• Accueil >
  • Bibliothèque de la jurisprudence
  • Jugement de la Cour d’Appel Fédérale #A-381-85 - LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA c. TUCKER, FRANCINE

    JUGEMENT DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE

    Date :
    le 27 mars 1986

    Dossier :
    A-381-85

    Décision du juge-arbitre :
    CUB 10319;

    « TRADUCTION »

    CORAM :

    L'HONORABLE JUGE MARCEAU
    L'HONORABLE JUGE STONE
    L'HONORABLE JUGE MacGUIGAN

    AFFAIRE INTERESSANT une demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour Federale

    AFFAIRE INTERESSANT la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1971, chapitre 48 et ses modifications;

    ET une décision du juge Reed, nommée juge-arbitre conformément à l'article 92 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage;

    ET une demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, (2e Supp.), chapitre 10, tendant à l'examen et à l'annulation de la décision du juge-arbitre.

    ENTRE :

    LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA,

    requérant,

    - et -

    FRANCINE TUCKER,

    intimée.

    MOTIFS DU JUGEMENT
    (Prononcés à l'audience à Ottawa,
    le jeudi 27 mars 1986) ;
    Prononcé par

    L'HONORABLE JUGE MacGUIGAN :

    La présente demande fondée sur l'article 28 vise une décision rendue par le juge Reed en qualité de juge-arbitre en vertu de l'article 95 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, ("la Loi").

    En l'espèce, la prestataire, un agent de bord à l'emploi de C.P. Air, a été suspendue par son employeur pendant quatre mois pour s'être intoxiquée durant un vol après avoir absorbé des calmants qui n'avaient pas été prescrits à son intention. En vertu de l'article 41 de la Loi, la Commission de l'assurance-chômage ("la Commission") l'a exclue du bénéfice des prestations d'assurance-chômage pendant quatre semaines. Un conseil arbitral a unanimement maintenu son exclusion, mais l'a réduite de quatre semaines à trois. Le juge Reed a accueilli l'appel qu'elle a interjeté à l'encontre de cette exclusion.

    Les motifs d'appel à un juge-arbitre prévus à l'article 95 sont substantiellement les mêmes que ceux prévus à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Après avoir conclu que le conseil arbitral avait commis une erreur de droit aux termes du paragraphe 95(b), le juge Reed a exercé les pouvoirs que lui confère l'article 96 pour rendre, à partir des faits, la décision que selon elle le conseil arbitral aurait dû rendre.

    Le paragraphe 41.(1) de la Loi, en vertu duquel l'exclusion a été prononcée, est ainsi rédigé:

    "Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations servies en vertu de la présente Partie s'il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s'il quitte volontairement son emploi sans justification."

    Le passage pertinent de la décision du juge Reed se lit comme suit:

    Afin de déterminer stil y a eu inconduite dans la présente affaire, il faut examiner les principes de droit généraux applicables à la relation employé-employeur. A cet égard, je note que dans le texte écrit par Innis Christie, Employment Law in Canada (1980), il est mentionné à la page 361:

    "Il est clair que, pour l'employé, il est plus grave de manquer à certaines de ses obligations implicites qu'à d'autres.

    ... La malhonnêteté mise à part, les tribunaux semblent être prêts à admettre que les employés vent humains, qu'ils peuvent être malades et être incapables de s'acquitter de leurs obligations, et qu'ils peuvent faire des erreurs sous l'influence du stress ou de l'inexpérience."

    Sous le terme "misconduct" (inconduite), le Black's Law Dictionary (1979, 5e éd.) dit ce qui suit:

    "... ce terme a pour synonymes délit, méfait, écart de conduite, délinquance, inconvenance, mauvaise administration et infraction, mais pas négligence ni insouciance.

