• Accueil >
  • Bibliothèque de la jurisprudence
  • Jugement de la Cour d’Appel Fédérale #A-597-94 - LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA c. VERNON, LAWRIE, ET AL

    JUGEMENT DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE

    Date :
    le 20 octobre 1995

    Dossier :
    A-597-94

    Décision du juge-arbitre :
    CUB 25472;

    « TRADUCTION »

    CORAM :

    LE JUGE EN CHEF
    LE JUGE LINDEN
    LE JUGE McDONALD

    ENTRE :

    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

    requérant,

    - et -

    LAWRIE VERNON « et al. »,

    intimés.

    Audience tenue à Toronto, le mardi 3 octobre 1995.

    MOTIFS DU JUGEMENT
    (Jugement rendu à Ottawa
    le vendredi 20 octobre 1995) ;
    Prononcé par

    LE JUGE LINDEN :

    LE LITIGE

    Le litige porte dans ces causes sur la question de savoirsi la somme reçue par les intimés à titre d'allocation immobilière dans le cadre d'une indemnité de départ, constitue une « rémunération » (au sens du paragraphe 57(2) du Règlement) à répartir conformément au paragraphe 58(l) du Règlement d'application de la Loi sur l'assurance-chômage.

    La requête en instance et celle du dossier no A-598-94 ont été entendues ensemble et, comme elles soulèvent la même question de droit, les présents motifs seront versés au dossier no A-598-94 et en constitueront dès lors les motifs du jugement.

    Les textes applicables en l'espèce sont les articles 57 et 58 du Règlement, dont voici l'essentiel:

    57.(1) Dans le présent article,

    « revenu » s'entend de tout revenu en espèces ou non que le prestataire reçoit ou recevra d'un employeur ou d'une autre personne; ...

    (2) Sous réserve du présent article, la rémunération dont il faut tenir compte pour déterminer s'il y a eu un arrêt de rémunération et fixer le montant à déduire des prestations payables en vertu des paragraphes 15(l) ou (2), 17(4), 18(5) ou 20(3) de la Loi, ainsi que pour l'application des articles 37 et 38 de la Loi, est:

    a) le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi; ...

    (3) La partie du revenu que le prestataire tire de l'une ou l'autre des sources suivantes n'a pas valeur de rémunération aux fins mentionnées au paragraphe (2): ...

    c) les allocations de secours en espèces ou en nature; ...

    58.(l) Sous réserve du paragraphe (1.1), la rémunération d'un prestataire, déterminée conformément à l'article 57, doit être répartie sur un certain nombre de semaines, de la manière prévue au présent article et, aux fins mentionnées au paragraphe 57(2), est la rémunération du prestataire pour ces semaines.

    LES FAITS DE LA CAUSE

    Les intimés étaient employés à la mine Adams à Kirkland Lake (Ontario). Par lettre en date du 6 mars 1989, leur employeur, Cliffs of Canada Limited, les a informés que la mine serait fermée le 31 mars 1990. À la suite d'une convention négociée par leur syndicat, les Métallurgistes unis d'Amérique, les employés de la mine Adams, dont les intimés, se sont vu offrir une indemnité de départ qui comprenait une allocation immobilière. Il s'agissait d'une somme fixe payée en une seule fois, dont le quantum était déterminé en fonction de la diminution estimée de la valeur du logement, calculée par une agence immobilière connue et soumise à l'employeur. Les conditions d'admissibilité étaient prévues dans la convention comme suit:

    [TRADUCTION]

    1. L'employé doit avoir été à la fois un employé de la mine et le propriétaire ou locataire en titre de la principale résidence, au 6 mars 1989.

    2. L'employé doit avoir été employé à l'une ou l'autre des mines au 31 mars 1990.

    3. Seule la partie d'un immeuble commercial, d'une unité d'habitation multifamiliale ou d'une ferme, qu'utilise l'employé à titre de résidence principale est admissible à l'allocation.

    4. Une seule allocation est accordée par unité familiale.

    5. Pour y avoir droit, l'employé doit remplir la formule d'information préliminaire pour l'allocation immobilière, et la renvoyer au service du personnel.

