TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d'une demande de prestations présentée par
C.P.
- et -
d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par le prestataire
à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral
à North York (Ontario) le 10 décembre 2009
Le juge-arbitre L.-P. LANDRY
Le prestataire porte en appel la décision d'un conseil arbitral donnant raison à la Commission qui avait jugé qu'il n'était pas admissible au bénéfice des prestations parce qu'il avait perdu son emploi à cause de son inconduite aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi. Il interjette également appel de la décision du conseil qui a déterminé, en application de l'alinéa 37a) de la Loi, qu'il n'avait pas prouvé qu'il était disponible pour travailler pendant la période du 11 au 30 juin 2009.
Le 7 février 2011, le prestataire a demandé l'ajournement de l'audience qui devait avoir lieu le 10 février à Toronto. Il a affirmé que l'audience devait être remise à une date à fixer après la fin de son procès, prévu pour le 24 novembre 2011 à Toronto, alléguant que le résultat du procès serait pertinent pour la question à trancher. Pour les motifs exposés ci-après, j'estime que les fins de la justice seront mieux servies si l'affaire est renvoyée devant un autre conseil arbitral qui instruira l'affaire à nouveau à une date qui sera déterminée après le procès.
Le 11 juin 2009, le prestataire a été arrêté à son travail dans les locaux de son employeur, CSEO General. Il a été inculpé de vol à main armée relativement à un vol commis en février 2009 dans l'entrepôt de son employeur. Il a été détenu sans possibilité de libération sous caution jusqu'au 30 juin. À cette date, il a obtenu une libération sous caution assortie de diverses conditions, notamment l'obligation de vivre chez ses parents et l'interdiction de communiquer avec son employeur. La preuve montre que l'employeur était au courant de l'incarcération du prestataire et, semble-t-il, a lui-même désigné le prestataire à la police comme l'un des suspects possibles.
L'employeur a congédié le prestataire le 25 juin 2009 en justifiant sa décision par le fait que celui-ci n'était pas venu travailler pendant trois jours sans être en congé autorisé, en contravention à l'alinéa 14.02(f) de la convention collective. La lettre précisait également :
« Nous savons que vous avez été arrêté relativement à un vol à main armée commis dans l'entrepôt où vous travaillez. Veuillez prendre note que nous nous réservons le droit d'invoquer d'autres motifs de congédiement reliés à votre participation présumée à ce vol si nous le jugeons nécessaire. »
[Traduction]
Le conseil arbitral a conclu que l'employeur « avait le droit de congédier le prestataire pour avoir enfreint les conditions d'embauche énoncées à l'alinéa 14.2(f) »
[Traduction].
Il poursuit en ces termes :
« Le conseil tient pour avéré que le prestataire a perdu son emploi à cause de son inconduite. Ce sont ses actes présumés qui lui ont valu de se voir imposer une condition de libération sous caution qui l'empêchait de se présenter au travail. »
[Traduction]
Après un renvoi à la décision CUB 42431, le conseil ajoute ce qui suit :
« Comme dans l'affaire qui nous occupe, l'employeur ne pouvait plus avoir confiance dans le prestataire après que celui-ci eut été inculpé de vol à main armée et de séquestration sur le lieu de travail. Le prestataire a trahi la confiance de son employeur alors que celle-ci constituait une condition d'emploi essentielle. »
[Traduction]
Il appert donc, à la lecture de ce qui précède, que le conseil a conclu que le prestataire était responsable de son incarcération. Selon le conseil, l'incarcération est le résultat des « actes présumés » du prestataire.
La décision du conseil est fondée sur une conclusion d'inconduite. Selon la Loi, pour qu'il y ait inconduite, l'acte reproché doit avoir été délibéré ou d'une insouciance telle qu'elle frôle le caractère délibéré. Est-ce délibérément que le prestataire n'a pas obtenu de congé avant d'être arrêté? La réponse à cette question est évidemment non. Le prestataire a été arrêté à son travail, devant son chef de service. L'employeur savait que le prestataire était incarcéré après son arrestation. Se demander si l'employeur pouvait légitiment congédier le prestataire n'est pas la question qui se pose en l'instance. Il faut trancher en se fondant sur l'article 30 de la Loi.
