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  • CUB 76922

    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-251-11

    TRADUCTION

    DANS L’AFFAIRE de la LOI SUR L’ASSURANCE-EMPLOI

    et

    d’une demande de prestations présentée par
    B.Y.

    et

    d’un appel interjeté devant un juge-arbitre par la Commission
    à l’encontre de la décision rendue par un conseil arbitral
    à Kitchener (Ontario) le 20 avril 2010

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GERALD T.G. SENIUK

    La Commission interjette appel de la décision d’un conseil arbitral qui a accordé une antidatation au prestataire aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi.

    M. B.Y. a présenté une demande initiale de prestations d’assurance-emploi le 19 octobre 2009 et celle-ci a pris effet le 11 octobre 2009 (pièces 2-1 à 2-13). Son dernier jour de travail au Collège Conestoga était le 24 juillet 2009. M. B.Y. a cessé de travailler en raison d’un manque de travail (pièce 3). Lorsqu’on lui a demandé, par le biais du système de demande électronique, pourquoi il n’avait pas présenté sa demande de prestations plus tôt, M. B.Y. a répondu qu’il cherchait du travail ou qu’il attendait de reprendre son ancien emploi (pièce 2.5).

    M. B.Y. a demandé officiellement que sa demande de prestations soit antidatée afin de prendre effet le dernier jeudi d’avril 2009. Il a expliqué qu’il était enseignant à contrat dans un collège et qu’il n’avait pas présenté sa demande immédiatement après son dernier jour de travail le 17 avril 2009 (pièce 4) parce qu’il s’attendait à retourner au travail en septembre 2009, comme il l’avait fait les années précédentes. Par le passé, il touchait des prestations durant l’été, mais cette fois-ci, au lieu de présenter sa demande de prestations immédiatement, il a décidé de vivre de sa rémunération et du petit nombre d’heures qu’il recevait du collège en attendant de retourner travailler à temps plein en septembre. Lorsque son contrat n’a pas été renouvelé, M. B.Y. ne savait pas que la présentation tardive de sa demande aurait une incidence sur son taux de prestations. Il a donc demandé que sa période de prestations débute en avril 2009 (pièce 6).

    La Commission a conclu que M. B.Y. n’avait pas prouvé qu’il avait un motif valable pendant toute la période où il avait tardé à présenter sa demande de prestations d’assurance-emploi parce qu’il avait négligé de s’assurer que sa demande était déposée à temps. M. B.Y. a tardé pendant 27 semaines après son dernier jour de travail à présenter sa demande de prestations.

    Dans son appel devant le conseil arbitral, M. B.Y. a expliqué plus en détail les raisons de son retard (pièce 8). Plus particulièrement, il n’a pas présenté sa demande en avril 2009 parce que, comme il allait se marier et partir en voyage de noces, il ne pourrait pas satisfaire aux exigences de l’assurance-emploi selon lesquelles il devait être disponible pour travailler en tout temps. Il n’a pas déposé sa demande en août 2009 parce que l’année scolaire allait débuter pendant la première semaine de septembre et qu’il aurait donc été inutile de le faire étant donné qu’il aurait seulement purgé son délai de carence avant le début du trimestre. Le cours qu’il donnait a été annulé parce que la demande de financement au gouvernement n’a pas été approuvée.

    Le conseil arbitral a tenu compte de tous les faits susmentionnés et a conclu notamment ce qui suit (pièce 10) :

    Les prestataires qui souhaitent demander des prestations d’assurance-emploi pour une période antérieure doivent d’abord y être admissibles à la date antérieure, puis démontrer qu’ils avaient, pendant toute la période écoulée, un motif valable justifiant la présentation tardive de leur demande. Un motif valable peut être des circonstances indépendantes de leur volonté qui les ont empêchés de présenter leur demande plus tôt.