    On peut trouver dans les termes de la convention de cessation d'emploi entre le syndicat et l'employeur, une indication du but de l'allocation immobilière. Une clause de la convention prévoit ce qui suit au sujet de l'allocation:

    [TRADUCTION]

    La compagnie retiendra, d'ici au 1er août 1989, les services d'une firme d'experts en immobilier pour la conseiller sur les conséquences financières à long terme que la fermeture des mines aura sur la résidence principale des employés.

    Il s'agissait d'un paiement purement gracieux, en ce que l'employeur n'y était nullement tenu, comme en témoigne le paragraphe 11 de la convention:

    [TRADUCTION]

    Le président et le représentant international du syndicat auront la possibilité de faire part de leurs observations à la firme d'experts en immobilier, laquelle les prendra en considération dans les conseils qu'elle donnera à la compagnie. Toute allocation immobilière que peut accorder la compagnie après consultation de la firme d'experts en immobilier sera aménagée de façon que le remboursement à l'employé soit le plus avantageux possible du point de vue fiscal, à condition que la méthode de paiement n'ajoute pas au coût ou à la somme que la compagnie se propose de payer. La formule et les modalités de remboursement seront laissées à l'entière discrétion de la compagnie après consultation de la firme d'experts en immobilier.

    [non en italique dans l'original]

    Kirkland Lake est l'une de plusieurs localités dont l'économie dépendait de la mine Adams. Il était prévu que la fermeture de cette mine y provoquerait une diminution du prix de l'immobilier. La décision de l'employeur d'accorder une allocation immobilière aux employés dans les différentes localités touchées par la fermeture était un effort de sa part d'absorber les pertes tenant à la diminution du prix de l'immobilier. En pourcentage, la dépréciation variait entre 0 et 40 p. 100, selon la localité. Par exemple, la perte serait nulle à North Bay, et de 40 p. 100 à Temagami. Elle était de 10 p. 100 à Kirkland Lake. L'indemnité de départ payée à Vernon s'élevait au total à 42 160,91 $, y compris l'indemnité de cessation d'emploi, la paie de vacances et 1 200 $ d'allocation immobilière. Pour Fillion, l'indemnité totale s'élevait à 33 166,28 $, dont 2 385,53 $ d'allocation immobilière. Ces sommes ont été réparties par la Commission à titre de rémunération. Les prestataires ne contestaient que la répartition de l'allocation immobilière arguant que cette somme ne constituait pas une « rémunération ».

    LA DÉCISION DE L'INSTANCE INFÉRIEURE

    Le conseil arbitral a jugé que l'allocation immobilière n'avait rien à voir avec les conditions d'emploi et, de ce fait, ne pouvait être considérée comme une rémunération. En appel, le juge-arbitre a souscrit à cette décision, concluant que « le régime en vertu duquel la subvention est offerte la protège de la répartition ». À titre de motif subsidiaire, il a conclu qu'il s'agissait d'une allocation de secours accordée sous le régime de l'alinéa 57(3)a) du Règlement. Dans sa décision, le juge-arbitre a cité les passages suivants de la décision du conseil arbitral:

    Comme la subvention locative incluse dans l'entente de fermeture d'une mine constitue une approche nouvelle et novatrice dans le cas des indemnités de départ, elle devrait être classée comme une allocation de secours qu'on offre afin d'exclure ce revenu de la rémunération, comme le permet l'alinéa 57(3)c) aux fins indiquées au paragraphe 57(2). Nombre d'observations valables ont influé sur la décision du conseil arbitral, notamment les CUB présentés avec les dossiers d'appel et ceux présentés par le prestataire à l'audition qui sont maintenant inscrits à titre de pièces.

    Toutefois, qu'il suffise de dire que la subvention locative n'a aucun rapport avec les conditions d'emploi en ce sens que les critères d'admissibilité n'étaient pas fondés sur l'ancienneté, la classification des emplois, le salaire ou l'âge de l'employé. La subvention n'a pas été accordée à tous; on l'a plutôt accordée en tenant compte de la norme d'admissibilité, et les sommes allouées allaient de zéro, et, dans certains cas, à des sommes plus importantes que celles qu'avaient reçues les prestataires dans d'autres cas. Un employé engagé un an plus tôt a pu toucher 2 000 $ tandis qu'un employé possédant 20 ans d'ancienneté a pu ne rien recevoir.