    L'inconduite, qui rend l'employé congédié inadmissible au bénéfice des prestations de chômage, existe lorsque la conduite de l'employé montre qu'il néglige volontairement ou gratuitement les intérêts de l'employeur, par exemple, en commettant des infractions délibérées, ou ne tient aucun compte des normes de comportement que l'employeur a le droit d'exiger de ses employés, ou est insouciant ou négligent à un point tel et avec une fréquence telle qu'il fait preuve d'une intention délictuelle..."

    Même si le second extrait cité ci-dessus ne se rapporte pas à la Loi sur l'assurance-chômage en vigueur au Canada, il correspond parfaitement, à mon sens, à notre droit, dans la mesure où il indique que, pour constituer de l'inconduite, l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail. Aucune volonté de la sorte ne s'est manifestée dans la présente affaire."

    La requérante soutient, en s'appuyant sur l'arrêt de Lord Reid dans Brutus v. Cozens, (1973) A.C. 854, à la page 861, que "le sens d'un mot courant de la langue anglaise n'est pas une question de droit", que le sens ordinaire du mot "misconduct" n'exige pas que l'inconduite soit délibérée, et que le juge-arbitre a par conséquent commis une erreur de droit en définissant le mot misconduct comme elle l'a fait.

    Toutefois, il me semble que cette question a été tranchée définitivement par cette cour dans Procureur général du Canada c. Bedell, décision non publiée, prononcée le 8 juillet 1984 et portant le numéro de greffe A-1716-83, dans laquelle le juge Stone a déclaré, au nom de la Cour, à l'égard du même paragraphe en litige en l'espèce que "(l')interprétation du mot "inconduite" constitue une question de droit." En outre, le juge Stone, prononçant alors les motifs de la décision de cette cour dans un arrêt plus récent, Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise et Gte. Sylvania Canada Limited, numéro de greffe A-539-83, rendu le 11 décembre 1985, a situé dans leur contexte les propos prononcés par Lord Reid dans l'arrêt Brutus:

    Il est fermement établi que c'est l'approche contextuelle qui doit présider à l'interprétation des lois. Elle a été définie en ces termes par le juge Stamp dans l'arrêt Bourne v. Norwich Crematorium, Ltd. (1967) 2 All E.R. 576 (Ch. D.) à la page 578.

    "Le sens des mots anglais est influencé par le contexte dans lequel ils baignent. Une phrase n'est pas qu'une série de mots qui doivent être considérés indépendamment de la phrase où ils se trouvent, définis un à un en s'en remettant au dictionnaire et à la jurisprudence, puis replacés dans la phrase en leur donnant le sens qu'on leur a assigné individuellement, de sorte qu'on donne à cette phrase ou à cette expression un sens qu'elle ne peut avoir à moins de dénaturer la langue anglaise."

    La cause R.v. National Insurance Commissioner et al (1974) 3 All E.R. 522 (Q.B. D. div. Ct.) illustre bien l'application de ce principe. Dans cette affaire, un tribunal créé par la loi avait à interpréter le mot "nuit"' dans le contexte suivant: "... il est si sérieusement handicapé, physiquement ou mentalement, que pour satisfaire ses besoins naturels il a souvent besoin del'aide d'une autre personne pendant le jour et d'une assistance prolongée ou répétée pendant la nuit ...". Deux ans plus tôt, la Chambre des Lords avait décidé dans l'arrêt Brutus v. Cozens (1972) 2 All E.R. 1297, (1973) C.A. 854 (par l'entremise de Lord Reid à la page 861) que le sens courant d'un mot anglais n'était pas une question de droit bien que l'interprétation appropriée d'une loi en soit une. Je fais mien le raisonnement de Lord Widgery J.C., qui parfait alors au nom de la Cour (à la page 526):

