TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d’une demande de prestations présentée par
O.Y.
- et -
d’un appel interjeté devant un juge-arbitre par l’employeur, Passeport Canada, à l’encontre de la décision rendue par un conseil arbitral
à Gatineau (Québec) le 3 février 2010
Le juge-arbitre GUY GOULARD
Le prestataire a travaillé pour Passeport Canada jusqu’au 17 juillet 2009. Il a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi et une période initiale de prestations débutant le 19 juillet 2009 a été établie à son profit. La Commission a déterminé que le prestataire n'avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite et a avisé l'employeur de cette décision.
L'employeur a porté la décision de la Commission en appel devant un conseil arbitral qui a rejeté l'appel. Il a ensuite appelé de la décision du conseil. Cet appel a été instruit à Ottawa, en Ontario, le 17 décembre 2010 Le prestataire a assisté à l’audience et était représenté par Mme A.B. L’employeur était représenté par Mme F.X.
Dans sa demande de prestations, le prestataire a déclaré qu'il avait été congédié parce que son employeur l'avait accusé d'accorder des passe-droits à certains demandeurs de passeports. Il a indiqué qu'il entendait prouver en cour que ce dont il était accusé était en fait une pratique courante depuis qu'il avait commencé à travailler pour cet employeur en 1992. Il a ajouté que l'employeur n'avait pas de politique à l'égard de tels comportements et qu'il n'y avait eu aucun incident de cette nature au cours des six derniers mois. Son syndicat l'a soutenu.
La Commission a demandé des précisions à l'employeur concernant le motif de congédiement du prestataire, mais elle n'a pas obtenu l'information demandée. L'employeur a indiqué qu'il ne pouvait donner de détails à propos des allégations qui pesaient contre le prestataire parce qu'une enquête était en cours. En l'absence de preuve d'inconduite, la Commission a conclu que le prestataire ne s'était pas rendu coupable d'inconduite et l'a déclaré admissible au bénéfice des prestations.
Dans son avis d'appel devant le conseil arbitral, l'employeur a indiqué que le prestataire avait été congédié pour avoir accordé un traitement préférentiel à des personnes qu'il connaissait en leur délivrant des passeports sans appliquer les pratiques et les procédures approuvées et sans exiger les frais connexes. La Commission a ajouté que le prestataire avait profité personnellement de privilèges découlant de sa conduite et qu'il avait falsifié des données dans le système informatique.
La Commission a tenté à plusieurs reprises d'obtenir une copie du rapport d'enquête de l'employeur et de sa politique concernant le traitement préférentiel accordé aux demandeurs de passeport. Bien que l'employeur ait indiqué qu'il fournirait ces renseignements, il ne l'a jamais fait.
À l'audience devant le conseil, l'employeur était représenté par Mme F.X. et M. L.Y. Le prestataire a participé à l'audience par téléconférence et était représenté par M. E.R. L'employeur a produit une copie de la lettre de congédiement du prestataire confirmant les raisons déjà invoquées pour justifier le congédiement. L'employeur a soutenu que le prestataire était la personne qui avait le plus souvent recours au traitement de faveur et il en avait bénéficié puisqu'il avait reçu des cadeaux en échange des services. Le prestataire a nié avoir reçu des cadeaux et a déclaré que les articles mentionnés par l'employeur lui avaient été donnés par un ami et non par des clients du public. Le prestataire et son représentant ont souligné que le représentant de l'employeur avait admis que le processus accéléré de délivrance de permis était une pratique courante depuis longtemps. Lorsque la présidence du conseil a demandé s'il était possible de recevoir le rapport d'enquête de l'employeur sur le comportement reproché au prestataire, le représentant de l'employeur a déclaré qu'une copie avait été remise au prestataire, mais qu'il ne pouvait fournir une copie au conseil sans qu'une demande soit faite en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.
Le conseil arbitral a résumé la preuve et a constaté que l'employeur n'avait pas fourni à la Commission des éléments de preuve à l'appui de ses allégations contre le prestataire, malgré des demandes répétées. Le conseil a conclu que l'employeur n'avait pas fourni d'éléments de preuve raisonnables, fiables et dignes de foi et que la preuve présentée n'était pas suffisamment claire et factuelle pour appuyer sa position. Le conseil a rejeté l'appel de l'employeur pour les motifs suivants :
« Le conseil arbitral conclut que la lettre de cessation d'emploi fournissait suffisamment d'information pour lui permettre de rendre une décision équitable pour toutes les parties. Selon la prépondérance des probabilités, le conseil conclut que rien n'indique que le prestataire pouvait s'attendre à être congédié après avoir eu recours à une pratique établie depuis des années. Le conseil conclut que le fait que le prestataire avait plus souvent recours à cette pratique que les autres employés qui n’avaient pas été sanctionnés ne constitue pas une preuve qu’il avait agi sciemment, sans tenir compte des conséquences possibles de ses actes. L'information fournie ne permet pas de jeter un nouvel éclairage sur la question que doit trancher le conseil, à savoir s'il y a eu inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi. Le conseil arbitral constate que le fait que l'employeur ait entrepris d'autres procédures judiciaires ou processus décisionnels ne permet pas de déterminer qu’il y a eu inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi. Enfin, pour établir la crédibilité du prestataire, le conseil reconnaît qu'il ne peut ignorer le fait qu'il compte 18 années de service et qu’il n’a fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire.
Le conseil arbitral conclut que la preuve dont il dispose ne suffit pas à renverser le fardeau de la preuve au sens de la Loi sur l'assurance-emploi et de l’abondante jurisprudence en matière d’inconduite. Après avoir examiné la preuve au dossier et entendu le témoignage de l’employeur, le conseil arbitral est d’avis que rien n’indique que le prestataire avait été informé avant l’incident que de telles pratiques étaient déconseillées ou non permises par l’organisation.
