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  • Jugement de la Cour d’Appel Fédérale #A-220-87 - SYNDICAT CANADIEN DES OFFICIERS DE MARINE MARCHANDE, HENRI, FORTIN c. LE CONSEIL ARBITRAL, ALLISON, WALSH, Tribunal, juge-arbitre

    JUGEMENT DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE

    Daté :
    le 8 juillet 1988

    Dossier :
    A-220-87

    Décision du juge-arbitre :
    CUB 13443

    « TRADUCTION »

    CORAM :

    LE JUGE PRATTE
    LE JUGE MARCEAU
    LE JUGE DESJARDINS

    ENTRE :

    SYNDICAT CANADIEN DES OFFICIERS DE MARINE MARCHANDE,
    (AFFAIRE INTÉRESSANT LA DEMANDE DE HENRI FORTIN)

    demandeur,

    - et -

    LE CONSEIL ARBITRAL,

    intimé,

    - et -

    LE JUGE ALLISON WALSH,

    tribunal.
    (juge-arbitre)


    Audience tenue à Montréal, le mardi 24 mai 1988.

    MOTIFS DU JUGEMENT
    (Jugement rendu à Ottawa,
    le vendredi 8 juillet 1988)
    ;
    Prononcé par


    Il s'agit d'une demande, présentée en vertu de l'article 28, visant la contestation de la décision d'un juge-arbitre nommé en vertu de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage qui confirmait en partie la décision d'un conseil arbitral rendue lors d'un appel interjeté par Henri Fortin, membre du syndicat demandeur.

    M. Fortin était employé comme ingénieur maritime à bord du bateau Industrial Transport du 23 mars 1985 au 19 février 1986. Ses conditions de travail étaient régies par une convention collective dont l'une des clauses est rédigée ainsi:

    14. CONGÉS ET PAIE DE CONGÉS ACCUMULÉS

    (a) Un ingénieur maritime aura droit à la solde de congé, laquelle sera payable pour chaque heure de travail dans la semaine de travail pour laquelle un crédit de congé est admissible. Lorsqu'un ingénieur maritime est engagé dans un emploi annuel continu, le paiement peut être différé à la fin du mois suivant la date anniversaire de son entrée au service de la Compagnie. Sujet aux conditions et exceptions stipulées dans cette section, chaque ingénieur maritime aura droit de prendre congé avec paie du navire sur lequel il travaille; la paie de congé devant être calculée à l'équivalent de deux (2) journées de congé pour chaque six (6) jours de huit (8) heures de travail par jour (facteur .334).

    (b) Chaque ingénieur maritime éligible sera crédité d'une paie de congé comme suit :

    Chaque ingénieur éligible aura droit à .334 le taux horaire de base pour chaque heure travaillée.

    (c) Les congés accumulés ne seront pas alloués pour une période de moins de quatorze (14) jours sans consentement mutuel.

    (d) Lorsqu'un ingénieur a accumulé quatorze (14) jours de congé ou plus et pourvu qu'il en ait fait la demande par écrit quinze (15) jours à l'avance, on lui accordera un minimum de quatorze (14) jours de congé. Cependant, tous ces congés devront être terminés avant le 1er décembre. Les ingénieurs travaillant sur des navires en opération douze (12) mois par année ne pourront pas prendre de congé entre le 1er décembre et le 15 janvier à moins que des arrangements convenables puissent être pris.

    (e) Un ingénieur maritime ne sera pas tenu de prendre congé du navire ou empêché de le faire.

    (f) Un seul ingénieur à la fois pourra prendre ses congés et ces congés seront accordés aux ingénieurs par ordre de classification sur chaque navire, à moins d'entente mutuelle entre les ingénieurs impliqués.

    (g) Les crédits de congés accumulés doivent être payés à la fin de chaque mois, mais le crédit de congé continue de s'accumuler.

    (h) Lorqu'un ingénieur est en congé payé tel que stipulé dans cet article, et qu'il est rappelé au travail par la Compagnie avant l'expiration de son congé, il sera rémunéré au taux de surtemps pour toutes les heures travaillées entre la période où il fut rappelé et la période où ce congé devait se terminer.

    M. Fortin a été licencié le 19 février 1986, lorsque le bateau a été désarmé. Il a alors réclamé de l'assurance-chômage. Au moment de son licenciement, M. Fortin avait droit, en application de la clause 14 de la convention collective, de prendre une période de congé. La Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada a jugé qu'il avait droit une période de congé de soixante jours et par conséquent a décidé que sa période de prestations, au lieu de commencer le 20 février 1986, avait commencé soixante jours plus tard, soit le 20 avril 1986. Cette décision était fondée sur le paragraphe 37(3) des Règlements sur l'assurance-chômage, qui est libellé comme suit:

    Article 37.(3) Lorsque l'assuré accomplit régulièrement un plus grand nombre d'heures, de jours ou de postes de travail que ne le font normalement dans une semaine civile les personnes employées à plein temps et que, pour cette raison, il a droit, en vertu de son contrat de louage de services, à un congé d'une semaine ou plus, il n'est pas censé avoir subi un arrêt de rémunération pendant ce congé.

