EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
RELATIVEMENT à une demande de prestations par
R.I.
- et -
RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre
par le prestataire de la décision d'un Conseil arbitral rendue
le 26 janvier 2011 à Shawinigan (Québec).
L’honorable R.J. Marin
Cet appel du prestataire a été entendu à Trois-Rivières le 9 février 2012.
Il porte en appel un avis de la Commission à l’effet qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduite au sens des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi. L’appel relativement à l’avis, auprès d’un Conseil arbitral, a été rejeté. Les motifs invoqués par celui-ci se retrouvent à la pièce 17.
En conclusion, le Conseil affirme [dernier paragraphe, pièce 17.6] :
...l’appelant est l’artisan de son propre malheur et qu’il a agi avec insouciance et négligence.
Le procureur du prestataire affirme que cette conclusion ignore l’état constant du droit qui veut que l’inconduite ‘ne correspond pas à négligence, ni à insouciance à moins d’une fréquence telle qu’il fait preuve d’une intention délictuelle’.
La pièce 5 au dossier d’appel semble résumer les faits relatés par le prestataire. Ceux-ci n’ont pas changé. Ses déclarations sont constantes. Son témoignage a été reproduit et une transcription a été déposée.
Il semble que le prestataire, après avoir été avisé qu’il était susceptible de perdre son permis de conduire en raison de billets non-payés, n’ait pas reçu l’avis officiel de sa suspension, émis à son insu en janvier 2010. Ce n’est qu’en février 2010, suite à un accrochage, que l’employeur a été averti de l’avis, enfin porté à l’attention du prestataire. Il y eut une rupture de l’emploi.
Il n’est pas contesté, l’avis a été livré, mais à un de ses colocataires qui l’a égaré. L’erreur est imputable à la Société canadienne des postes et un de ses quatre colocataires. L’avis était consigné par courrier enregistré et contrairement aux exigences de la Société, l’avis officiel n’a pas été livré au destinataire mais à un tiers. Un autre colocataire aurait signé et aurait abandonné l’avis sans porter le tout au prestataire. Cette version des faits n’est pas commentée ou écartée par le Conseil.
La question en litige est à savoir si, dans les circonstances, la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ) s’est effectivement acquitté de signifier l’avis de suspension comme l’exige les règles et si, en l’espèce, le prestataire était averti de la suspension.
Il affirme ne pas avoir une lettre enregistrée l’avisant de la suspension officielle de son permis. Cette version est constante. Elle n’est pas rejetée par le Conseil qui lui formule des reproches ‘d’insouciance et de négligence’. Il prétend, pour sa part, qu’il aurait pris les démarches qui s’imposent pour éviter de perdre son travail. La preuve au dossier d’appel démontre que le prestataire avait vécu des incidents semblables avec la SAAQ pour des amendes non-payées. Il poussait les échéances. Il était subséquemment signifié officiellement et semblait trouver l’argent nécessaire pour blanchir son dossier. Insouciance ou négligence, il est difficile de trancher; possiblement il retardait l’inévitable. Il est toutefois évident, la SAAQ émet un avertissement officiel avant de frapper ses assurés d’une interdiction. L’avertissement est communiqué par courrier recommandé.
L’enjeu du litige est à savoir en quoi consiste l’inconduite et si, en l’espèce, le Conseil a commis une erreur en omettant de considérer le caractère du geste marquant l’inconduite. Celle-ci doit être le résultat d’un acte délibéré, constant, voulu et intentionnel. En l’espèce, son procureur prétend que l’insouciance invoquée par le Conseil est insuffisante pour établir l’inconduite. Une jurisprudence abondante est déposée, dont Tucker (A-381-85) de la Cour d’appel fédérale et dont je reproduis un extrait :
Afin de déterminer s’il y a eu inconduite dans la présente affaire, il faut examiner les principes de droit généraux applicables à la relation employé-employeur. A cet égard, je note que dans le texte écrit par Innis Christie, Employment Law in Canada (1980), il est mentionné à la page 361:
"Il est clair que, pour l'employé, il est plus grave de manquer à certaines de ses obligations implicites qu'à d'autres.