    En l’espèce, le conseil doit déterminer si les raisons invoquées par le prestataire constituent un motif valable. Le prestataire a fait ce qu’une personne raisonnable aurait fait lorsqu’il a supposé que son cours se donnerait encore en septembre 2010, comme par le passé. Le fait que le financement du gouvernement de l’Ontario a été annulé abruptement ne dépendait certainement pas de sa volonté. D’après les informations parues dans la presse à l’époque, beaucoup de gens étaient sans emploi et étaient censés recevoir une aide financière dans le cadre du programme Deuxième carrière ou d’un autre programme de formation, mais le financement a été annulé. De plus, selon les courriels versés au dossier, nous estimons que le prestataire avait tout lieu de s’attendre à ce que son travail reprenne (pièces 8-7 et 8-8).

    Nous nous fondons sur les décisions CUB 70432 et CUB 70431-A. Dans le CUB 70432, le juge-arbitre a conclu que le conseil arbitral avait commis deux erreurs de droit en rendant sa décision. Premièrement, le conseil a omis de se pencher sur toutes les explications fournies par le prestataire pour justifier la présentation tardive de sa demande de prestations.

    Dan la présente affaire, le conseil estime que le prestataire a fait ce qu’une personne raisonnable aurait fait, tout d’abord en ne présentant pas sa demande immédiatement en avril 2009 puisqu’il savait qu’il ne serait pas disponible pour travailler en tout temps étant donné qu’il allait se marier et partir en voyage de noces (pièce 8-1). Même si le prestataire avait reçu des prestations au cours des étés précédents où il était en congé, il a été honnête lorsqu’il n’a pas présenté sa demande tout de suite puisqu’il savait qu’il ne serait pas disponible immédiatement pour travailler.

    De plus, le prestataire a également agi comme une personne raisonnable l’aurait fait en ne présentant pas sa demande pendant l’été puisqu’il estimait qu’il avait assez d’argent pour vivre et qu’il travaillerait un peu au collège pendant l’été comme il l’a d’ailleurs fait (pièce 3-1). Par la suite, il était inutile de présenter une demande puisque l’école allait commencer, comme cela avait toujours été le cas, en septembre 2010.

    Le fait que le financement du gouvernement a pris abruptement fin était totalement indépendant de la volonté du prestataire. En septembre, lorsqu’il a été informé que son cours ne débuterait pas avant novembre ou peut-être janvier, il a essayé de joindre les deux bouts pendant deux semaines et a ensuite demandé des prestations.

    Dans la décision CUB 46663, le juge Mullen a également cité l’arrêt Albrecht:

    À mon avis, lorsqu’un prestataire a omis de formuler sa demande dans le délai imparti et qu’en dernière analyse, l’ignorance de la loi est le motif de cette omission, on devrait considérer qu’il a prouvé l’existence d’un « motif valable » s’il réussit à démontrer qu’il a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s’assurer des droits et obligations que lui impose la Loi. Cela signifie que chaque cas doit être jugé suivant ses faits propres et, à cet égard, il n’existe pas de principe clair et facilement applicable; une appréciation en partie subjective des faits est requise, ce qui exclut toute possibilité d’un critère exclusivement objectif. Je crois cependant que c’est là ce que le législateur avait en vue et c’est, à mon avis, ce que la justice commande.

    Le conseil estime que, compte tenu des raisons invoquées pour justifier son retard, le prestataire a fait ce qu’une personne raisonnable aurait fait pour les raisons mentionnées ci-dessus.
    [Traduction]

    La Commission a interjeté appel de la décision du conseil arbitral devant le juge-arbitre, affirmant que le conseil avait commis une erreur de droit, mal interprété le critère juridique du motif valable et mal appliqué la jurisprudence. Elle a également soutenu que le conseil avait commis une erreur de fait et de droit lorsqu’il avait déterminé que le prestataire avait agi comme une personne raisonnable l’aurait fait pendant toute la période du retard.

