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  • Jugement de la Cour d’Appel Fédérale #A-814-91 - DEBIEN, JOHANNE, MASSE, NOELLA, HERBUTE, MARIE, POTVIN, MANON, DELORME, FERNANDE, LORD, RENE, SIGOUIN, LYNDA, VEZINA, JOSEE, CHAUMARD, LYSIANNE, ROUSSEAU, CHANTAL, BOUTHILLIER, OLGA, DAUPHIN, FRANCINE, LEGAULT, LYNN, LARIVEE, LOUISE, LABELLE, JOHANNE, HENRY, DIANE, THIBAULT, JOHANNE c. COMMISSION, LE SOUS-PROCUREUR GENERAL DU CANADA

    JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

    Daté :
    le 8 février 1993

    Dossier :
    A-814-91

    Décision du juge-arbitre :
    CUB 20138;

    CORAM :

    LE JUGE PRATTE
    LE JUGE MARCEAU
    LE JUGE LÉTOURNEAU

    ENTRE :

    JOHANNE DEBIEN, NOELLA MASSÉ, MARIE HERBUTÉ, MANON POTVIN, FERNANDE DELORME, RENÉ LORD, LYNDA SIGOUIN, JOSÉE VÉZINA, LYSIANNE CHAUMARD, CHANTAL ROUSSEAU, OLGA BOUTHILLIER, FRANCINE DAUPHIN, LYNN LEGAULT, LOUISE LARIVÉE, JOHANNE LABELLE, DIANE HENRY, JOHANNE THIBAULT,

    requérantes,

    - et -

    LA COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA,

    intimée,

    - et -

    LE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

    mis-en-cause.

    Audience tenue à Montréal, Québec, le jeudi 21 janvier 1993.

    MOTIFS DU JUGEMENT
    (Jugement rendu à Ottawa le lundi 8 février 1993) ;
    Prononcé par

    LE JUGE MARCEAU :

    Cette demande, faite en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, s'en prend à une décision d'un juge-arbitre agissant sous l'autorité de la Loi sur l'assurance-chômage (la Loi). Elle met encore en cause cet article de la Loi de portée pratique si considérable, l'article 31, aux termes duquel ne sont pas admissibles au bénéfice des prestations les employés qui perdent leur emploi par suite d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif; et le problème précis qu'elle soulève est une fois de plus celui de déterminer, dans les circonstances de l'espèce, le moment où l'inadmissibilité qui frappait les prestataires-requérantes s'est terminée. Ces circonstances de l'espèce, sans être spécialement complexes, sont néanmoins quelque peu inusitées. Il importe d'en faire une revue complète pour en bien saisir la portée.

    Le 2 avril 1987, suite à une requête en accréditation qu'elle avait déposée le 20 janvier précédent selon les dispositions du Code du travail du Québec, L.R.Q., chap. C-27, la section locale 57 du Syndicat des employés professionnels et de bureau ("le Syndicat") était accréditée pour représenter pour la première fois tous les employés salariés de la Caisse d'économie des policiers de la Communauté urbaine de Montréal ("la Caisse", ou "l'employeur"), dont les requérantes. Les négociations visant à la conclusion d'une première convention collective s'engagèrent aussitôt entre la Caisse et le nouveau Syndicat, mais elles devaient aboutir à une impasse qui incita ce dernier à demander la nomination d'un conciliateur, comme le prévoit la législation québécoise.

    L'intervention du conciliateur n'ayant pas produit le résultat espéré, le 23 octobre 1987 l'exécutif du Syndicat ordonnait la grève et les 25 employés membres de l'unité de négociation, dont les requérantes, quittaient leur emploi. Le différend fut alors soumis à un arbitre, et l'arbitre, le 6 juillet suivant, décidait de déterminer lui-même d'autorité le contenu de la convention collective. Cette décision avait pour conséquence immédiate, toujours selon la loi québécoise, de fixer les conditions de travail applicables et de mettre fin à la grève (art. 93.5 du Code québécois du travail 1).

    La grève était donc légalement terminée le 6 juillet 1988, mais 17 des 25 employés refusèrent, néanmoins, à la suggestion du Syndicat, de rentrer au travail. Le 11 juillet suivant, la Caisse avisait les 17 récalcitrantes qu'elles s'exposaient à une poursuite pour outrage au tribunal ou un congédiement si elles persistaient dans leur refus de reprendre leur poste. En réponse, le Syndicat faisait part à l'employeur qu'il venait d'intenter des procédures devant la Cour supérieure du Québec dans le but de faire annuler la décision de l'arbitre.

