• Accueil
  • Jugement de la Cour d’Appel Fédérale #A-236-94 - LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA c. BRUCE, JEWELL


    CORRESPONDING CUB: 24234A


    JUGEMENT DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE

    Daté :
    le 24 octobre 1994

    Dossier :
    A-236-94

    Décision du juge-arbitre :
    CUB 24234

    « TRADUCTION »

    CORAM :

    LE JUGE STONE, J.C.A.
    LE JUGE ROBERTSON, J.C.A.
    LE JUGE McDONALD, J.C.A.

    ENTRE :

    PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

    requérant,

    - et -

    BRUCE JEWELL,

    intimé.


    Audience tenue à Toronto (Ontario), le lundi 24 octobre 1994.

    MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
    (Rendus à l'audience, à Toronto (Ontario)
    le lundi 24 octobre 1994)
    ;
    Prononcé par


    LE JUGE ROBERTSON, J.C.A. :

    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire portant sur certains aspects punitifs des dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage (la «Loi» qui s'appliquent lorsque le prestataire perd son emploi en raison de sa propre inconduite. En l'espèce, la Commission de l'emploi et de l'immigration (la «Commission») et le conseil arbitral (le «conseil») ont conclu que l'employeur n'avait pas renouvelé le contrat de travail de l'intimé en raison d'un «juron» proféré par ce dernier à l'endroit d'un tiers. Selon la preuve admis, l'intimé s'est trouvé aux prises, dans un établissement d'enseignement, avec un élève à la conduite odieuse. En guise de représailles, l'intimé s'en est pris verbalement à l'élève en le traitant de «sale con»(«asshole»).

    L'emploi de l'intimé ayant pris fin pour un motif qui a été qualifié d'inconduite, la Commission a exclu l'intimé du bénéfice des prestations pendant une période de huit semaines et a abaissé le taux des prestations de 60% à 50% de la rémunération moyenne hebdomadaire. L'exclusion se fondait sur le paragraphe 28.1(1) de la Loi, dont voici le libellé :

    28.(1) Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations versées en vertu de la présente partie s'il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s'il quitte volontairement son emploi sans justification.

    L'appel interjeté par l'intimé devant le conseil a été rejeté pour le motif que les actes reprochés équivalaient à une inconduite :

    [TRADUCTION] La question est de savoir s'il a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Le motif invoqué par l'employeur, c.-à-d. le fait d'avoir traité l'élève de «sale con» («asshole») (pièce 14.1) et qu'un tel comportement était inadmissible de la part d'un enseignant, équivaut, selon le conseil, à une inconduite. Le conseil constate qu'il y a certainement plusieurs circonstances atténuantes dans cette affaire (pièce 16.1-16.9), mais que la Commission en a tenu compte dans l'établissement de la période d'exclusion à seulement huit semaines (pièce 14.3).

    [Je souligne.]

    L'appel interjeté par l'intimé devant le juge-arbitre a été accueilli. Se fondant sur l'article 80 de la Loi, le juge-arbitre, après avoir examiné le juron à l'origine de la cessation d'emploi, a conclu qu'il ne s'agissait [TRADUCTION] «pas d'un motif valable de congédiement». Voici ce qu'il dit à la page 3 de ses motifs :

    Dans l'affaire en l'espèce, la preuve ne contient qu'un incident; l'enseignant a été provoqué. L'élève était un jeune homme et le milieu était celui d'un atelier d'enseignement technique. Rien ne donne à croire qu'il ne s'agissait pas de la première incartade de ce genre dans le cas du prestataire. C'est la preuve dont disposait le conseil arbitral. À mon avis, dans ces circonstances, l'incident n'a aucune portée matérielle sur la capacité du prestataire à exercer efficacement ses fonctions et ne nuit pas aux intérêts de l'employeur. Il s'agit d'un incident mineur et isolé qui ne justifie pas un congédiement. [...] Je conclus que le conseil arbitral a dû prendre cette décision sans égard à la preuve qui lui avait été présentée.

    [Je souligne.]

    En somme, le juge-arbitre a conclu que le congédiement de l'intimé était injustifié.

    Nous sommes tous d'avis que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. En annulant la décision du conseil, le juge-arbitre s'est posé la mauvaise question. La bonne question posée par la Commission et par le conseil était de savoir si l'intimé avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Les décisions Canada c. Bedell, (1985) 60 N.R. 116 (C.A.F.), Canada (Procureur général) c. Tucker, [19860 2 C.F. 329 et Canada c. Brissette, [1994] 1 C.F. 684 énoncent le droit applicable selon la Cour quant à ce qui constitue une inconduite. Il ressort de ces décisions que, en l'absence de l'élément psychologique requis, le comportement reproché ne peut être qualifié d'inconduite au sens de l'article 28 de la Loi.

    Par ailleurs, le juge-arbitre s'est demandé si l'inconduite de l'intimé constituait un motif valable de congédiement. Ce faisant, il a commis une erreur selon une décision antérieure de la Cour. En effet, dans Procureur général du Canada v. Namaro, (1983) 46 N.R. 541 (C.A.F.), il est dit ce qui suit (à la p. 544) :

    J'estime que le conseil ne s'est pas posé la bonne question; alors qu'il aurait dû se pencher sur la question de savoir si la réclamante avait été congédiée pour inconduite, il s'est demandé si les circonstances de l'espèce justifiaient un congédiement pour inconduite. [Pour une décision au même effet, se reporte au jugement du juge Le Dain dans Davlut c. Le procureur général du Canada, no du greffe : A-241-82, 16 décembre 1982, (1982), 46 N.R. 6.]

    Par conséquent, suivant le droit actuel, l'article 28 s'applique dans la mesure où l'employeur estime que l'inconduite reprochée justifiait le congédiement et ce, même si cette évaluation subjective ne pourrait être invoquée comme moyen de défense dans le cadre d'une action pour congédiement injustifié. Pour ce motif, la demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 28 est accueillie, et la décision du juge-arbitre en date du 4 mars 1994 est annulée.



    J.T. Robertson


    J.C.A.

    2011-01-07