TRADUCTION
DANS L’AFFAIRE de la LOI SUR L’ASSURANCE-EMPLOI
- et -
d’une demande de prestations présentée par
I.N.
- et -
d’un appel interjeté devant un juge-arbitre par l’employeur,
A.N. Regional Health Authority,
à l’encontre de la décision rendue par un conseil arbitral
à Saskatoon (Saskatchewan) le 5 octobre 2010
DÉCISION
Le juge-arbitre GUY GOULARD
La prestataire a travaillé pour A.N. Regional Health Authority jusqu’au 2 juillet 2010. Elle a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi qui a pris effet le 4 juillet 2010. La Commission a déterminé qu’elle avait volontairement quitté son emploi sans justification et l’a donc exclue du bénéfice des prestations pour une période indéterminée à compter du 4 juillet 2010.
La prestataire a porté en appel les décisions de la Commission devant un conseil arbitral, lequel a accueilli son appel. L’employeur a ensuite interjeté appel de la décision du conseil. Cet appel a été instruit à Prince Albert, en Saskatchewan, le 29 août 2011. La prestataire ne s’est pas présentée à l’audience. Elle avait informé le greffier qu’elle ne pourrait y assister et avait demandé que le juge-arbitre rende sa décision en fonction des éléments de preuve au dossier d’appel. L’employeur était représenté par Mme C.P.
La prestataire a indiqué qu’elle avait quitté son emploi en raison d’un conflit personnel avec la directrice, Santé mentale et dépendances, de son employeur. Elle a déclaré qu’elle avait très peu de contact avec cette personne, qui était supposée la superviser, l’orienter et l’aider. Il est arrivé à une occasion que cette personne change d’idée après avoir approuvé un congé. La série d’événements ayant mené à la démission de la prestataire est résumée en détail dans la décision du conseil arbitral.
L’employeur a déclaré que la prestataire n’avait jamais soulevé ces questions, ne lui avait jamais fait part de ses préoccupations et n’avait jamais demandé à le rencontrer pour en discuter. L’employeur a ajouté qu’il essayait d’organiser une rencontre avec la prestataire et un représentant syndical lorsque celle-ci a démissionné.
La prestataire a participé à l’audience devant le conseil arbitral par téléphone. Les appels destinés à l’employeur et visant à le faire participer à l’audience par téléphone n’ont pas été retournés.
Le conseil a examiné les éléments de preuve en détail et a tiré un certain nombre de conclusions de fait. Le conseil a accueilli l’appel de la prestataire pour les raisons suivantes :
« Le conseil tient pour avéré que la prestataire a épuisé toutes les solutions raisonnables qui s’offraient à elle. Le conseil tient pour avéré ce qui suit :
• la prestataire a demandé à de multiples reprises à rencontrer l’employeur afin d’aborder les problèmes avec sa superviseure et d’exprimer son besoin d’être davantage encadrée et soutenue (pièces 2.7, 4.2, 8.2, 9 et 11.1);
• la prestataire a parlé au patron de la superviseure, mais a refusé une offre de mutation puisqu’elle aurait relevé de la même superviseure au nouveau poste. C’est la seule solution que lui avait offerte le directeur exécutif (pièces 2.8 et 2.9);
• la prestataire a demandé un congé dans le délai prescrit et lorsque sa demande a de nouveau été refusée, elle a fait ce qu’une personne raisonnable aurait fait à sa place et a demandé les raisons de ce refus; la prestataire a indiqué qu’elle avait téléphoné à plusieurs occasions à sa superviseure pendant les deux semaines précédant sa démission, mais celle-ci ne lui répondait pas. Elle a fini par lui écrire un courriel en lui joignant le compte des congés auxquels elle avait droit, mais sa superviseure ne lui a pas répondu autrement qu’en la remerciant pour l’information (pièces 2.7, 4.2 et 8.2);
• la prestataire a communiqué avec son représentant syndical, mais celui-ci ne lui a répondu qu’une semaine plus tard. Les dernières fois qu’elle lui a parlé, il devait communiquer avec les ressources humaines pour ses demandes de résolution de conflit, mais il n’a pas effectué le suivi auprès de la superviseure (pièce 2.8). Cette affirmation est crédible puisque le représentant syndical n’a répondu à la Commission qu’après que cette dernière a tenté de le joindre pendant trois jours consécutifs sans succès (pièce 7);
• la prestataire a cherché un autre emploi avant de quitter son poste et a postulé des emplois à Prince Albert et à Meadow Lake, sans succès jusqu’ici (pièce 2.9).
