DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-385-11
EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
RELATIVEMENT à une demande de prestations par
U.H.
- et -
RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre
par la Commission de la décision d'un conseil arbitral rendue
le 22 septembre 2010, à Bathurst (Nouveau-Brunswick)
GUY GOULARD, juge-arbitre
Le prestataire a travaillé pour A-B-EBC jusqu’au 5 novembre 2009. Il a présenté une demande initiale de prestations qui fut établie à compter du 8 novembre 2009. La Commission a déterminé que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite et a imposé une inadmissibilité d’une période indéterminée à compter du 5 novembre 2009.
Le prestataire en appela de la décision de la Commission devant un conseil arbitral qui accueillit son appel. La Commission porta la décision du conseil en appel devant un juge-arbitre. Cet appel a été entendu à Campbellton, Nouveau-Brunswick le 19 juillet 2011. Le prestataire était présent et représenté par Me E.R.
Le motif de congédiement fourni par l’employeur était à l’effet que le prestataire avait été congédié pour avoir enfreint la politique de l’employeur à l’égard de la possession et l’utilisation d’alcool sur les lieux de travail. Un agent de sécurité avait trouvé le prestataire en état d’ébriété dans sa chambre et avec de l’alcool en sa possession. L’employeur avait aussi indiqué que le prestataire avait fermé la porte de sa chambre sur la main de l’agent de sécurité, lui causant une blessure. L’employeur avait une tolérance zéro à l’égard de l’alcool sur le lieu de travail.
Le prestataire avait reconnu avoir consommé de la bière dans sa chambre avec un collègue suite à leur quart de travail de nuit. Il a nié avoir été intoxiqué. Il a ajouté qu’il ne pouvait pas boire beaucoup en raison de son état de santé. Il a aussi reconnu avoir caché les cannettes de bière avant de laisser les agents de sécurité entrer dans sa chambre. Le prestataire a nié avoir blessé un agent de sécurité puisqu’il est impossible de claquer une porte. L’agent de la Commission a accepté son explication à cet égard. L’employeur lui avait fourni un billet d’avion pour son retour chez lui mais le coût du billet fut subséquemment déduit de son salaire. Le prestataire avait déposé un grief à l’égard de son congédiement.
Le prestataire a comparu devant un premier conseil arbitral en janvier 2010. Ce conseil a accueilli l’appel du prestataire. En juillet 2010, j’ai annulé la décision du conseil de janvier 2010 et j’ai retourné le dossier devant un nouveau conseil. La décision de ce deuxième conseil fait l’objet du présent appel.
Le prestataire a comparu devant le conseil et a présenté un résumé des faits entourant son congédiement et son appel de la décision de la Commission (pièce 16). L’employeur n’a pas comparu devant le conseil arbitral qui a résumé le témoignage du prestataire dans les termes suivants :
« Le prestataire dit qu’il n’a jamais reçu aucun avis d’avoir consommé de la boisson alcoolisée durant ses 25 années de travail. Il dit que l’employeur se préparait de [sic] congédier quelque cents [sic] employés et que en l’accusant d’inconduite l’employeur n’aurait pas à payer son billet d’avion. Il a subi aucun test d’intoxication. Il dit que si il était découvert il recevrait au moins un avertissement. Il admet que lui et son chum ont bu quelques bières chacun. Il dit que l’employeur lui a acheté un billet d’avion pour le lendemain et qu’il ne pouvait rester pour se défendre et par la suite l’employeur lui a enlevé le prix du billet d’avion sur sa dernière paye. Il dit que 3 personnes se sont fait congédier cette même journée. Il dit qu’il ne pensait jamais de perdre son emploi pour quelques bières. Il dit qu’ils étaient très prudents et ne faisaient aucun bruit et c’est probablement quelqu’un qui les a rapportés. »
Le conseil a revu la preuve et a souligné que l’employeur avait acheté un billet d’avion pour le lendemain du congédiement et que le prestataire n’avait pas eu la chance de se défendre. Le conseil a indiqué qu’il semblait que l’employeur ait congédié le prestataire parce qu’on était sur le point d’effectuer d’importantes mises à pied, et qu’en congédiant des employés, on évitait d’avoir à payer leur billet de retour. Le conseil a aussi souligné que l’employeur n’avait fourni aucune preuve démontrant que le prestataire aurait été en état d’ébriété, sauf les propos des gardiens qui, selon le conseil, auraient pu avoir des motifs ultérieurs. Le conseil a aussi souligné que le prestataire n’avait jamais reçu d’avertissement. Le conseil a revu de la jurisprudence et a conclu que le prestataire ne savait pas, ou n’aurait pas pu savoir, que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il ne pouvait croire que son geste pouvait mener à un congédiement. Le conseil a accueilli l’appel à l’unanimité.