Dans les circonstances, le conseil souscrit à la décision de la Commission d'accorder le bénéfice du doute au prestataire conformément au paragraphe 49(2) de la Loi sur l'assurance-emploi. »
[Traduction]
En appel de la décision du conseil arbitral, le représentant de l'employeur a fait valoir que le conseil aurait dû accepter la lettre de congédiement du prestataire ainsi que le témoignage des deux représentants de l'employeur comme preuve suffisante permettant de conclure que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Le représentant de l'employeur voulait déposer un affidavit pour ajouter des éléments de preuve qui n'avaient pas été présentés à l'audience. Je remarque que la personne qui a signé cet affidavit, M. L.Y., s'était présentée devant le conseil. Il n’y avait rien dans cet affidavit qui n’aurait pas pu être présenté à l’audience. Cette preuve n’a donc pas été acceptée.
La Commission et le prestataire ont soutenu que la décision du conseil était entièrement compatible avec la preuve présentée au conseil et que l'appel de l'employeur devrait être rejeté. Le prestataire a déclaré qu'il avait essayé de déposer le rapport d'enquête de l'employeur, mais que le conseil avait refusé de l’accepter en raison de l'argument présenté par l'employeur concernant la Loi sur l'accès à l'information. Le prestataire a répété que la pratique consistant à accélérer le traitement des passeports existe depuis longtemps et qu'il n'a pas utilisé ce processus de manière inappropriée. Il a déclaré qu’il n’aurait pas pu s’attendre à être congédié pour avoir eu recours à ce processus.
La question de savoir si un prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite repose essentiellement sur l'examen et l’appréciation des faits. La jurisprudence a établi sans équivoque que le conseil arbitral est le principal juge des faits dans les affaires relatives à l'assurance-emploi.
Dans l’arrêt Guay (A-1036-96), le juge Marceau s’est exprimé ainsi :
« Nous sommes tous d'avis, après ce long échange avec les procureurs, que cette demande de contrôle judiciaire portée à l'encontre d'une décision d'un juge-arbitre agissant sous l'autorité de la Loi sur l'assurance-chômage se doit de réussir. Nous pensons, en effet, qu'en contredisant, comme il l'a fait, la décision unanime du conseil arbitral, le juge-arbitre n'a pas respecté les limites dans lesquelles la Loi assoit son pouvoir de contrôle.
[...]
De toute façon, dans tous les cas, c’est le conseil arbitral – le pivot de tout le système mis en place par la Loi pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation – qui est celui qui doit apprécier. »
Dans Ash (A-115-94), la juge Desjardins a écrit ce qui suit :
« Il ressort clairement de la décision du conseil que l'opinion majoritaire et l'opinion minoritaire avaient toutes deux été examinées à fond. Certes, les tenants de l'opinion majoritaire auraient pu conclure autrement, mais ils ont choisi de ne pas croire la prétention de l'intimé portant qu'il avait quitté son emploi en raison de sa santé. La juge-arbitre ne pouvait substituer son opinion à celle de la majorité. Les membres du conseil étaient les mieux placés et les mieux en mesure d'apprécier la preuve et de tirer des conclusions relativement à la crédibilité. »
Et dans l'arrêt Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), le juge Létourneau a indiqué que le rôle d'un juge-arbitre se limite à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier.
Dans l'arrêt Castonguay (et autres), j'ai fait référence à la jurisprudence, notamment aux arrêts Tucker (A-381-85), McKay-Eden (A-402-96) et Langlois (A-94-95) et j'ai souligné que dans l'arrêt Langlois (supra), le juge Pratte a déclaré ce qui suit :
« L'inconduite dont parle l'article 28(1), et qui, comme le fait de quitter volontairement son emploi, entraîne, suivant l'article 30.1, l'exclusion du prestataire du bénéfice des prestations pour toute la durée de sa période de prestations, n'est pas un simple manquement de l'employé à n'importe quelle obligation liée à son emploi; c'est un manquement d'une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu'il serait susceptible de provoquer son congédiement. »
J'ai aussi cité l'arrêt Choinière (A-471-95), dans lequel la Cour d'appel fédérale a établi que le fait qu'un employeur juge qu'un comportement justifie un congédiement ne suffit pas, en soi, à établir que ledit comportement constitue une inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi. Dans cet arrêt, le juge Marceau s'est exprimé ainsi :
« Nous ne le croyons pas, tenant compte de la jurisprudence de cette Cour qui s'est employée, à maintes reprises récemment, à répéter qu'on avait eu tort de penser un moment que l'opinion de l'employeur sur l'existence d'une inconduite justifiant le congédiement pouvait suffire à mettre en application la pénalité devenue si lourde de l'article 28 et qu'il fallait, au contraire, une appréciation objective permettant de dire que l'inconduite avait vraiment été la cause de la perte de l'emploi. »
En l'espèce, le conseil a revu la preuve et a conclu que le prestataire n'aurait pas pu soupçonner que son comportement pouvait mettre en danger son emploi, étant donné qu'il s'agissait d'une pratique établie depuis longtemps. Dans une décision bien structurée, le conseil a expliqué pourquoi il a conclu, en tenant compte de l'ensemble de la preuve, que les gestes du prestataire ne constituaient pas de l'inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi. Cette conclusion est entièrement compatible avec la preuve présentée au conseil.
Par conséquent, j'estime que l'employeur n'a pas établi que le conseil avait erré en concluant que le prestataire n'avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite.
En conséquence, l’appel est rejeté.
Guy Goulard
JUGE-ARBITRE
OTTAWA (Ontario)
Le 21 janvier 2011