Le conseil semble présumer que le prestataire est responsable de sa situation malheureuse. Ce serait le cas s'il était prouvé que celui-ci a bien commis le crime dont on l'accuse. Pour qu'un acte criminel ait été commis, il faut que le caractère délibéré, l'intention coupable soient prouvés. Si, à cause de la perpétration d'un acte criminel, une personne est condamnée à une période d'incarcération, elle n'est plus capable d'exercer un emploi pendant sa peine d'emprisonnement. Son incapacité d'exercer son emploi résulte d'une incarcération provoquée par une inconduite volontaire, à savoir la perpétration d'un acte criminel.
En l'espèce, la Commission n'a présenté au conseil arbitral aucune preuve de la perpétration d'un vol. La preuve de la participation du prestataire au vol aurait pu être présentée au conseil. L'absence de déclaration de culpabilité n'empêcherait pas ce dernier de conclure, à la lumière de la preuve portée à sa connaissance, que le prestataire a commis un acte volontaire qui constitue de l'inconduite. Le simple fait qu'il y ait eu arrestation et inculpation n'est pas probant.
Le conseil cite la jurisprudence hors contexte. Par exemple, il renvoie à la décision CUB 42431 où le juge-arbitre Marin a statué qu'une condamnation n'était pas nécessaire pour qu'un conseil arbitral puisse conclure qu'un employé a volé ou tenté de voler des articles appartenant à son employeur. Il importe de noter que dans l'affaire en question, le conseil a entendu un témoignage relatant les actes commis par l'employé. La preuve a démontré que l'employé avait sorti des blue-jeans des locaux de son employeur et les avait placés dans sa voiture. Dans l'affaire qui nous occupe, aucune preuve n'a été présentée de la perpétration par le prestataire du vol dont il est accusé.
Le conseil s'est aussi appuyé sur la décision CUB 72809 où le juge-arbitre Goulard écrit ce qui suit :
« Il est bien établi dans la jurisprudence que le fait de ne pas se présenter au travail au moment convenu sans en aviser son employeur constitue de l'inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (décisions CUB 32458, 54837 et 63776). Il est aussi bien établi que le prestataire qui perd son emploi parce qu'il n'a pu se présenter au travail en raison d'une incarcération est coupable d'inconduite (arrêts Borden [A-338-03], Lavallée [A-720-01], Easson [A-1598-92], Brissette [A-1342-92]). Dans l'arrêt Borden (précité), le juge Létourneau a écrit ce qui suit :
« Le fait est que l'emploi du défendeur a pris fin lorsqu'il a été incarcéré, parce qu'il ne pouvait plus remplir une condition essentielle de son contrat de travail. Comme la Cour suprême du Canada l'a établi dans l'arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maksteel Québec Inc., 2003 CSC 68, aux paragraphes 32 et 33, lorsqu'un employé qui ne peut travailler parce qu'il est incarcéré est renvoyé, ‘le congédiement découle [...] de l'indisponibilité de l'employé. Cette indisponibilité est une conséquence inéluctable de la privation de liberté qui est légitimement imposée à l'employé qui a commis un acte prohibé. [...] Tout contrevenant doit subir les conséquences découlant de son emprisonnement, voire la perte de son emploi en cas d'indisponibilité'." »
En ce qui a trait à la première partie de la citation ci-dessus, le juge-arbitre Goulard se réfère à trois cas de congédiement pour absentéisme. Les décisions CUB 32458 et 63776 portent sur des cas d'absences répétées du travail sans préavis. La décision CUB 54837 porte sur le cas d'un employé qui ne s'est pas présenté au travail du 9 au 26 avril 2001 sans jamais aviser l'employeur. En l'occurrence, l'employé en question était parti parier dans des casinos. Dans tous ces cas, la conduite des employés a été jugée volontaire.
