestations – sauf celles prévues aux articles 22, 23 ou 23.1 de la Loi – pour les semaines de chômage comprises dans toute période de congé de celui-ci, sauf si, selon le cas :
    a. son contrat de travail dans l’enseignement a pris fin;
    b. son emploi dans l’enseignement était exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance;
    c. il remplit les conditions requises pour recevoir des prestations à l’égard d’un emploi dans une profession autre que l’enseignement.

    (3) Lorsque le prestataire qui exerçait un emploi dans l’enseignement pendant une partie de sa période de référence remplit les conditions requises pour recevoir des prestations à l’égard d’un emploi autre que l’enseignement, les prestations payables pour une semaine de chômage comprise dans toute période de congé de celui-ci se limitent au montant payable à l’égard de l’emploi dans cette autre profession.

    La prestataire a travaillé pour le Lakehead District School Board comme éducatrice de la petite enfance du 22 mars au 25 juin 2010 (pièces 2 - 5). La raison de sa cessation d’emploi est, selon ce qui est inscrit sur le relevé d’emploi, « manque de travail/fin du contrat » (pièce 5). Dans sa demande de prestations qui a pris effet le 27 juin 2010, la prestataire a indiqué qu’elle avait exécuté un « contrat de travail de 10 mois » [Traduction] pour l’employeur et qu’elle avait accepté, du même employeur, un nouveau contrat débutant le 3 septembre 2010 pour un poste permanent (pièce 2). Les éléments de preuve présentés au conseil arbitral comprenaient la convention collective signée par l’employeur et la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario représentant l’Unité de négociation de la petite enfance (pièce 10), de même que la description de travail de la prestataire (pièce 11). En se fondant sur ces éléments de preuve, la Commission a conclu que la prestataire était une enseignante au sens de l’article 33 du Règlement.

    Le conseil arbitral a été d’une opinion différente, et il a conclu que la prestataire n’était pas enseignante mais qu’elle faisait plutôt partie du personnel de soutien permanent. Voici le raisonnement et les constatations du conseil (pièces 16.3 - 16.4) :

    PREUVE PRÉSENTÉE À L’AUDIENCE
    La prestataire a assisté à l’audience avec son représentant, F.S. Elle a produit de l’information additionnelle, pièces 10.1 à 10,28, pièce 11, pièces 12.1 et 12.2, pièces 13,1 et 13.2, pièces 14.1 à 14.5, pièces 15.1 à 15.5.

    La prestataire n’est pas une enseignante, elle est une employée de soutien permanente du titulaire de la classe. Le représentant de la prestataire a déclaré que la Commission avait tranché concernant le droit de la prestataire aux prestations d’assurance-emploi en considérant celle-ci comme une « enseignante ». Or, il s’agit plutôt d’une employée permanente du conseil scolaire qui a été mise en disponibilité. Le représentant a aussi déclaré que la prestataire faisait partie du personnel permanent. Il a fait valoir qu’elle cotise au Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario (OMERS) et non au Régime de retraite des enseignants et qu’elle ne pouvait pas reporter ses congés de maladie. Il a également déclaré que partout dans le dossier, la Commission parle d’un « contrat ». La prestataire n’est pas une employée contractuelle, elle fait partie du personnel permanent.

    Le représentant de la prestataire a déclaré que sa cliente n’était pas une éducatrice de la petite enfance selon la définition donnée dans la Loi sur l’éducation de l’Ontario puisqu’elle n’a pas de brevet d’enseignement de l’Ontario. Elle ne fait pas partie de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario. Elle ne peut ni faire passer les enfants à une classe supérieure, ni enseigner, ni préparer des plans d’enseignement, ni classer les étudiants. Elle travaille sous la supervision d’un enseignant breveté. Elle reçoit un salaire horaire qui lui est versé aux deux semaines et qui n’est pas du même ordre que celui d’un enseignant, elle touche sa paie de vacances pendant l’année et non pendant l’été (pièces 10.13 à 10.25).
    [Traduction]

