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  • Jugement de la Cour d’Appel Fédérale #A-181-83 - IMBEAULT, ROGER c. COMMISSION, MARCEAU, J.

    JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

    Date :
    9 avril 1984

    Dossier :
    A-181-83

    Décision du juge-arbitre :
    CUB 7842;

    CORAM :

    LE JUGE PRATTE
    LE JUGE LE DAIN
    LE JUGE HUGESSEN

    ENTRE :

    ROGER IMBEAULT "ET AL" (voir annexe),

    requérants,

    - et -

    -c-

    LA COMMISSION D'ASSURANCE-CHÔMAGE,

    - et -

    MONSIEUR LE JUGE MARCEAU,

    intimés.

    Audience tenue à Québec le mercredi, 15 février 1984.

    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-182-83
    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-183-83
    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-1052-82




    Demande d'autorisation d'en appeler rejetée par la Cour Suprême du Canada :
    Imbeault c. Canada (PG), [1984] C.S.C.R., no. 229, no. de dossier 18801



    MOTIFS DU JUGEMENT
    (Jugement rendu à Ottawa,
    le lundi, 9 avril 1984) ;
    Prononcé par :

    LE JUGE PRATTE :

    Les requérants demandent l'annulation d'une décision d'un juge-arbitre statuant sur un appel en vertu de la Partie V de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage.

    Cette affaire soulève deux questions bien distinctes: l'une concerne la façon dont devait être répartie une somme de $150.00 reçue par certains des requérants après la cessation de leur emploi, l'autre, beaucoup plus importante, se rapporte à l'interprétation qu'il faut donner à l'article 44 de la Loi.

    Les requérants étaient employés par la compagnie de papier Quebec North Shore Limitée lorsque, le 14 juillet 1980, ils perdirent leur emploi à cause d'un conflit collectif. Ce conflit fut réglé le 10 mai 1981 et, comme condition de ce règlement, l'employeur paya à tous ses employés dont le nom apparaissait sur sa liste de paye le 28 juin 1980 un boni de $150.00. Ceux des requérants qu'intéresse cette première question ne furent pas rappelés au travail à la fin du conflit; ils réclamèrent donc des prestations d'assurance-chômage, de sorte qu'il fallut répartir la somme de $150.00 qui leur avait été payée après la fin du conflit. La Commission répartit cette somme en la façon prévue au paragraphe 58(16) du Règlement sur l'assurance-chômage. Cette façon de faire fut approuvée par le Conseil arbitral et par le juge-arbitre. Les requérants prétendent que ces décisions sont non fondées et que cette somme de $150.00 aurait dû être répartie comme le prescrit le paragraphe 58(18).

    Pour comprendre le litige il faut avoir présentes à l'esprit les dispositions pertinentes du Règlement:

    Art. 58(9) Doivent être réparties, sur la période pour laquelle elles sont payables, les rémunérations payées ou payables au moment ou en prévision du licenciement ou de la cessation d'emploi, d'un prestataire,

    a) à titre de primes ou de gratifications, autres que celles versées par suite de licenciement ou de cessation d'emploi, ou

    b) à titre de salaire tenant lieu de préavis.

    (16) Lorsque la rémunération visée aux paragraphes (9) et (14) est payée après le licenciement ou la cessation d'emploi d'un prestataire et n'a pas été répartie conformément aux paragraphes (9), (10), (13), (14) ou (15), elle doit être répartie sur un nombre de semaines consécutives de façon que la rémunération du prestataire pour chacune de ces semaines, sauf la dernière, reçue de son employeur ou de son ancien employeur, soit égale au taux de la rémunération hebdomadaire normale reçue de cet employeur ou de cet ancien employeur, la première de ces semaines étant celle au cours de laquelle cette rémunération est payée.

    (18) La rémunération d'un prestataire, dont la répartition n'est pas prévue par les paragraphes (1) à (16), doit être répartie

    a) si elle est reçue en échange de services, sur la période pendant laquelle ces services ont été fournis; et

    b) si elle résulte d'une opération, sur la semaine au cours de laquelle s'est produite cette opération.

    L'avocat des requérants a prétendu que le boni dont il s'agit ici n'était pas une rémunération visée au paragraphe (9) parce qu'il n'avait pas été payé en prévision du licenciement ou de la cessation d'emploi des prestataires. Cette prétention n'est pas fondée. Il suffit de lire attentivement les paragraphes 58(9) et (16) du Règlement pour constater qu'une rémunération est "visée au paragraphe (9)" s'il s'agit d'une rémunération payée pour l'une des raisons décrites aux alinéas a) ou b) de ce paragraphe. Si cette rémunération est payée au moment ou en prévision de la cessation d'emploi, sa répartition est régie par le paragraphe (9); si elle est payée après la cessation d'emploi, sa répartition est régie par le paragraphe (16). Cela étant, il me paraît tout simplement impossible de dire que le juge-arbitre a commis une des erreurs mentionnées à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale en jugeant comme il l'a fait.