La suggestion selon laquelle la prestataire aurait dû demeurer en poste jusqu’à ce qu’une entente mutuellement acceptable soit conclue entre son employeur, le représentant syndical et elle n’est pas raisonnable compte tenu de son état de santé (pièce 8.2) et de son milieu de travail hostile qui rendait son emploi intolérable. Le conseil tient pour avéré que le fait de chercher un autre emploi avant de démissionner n’est pas une solution de rechange raisonnable, puisque la prestataire travaillait à Beauval, une petite communauté très isolée du nord de la Saskatchewan, à environ 350 km au nord-ouest de Prince Albert, où le taux de chômage est très élevé puisque les emplois sont très limités. La prestataire devait vraisemblablement chercher un emploi à l’extérieur de sa communauté et voyager ou se déplacer pour le faire, ce qui lui était impossible puisque son employeur ne lui accordait pas les congés demandés. De plus, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que les collègues de la prestataire lui offrent l’orientation et le soutien dont elle avait besoin, puisque cela ne faisait pas partie de leurs tâches. Elle n’avait pas non plus beaucoup d’interaction avec eux, étant donné qu’ils travaillaient sur le terrain et avaient leur propre horaire, et que la réceptionniste ne travaillait que le matin (pièce 12.5). Le conseil tient pour avéré que la prestataire a agi comme une personne raisonnable l’aurait fait et a voulu prendre les congés qu’elle avait accumulés plutôt qu’un congé maladie lorsqu’elle a jugé qu’elle était trop stressée et déprimée par la situation. Il n’y a aucun médecin dans sa communauté et la prestataire ne pouvait donc pas obtenir de billet médical (pièce 8.2). Le conseil tient pour avéré que lorsque la demande légitime de congé de la prestataire s’est soldée une fois de plus par un refus sans aucune explication de la part de l’employeur, comme cela s’était déjà produit à deux reprises, la prestataire n’a eu d’autre choix que de présenter sa démission. »
[Traduction]
Au cours de l’audience d’appel à l’encontre de la décision du conseil arbitral, la représentante de l’employeur a passé en revue les éléments de preuve. Elle a déclaré que, contrairement à ce que prétend la prestataire, celle-ci a reçu du soutien de la part d’un certain nombre de personnes. Elle pouvait également communiquer avec sa superviseure par télémessagerie. Une rencontre avait été organisée avec la prestataire et son représentant syndical afin de discuter de quelques questions relatives à la politique et aux procédures. L’employeur n’était pas au courant du conflit avant que la prestataire quitte son emploi. Il arrivait que la prestataire ne se présente pas au travail sans avertir. La représentante de l’employeur était d’avis que la prestataire avait mal interprété bon nombre de faits durant l’audience devant le conseil arbitral.
La Commission est d’avis que la décision du conseil arbitral est raisonnable et fondée sur les éléments de preuve portés à sa connaissance, et que l’appel de l’employeur devrait être rejeté.
Il est aussi clairement établi dans la jurisprudence que le conseil arbitral est le principal juge des faits dans les affaires relatives à l’assurance-emploi et que le rôle du juge-arbitre se limite à décider si l’appréciation des faits par le conseil arbitral est raisonnablement compatible avec les éléments de preuve portés à sa connaissance (Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. [A-547-01], McCarthy [A-600-93], Ash [A-115-94], Ratté [A-255-95] et Peace [A-97-03]).
Dans l’arrêt Guay (A-1036-96), le juge Marceau a écrit ce qui suit :
« Nous sommes tous d’avis, après ce long échange avec les procureurs, que cette demande de contrôle judiciaire portée à l’encontre d’une décision d’un juge-arbitre agissant sous l’autorité de la Loi sur l’assurance-chômage se doit de réussir. Nous pensons, en effet, qu’en contredisant, comme il l’a fait, la décision unanime du Conseil arbitral, le juge-arbitre n’a pas respecté les limites dans lesquelles la Loi assoit son pouvoir de contrôle.
[...]
De toute façon, dans tous les cas, c’est le Conseil arbitral – le pivot de tout le système mis en place par la Loi pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation – qui est celui qui doit apprécier. »
Dans l’arrêt Ash (A-115-94), la juge Desjardins s’est exprimée ainsi :
« Il ressort clairement de la décision du conseil que l’opinion majoritaire et l’opinion minoritaire avaient toutes deux été examinées à fond. Certes, les tenants de l’opinion majoritaire auraient pu conclure autrement, mais ils ont choisi de ne pas croire la prétention de l’intimé portant qu’il avait quitté son emploi en raison de sa santé. La juge-arbitre ne pouvait substituer son opinion à celle de la majorité. Les membres du conseil étaient les mieux placés et les mieux en mesure d’apprécier la preuve et de tirer des conclusions relativement à la crédibilité. »
Plus récemment, dans l’arrêt Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A-547-01), le juge Létourneau a déclaré que le rôle du juge-arbitre se limite à déterminer si l’appréciation des faits par le conseil arbitral est raisonnablement compatible avec la preuve portée à sa connaissance.
Et dans l’arrêt Peace (précité), on peut lire ce qui suit sous la plume du juge Sexton :
« Dans l’arrêt Budhai, précité, la Cour a conclu que l’application de l’analyse pratique et fonctionnelle, lorsqu’un juge-arbitre examine une décision rendue par conseil, laquelle décision comporte une question mixte de droit et de fait, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Sacrey, 2003 CAF 377, la Cour a également conclu que la question de savoir si un employé est fondé à quitter son emploi est une question mixte de droit et de fait qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable.
Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, la Cour suprême a déclaré qu'une décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l'a fait sur la base de la preuve soumise. »
Dans le cas qui nous occupe, la décision du conseil est tout à fait conciliable avec les éléments de preuve portés à sa connaissance.
En conséquence, l’appel est rejeté.
Guy Goulard
JUGE-ARBITRE
Ottawa (Ontario)
Le 14 septembre 2011