    Le conseil a ensuite passé en revue la législation qu’il devait appliquer pour prendre sa décision concernant les faits et l’application de la loi et il a accueilli l’appel à l’unanimité en ces termes :

    CONSTATATION DES FAITS ET APPLICATION DE LA LOI

    Le conseil arbitral tient pour avéré que la prestataire n’est pas une enseignante, elle est une employée de soutien permanente du titulaire de la classe. Le représentant de la prestataire a déclaré que la Commission avait tranché concernant le droit de la prestataire aux prestations d’assurance-emploi en considérant celle-ci comme une « enseignante ». Or, il s’agit plutôt d’une employée permanente du conseil scolaire qui a été mise en disponibilité. Le représentant a aussi déclaré que la prestataire faisait partie du personnel permanent. Il a fait valoir qu’elle cotise au Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario (OMERS) et non au Régime de retraite des enseignants et qu’elle ne pouvait pas reporter ses congés de maladie. Il a également déclaré que partout dans le dossier, la Commission parle d’un « contrat ». La prestataire n’est pas une employée contractuelle, elle fait partie du personnel permanent.

    Le conseil arbitral tient pour avéré que la prestataire n’est pas une éducatrice de la petite enfance selon la définition donnée dans la Loi sur l’éducation de l’Ontario puisqu’elle n’a pas de brevet d’enseignement de l’Ontario. Elle ne fait pas partie de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario. Elle ne peut ni faire passer les enfants à une classe supérieure, ni enseigner, ni préparer des plans d’enseignement, ni classer les étudiants. Elle travaille sous la supervision d’un enseignant breveté. Elle reçoit un salaire horaire qui lui est versé aux deux semaines et qui n’est pas du même ordre que celui d’un enseignant, elle touche sa paie de vacances pendant l’année et non pendant l’été (pièces 10.13 à 10.25).

    Le conseil arbitral constate que la prestataire a été mise en disponibilité à cause d’un manque de travail. La fin du contrat ou de la saison ne s’applique pas. La prestataire a une date de rappel prévue, il ne s’agit pas de nouveaux contrats. De plus, à la pièce 10.15, l’article 15 de la convention collective de la prestataire intitulé « Mise en disponibilité et rappel » prévoit la mise en disponibilité et le rappel au travail.

    APPLICATION DE LA LOI

    CUB 60134; pièces 13.1 et 13.2, CUB 56742; pièces 15.1 à 15.5, CUB 36736; pièces 14.1 à 14.5

    Le conseil arbitral tient pour avéré que la Commission a considéré à tort la prestataire comme une « enseignante ». La preuve fournie par le représentant de la prestataire montre clairement que celle-ci n’est pas une enseignante ni une employée contractuelle. Elle fait partie du personnel de soutien permanent.

    Nous accueillons l’appel à l’unanimité.
    [Traduction]

    La Commission a porté la décision du conseil en appel devant le juge-arbitre. Elle conteste les conclusions du conseil concernant les faits clés et elle allègue que le conseil a commis une erreur de droit en rejetant des éléments de preuve capitaux sans justifier sa décision. En appel, la Commission a notamment allégué :

    La prestataire est une éducatrice de la petite enfance. Elle a accepté un contrat d’enseignement pour la nouvelle année scolaire. Ses crédits de congés de maladie et ses crédits d’ancienneté sont reportés à l’année scolaire 2010-2011. La Commission soutient que la prestataire n’avait pas droit aux prestations pendant la période de congé estivale aux termes du paragraphe 33(2) du Règlement sur l’assurance-emploi [...]