    M. Fortin a interjeté appel dé la décision de la Commission à un conseil arbitral. Son appel a été rejeté. Le syndicat qui le représente, le demandeur devant la présente Cour, a alors interjeté appel à un juge-arbitre. L'appel a été accueilli en partie seulement. Le juge-arbitre a rejeté les arguments principaux de l'appelant selon lesquels le paragraphe 37(3) des Règlements est ultra vires et contrevient à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés; il a toutefois jugé qu'au moment de son licenciement, M. Fortin avait seulement droit à vingt-sept jours de congé (plutôt que soixante) et il a modifié la décision de la Commission en conséquence. La présente demande déposée en vertu de l'article 28 vise cette décision.

    Pour appuyer la demande, l'avocat du demandeur a repris les arguments qu'il avait formulés précédemment selon lesquels le paragraphe 37(3) des Règlements constitue un excès du pouvoir de réglementation de la Commission et contrevient à l'article 15 de la Charte. Il a toutefois commencé sa plaidoirie avec un nouvel argument, c'est-à-dire que la décision contestée est fondée sur une interprétation fautive du paragraphe 37(3) qui, s'il est interprété correctement, ne s'applique pas en l'espèce.

    Je traiterai d'abord de ce nouvel argument.

    Le paragraphe 37(3) vise la situation où un employé a droit, en vertu de son contrat de louage de services, à une période de congé. Dans ce cas, conformément à la dernière partie du paragraphe, l'employé "n'est pas censé avoir subi un arrêt de rémunération pendant ce congé". Selon le demandeur, l'expression "pendant ce congé" signifie "durant ce congé" afin que l'article s'applique seulement lorsque l'employé qui a droit à une période de congé exerce de fait ce droit. Le seul but du paragraphe serait alors de préciser que l'employé ne subit pas un arrêt de rémunération relativement à la période durant laquelle il est en congé. Cette interprétation, selon l'avocat du demandeur, n'est peut-être pas la seule qui puisse être donnée à la version anglaise du paragraphe, mais elle est la seule qui est compatible avec la version française où l'expression "in respect of that period", à la fin du paragraphe, est rendue par les mots "pendant ce congé" qui peuvent seulement viser une période où l'employé est, de fait, en congé.

    Cet argument est assez convaincant lorsqu'on lit le paragraphe 37(3) isolément. Toutefois, on doit le lire dans son contexte. La règle générale concernant l'arrêt de rémunération se trouve au paragraphe 37(1):

    Article 37.(1) Sous réserve des dispositions du présent article, un arrêt de rémunération survient quand, après une période d'emploi, l'assuré est licencié ou cesse d'être au service de son employeur, et se trouve ou se trouvera à ne pas avoir travaillé pour cet employeur durant une période de sept jours consécutifs ou plus, à l'égard de laquelle aucune rémunération provenant de cet emploi, autre que les rémunérations dont il est question au paragraphe 58(12), ne lui est payable ni attribuée.

    Les paragraphes qui suivent ce paragraphe sont des modifications de cette règle générale, qui sont applicables dans des cas particuliers. On y prévoit que dans ces cas, l'arrêt de rémunération se produit à un moment différent de celui prescrit par le paragraphe 37(1). Lorsque le paragraphe 37(3) est lu dans son conteste, il devient alors évident que son but n’est pas simplement d’énoncer ce qui est manifeste, c’est-à-dire qu’un employé qui est en congé n’a pas eu un arrêt de rémunération, mais plutôt d’énoncer que lorsqu’un employé est licencié ou cesse d’être au service de son employeur à un moment où il a droit à une période de congé, l’arrêt de rémunération a lieu à un moment postérieur à celui prévu paragraphe 37(1).

    Je suis donc d’avis que le juge-arbitre a interprété correctement le paragraphe 37(3) des Règlements.

