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  • CUB 77729

    EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    RELATIVEMENT à une demande de prestations par
    E.U.

    - et -

    RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre
    par le prestataire de la décision d'un conseil arbitral rendue
    le 1er mars 2011 à Bathurst (Nouveau-Brunswick)

    DÉCISION

    GUY GOULARD, juge-arbitre

    Le prestataire a travaillé pour Design Built Mechanical jusqu’au 3 décembre 2010. Il a présenté une demande de prestations qui fut établie à compter du 5 décembre 2010. La Commission détermina que le prestataire avait quitté son emploi sans justification et imposa une exclusion d’une période indéterminée à compter du 5 décembre 2010.

    Le prestataire en appela de la décision de la Commission devant un conseil arbitral qui rejeta l’appel. Il porta la décision du conseil en appel devant un juge-arbitre. Cet appel a été entendu à Bathurst, Nouveau-Brunswick le 22 juillet 2011. Le prestataire était présent.

    Dans sa demande de prestations, le prestataire indiquait avoir laissé son emploi en raison de modifications à ses fonctions. Il indiquait que son employeur lui avait ajouté de nouvelles tâches et avait refusé d’embaucher le personnel dont il aurait eu besoin pour effectuer son travail. Il a indiqué qu’il aurait eu à travailler de 60 à 70 heures par semaine pour accomplir toutes les tâches qu’on lui avait assignées. Il avait demandé du personnel additionnel, ce qui avait été refusé. De plus, il devait voyager environ 90 minutes par jour pour se rendre à son emploi et retourner chez lui. Il a ajouté qu’il existait plusieurs conflits avec des employés et que ceci rendait son travail difficile mentalement. Il se sentait très stressé et craignait un « burn-out ». Le prestataire avait proposé de travailler du bureau de l’employeur à Bathurst ou encore de sa demeure comme travailleur autonome. On n’a pas donné suite à cette suggestion. Il ne s’était pas recherché d’emploi avant de quitter car il avait cru pouvoir en arriver à une entente avec son employeur. Le prestataire soulignait qu’il n’avait jamais abandonné d’emploi dans ses 20 ans de carrière. Il était satisfait de son salaire mais ne voulait pas affecter sa santé en continuant de travailler sous de telles conditions.

    L’employeur a indiqué que le prestataire avait quitté son emploi parce qu’il ne voulait plus travailler selon ses conditions d’emploi. L’employeur a confirmé qu’on avait refusé au prestataire de travailler de la maison comme travailleur indépendant parce qu’on voulait avoir un employé sur les lieux. Après que cette demande eut été refusée, le prestataire avait donné son avis de deux semaines.

    À la pièce 5, le prestataire a réitéré qu’il souffrait de stress résultant de son emploi. Il avait pris un rendez-vous chez son médecin le 6 décembre 2010. Son médecin lui avait alors prescrit des médicaments contre le stress. Le prestataire n’avait pas demandé d’arrêt de travail en raison de problèmes de santé puisqu’il avait déjà quitté son emploi. Il a répété qu’il avait quitté son emploi en raison du stress qu’il ne pouvait plus tolérer. Il avait peu d’espoir de se trouver un autre emploi à un salaire comparable à celui qu’il avait avec son ancien employeur. Le prestataire a fourni une copie de son contrat de travail. Il a indiqué qu’il ne pourrait avoir de note médicale avant le 31 janvier 2010. Il a aussi fourni une copie de sa lettre de démission (pièce 7-2).

    Le 31 janvier 2011, la docteure du prestataire a faxé une note qui indiquait :

    « Je vois Monsieur E.U. en suivi de son anxiété ce jour. Je l’ai initialement vu pour cette raison le 6 décembre 2010. Monsieur E.U. m’indique ce jour avoir quitté son emploi le 3 décembre 2010 en lien avec cette condition. »

    L’employeur a indiqué que le prestataire n’avait pas mentionné ses raisons de départ avant le moment du départ. Elle confirme que le prestataire avait demandé d’ajouter cinq personnes à son équipe mais que cette demande n’avait aucun sens. Après une analyse de la situation, on avait ajouté une personne. Elle a aussi indiqué que le prestataire n’avait pas mentionné de problèmes de santé. L’employeur a soumis que le prestataire avait enregistré sa propre entreprise le 3 décembre 2010 et que la compagnie l’avait, par après, engagé à contrat. Elle croyait que c’est ce que le prestataire voulait et qu’il avait quitté pour cette raison.

    Le prestataire a comparu devant le conseil arbitral et a soumis des documents au sujet de son contrat de travail et de négociations de conditions de travail ainsi que des commandes pour du travail à contrat. Il a confirmé qu’il n’avait pas l’assurance raisonnable d’un autre emploi avant de quitter celui qu’il avait. Il a ajouté que son entreprise avait été mise sur pied en 2009 et non en janvier 2010 tel qu’allégué par l’employeur.

    Le conseil arbitral a revu la preuve ainsi que de la jurisprudence et a conclu que le prestataire avait d’autres solutions raisonnables plutôt que de quitter son emploi dans ses circonstances et qu’il n’avait pas établi une justification au sens de la Loi sur l’assurance-emploi pour avoir quitté son emploi. Le conseil a rejeté l’appel du prestataire.