    "Quant à l'interprétation de l'article, il est important de se rappeler les commentaires qu'a faits Lord Reid dans l'arrêt Brutus v. Cozens (1972) 2 All E.R. 1297, (1973) C.A. 854. Dans cette affaire, Lord Reid étudiait le sens du mot "insulting" (offensant") utilisé dans une loi que la présente Cour connaît mieux que la disposition présentement à l'étude. Il a fait remarquer que l'attribution d'une signification à un mot anglais courant ne constitue nullement une question de droit mais que l'interprétation d'une loi en était bien sûr une. Relativement à ces questions, je garde présents à l'esprit les commentaires de Lord Reid, c'est-à-dire qu'attribuer un sens à ce qui est à première vue un mot anglais courant ("night" en l'occurrence), ne constitue pas, de prime à bord, une question de droit. Toutefois, bien que le mot "night" ("nuit") soit un des mots anglais les plus usités dans son sens courant, il possède diverses nuances de sens et l'on ne saurait déterminer quel est son sens exact dans un contexte donné sans tenir compte de ce contexte; la question en devient donc une d'interprétation et par conséquent de droit." (C'est moi qui souligne)

    Un tribunal n'est ni lexicographe ni un plus grand expert de l 'usage courant des mots que toute autre personne s'attachant à l'étude de la langue. Cependant, il est l'interprète officiel des lois et lorsqu'un mot est utilisé dans un contexte législatif, il appartient alors au tribunal de l'interpréter et il s'agit alors d'une question de droit. Évidemment, comme le juge Stone l'a écrit dans l'arrêt Bedell, précité, "(1) a question de savoir si une action ou une omission particulière de la part d'un employé est visée par la définition de ce mot, en est une de fait, mais cela revient à dire qu'un jugement global rendu quant à l'application de la loi dans une instance particulière constitue une question mixte de droit et de fait, et non qu'il s'agit uniquement d'une question de fait. L'interprétation d'un mot dans une loi est une question de droit; son application à des faits particuliers en est une fait.

    Dans le cas du paragraphe 41(1) de la présente Loi, tous les facteurs qu'il m'a été possible d'isoler viennent appuyer l'interprétation du juge Reed. Tout d'abord, la définition tirée du Black's Law Dictionary qui met l'accent sur le fait que l'employé "néglige volontairement ou gratuitement les intérêts de l'employeur." Il y a également le syntagme possessif "sa propre" précédant le mot inconduite, qui laisse sous-entendre la responsabilité et par conséquent le caractère intentionnel ou l'insouciance. Il y a le parallélisme avec le fait que l'on exige que l'employé quitte "volontairement" son emploi sans justification. Signalons également l'expression française sa propre inconduite qui a une connotation semblable à celle de l'expression anglaise. Il y a un dernier élément, qui est peut-être le plus important, c'est la raison d'être de l'ensemble de la disposition qui consiste à imposer une exclusion à titre de "pénalité" pour un comportement indésirable qui n'équivaut pas exactement au véritable chômage auquel la Loi entend remédier. Le meilleur argument qu'a pu soulever le requérant pour soutenir la thèse contraire a été une définition tirée d'un dictionnaire, définition qui était ambiguë sur cette question. Je n'ai aucune hésitation à conclure que le juge Reed n'a pas fait d'erreur d'interprétation en jugeant que le paragraphe 41(1) exige pour qu'il y ait exclusion la présence d'un élément psychologique, soit un caractère délibéré soit une conduite à ce point insouciante qu'elle frôle le caractère délibéré.

    Subsidiairement, le requérant a prétendu que le conseil arbitral n'avait commis aucune erreur de droit dans sa décision. Le passage essentiel de cette décision se lit comme suit:

    EXPOSE DES FAITS :

    La prestataire a comparu en compagnie de M. Day, un représentant syndical. Elle a admis qu'elle était intoxiquée durant le vol en question et qu'elle avait été incapable d'accomplir ses tâches. Elle a dit qu'on ne l'avait pas relevée de ses fonctions durant le vol et que son superviseur ne lui avait parlé de son comportement que durant le vol de retour le lendemain. Elle a dit que ses absences avaient été assez nombreuses, mais qu'à chaque fois, elle avait présenté une lettre de son médecin et on lui avait accordé un congé. Elle a ajouté qu'elle avait manqué de jugement en prenant des médicaments qui n'avaient pas été prescrits pour elle et qui l'ont intoxiquée. Elle a demandé que son étourderie ne soit pas jugée trop sévèrement, car elle n'avait pas voulu négliger son travail.