    En deuxième lieu, le demandeur prétend que le paragraphe 37(3) est ultra vires. Ce paragraphe a été pris par la Commission conformément à l’alinéa 58n) de la Loi qui donne à la Commission le pouvoir de prendre, avec l’approbation du gouverneur en conseil, des règlements "précisant dans quels cas et à quel moment se produit en arrêt réglementation, on doit tenir compte du fait que le Parlement a, à l’alinéa 2(1)n) de la Loi, défini l’expression arrêt de rémunération" de la manière suivante:

    "arrêt de rémunération" désigne l’arrêt de la rémunération d’un assuré lorsque celui-ci cesse d’être à l’emploi d’un employeur par suite de mise à pied ou pour toute autre raison, ou une réduction de ses heures de travail entraînant une réduction de rémunération telle que prescrite;

    L’argument du demandeur est fondé sur l’hypothèse que le pouvoir conféré à la Commission en vertu de l’alinéa 58r) de la Loi ne comprend par le pouvoir de modifier la Loi et, notamment, celui de modifier la définition de l’expression "arrêt de rémunération" comprise à l’alinéa 2(1)n). Selon le demandeur, en prenant le paragraphe 37(3) de Règlements, la Commission a exactement fait cela puisque, en vertu de ce paragraphe, un arrêt de rémunération qui conformément à la définition de l’alinéa 2(1)n) de la Loi, s’est déjà produit, est présumé ne pas l’être jusqu’à l’expiration de la période de congé à laquelle l’employé a droit.

    Il a déjà été décidé 1 que l’alinéa 58r) de la Loi ne donne pas à la Commission le pouvoir "d'apporter [...] des modifications arbitraires aux règles législatives appliquées par la loi elle-même au versement des prestations" et qu'il ne fait que ceci: il "autorise l'établissement de règlements contenant des critères pour déterminer le moment exact où se produit un arrêt de rémunération aux fins de l'article 17(2), dans la mesure où l'objet de ces règles est d'établir "à quel moment" se produit un "arrêt de rémunération", tel que le définit l'article 2(1)n)."

    La Commission, en prenant le paragraphe 37(3) des Règlements, a-t-elle modifié la définition comprise à l'alinéa 2(1)n) ou y a-t-elle passé outre? Ma réponse est négative. Á mon sens, ce paragraphe ne fait que résoudre une difficulté qui se présente dans l'application de la définition. Normalement, l'arrêt de rémunération se produit au moment où l'employé est licencié ou cesse d'être au service de son employeur. Tel qu'il a été établi dans la décision Paulsen, 2 un problème peut naître dans l'application de cette règle lorsque l'arrérage de salaire est payé après le licenciement ou la cessation d'emploi. Un problème peut également surgir si un employé, avant son licenciement, a obtenu le paiement non seulement du travail qu'il a accompli et des jours de repos qu'il a pris, mais aussi des jours de repos auxquels il a droit et qu'il n'a pas encore pris. Dans ce cas, qui est prévu par le paragraphe 37(3), l'arrêt de rémunération se produit-il au moment du licenciement ou à l'expiration de la période de repos à laquelle l'employé a droit? A mon avis, cela constitue une véritable question et on ne peut pas dire que le paragraphe 37(3), de la façon dont il est libellé, change arbitrairement les règles établies par la Loi pour régir le paiement de prestations.

    A mon avis, donc, le paragraphe 37(3) n'est pas ultra vires.

    En dernier lieu, le demandeur a prétendu que le paragraphe 37(3) contrevient à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés puisqu'il dénie à Fortin et aux autres personnes auxquelles il s'applique le droit à l'égalité devant la Loi, tous ayant droit au même bénéfice de la loi. L'avocat du demandeur a allégué que le paragraphe 37(3) est discriminatoire parce qu'il dénie à ceux auxquels il s'applique un droit qui est donné à tous, notamment celui de recevoir des prestations d'assurance-chômage deux semaines après la cessation d'emploi.

    L'avocat de l'intimé a soutenu que le juge-arbitre n'avait pas compétence pour juger de la validité constitutionnelle du paragraphe 37(3) et que, par conséquent, on ne peut dire qu'il a commis une erreur de droit en appliquant cette disposition. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire en l'espèce de décider de cette question. En effet, même si je présume, pour lés besoins de la discussion, que le juge-arbitre avait cette compétence, je ne peux m'empêcher de conclure qu'il a décidé avec raison que le paragraphe 37(3) ne contrevient pas à l'article 15 de la Charte. Il est vrai que le demandeur et d'autres à qui le paragraphe s'applique sont traités différemment de ceux qui, au moment de leur licenciement, n'avaient pas droit à un congé. Mais cette différence ne me semble pas injustifiée et, pour cette raison, je ne peux souscrire à l'argument du demandeur selon lequel le paragraphe 37(3) est discriminatoire.

    Pour ces raisons, je rejette la demande.



    "Louis Pratte"


    J.C.F.C.

    "J'y souscris.
    L. Marceau"
    "J'y souscris.
    Juge Alice Desjardins"


    1 Le procureur général du Canada c. Paulsen, [1973] C.F. 379, à la p. 385.

    2 Précité, à la page 386, note 4.

    2011-01-16