Dans l'affaire Borden précitée, le prestataire a perdu son emploi après avoir été condamné à deux ans de prison pour un acte criminel. Dans l'affaire Lavallée, le prestataire, incapable d'acquitter une amende de 9 000 $ qui lui était réclamée pour des infractions au code de sécurité routière, a dû faire de la prison et il a été congédié parce qu'il ne pouvait pas travailler pendant cette période. Dans l'affaire Brissette, le prestataire a perdu son emploi parce que son permis de conduire lui avait été retiré à la suite d'une condamnation pour conduite en état d'ébriété. L'affaire Easson porte sur un cas de congédiement pour absentéisme.
On notera qu'aucune des affaires ci-dessus ne correspond à la présente espèce. Dans tous ces cas, l'inconduite a été établie par suite d'absences répétées du travail sans préavis ou en raison de l'incapacité de travailler résultant de peines sanctionnant des actes criminels ou des infractions au code de sécurité routière. Les absences en question étaient volontaires. Les délits sanctionnés étaient aussi volontaires.
Dans la présente instance, l'absence du prestataire du travail n'était pas volontaire. Toutefois, s'il était prouvé que son incarcération était justifiée à cause de la perpétration d'un acte criminel, on pourrait conclure que cette absence résultait d'un acte volontaire et constituait de l'inconduite au sens de la Loi. Afin de pouvoir tirer cette conclusion, il faut que la preuve de l'acte illégal soit présentée au conseil, soit sous la forme d'une preuve de condamnation, ou d'éléments de preuve montrant que le prestataire a délibérément commis le vol dont il est accusé ou y a volontairement participé.
L'affaire Meunier c. C.A.E.C. (A-130-96) porte sur le cas d'un employé qui a été congédié après avoir été inculpé d'agression sexuelle. La seule preuve qui était présentée au conseil, c'était que des accusations avaient été portées. La Cour d'appel fédérale a statué sans équivoque que le fait qu'il y ait inculpation ne suffit pas à autoriser une conclusion d'inconduite. Le juge Décary a déclaré ce qui suit :
« La Commission, à notre avis, n'a pas fait son devoir. Il n'est pas suffisant, pour démontrer l'inconduite que sanctionne l'article 28 et le lien entre cette inconduite et l'emploi, de faire état du dépôt d'allégations de nature criminelle non encore prouvées au moment de la cessation d'emploi et de s'en remettre, sans autre vérification, aux spéculations de l'employeur. Les conséquences qui s'attachent à une perte d'emploi en raison d'inconduite sont sérieuses. On ne peut pas laisser la Commission et, après elle, le conseil arbitral et le juge-arbitre, se satisfaire de la seule version des faits, non vérifiée, de l'employeur à l'égard d'agissements qui ne sont, au moment où l'employeur prend sa décision, qu'allégations non prouvées. Il est certain que la Commission pourra se décharger de son fardeau plus facilement si l'employeur a pris sa décision, par exemple, après la tenue de l'enquête préliminaire et, a fortiori, s'il l'a prise après le procès. »
Pour ces motifs, je conclus donc que le conseil arbitral a commis une erreur de droit et qu'il convient de renvoyer l'affaire devant un nouveau conseil arbitral afin de permettre aux parties de produire de nouveaux éléments de preuve et notamment le jugement définitif à l'égard des accusations portées contre le prestataire au criminel.
J'accueille donc l'appel, j'annule la décision du conseil et je renvoie l'affaire devant un conseil arbitral composé de membres différents. La date de l'audience devant le nouveau conseil arbitral sera fixée après que le jugement définitif aura été rendu à l'égard des accusations portées contre le prestataire. La décision du premier conseil arbitral sera retirée du dossier.
L.-P. Landry
JUGE-ARBITRE
GATINEAU (Québec)
Le 21 février 2011