    Le 22 juillet, la Caisse faisait parvenir aux requérantes une lettre de suspension pour une durée de onze jours ouvrables et les avertissait qu'à défaut de retour au travail au terme de la suspension d'autres mesures seraient prises. Le 8 août, devant la persistance des requérantes à ignorer ses avis, l'employeur adressait à chacune une lettre de congédiement.

    Bien sûr, ce congédiement n'eût pas pour effet de mettre un terme au différend. Si, pour l'employeur, la situation était maintenant qu'il pouvait embaucher du personnel nouveau pour remplacer progressivement les employés congédiés, ce à quoi il s'employa aussitôt, pour le Syndicat, la lutte continuait. Parallèlement aux procédures qu'il menait en Cour supérieure, le Syndicat cherchait à obtenir remède devant le Tribunal du travail et les requérantes initiaient elles-mêmes, par voie de griefs, des recours en arbitrage afin d'obtenir la réintégration de leur emploi. Aucune de ces poursuites et procédures ne semble avoir été conduite à terme, même aujourd'hui: le Syndicat a été débouté de sa requête en Cour supérieure mais il a porté sa cause en appel et les autres recours ont, semble-t-il, été tous mis en suspens.

    C'est au cours du mois de mai 1988 que les requérantes se sont, pour la première fois, adressées à la Commission d'assurance-chômage pour tenter d'obtenir des prestations. La réponse leur parvenait le 6 juillet suivant. Elles n'étaient pas admissibles au bénéfice des prestations puisqu'elles avaient perdu leur emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif. C'était incontestablement la décision qu'imposait le paragraphe 44(1) de la Loi, devenu depuis 31(1) qu'il convient de relire :

    31. (1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une des éventualités suivantes :

    a) la fin de l'arrêt de travail;

    b) on engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la sienne;

    c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation d'une façon régulière. 2

    L'inadmissibilité des requérantes était à ce moment certaine, mais elle pouvait prendre fin pour l'une des causes prévues au texte; aussi, la Commission laissa-t-elle les réclamations en suspens et continua à suivre l'évolution du conflit opposant la Caisse et le Syndicat de façon à vérifier si quelque changement, notamment la fin de l'arrêt de travail, ne surviendrait pas pour réouvrir le droit des réclamantes aux prestations. Le 20 septembre 1988, sur l'insistance de celles-ci, la Commission confirmait simplement par écrit l'inadmissibilité en cours mais, le 21 octobre suivant, après avoir procédé à une nouvelle enquête et une nouvelle évaluation des faits, elle réitérait formellement, dans une nouvelle décision, sa position à l'effet que rien ne permettait de dire que l'inadmissibilité avait pris fin.

    Les requérantes demandèrent alors que leur cause soit portée devant un Conseil arbitral, et elles firent valoir devant le Conseil qu'elles avaient repris leur droit à des prestations dès le 6 juillet 1988, date de la fin légale du conflit. Le Conseil arbitral ne le vit pas de cette façon, mais il accorda néanmoins en partie l'appel. Il décida à l'unanimité que l'inadmissibilité, si elle n'avait pas pris fin le 6 juillet — puisque même si la grève s'était à cette date légalement terminée, les requérantes, elles, l'avaient, en fait, poursuivie — elle avait pris fin le 8 août 1988, jour du congédiement des requérantes et de l'embauche par l'employeur des premiers employés de remplacement. La Commission en appela alors au juge-arbitre et c'est la décision de ce dernier qui est devant la Cour.

    Les motifs que le juge-arbitre donne à l'appui de la décision se résument rapidement. Le juge-arbitre n'a aucune difficulté à rejeter, avec le Conseil arbitral, la prétention des requérantes à l'effet que l'inadmissibilité ait pu prendre fin le 6 juillet 1988. Il n'a pas de difficulté non plus à rejeter la possibilité, retenue par le Conseil, qu'elle ait pu prendre fin le 8 août, et, en fait, il ne s'arrête même pas pour en discuter. D'après lui, l'inadmissibilité s'est poursuivie bien au delà de la date du congédiement et elle persiste même toujours puisque le conflit collectif n'est pas encore terminé, les requérantes ayant toujours espoir que la Cour d'appel donnera raison à leur Syndicat et qu'elles obtiendront leur réintégration. L'arrêt Caron c. Procureur général du Canada, [1991] 1 R.C.S. 48, dit-il, fait reposer la durée de l'arrêt de travail dans un cas d'application de l'article 31 sur une question d'intention et, sur ce plan, la situation ici est très claire. Il écrit (Dossier, vol. II, p. 304) :