... La malhonnêteté mise à part, les tribunaux semblent être prêts à admettre que les employés sont humains, qu'ils peuvent être malades et être incapables de s'acquitter de leurs obligations, et qu'ils peuvent faire des erreurs sous l'influence du stress ou de l'inexpérience."
Sous le terme "misconduct" (inconduite), le Black's Law Dictionary (1979, 5e éd.) dit ce qui suit:
"... ce terme a pour synonymes délit, méfait, écart de conduite, délinquance, inconvenance, mauvaise administration et infraction, mais pas négligence ni insouciance.
(J’ai souligné)
L'inconduite, qui rend l'employé congédié inadmissible au bénéfice des prestations de chômage, existe lorsque la conduite de l'employé montre qu'il néglige volontairement ou gratuitement les intérêts de l'employeur, par exemple, en commettant des infractions délibérées, ou ne tient aucun compte des normes de comportement que l'employeur a le droit d'exiger de ses employés, ou est insouciant ou négligent à un point tel et avec une fréquence telle qu'il fait preuve d'une intention délictuelle..."
(J’ai souligné)
Le prestataire appuie également ses prétentions sur la décision Michèle Secours (A-352-94) et la décision du juge-arbitre Haddad qui se prononçait en ce sens au CUB 61838 :
Le conseil s'est reporté au sens donné au terme « inconduite » dans Canada (P.g.) c. Tucker (1986) 2 C.F. 329, et noté expressément que « pour qu'un acte constitue de l'inconduite au sens de la Loi, il doit avoir été volontaire ou témoigner d'une telle négligence qu'il frôlait l'acte volontaire ». Le conseil arbitral connaissait donc le sens du terme inconduite mais il a omis, au moment de tirer sa conclusion, de se demander si l'élément psychologique associé au propos délibéré était présent dans le cas de la prestataire. Sa conclusion se limite à l'affirmation suivante :
[...]
[...] Le conseil a commis une erreur de droit en omettant de considérer l'élément psychologique. La Cour d'appel a précisé que le propos délibéré s'entend d'une omission ou d'un acte « conscient, voulu ou intentionnel ».
(J’ai souligné)
Enfin, la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire David Tompson (A-636-08) est portée à mon attention, particulièrement les paras. 10 et 11, dont je prends note :
[10] Il existe une différence fondamentale entre le fait de partir en vacances sans avoir reçu d’approbation écrite tout en tenant pour acquis que la demande a été approuvée et la conclusion du conseil arbitral suivant laquelle l’intéressé est parti en sachant que sa demande n’avait pas été approuvée. Bien que cette conduite pourrait justifier l’employeur d’imposer une sanction disciplinaire, il ne s’agit de toute évidence pas, eu égard aux circonstances de l’espèce, d’un manquement grave au devoir au point de constituer une « inconduite »au sens du Règlement, entraînant ainsi l’exclusion de l’employé du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.
[11] En conséquence, nous ne sommes pas persuadés que le juge-arbitre a commis une erreur qui justifierait notre intervention, en annulant la décision du conseil arbitral au motif que celle-ci reposait sur une conclusion de fait déraisonnable, en l’occurrence que M. Tompson était parti en vacances « en sachant que celles-ci n'[avaient] pas été approuvées ».
Les notes sténographiques [p. 20] reflètent le caractère insouciant du prestataire; sans commenter plus. Le Conseil semble s’être induit en erreur sur la notion d’inconduite exigeant ‘un délit, méfait, écart, mauvaise administration et infraction mais pas négligence ni insouciance’. Tucker (supra)
Eu égard aux faits et la jurisprudence, je suis satisfait, il y a eu une erreur de droit dans la décision du Conseil. Mon intervention est justifiée. Je casse sa décision, je fais droit à l’appel du prestataire en écartant l’avis d’inconduite.
R.J. MARIN
JUGE-ARBITRE
OTTAWA, Ontario
Le 2 mars 2012