    La Commission prétend que le conseil arbitral n’a pas tenu compte de la preuve portée à sa connaissance et s’est fondé exclusivement sur le témoignage du représentant de la prestataire à l’audience. En fait, le conseil a écarté plusieurs déclarations initiales de la prestataire, son relevé d’emploi et la déclaration faite par l’employeur qui indiquent que Mme G.P. était une éducatrice de la petite enfance employée sur une base contractuelle. La Commission plaide qu’en rejetant des éléments de preuve capitaux sans justifier sa décision, le conseil a commis une erreur de droit. Bellefleur c. Canada (PG), 2008 CAF 13, A-139-07.
    [Traduction]

    De plus, la Commission a avancé que les décisions CUB citées par le conseil comme jurisprudence pertinente portaient sur des situations différentes; elle a fait valoir :

    La Commission affirme enfin que le conseil a erré en s’appuyant sur les décisions CUB 60134, 56742 et 56736 pour rendre sa décision. Dans les CUB 56742 et 56736, les prestataires sont des instructeurs de musique itinérants et dans le CUB 60134, la requérante est une assistante en éducation dont les fonctions ne comportaient pas d’enseignement. La Commission soutient que ces cas sont différents de l’affaire qui nous occupe puisque la preuve au dossier, y compris la description de travail de la prestataire, révèle que Mme G.P. est une éducatrice de la petite enfance qui est réputée être une enseignante aux fins de l’application du Règlement et, à ce titre, n’a pas droit au bénéfice des prestations pendant la période de congé estivale.
    [Traduction]

    En ce qui concerne la constatation des faits, le conseil arbitral s’est trompé ou s’est mal exprimé en concluant que la prestataire n’était pas une éducatrice de la petite enfance. La prestataire se qualifie elle-même d’éducatrice de la petite enfance dans les documents versés au dossier et elle porte elle-même cette erreur à l’attention du juge-arbitre par la bouche de son avocat, A.B. La déclaration du conseil sur ce point se lit comme suit :

    Le conseil arbitral tient pour avéré que la prestataire n’est pas une éducatrice de la petite enfance selon la définition donnée dans la Loi sur l’éducation de l’Ontario puisqu’elle n’a pas de brevet d’enseignement de l’Ontario. Elle ne fait pas partie de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario. Elle ne peut ni faire passer les enfants à une classe supérieure, ni enseigner, ni préparer des plans d’enseignement, ni classer les étudiants. Elle travaille sous la supervision d’un enseignant breveté. Elle reçoit un salaire horaire qui lui est versé aux deux semaines et qui n’est pas du même ordre que celui d’un enseignant, elle touche sa paie de vacances pendant l’année et non pendant l’été (pièces 10.13 à 10.25).
    [Traduction]

    Une lecture attentive de la décision du conseil permet de constater que l’erreur tient très probablement à un problème de rédaction et non à une mauvaise compréhension de la preuve pertinente. L’ensemble de la décision montre que le conseil est très au fait de la preuve portée à sa connaissance. Ailleurs dans sa décision, il cite la preuve documentaire qui précise que la prestataire est une éducatrice de la petite enfance. De toute évidence, le conseil ne s’interrogeait pas sur le fait que Mme G.P. soit ou non une éducatrice de la petite enfance, mais se demandait plutôt si elle était ou non une enseignante au sens de l’article 33. La seule façon juste et sensée d’interpréter le paragraphe ci-dessus est d’y voir une mauvaise formulation : quand le conseil écrit que « la prestataire n’est pas une éducatrice de la petite enfance », il voulait plutôt écrire que « la prestataire n’est pas une enseignante ».

    La plupart des conclusions du conseil concernant les faits substantiels étaient conformes à la preuve dont il était saisi. Par exemple, le conseil a tenu compte du témoignage de l’employeur selon lequel la prestataire ne pouvait pas reporter ses crédits de congés de maladie (pièce 8) de même que d’autres faits substantiels du même genre dans les ententes contractuelles de la prestataire. Le conseil a également considéré des questions pertinentes, soit le motif de l’interruption de l’emploi (pièce 3), la situation professionnelle de la prestataire, les fonctions d’un enseignant comparativement à celles d’une éducatrice de la petite enfance et les avantages fournis.