    Le conseil arbitral a manifestement appliqué les dispositions législatives pertinentes. Le paragraphe 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi permet à un prestataire, dans certains cas, de présenter sa demande initiale de prestations après la date où elle aurait dû être déposée. Il renferme une politique, sous forme d’exigence, qui participe d’une saine et efficiente administration de la Loi. D’une part, cette politique permet de veiller à la bonne gestion et au traitement efficace des demandes de prestations ainsi qu’à la Commission de vérifier constamment l’admissibilité continue des prestataires à qui des prestations sont versées. L’obligation de présenter avec célérité sa demande de prestations est considérée comme étant très exigeante et très stricte. C’est la raison pour laquelle l’exception relative au « motif valable justifiant le retard » est appliquée parcimonieusement (Canada (P.G.) c. Beaudin, [2005] A.C.F. no 588 (C.A.F.), A-341-04; Canada (P.G.) c. Brace, 2008 CAF 118, A-481-07; Canada (P.G.) c. Scott, 2008 CAF 145, A-403-07).

    Pour établir l’existence d’un « motif valable », le prestataire doit démontrer qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans les mêmes circonstances, que ce soit pour clarifier la situation liée à son emploi ou pour déterminer ses droits et obligations en vertu de la Loi. Il faut juger chaque cas à la lumière des faits qui lui sont propres, ce qui signifie qu’il n’existe pas de principe clair et facilement applicable en la matière (Canada (P.G.) c. Albrecht, [1985] 1 C.F. 710 (C.A.F.) A-172-85; Canada (P.G.) c. Caron, [1986] A.C.F. no 85 (C.A.F.) A-395-85; Canada (P.G.) c. Smith, [1993] 3 C.F. D-10 (C.A.F.) A-549-92; Canada (P.G.) c. Ehman, [1996] A.C.F. no 179 (C.A.F.) A-360-95; Malitsky c. Canada (P.G.), [1997] A.C.F. no 1136 (C.A.F.) A-205-96; Canada (P.G.) c. Carry, [2005] A.C.F. no 1850 (C.A.F.) A-242-05).

    Pour démontrer l’existence d’un motif valable, il n’est pas nécessaire que le prestataire prouve que des circonstances indépendantes de sa volonté l’ont empêché de présenter sa demande plus tôt. Le critère à appliquer consiste à déterminer si le prestataire peut démontrer qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans les mêmes circonstances (Hamilton c. Canada (P.G.), [1988] A.C.F. no 269 (C.A.F.), A-175-87; Canada (P.G.) c. Ehman, [1996] A.C.F. no 179 (C.A.F.), A-360-95).

    Ce qui constitue un motif valable est toujours une question de fait (Hamilton c. Canada (P.G.), [1988] A.C.F. no 269 (C.A.F.), A-175-87).

    Bien que le mot « appel » soit utilisé à l’article 115 de la Loi sur l’assurance-emploi pour désigner la procédure devant un juge-arbitre, il ne s’agit pas d’un appel au sens usuel du terme ni d’un procès de novo, mais d’une instance de la nature du contrôle judiciaire. Lorsqu’une décision d’un conseil arbitral est contestée parce qu’elle était fondée sur des conclusions de fait erronées, le pouvoir de contrôle du juge-arbitre se limite à décider si l’appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier. Le critère consiste à savoir si le dossier contenait des éléments de preuve sur lesquels le conseil arbitral aurait pu fonder sa conclusion comme il l’a fait sans qu’il y ait erreur de principe. Dans l’arrêt Canada (P.G.). c. Merrigan, [2004] A.C.F. no 1187 (C.A.F.), A-92-03, la Cour d’appel fédérale s’est exprimé ainsi :