    CONCLUSION :

    Le conseil a pesé toutes les preuves présentées et a jugé que des absences appuyées par des certificats médicaux ne pouvaient pas être considérées comme de l'inconduite. Il a considéré comme une admission d'inconduite le fait que la prestataire ait admis avoir donné un mauvais rendement durant un vol. Le conseil a étudié les faits entourant l'événement et a jugé qu'il y avait des circonstances atténuantes.

    DECISION :

    Le conseil a décidé à l'unanimité des voix que l'appel devait être REJETE, mais que l'exclusion imposée en vertu des articles 41 et 43 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage devait être réduite à 3 semaines."

    Les faits pertinents sur lesquels le conseil indique clairement qu'il appuie sa conclusion semblent être les suivants: (1) l'aveu par la prestataire de son intoxication durant le vol en question; (2) le fait qu'elle nie avoir été incapable de s'acquitter de ses fonctions durant le vol; (3) le fait qu'elle avoue avoir manqué de jugement en prenant un médicament qui n'avait pas été prescrit à son intention; (4) le fait qu'elle demande que son étourderie ne soit pas jugée trop sévèrement. En résumé, elle a admis le fait de l'intoxication, mais elle a nié avoir eu l'élément psychologique nécessaire pour qu'il y ait inconduite ("elle n'avait pas voulu négliger son travail").

    S'appuyant sur ces faits, le conseil conclut que son aveu suivant lequel elle a travaillé avec les facultés affaiblies au cours d'un vol constituait un aveu d'inconduite. Comme son aveu n'était qu'un aveu portant sur un fait uniquement et non sur l'état psychologique nécessaire à l'inconduite, le seul sens qui peut être attribué à la conclusion du conseil est que ce dernier a jugé inutile la preuve de l'élément psychologique. Cela revient à interpréter le paragraphe 41(1) de la manière suggérée par le requérant, c'est-à-dire comme n'exigeant pas de caractère délibéré ou insouciant. Comme je l'ai déjà indiqué, il s'agit d'une interprétation erronée du paragraphe 41(1) et donc d'une erreur de droit de la part du conseil.

    Dès que l'arbitre conclut à bon droit que le conseil commis une erreur de droit, la question de savoir si le conseil avait devant lui des éléments de preuve lui permettant raisonnablement d'en arriver à la conclusion à laquelle il est arrivé ne se pose plus. En vertu de l'article 96 de la Loi, le juge-arbitre est elle-même autorisée à rendre la décision qu'elle estime que le conseil aurait dû rendre.

    Par conséquent, je rejetterais l'appel.



    « Mark R. Macguigan »
    J.C.F.C.



    « Je souscris aux présents motifs.

    A.J. Stone, J. »


    L'HONORABLE JUGE MARCEAU :

    Il s'agit en l'espèce d'une demande présentée par le procureur général, conformément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, en vue d'obtenir l'examen et l'annulation de la décision rendue par le juge Reed, en sa qualité de juge-arbitre en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, dans laquelle elle a accueilli l'appel formé par l'intimée contre une décision du conseil arbitral. Il est possible de résumer brièvement les faits, mais, pour bien saisir les questions en litige, il s'avérera nécessaire de s'attacher aux mots qu'ont employés les arbitres dans certains passages de leur décision et d'examiner ensuite attentivement les motifs prononcés par le juge-arbitre au soutien de sa conclusion.

    Le 27 octobre 1982, l'intimée, qui était alors à l'emploi de Canadian Pacific Airlines en qualité d'agent de bord, a été suspendue sans traitement durant la tenue d'une enquête sur sa conduite au travail. L'enquête a révélé qu'elle s'était effectivement intoxiquée durant un vol et qu'elle avait été incapable de s'acquitter de ses fonctions. Au terme de négociations entre l'employeur et un représentant syndical, il a finalement été convenu que l'intimée ne serait pas renvoyée, mais qu'elle purgerait plutôt une suspension de quatre mois. Par suite de cette décision, l'intimée a présenté une demande en vue de recevoir des prestations d'assurance-chômage pendant la durée de la suspension.