    Le conseil n’a ni écarté ni dénaturé d’éléments de preuve substantiels. Compte tenu des délais serrés et du volume d’appels instruits par les conseils arbitraux, leurs décisions ne doivent pas être scrutées à la loupe (McKinnon c. Canada 2010 CAF 250, A-16-10). Ce qu’il faut, c’est que le conseil explique comment il en est arrivé à sa décision et, comme M. A.B. l’a indiqué dans son observation écrite ci-après, le conseil s’est conformé à cette exigence :

    L’exigence fondamentale, c’est que le conseil explique comment il en est arrivé à sa décision. Dans la présente instance, il est clair que le conseil a pris sa décision parce que Mme G.P. n’avait pas de brevet d’enseignement, ne faisait pas partie de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, n’avait pas les pouvoirs d’une enseignante, ne remplissait pas les responsabilités essentielles d’une enseignante et n’était pas rémunérée comme une enseignante.
    [Traduction]

    La Commission allègue que les affaires citées par le conseil ne représentent pas la jurisprudence applicable. Toutefois, selon Mme G.P. (et il s’agit du seul témoignage sur ce point), jusqu’à l’année en question, la Commission avait toujours accueilli sa demande de prestations. Comme la prestataire l’écrit dans sa lettre d’appel au conseil arbitral (pièce 7.1) :

    Je conteste cette décision parce que je ne suis pas une enseignante. Une enseignante reçoit un salaire et est payée 12 mois par année. Je suis une éducatrice de la petite enfance. Je suis rémunérée à l’heure et j’ai été mise en disponibilité le 25 juin 2010. [...] Selon ce que j’en sais, d’autres membres du personnel de soutien qui travaillent pour le conseil scolaire n’ont pas de difficulté à obtenir le bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Comme éducatrice de la petite enfance, j’ai obtenu sans difficulté des prestations d’assurance-emploi chaque été depuis neuf ans que je travaille pour le Lakehead Board of Education. Je ne pense pas qu’il soit correct d’informer une prestataire qu’elle n’aura pas droit aux prestations une semaine avant qu’elle fasse sa première déclaration. Je crois que quand des changements sont apportés aux conditions d’admissibilité, les prestataires devraient en être informés assez à l’avance. Cela leur permettrait de se préparer financièrement aux mois où ils seront mis à pied.
    [Traduction]

    Bien que cela ne soit pas déterminant pour la question centrale en l’espèce, l’expérience de Mme G.P. semble indiquer que la Commission aurait changé sa façon d’appliquer l’article 33, ce qui équivaut essentiellement à changer la loi. L’argumentation présentée au juge-arbitre ne contient ni explication ni précédent jurisprudentiel pour expliquer cette volte-face. La Commission se contente de conclure que « Mme G.P. est une éducatrice de la petite enfance qui est réputée être une enseignante aux fins de l’application du Règlement et qui, à ce titre, n’a pas droit au bénéfice des prestations pendant la période de congé estivale ». Toutefois, les actes passés ou présents de la Commission n’ont pas un effet déterminant sur le sort de la question de droit à trancher.

    Comme je l’ai expliqué ci-dessus, je ne pense pas que le conseil arbitral ait commis une erreur de fait contraire aux dispositions de l’alinéa 115(2)c) de la Loi. Il n’y a pas eu non plus violation des exigences du droit naturel et aucune d’ailleurs n’a été citée comme motif d’appel. La question à trancher c’est si le conseil a commis une erreur révocable en concluant sur la base des faits que Mme G.P. n’était pas assujettie aux dispositions de l’article 33 du Règlement. En examinant cette question, le sens donné au mot « enseignement » aux fins de l’application de l’article 33 est une question de droit (pour laquelle la norme de contrôle est celle de la décision correcte), mais son application subséquente aux faits de la présente espèce est une question mixte de fait et de droit (la norme est alors celle de la décision raisonnable ou raisonnabilité); Canada (PG) c. Blanchet 2007 CAF 377, A-103-06.