    En appel de la décision du conseil arbitral, le prestataire a réitéré les raisons qu’il avait fournies dans son appel au conseil pour avoir quitté son emploi. Il a souligné qu’il avait eu des difficultés relationnelles avec son employeur. Il a indiqué que l’employeur refusait d’accepter ses suggestions pour améliorer la façon de travailler. Le prestataire a indiqué qu’il n’avait pas présenté de demande de prestations immédiatement après avoir donné sa lettre de démission parce qu’il avait cru qu’il pourrait en arriver à une entente avec son employeur. Comme on n’avait pas accédé à son désir de travailler de sa résidence, il a conclu qu’il ne retournerait pas à son emploi et a présenté sa demande de prestations. Il a réitéré qu’il avait décidé de quitter son emploi en raison du stress qu’il subissait dans son milieu travail.

    Les raisons fournies par le prestataire pour avoir quitté son emploi était qu’il n’était pas satisfait de ses conditions de travail et qu’il craignait pour sa santé.

    Dans l’arrêt Denise Landry (A-1210-92), le juge Pratte écrivait :

    « ... le conseil arbitral n'a pas à se demander s'il trouve raisonnable la conduite du prestataire; il doit plutôt se demander si le prestataire a quitté son emploi dans l'une ou l'autre des circonstances décrites aux alinéas a) à e) du paragraphe 28(4) de la Loi [maintenant 29(c)] et, dans la négative, si le départ immédiat du prestataire constituait la seule solution raisonnable dans son cas. »

    L’alinéa 29c) de la Loi sur l’assurance-emploi prévoit:

    29c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas...

    (J’ai souligné)

    Il est de jurisprudence constante qu’un employé qui quitte son emploi parce qu’il n’est pas entièrement satisfait de ses conditions de travail n’a pas établi une justification au sens de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’assurance-emploi à moins qu’il puisse démontrer que ses conditions de travail étaient telles à ne lui laisser aucune autre alternative que de quitter. Il incombe aussi à un prestataire d’entreprendre des efforts afin de remédier à une situation qu’il juge insatisfaisante (CUBs 26616, 25700 et 40783). Dans le CUB 40783, le juge Joyal avait écrit:

    « La jurisprudence a établi qu'un employé qui quitte son emploi sans avoir essayé de remédier à une situation qu'il juge désagréable peut être considéré comme n'ayant pas soumis de raison justifiant son départ. De plus, l'employé se doit de démontrer qu'il a effectué des recherches sérieuses pour un nouvel emploi avant de quitter celui qu'il occupe. Finalement, même si un prestataire estime qu'il est sous-utilisé dans ses fonctions, cela ne rend pas son départ "la seule solution raisonnable". »

    Dans le CUB 38804, la juge Tremblay-Lamer a très bien résumé les conditions que doit rencontrer un prestataire qui allègue avoir quitté son emploi en raison de problèmes de santé. Ceci implique la nécessité de fournir une preuve médicale indiquant que le prestataire avait été obligé de quitter son emploi pour des raisons médicales. Il doit aussi démontrer qu’il avait essayé de s’entendre avec son employeur pour résoudre ses problèmes de santé.

    En l’espèce, le prestataire n’avait fourni aucun preuve médicale indiquant qu’il avait été obligé de quitter son travail à cause de problèmes de santé. Il n’avait pas consulté de médecin avant de partir. Il avait remis sa lettre de démission sans poursuivre d’autres discussions avec son employeur et ne s’était pas recherché un autre emploi avant de quitter. Il est aussi significatif que, peu de temps après avoir quitté son emploi, le prestataire était retourné travailler pour son employeur à contrat. Ceci vient contredire que les conditions de travail étaient telles que le prestataire ne pouvait pas continuer de travailler pour cet employeur, au moins en attendant de se trouver un autre emploi.

    La jurisprudence nous enseigne aussi que le conseil arbitral est le maître dans l'appréciation de la preuve et des témoignages présentés devant lui. La Cour d'appel fédérale s'est exprimée comme suit sur ce sujet dans l'arrêt Guay (A-1036-96) :

    « De toute façon, dans tous les cas, c'est le conseil arbitral, le pivot de tout le système mis en place par la Loi, pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation, qui est celui qui doit apprécier. »

    La jurisprudence (Guay (A-1036-96), Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), McCarthy (A-600-93), Ash (A-115-94), Ratté (A-255-95) et Peace (A-97-03)) nous enseigne aussi qu'un juge-arbitre ne doit pas substituer son opinion à celle d'un conseil arbitral, sauf si sa décision lui paraît avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance.

    Le prestataire n’a pas démontré que le conseil arbitral a erré de la sorte. Au contraire, la décision du conseil est entièrement compatible avec la preuve dont il était saisi et avec la jurisprudence pertinente.

    Par conséquent, l'appel est rejeté.

    Guy Goulard
    JUGE-ARBITRE

    Ottawa (Ontario)
    Le 19 août 2011

    2011-11-04