    La Commission a accueilli la demande, mais elle a avisé l'intimée que le paiement des prestations serait suspendu au cours des quatre premières semaines au cours desquelles elles seraient par ailleurs payables parce que cette dernière avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite et qu'une période d'exclusion devait être imposée en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi, qui est ainsi rédigé:

    "Art. 41(1) Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations servies en vertu de la présente Partie s'il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s'il quitte volontairement son emploi sans justification."

    L'intimée en a appelé de la décision de la Commission auprès d'un conseil arbitral. Lors de sa comparution devant le conseil, elle a fait remarquer, relativement à ses nombreuses absences auxquelles l'employeur avait fait allusion, qu'à chaque occasion, elle avait présenté "une lettre de son médecin" et elle a poursuivi en expliquant que son intoxication durant le vol en question était attribuable au fait qu'elle avait pris des médicaments (calmants) qui n'avaient pas été prescrits à son intention. Elle a demandé, suivant les mots utilisés par le conseil, "que son étourderie ne soit pas jugée trop sévèrement, car elle n'avait pas voulu négliger son travail." Après avoir exposé de façon succincte mais complète les faits qu'ils jugeaient pertinents, voici en quels termes les arbitres ont formulé leur conclusion et leur décision:

    "CONCLUSION :

    présentées et a jugé que des absences appuyées par des certificats médicaux ne pouvaient pas être considérées comme de l'inconduite. Il a considéré comme une admission d'inconduite le fait que la prestataire ait admis avoir donné un mauvais rendement durant un vol. Le conseil a étudié les faits entourant l'événement et a jugé qu'il y avait des circonstances atténuantes.

    DECISION :

    Le conseil a décidé à l'unanimité des voix que l'appel devait être REJETE, mais que l'exclusion imposée en vertu des articles 41 et 43 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage devait être réduite à 3 semaines.

    Le savant juge-arbitre a rédigé de longs motifs au soutien de sa conclusion suivant laquelle l'appel formé par l'intimée contre la décision du conseil était bien fondé, mais il est possible d'examiner et de résumer son raisonnement en se rapportant aux passages essentiels de ses motifs.

    Le juge-arbitre a commencé son analyse en abordant la question de savoir si le conseil avait tenu compte, en prenant sa décision, du fait "que, pour qu'il y ait inconduite, l'acte en cause doit avoir été délibéré." Elle fait remarquer que "rien dans le dossier ne lui indique que le conseil a réellement porté son attention sur ce point décisif ..." et que "rien n'indique que la Commission a porté à l'attention du conseil le fait que, à elle seule, l'intoxication pouvait ne pas être suffisante pour prouver l'inconduite ..." (page 4 des motifs), et elle poursuit en écrivant (aux pages 4 et 5):

    "Je ne peux pas conclure, au vu du dossier, que le conseil s'est penché sur les intentions de la prestataire. Par conséquent, c'est le genre d'affaire dans laquelle je dois examiner le cas et rendre une décision en application de l'article 96 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.R.C. 1970-71-72, chap. 48, tel que modifié."

    Étant ainsi arrivée à la conclusion qu'il lui était loisible de rendre la décision qu'aurait dû rendre le conseil arbitral, le juge-arbitre traite de la "sottise", admise volontiers par l'intimée elle-même, que constituait le fait de prendre un médicament prescrit pour quelqu'un d'autre, mais elle souligne que, néanmoins, l'intimée ne s'est pas intoxiquée intentionnellement. Il ne pouvait donc y avoir inconduite, car, affirme-t-elle (à la page 8):

    "... pour constituer de l'"inconduite", l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail. Aucune volonté de la sorte ne s'est manifestée dans la présente affaire."