    La décision sous examen en l’instance porte essentiellement sur une question mixte de fait et de droit. La norme de contrôle est la raisonnabilité avec déférence accordée à la décision du conseil arbitral. La Commission plaide que la norme applicable est celle de la « raisonnabilité avec faible degré de référence » alors que la prestataire soutient que c’est « la raisonnabilité avec un degré élevé de référence ». Pour ma part, j’appliquerais la norme de la raisonnabilité en l’assortissant d’un critère simple de déférence, non qualifié de « faible » ou « élevé ». La Cour suprême du Canada a statué dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CCC 9, qu’il devrait y avoir une seule forme de contrôle de la « raisonnabilité ». Elle s’exprimait notamment en ces termes :

    [45] Nous concluons donc qu’il y a lieu de fondre en une seule les deux normes de raisonnabilité. Il en résulte un mécanisme de contrôle judiciaire emportant l’application de deux normes — celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable. Or, la nouvelle approche ne sera plus simple et plus facile à appliquer que si les concepts auxquels elle fait appel sont bien définis.

    [46] En quoi consiste cette nouvelle norme de la raisonnabilité? Bien que la raisonnabilité figure parmi les notions juridiques les plus usitées, elle est l’une des plus complexes. La question de ce qui est raisonnable, de la raisonnabilité ou de la rationalité nous interpelle dans tous les domaines du droit. Mais qu’est ce qu’une décision raisonnable? Comment la cour de révision reconnaît-elle une décision déraisonnable dans le contexte du droit administratif et, plus particulièrement, dans celui du contrôle judiciaire?

    [47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

    [48] L’application d’une seule norme de raisonnabilité n’ouvre pas la voie à une plus grande immixtion judiciaire ni ne constitue un retour au formalisme d’avant l’arrêt Southam. À cet égard, les décisions judiciaires n’ont peut-être pas exploré suffisamment la notion de déférence, si fondamentale au contrôle judiciaire en droit administratif. Que faut-il entendre par déférence dans ce contexte? C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » [...]

    [50] S’il importe que les cours de justice voient dans la raisonnabilité le fondement d’une norme empreinte de déférence, il ne fait par ailleurs aucun doute que la norme de la décision correcte doit continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit. On favorise ainsi le prononcé de décisions justes tout en évitant l’application incohérente et irrégulière du droit. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

    (2) Détermination de la bonne norme de contrôle

    [51] Après avoir examiné la nature des normes de contrôle, nous nous penchons maintenant sur le mode de détermination de la norme applicable dans un cas donné. Nous verrons qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité. Après avoir examiné la nature des normes de contrôle, nous nous penchons maintenant sur le mode de détermination de la norme applicable dans un cas donné. Nous verrons qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité.

    Toutefois, pour prendre sa décision, le conseil arbitral doit s’inspirer de la jurisprudence. En l’occurrence, il s’est fondé sur les CUB 56736 (qu’il a incorrectement cité comme étant le CUB 36736), 56742 et 60134. La Commission plaide que ces décisions sont différentes parce que les prestataires exercent des occupations différentes, ce sont dans les deux premiers cas des instructeurs de musique itinérants et dans le troisième, une assistante en éducation. Cependant, ces précédents font aussi appel à une analyse fondée sur les principes de facteurs sous-jacents, par exemple si la personne était titulaire d’un brevet d’enseignement, appartenait à l’Ordre des enseignantes et des enseignants ou encore exerçait l’autorité et les principales responsabilités d’un enseignant. M. A.B. a également attiré l’attention de la Commission et celle du juge-arbitre sur les décisions CUB 68744 et 73025. Même si dans ces deux décisions, les juges-arbitres ont statué que les éducateurs de la petite enfance étaient des enseignants au sens du paragraphe 33(2) du Règlement, leurs cas peuvent être considérés comme différents parce qu’ils correspondent à des situations factuelles en Saskatchewan (68744) et à l’Île-du-Prince-Édouard (73025) où le contexte peut ne pas être le même qu’en Ontario. J’ai également examiné les décisions CUB 69640, 66936A, 43503 et 28456.