En appel de la décision du conseil arbitral, la Commission a soumis que le conseil avait erré en fait et en droit en décidant que le prestataire n’avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite. Le procureur de la Commission a souligné que le prestataire avait reconnu avoir eu en sa possession et avoir consommé de la bière dans sa chambre à l’encontre de la politique de l’employeur dont le prestataire était au courant. Il a soumis que le conseil avait ignoré la preuve de l’employeur pour n’accepter que celle du prestataire à l’audience.
Me E.R. a soumis que la décision du conseil était bien fondée sur la preuve devant le conseil. Il a souligné que la preuve de l’employeur était de nature de ouï-dire et que le conseil avait expliqué pourquoi il favorisait la preuve du prestataire à celle de l’employeur. Il a aussi indiqué que le témoignage du prestataire était à l’effet que d’autres employés avaient reçu des avertissements pour consommation d’alcool et que le prestataire ne pouvait donc pas croire que le geste qu’on lui reprochait aurait pu conduire à son congédiement. Il a souligné qu’aucune copie de la politique de l’employeur, ou des conséquences habituelles pour le geste reproché, n’avait été déposée au dossier d’appel.
La jurisprudence (Guay (A-1036-96), Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), McCarthy (A-600-93), Ash (A-115-94), Ratté (A-255-95) et Peace (A-97-03)) nous enseigne que le conseil arbitral est le maître dans l'appréciation de la preuve et des témoignages présentés devant lui et qu'un juge-arbitre ne doit pas substituer son opinion à celle d'un conseil arbitral, sauf si sa décision lui paraît avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Dans les dossiers Castonguay et al, j’ai fait référence à de la jurisprudence Tucker (A-381-85), McKay-Eden (A-402-96), Langlois (A-94-95)) et j’ai souligné que dans Langlois (supra) le juge Pratte avait indiqué :
« L'inconduite dont parle l'article 28(1), et qui, comme le fait de quitter volontairement son emploi, entraîne, suivant l'article 30.1, l'exclusion du prestataire du bénéfice des prestations pour toute la durée de sa période de prestations, n'est pas un simple manquement de l'employé à n'importe quelle obligation liée à son emploi; c'est un manquement d'une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu'il serait susceptible de provoquer son congédiement. »
J’ai également souligné que la Cour d'appel fédérale avait déterminé dans l'arrêt Choinière (A-471-95) que le fait qu'un employeur juge qu'une conduite mérite un congédiement ne suffit pas, en soi, à établir que ladite conduite constitue une inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi. Dans cet arrêt, le juge Marceau avait écrit :
« Nous ne le croyons pas, tenant compte de la jurisprudence de cette Cour qui s'est employée, à maintes reprises récemment, à répéter qu'on avait eu tort de penser un moment que l'opinion de l'employeur sur l'existence d'une inconduite justifiant le congédiement pouvait suffire à mettre en application la pénalité devenue si lourde de l'article 28 et qu'il fallait, au contraire, une appréciation objective permettant de dire que l'inconduite avait vraiment été la cause de la perte de l'emploi. »
J’ai de plus souligné que dans les sept dossiers en question (Castonguay et al), le conseil avait revu la preuve et avait conclu que les prestataires impliqués ne pouvaient soupçonner que leur conduite pouvait mettre en danger leur emploi. J’ai déterminé que les conseils pouvaient conclure, compte tenu de la preuve fournie, que les gestes des prestataires ne constituaient pas une inconduite au sens de la Loi sur l'assurance-emploi et ainsi rejeter les appels de la Commission. La Cour d’appel fédérale a rejeté les appels de la Commission de mes décisions (Castonguay (A-189-09)). Dans ses motifs, le juge Noël indiquait que j’avais eu raison de conclure que la preuve devant le conseil pouvait justifier sa décision à l’effet que le geste reproché ne constituait pas de l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi en raison du fait que le prestataire ne savait pas que ses agissements auraient pu conduire à son congédiement.
J’ai revu la preuve dans le dossier en l’espèce et, en particulier, la décision bien étoffée du conseil. Je suis d’avis que le conseil a bien analysé et résumé la preuve au dossier et à l’audience. Le conseil a accepté le témoignage du prestataire à l’effet que, compte tenu du fait que d’autres employés avaient reçu un avertissement pour la même conduite, il ne pouvait s’attendre à ce que son geste puisse conduire à son congédiement.
En conséquence, je conclus que la Commission n’a pas démontré que le conseil arbitral a erré dans sa décision. L’appel de la Commission est rejeté.
Guy Goulard
JUGE-ARBITRE
Ottawa (Ontario)
Le 19 août 2011