    Il s’agit là essentiellement d’une question de fait, et le juge-arbitre ne devait pas intervenir à moins que le conseil eût commis une erreur sujette à révision, c’est-à-dire à moins qu’il eût « fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance » (alinéa 115(2) c) de la Loi).
    [9] Dans l’affaire Re Roberts et autres et Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada et autres, [1985] 60 N.R. 349, [1985] A.C.F. n° 413, (1985) 19 D.L.R. (4th) 570, le juge MacGuigan écrivait que, bien que le mot « appel » soit utilisé dans l’article 115 de la Loi (anciennement l’article 95 de la Loi sur l’assurance-chômage) pour décrire la procédure introduite devant un juge-arbitre, la compétence du juge-arbitre est pour l’essentiel identique à celle qui est conférée à la Cour d’appel fédérale par l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales. La procédure n’est donc pas un appel au sens habituel de ce mot, mais un contrôle circonscrit.
    [10] Le juge MacGuigan avait formulé dans les termes suivants le critère à appliquer, qui allait devenir l’alinéa 115(2) c) de la Loi:
    À notre avis, le critère approprié que doit appliquer un juge-arbitre [...] consiste à examiner s’il y avait quelque élément de preuve justifiant le conseil arbitral de conclure comme il l’a fait ou si ce dernier a commis une quelconque erreur de principe. (Voir aussi Procureur général du Canada c. William Cole, [1983] 1 C.F. 425; Canada (Procureur général) c. Feere, [1995] A.C.F. n° 109). De plus, dans l’arrêt Guay c. Canada (Commission de l’emploi et de l’assurance), (1997) 221 N.R. 329, [1997] A.C.F. n° 1223, la Cour d’appel fédérale avait rappelé que le conseil arbitral est « le pivot de tout le système mis en place par la Loi pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation ».

    Pour trancher une question de cette nature, il faut essentiellement examiner et déterminer les faits. Or, il est bien établi dans la jurisprudence que c’est au conseil arbitral qu’il incombe de déterminer les faits.

    Dans l’arrêt Guay (A-1036-96), le juge Marceau a écrit ce qui suit :

    « De toute façon, dans tous les cas, c’est le Conseil arbitral - le pivot de tout le système mis en place par la Loi pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation - qui est celui qui doit apprécier.
    [...]
    Le juge-arbitre, d’après nous, ne pouvait pas rejeter cette conclusion du Conseil sur la seule base d’un raisonnement qui, en somme, ne fait que donner pleine priorité aux vues de l’employeur. »

    Plus récemment, dans l’arrêt Le Centrede valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), le juge Létourneau a déclaré que le rôle du juge-arbitre se limite à déterminer si l’appréciation des faits par le conseil arbitral est raisonnablement compatible avec la preuve portée à sa connaissance.

    Les pouvoirs du juge-arbitre sont limités par les dispositions du paragraphe 115(2) de la Loi sur l’assurance-emploi. À moins que le conseil arbitral ait omis d’observer un principe de justice naturelle, qu’il ait rendu une décision entachée d’une erreur de droit ou qu’il ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le juge-arbitre est tenu de rejeter l’appel.

    La Commission n’a pas démontré que le conseil arbitral avait commis de telles erreurs. Au contraire, la décision du conseil est dûment fondée sur la preuve et les dispositions législatives applicables, selon l’interprétation qu’en donne la jurisprudence.

    Aux termes du paragraphe 115(2) de la Loi, à moins que le conseil arbitral ait omis d’observer un principe de justice naturelle, qu’il ait rendu une décision entachée d’une erreur de droit ou qu’il ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le juge-arbitre est tenu de rejeter l’appel (voir les arrêts A-547-01, A-600-93, A-115-94, A-255-95 et A-97-03).

    Le conseil arbitral n’a pas commis d’erreur de fait ou de droit donnant lieu à révision. Par conséquent, rien ne justifie que le juge-arbitre n’intervienne dans sa décision. La décision du conseil est dûment fondée sur la preuve et les dispositions législatives applicables, selon l’interprétation qu’en donne la jurisprudence.

    Pour ces motifs, l’appel de la Commission est rejeté.

    Gerald T.G. Seniuk
    JUGE-ARBITRE

    Saskatoon (Saskatchewan)
    Le 29 avril 2011

    2012-03-16