    Au vu de ces diverses décisions, j’estime que le conseil en l’espèce s’est fondé sur les bonnes décisions ontariennes, à savoir les CUB 56736 et 56742. Même si ces affaires ne concernent pas un poste en éducation de la petite enfance, les décisions fournissent les principes pour l’établissement de critères afin de juger si une occupation particulière est visée par les dispositions du paragraphe 33(2) du Règlement. Par exemple, dans la décision 56736, la juge Krindle déclare en partie ce qui suit :

    En l’espèce, le prestataire était employé à titre d’instructeur de musique par la Commission scolaire de l’arrondissement de Toronto. Il travaillait ainsi pour la Commission presque à plein temps depuis douze années scolaires consécutives, à enseigner la musique instrumentale. Pour chacune de ces années, son emploi au sein de la Commission scolaire coïncidait avec l’année scolaire normale, pour la raison évidente que les élèves qui souhaitaient avoir un enseignement en musique instrumentale étaient présents pendant l’année scolaire normale et pas pendant les mois d’été. À la fin de chaque année scolaire, la Commission scolaire le mettait à pied et il devenait bénéficiaire de prestations d’assurance-emploi jusqu’à l’automne suivant, quand il reprenait l’enseignement de la musique.

    La preuve que le conseil arbitral avait en main corrobore sa conclusion que le prestataire ne possédait pas les qualités requises pour être un enseignant en Ontario, qu’il ne faisait pas partie des organisations dont les enseignants ontariens sont tenus de faire partie et qu’il n’assumait pas les responsabilités d’un enseignant en Ontario. À vrai dire, le conseil arbitral n’aurait pu raisonnablement en arriver à une autre conclusion. Tout le régime d’emploi du prestataire est radicalement différent du régime auquel sont assujetties les personnes qui, en Ontario, sont considérées comme étant des « enseignants ».

    En Ontario, la Loi sur l’éducation (L.R.O. 1990, ch. E.2) distingue entre enseignants et instructeurs. Les enseignants sont autorisés à donner des cours pour lesquels le Règlement les oblige à être membres de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, des cours qui donnent des crédits et qui concourent à l’obtention d’un grade. Les instructeurs ne sont autorisés à donner de l’instruction que dans les cours autres que ceux qui donnent des crédits. Au sens de la Loi sur l’éducation de l’Ontario, le prestataire entrait dans la catégorie des instructeurs et il n’était pas autorisé à donner de l’enseignement dans le cadre de cours qui donnaient des crédits. Les commissions scolaires sont tenues de nommer, pour chaque école, un directeur et un nombre suffisant d’enseignants qui doivent tous être membres de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario conformément à l’article 12 de la Loi sur l’éducation. L’engagement du prestataire à titre d’instructeur itinérant de musique ne contribuait pas à faire que la Commission scolaire s’acquittait de la responsabilité que lui fait la Loi de disposer d’un nombre suffisant d’enseignants.

    La juge-arbitre poursuit en analysant d’autres caractéristiques distinctives, par exemple les syndicats qui peuvent représenter les enseignants, le caractère autoréglementé de la profession, les qualités requises pour être enseignant et d’autres détails du genre. Tout cela montre que si on adopte une approche fondée sur les principes, on ne peut pas distinguer un précédent d’un autre en se basant exclusivement sur l’occupation, par exemple un enseignant itinérant par rapport à une éducatrice de la petite enfance. Si l’on applique dans la présente instance les mêmes principes que ceux que la juge Krindle a appliqués dans le CUB 56736, on voit immédiatement la pertinence du précédent. Il s’agissait d’une source de droit très appropriée sur laquelle le conseil arbitral s’est fondé en l’instance pour rendre sa décision sur une question mixte de fait et de droit. Dans la présente affaire, le conseil arbitral a appliqué des critères factuels analogues à ceux qui avaient été utilisés dans la décision CUB 56736 où la juge-arbitre a rendu la décision suivante :