    En dernière conclusion, le juge-arbitre se contente d'accueillir l'appel, ce qui de toute évidence signifie que c'est non seulement la décision du conseil qui a été annulée mais également celle de la Commission.

    Dans sa présente demande, le procureur général invoque deux motifs de contestation à l'encontre de la décision du juge-arbitre. D'une part, il soutient que le juge-arbitre a outrepassé sa compétence en substituant son opinion quant aux faits de l'affaire à celle du conseil arbitral, et, d'autre part, que le juge-arbitre a fait erreur en droit en définissant comme elle l'a fait le mot "misconduct" (inconduite) utilisé dans le texte anglais du paragraphe 41(1) de la Loi. Bien que cette dernière critique ne m'apparaisse pas entièrement justifiée, la première l'est nettement à mon avis.

    1. L'appelant soutient qu'en définissant le mot "misconduct" utilisé au paragraphe 41(1), le juge-arbitre a à tort vu dans cette disposition un élément qui ne s'y trouvait pas, soit celui du caractère volontaire ou délibéré. En lui-même, le mot misconduct n'exige pas que l'acte dont il est question soit volontaire, affirme l'appelant, et si on avait voulu qu'il en soit ainsi dans ce cas particulier, l'expression "wilful misconduct" (inconduite délibérée) aurait été utilisée. Je ne suis pas d'accord avec cette prétention. Il est possible que le terme anglais "misconduct" n'ait pas nécessairement cette connotation de caractère volontaire ou délibéré, mais je ne crois pas qu'on puisse en dire autant du mot correspondant dans le texte français, le mot "inconduite". En outre, le contexte commande de donner à ce mot une telle connotation puisque la disposition a pour but d'imposer une pénalité et que personne ne songerait à punir un individu pour quelque chose qu'il n'aurait pas accompli en toute liberté d'esprit.

    Toutefois, je suis d'avis que le juge-arbitre est allée trop loin en qualifiant le caractère volontaire requis lorsqu'elle a dit que "pour constituer de l'inconduite, l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail." Non seulement m'apparaît-il clairement que des considérations propres au droit criminel ont indûment influé sur l'esprit de son énoncé, j'éprouve même de la difficulté à saisir le sens de l'énoncé lui-même eu égard aux composantes pratiques du comportement humain. Il me semble qu'on ne devrait pas confondre un acte particulier et ses conséquences. Il suffit que l'acte soit délibéré pour qu'il y ait inconduite, et il peut en être ainsi même si on ne souhaite pas les conséquences qui en découlent. L'intoxication n'est pas un acte, elle en est plutôt sa conséquence. De plus, lorsqu'il est fait état de la "conduite" d'un individu, la plupart du temps on ne fait pas allusion à un acte unique mais plutôt à une série d'actes rattachée d'une certaine manière les uns aux autres, et la conduite elle-même peut certes être considérée comme étant délibérée même si certains de ces actes inter-reliés découlent nécessairement des actes précédents et qu'à ce titre, ils ne sont pas eux-mêmes dictés par la volonté. Quelques exemples simples suffiront à illustrer ma pensée. Je n'avais pas l'intention de heurter quelqu'un en marchant sur le trottoir, mais je l'ai fait parce que je suis sorti précipitamment de la maison sans d'abord m'assurer que la vole était libre ou encore parce que je courais les yeux fermés. Je ne peux voir, dans des exemples courants de la sorte, quel est l'acte dont fait mention le critère proposé par le juge-arbitre. A mon avis, la notion d'inconduite s'applique à tout comportement, qui soit anormal en lui-même ou dont les conséquences sont regrettables, à l'égard duquel une personne peut-être blâmée; et pour appliquer cette notion, il faut tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, tels, dans le cas d'un employé, la nature de ses fonctions, son intention au moment de l 'incident, la certitude, la probabilité ou la simple possibilité, forte ou faible, que son aptitude à s'acquitter de manière satisfaisante de ses fonctions soit touchée ou que des conséquences malheureuses en découlent, la gravité de ces conséquences, etc. Un jugement moral et réaliste sur l'ensemble des circonstances doit être porté. Gardant cette remarque à l'esprit, j'aborde maintenant mon second et principal point.