    Aucune subvention au logement n'avait été accordée au moment d'une cessation d'emploi tandis que la mine continuait à être exploitée.

    Et le juge-arbitre de conclure:

    Je ne vois aucune erreur dans la conclusion de fait du conseil arbitral. Tout au contraire, je ne peux que le louer pour le portrait précis qu'il a dressé de la situation.

    Le conseil arbitral a-t-il erré en droit? Je ne le pense pas.

    Même s'il n'existe aucune jurisprudence à ce sujet, je pense que le montant qui représente la subvention locative n'est pas assujetti à une répartition en vertu du Règlement 57. Il n'y est pas assujetti pour un certain nombre de raisons. Même s'il concerne une fermeture de mine et une cessation d'emploi, je dois conclure que le régime en vertu duquel la subvention est offerte la protège de la répartition ou encore qu'elle est considérée en vertu de l'alinéa 57(3)c) du Règlement comme « des allocations de secours en espèces ou en nature ».

    ANALYSE

    Deux questions se posent en l'espèce. En premier lieu, l'allocation immobilière tombe-t-elle sous le coup de la définition de « rémunération » au paragraphe 57(l) du Règlement sur l'assurance chômage? En second lieu, à supposer qu'il en soit ainsi, est-elle exemptée par l'effet du paragraphe 57(3) du Règlement, à titre d'« allocation de secours »?

    La définition de rémunération au paragraphe 57(l) du Règlement est très générale. Aux termes de cette définition, la rémunération est simplement le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi. Le revenu est défini à son tour comme s'entendant de tout revenu en espèces ou non que le prestataire reçoit d'un employeur ou d'une autre personne. Vu cette formulation très générale, c'est de la jurisprudence qu'on doit tirer le sens spécifique de rémunération. Dans Côté v. Canada Employment and Immigration Commission et al., 1 le juge Pratte (dont les motifs de jugement sont partagés par le juge Lacombe), citant à la fois la version française et la version anglaise du Règlement, a tiré la conclusion suivante:

    Dans quel sens le législateur a-t-il utilisé le mot « rémunération » dans la Loi? Ce mot, dans son sens courant, désigne « l'argent reçu pour prix d'un service, d'un travail ». Il est rendu, dans la version anglaise de la Loi, par le mot « earnings » qui, suivant le Shorter Oxford English Dictionary, signifie « that which is carried by labour, or invested capital ». On ne peut donner ce sens-là au mot français « rémunération » qui n'est pas normalement utilisé pour désigner les revenus d'un placement. En conséquence, s'il est vrai que l'emploi du mot « earnings » dans la version anglaise de la Loi peut inciter à donner au mot français « rémunération » un sens large qui inclut, par exemple, les pourboires, il me semble que l'emploi du mot « rémunération » en français conduit, en revanche, à limiter le sens du mot anglais « earnings » de façon à ce qu'il ne désigne que ce que l'on gagne grâce à son travail. C'est, à mon avis, ce sens-là qu'il faut donner au mot « rémunération » ...

    Un peu plus loin, le juge Pratte estime qu'il est possible de considérer comme rémunération un gain (en l'occurrence un paiement de pension) qui n'en est pas un mais qui, par certains points, lui ressemble, s'il existe « entre le travail accompli par un employé dans un emploi et la pension qui provient de cet emploi, un lien suffisant... ». 2 Dans un sens large donc, ne vaut « rémunération » que la somme payée pour prix du travail accompli par le bénéficiaire. 3

    Par motifs concordants, le juge Marceau a appliqué le même critère dans Côté en concluant en ces termes: « est rémunération, au sens large, tout ce que le travailleur retire, en bénéfices pécuniaires, de son travail présent ou passé ... ». On voit qu'à son sens, n'est considéré comme « rémunération » que le prix du travail accompli, et non pas quelque chose qui découle de l'emploi.