    Le conseil arbitral avait en main des éléments de preuve qui indiquaient les tâches et les responsabilités des enseignants ainsi que les tâches et les responsabilités du prestataire. Le conseil arbitral avait en main des éléments de preuve indiquant que le prestataire n’était pas rémunéré de la même façon et au même montant que les enseignants. Le conseil arbitral avait en main des éléments de preuve indiquant que le prestataire faisait partie d’un syndicat qui représentait du personnel de soutien et qui était légalement inapte à représenter des enseignants. Le conseil arbitral avait en main des éléments de preuve indiquant que le prestataire était inadmissible au statut de membre de l’organisation qui représentait les enseignants.

    Il était raisonnablement possible pour le conseil arbitral de conclure, à partir de l’information tant factuelle que juridique qu’il avait en main, que le prestataire n’était pas un enseignant au sens donné à ce mot dans la Loi et le Règlement sur l’assurance-emploi et n’était par conséquent inadmissible au bénéfice des prestations pendant la période de congé qui allait du 1er juillet 2002 au 31 août 2002.

    La décision de la juge Krindle consiste essentiellement à accorder de la déférence à la décision du conseil arbitral, conformément à l’avis donné par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir. Il convient de noter qu’à la différence des autres CUB, cette décision de la juge Krindle (tout comme celle qu’elle a rendue dans le CUB 56742) a été portée en appel devant la Cour d’appel fédérale qui a rejeté l’appel en ces termes :

    [1] Malgré les arguments présentés par l’avocat, nous ne sommes pas convaincus que la juge-arbitre a rendu une décision déraisonnable lorsqu’elle a conclu que le conseil arbitral pouvait raisonnablement tirer les conclusions de fait qu’il avait tirées, et qu’elle a rejeté l’appel sur ce fondement.

    Une autre raison pour laquelle il convient d’accorder de la déférence à la décision d’un conseil arbitral dans des affaires comme la présente en vertu du paragraphe 33(2) du Règlement, c’est que les dispositions en question restreignent la portée de dispositions législatives par ailleurs destinées à accorder des prestations. L’alinéa 54j) de la Loi accorde énormément de latitude pour prendre des règlements qui élimineraient toute ambigüité quant à la situation des éducateurs de la petite enfance en regard du paragraphe 33(2) du Règlement. Nonobstant, il convient d’accorder déférence à la décision du conseil arbitral si celui-ci applique correctement les précédents jurisprudentiels en exerçant sa fonction primaire qui est l’appréciation des faits. En l’espèce, le conseil arbitral a conclu ce qui suit :

    Le conseil arbitral tient pour avéré que la Commission a considéré à tort la prestataire comme une « enseignante ». La preuve fournie par le représentant de la prestataire démontre clairement que celle-ci n’est pas une enseignante ni une employée contractuelle. Elle est une employée membre du personnel de soutien permanent.
    [Traduction]

    Il était raisonnablement loisible au conseil arbitral, à la lumière de l’information factuelle et juridique qui lui était présentée, de conclure que la prestataire n’était pas une enseignante au sens de la Loi et du Règlement sur l’assurance-emploi et qu’elle ne devait donc pas être privée du bénéfice des prestations pendant la période de congé scolaire, soit du 28 juin au 6 septembre 2010.

    C’était là une conclusion de fait que le conseil pouvait raisonnablement tirer sur la foi de la preuve portée à sa connaissance.

    L’appel est en conséquence rejeté.

    Gerald T.G. Seniuk

    JUGE-ARBITRE

    Saskatoon (Saskatchewan)
    Le 21 janvier 2011

    2011-01-16