    2. Il me semble, à la lecture des motifs du conseil, que les arbitres ont fait exactement ce qu'on attendait d'eux, c'est-à-dire donner leur opinion relativement à la question de savoir si, à la lumière de toutes les circonstances, des reproches pouvaient être formulés à l'endroit de l'intimée par suite de son comportement inhabituel. Il est possible d'affirmer qu'une question de droit était en jeu en ce sens qu'il fallait interpréter adéquatement, suivant le contexte, un mot utilisé dans une disposition législative (voir sur cette question les commentaires du juge Stone dans l'arrêt Sous-ministre du Revenu national et Gte Sylvania Canada Limited, un jugement récent de cette cour, en date du 11 décembre 1985 et portant le numéro de greffe. Cependant, je ne crois pas qu'on ait voulu en l'espèce donner à ce mot un sens différent de son sens habituel et ordinaire -- la question de droit devenant ainsi assez peu importante -- et par-dessus tout, je ne vois rien dans les énoncés du conseil qui pourrait amener à conclure qu'il a mal interprété le sens de la disposition. Comme nous l'avons vu précédemment, la critique du savant juge-arbitre repose simplement sur le fait qu'elle "ne peut donc pas conclure, au vu du dossier, que le conseil s'est penché sur les intentions de la prestataire". Il est permis d'être en très profond désaccord avec une telle hypothèse puisque la prise en considération de l'état d'esprit de l'intimée apparaît être la seule raison possible pour justifier l'intervention du conseil, qui a réduit de quatre à trois le nombre des semaines d'inadmissibilité. Quoiqu'il en soit, ce que dit effectivement le juge-arbitre c'est qu'elle ne peut être certaine que le conseil arbitral n'a pas commis d'erreur. Cela m'apparaît être un renversement complet de la présomption de validité dont doivent bénéficier toutes les décisions de première instance, particulièrement celles soumises uniquement à un contrôle restreint telles les décisions rendues par les conseils arbitraux en vertu de la Loi. 1 La simple possibilité ou même la simple inquiétude qu'une erreur ait pu être commise par le conseil n'autorise pas le juge-arbitre, à mon humble avis, à réexaminer les faits et à substituer son appréciation à celle des arbitres. Pour être en mesure de déduire, à partir de la simple absence d'explication claire quant à leur interprétation du droit, que les arbitres avaient commis une erreur, le juge-arbitre devait, je crois, être convaincue que, à la lumière des faits de l'espèce, aucune personne raisonnable, bien au fait du droit applicable, aurait pu en arriver à la même conclusion que les arbitres. Il est évident à mes yeux (comme ce l'était sans aucun doute aux yeux du représentant syndical qui a négocié la suspension de quatre mois!) que tel n'était pas le cas en l'espèce.

    Malgré tout le respect que je dois à l'opinion contraire, j'estime que le juge-arbitre n'était pas autorisée à intervenir en l'espèce et que sa décision ne devrait pas être maintenue. L'affaire devrait être renvoyée devant elle pour fins de réexamen en tenant pour acquis qu'il n'existe aucun motif pour contester la décision du conseil.



    « Louis Marceau »
    J.C.F.C.


    1 Pour fins de commodité je reproduis ci-après l'article applicable:

    "Art. 95. Toute décision ou ordonnance d'un Conseil arbitral peut, de plein droit, être portée en appel de la manière prescrite, devant un juge-arbitre par la Commission, un prestataire, un employeur ou une association dont le prestataire ou l'employeur est membre, au motif que

    (a) le conseil arbitral n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;

    (b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou

    (c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance".
    1 Pour fins de commodité je reproduis ci-après l'article applicable:

    2011-01-16