    L'allocation immobilière en cause représente-t-elle un élément du prix du travail fait par les employés, ou justifie-t-elle d'un lien avec ce travail tel qu'elle peut être considérée à juste titre comme la rémunération de ce travail? La réponse est non. Cette allocation n'a aucun rapport avec le travail fait par les employés qui l'ont reçue. À titre d'indemnisation de pertes spécifiques occasionnées par la fermeture de la mine, elle n'a pas été calculée en fonction du travail accompli par le bénéficiaire, de son ancienneté, de son salaire ou de son âge. Au contraire, elle est calculée à la lumière de critères déterminés qui visent à l'indemnisation raisonnable de la dépréciation des résidences situées dans une localité spécifique. Ce lien ne permet pas de qualifier la somme reçue de « rémunération » à répartir. De même, la simple condition que le bénéficiaire doive avoir été un employé de la mine n'est pas suffisante pour justifier pareille qualification. N'est considéré comme « rémunération » au sens de la Loi sur l'assurance-chômage que quelque chose reçu pour prix du travail effectué. Ce facteur n'est pas présent en l'espèce. L'allocation en cause a été payée, non pas pour prix du travail effectué, mais pour indemniser les employés admissibles de la dépréciation de leur résidence principale. Qui plus est, c'était un paiement gracieux de la part de l'employeur.

    Ayant conclu que l'allocation immobilière n'est pas une rémunération mettant en jeu l'article 57 du Règlement, je n'ai pas à répondre à la seconde question. Je pense cependant que je dois le faire, afin de clarifier les principes de droit applicables dans ce domaine complexe. À mon avis, à supposer que l'allocation immobilière vaille rémunération, elle serait quand même exemptée à titre d'« allocation de secours en espèces ou en nature » en application du paragraphe 57(3). À ce propos, l'avocat de l'appelant cite deux décisions du juge-arbitre où la notion d'« allocation de secours » a été définie. Dans la décision CUB 11082, le juge Muldoon conclut que le terme « sous-entend une assistance donnée librement aux miséreux qui sont nettement plus dans le besoin que la population en général ou la population active où ils vivent et travaillent ». 4 Dans la décision CUB 4199, que citait le juge Muldoon, le juge Walsh conclut que l'allocation de secours est « un montant versé en une fois (très rarement sans doute) par un employeur dans une occasion spéciale lorsque, par exemple, la famille de l'employé se trouve dans une situation difficile ou lorsqu'elle est touchée par un désastre ». 5

    À mon avis, la formulation des deux définitions ci-dessus est utile mais quelque peu restrictive. Le Concise Oxford Dictionary 6 définit le terme « relief » (secours) comme signifiant « redress for hardship or grievance » (ce qui sert à quelqu'un pour sortir du besoin ou d'une situation difficile). L'expression « allocation de secours » signifie donc aide financière pour alléger le besoin. Le besoin s'entend certainement aussi de la pauvreté, d'une situation pressante ou d'un désastre. Elle peut signifier aussi les cas plus généraux d'adversité financière ou autre, qui n'atteignent pas nécessairement à la pauvreté, à la situation de crise ou au désastre.

    En l'espèce, l'employeur a eu le geste humain d'alléger une situation d'adversité financière manifeste dont tous les employés auraient à souffrir par suite de la fermeture de la mine. Je n'ai aucun doute que dans les circonstances de la cause, l'adversité financière dont souffraient les employés en raison de la dépréciation de leur résidence principale par suite de la fermeture de la mine, est un cas tombant dans le champ d'application des termes « allocation de secours » figurant au paragraphe 57(3).

    La demande introduite en application de l'article 28 sera rejetée.



    « A.M. Linden »
    J.C.A.



    « Je souscris aux motifs ci-dessus

    Julius A. Isaac, juge en chef »

    « Je souscris aux motifs ci-dessus

    F.J. McDonald, juge »




    1 (1986), 69 NR., pages 129 et 130; 86 C.L.L.C 12,178, page 12,280. Voir aussi Attorney General v Harnett, (1992) 140 N.R. 308.

    2 Ibid., pages 12,281.

    3 Ibid.

    4 CUB 11083, Rosemary Cairns, 14 juillet 1987, page 8.

    5 CUB 4199, 26 janvier 1977, page 3.

    6 7e éd. 1982, Oxford University Press.

    2011-01-16