    2. L'interprétation de l'article 44

    Ceux des requérants qu'intéresse cette seconde question avaient, eux aussi, perdu leur emploi à la Quebec North Shore par suite du conflit qui dura du 14 juillet 1980 au 10 mai 1981. Il est constant que, suite à cette perte d'emploi, le paragraphe 44(1) de la Loi les rendait inadmissibles au bénéfice des prestations aussi longtemps que ne s'était pas, réalisée l'une des trois éventualités prévues à ce paragraphe. 1 Malgré cela, les requérants prétendaient avoir droit aux prestations pendant une période de quelques semaines depuis le vendredi précédant le Jour de Noël 1980 parce que c'était la politique bien arrêtée de l'employeur de fermer ses chantiers chaque année pendant la période des Fêtes. Comme les requérants n'auraient pas travaillé pendant cette période même s'il n'y avait pas eu conflit collectif, ils disaient avoir droit aux prestations pendant ce temps en dépit de l'exclusion décrétée par le paragraphe 44(1). Le Conseil arbitral leur donna raison et cassa la décision de la Commission qui leur avait refusé les prestations. Sur appel de la Commission, le juge-arbitre infirma la décision du Conseil arbitral et rétablit l'inadmissibilité des requérants.

    Les requérants prétendent que la décision du juge-arbitre est illégale en ce qu'elle serait inconciliable avec l'interprétation que, depuis longtemps, d'autres juges-arbitres avaient donnée au paragraphe 44(1), notamment dans les décisions CUB 1121, 3102 et 3265. Suivant ces décisions, dans le cas où un prestataire est devenu inadmissible au bénéfice des prestations par l'effet du paragraphe 44(1), cette inadmissibilité est levée le jour où le prestataire peut prouver que, même en l'absence de conflit collectif, il n'aurait pu travailler; il en est ainsi, dit-on, parce que le conflit collectif cesse alors d'être la cause réelle du chômage du prestataire.

    Pour que l'on puisse reprocher au juge-arbitre de ne pas avoir suivi cette "jurisprudence", il faudrait qu'elle soit conforme au texte de l'article 44. Or, tel ne me semble pas être le cas. Bien que les décisions des juges-arbitres que l'on invoque aient été évidemment dictées par un souci louable d'équité, elles me paraissent inconciliables avec le texte de la Loi qui prescrit que l'inadmissibilité décrétée par le paragraphe 44(1) ne peut prendre fin que dans l'une ou l'autre des éventualités prévues aux alinéas a), b) et c) de ce paragraphe. Je ne crois pas qu'il soit possible d'interpréter l'un ou l'autre de ces trois alinéas comme signifiant que l'inadmissibilité prend fin lorsque le conflit collectif cesse d'être la cause réelle du chômage.

    La décision attaquée m'apparaît donc fondée. Je rejetterais la demande.



    « Louis Pratte »
    J.C.F.C.



    « Je suis d'accord

    Gerald Le Dain J. »


    1 Ces trois éventualités sont les suivantes:

    a) la fin de l'arrêt du travail.

    b) l'engagement de bonne foi du prestataire à un emploi exercé ailleurs dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la sienne,

    c) le fait que le prestataire s'est mis à exercer quelqu'autre occupation de façon régulière.


    MOTIFS DU JUGEMENT
    ;
    Prononcé par :

    LE JUGE HUGESSEN :

    Je suis entièrement d'accord avec les conclusions de mon collègue le Juge Pratte sur les deux branches de la présente affaire et ne veux qu'ajouter quelques remarques quant à l'inadmissibilité décrétée par l'article 44 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage.

    Le paragraphe (1) de l'article 44 se lit comme suit:

    "Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une des éventualités suivantes, à savoir:

    a) la fin de l'arrêt de travail,

    b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la sienne,

    c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation d'une façon régulière.

    A mon sens, l'emploi du passé du verbe "perdre" dans le premier membre de phrase nous reporte inéluctablement au moment dans le temps où le prestataire est devenu chômeur. C'est la cesse de sa perte d'emploi à ce moment précis et non pas celle de son état de chômage subséquent qui déclenche son inadmissibilité; celle-ci, une fois établie, ne prend fin qu'avec la réalisation de l'une des trois éventualités énumérées aux sous-paragraphes a), b) et c). En d'autres termes, la question qu'il faut se poser est "Comment le prestataire a-t-il perdu son emploi au début de sa période de chômage?" et non pas "Pourquoi le prestataire est-il aujourd'hui chômeur?" Donc dès qu'un prestataire perd son emploi pour la raison mentionnée au paragraphe 44(1), il devient inadmissible; il le demeure tant que l'une des conditions des sous-paragraphes a), b) et c) ne s'est pas réalisée, même si, n'eût été le conflit collectif, il aurait subséquemment et de toute façon perdu son emploi pour une autre raison.

    Je disposerais de l'affaire comme le propose mon collègue le juge Pratte.



    « James K. Hugessen »
    J.

    2011-01-16