    En effet, dans le présent cas, les 17 employés syndiqués concernés, dont la prestataire, n'ont jamais, à mon point de vue, eu l'intention, avant l'audition devant le Conseil arbitral, de mettre fin au conflit collectif concerné et à leur arrêt de travail; bien au contraire, ils ont délibérément choisi de ne pas retourner au travail, et ce, malgré la fin légale du conflit collectif survenue le 6 juillet 1988 et décrétée par l'article 93.5 du Code du travail du Québec.

    Quant à savoir si les requérantes ont toujours un intérêt dans le conflit, poursuit le juge-arbitre, c'est certain puisque, advenant le succès de leur Syndicat et leur réintégration forcée, elles bénéficieront des conditions de travail plus avantageuses susceptibles d'être imposées.

    Le juge-arbitre casse donc la décision du Conseil arbitral et remet en vigueur celle de la Commission déclarant les requérantes toujours inéligibles au bénéfice des prestations.

    Je regrette, mais je ne suis pas d'accord avec la position du juge-arbitre et crois, au contraire, que le Conseil arbitral a eu raison, en droit et en fait, de décider comme il l'a fait. Je m'expliquerai en deux temps.

    1. Il importe de noter d'abord que, tel qu'il se présente, l'arrêt Caron de la Cour suprême ne fournit pas de réponse au problème à résoudre; tout au plus suggère-t-il des éléments de solution.

    Il s'agissait, dans cet arrêt Caron, d'employés qui, après avoir perdu leur emploi par suite d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif, n'avaient été rappelés qu'un certain temps après que la signature d'une nouvelle convention collective eût mis fin au conflit et permis la reprise des activités de production de l'employeur. La nature des opérations de l'usine ne permettait pas, au dire de l'employeur, de réintégrer tous les ouvriers d'un coup et un protocole d'entente avait prévu des retours graduels. C'était, en fait, un cas classique, semblable à plusieurs autres, que la jurisprudence de cette Cour avait toujours envisagé en prenant pour acquis: premièrement, que la fin de l'arrêt de travail, au sens de l'alinéa 31(1)a) de la Loi, pouvait ne pas coïncider avec la fin du conflit collectif; et, deuxièmement, que pour déterminer cette "fin de l'arrêt de travail" au sens du texte, une question de fait, il fallait considérer les difficultés pratiques de reprise des opérations ou de rappel des divers groupes d'employés en fonction des circonstances de chaque espèce, sauf à s'en remettre parfois, pour faciliter la solution des différends, à l'utilisation de certains critères plus généraux, comme la forte proportion des employés effectivement de retour. Les requérants avaient, cependant, demandé que cette jurisprudence soit révisée à la lumière des arrêts bien connus Abrahams 3 et Hills 4 qui qui venaient d'être rendus. À la majorité des membres qui la composait alors, cette Cour avait accepté de renverser sa jurisprudence en faisant valoir essentiellement que c'était l'intention et la volonté qu'il fallait regarder pour déterminer la fin de l'arrêt de travail, rien d'autre, et que des employés qui restaient sans travail malgré eux après la fin d'un conflit avaient droit aux prestations. Et la Cour suprême avait accepté de se prononcer.

    C'est Madame le juge L'Heureux-Dubé qui écrit les motifs de la majorité. Sa pensée est exprimée dans un seul paragraphe (pp. 59-60), que voici :

    Je suis substantiellement d'accord avec la position de la majorité de la Cour d'appel fédérale. Rien dans la Loi (telle qu'elle se lisait à l'époque) n'appuie l'usage de critères, tels les divers niveaux de production et le retour au travail d'un nombre quelconque d'employés, aux fins d'interpréter les mots "fin de l'arrêt du travail". Même si on l'a suggéré, je ne lis pas les motifs de la majorité comme laissant entendre que la fin d'un conflit de travail implique nécessairement, dans chaque cas, la fin d'un arrêt du travail. Bien que la fin du conflit de travail et la fin de l'arrêt du travail aient coïncidé dans la présente instance, il pourrait en être autrement dans d'autres cas. À mon avis, la majorité de la Cour d'appel fédérale a eu raison de conclure qu'ici la fin de l'arrêt du travail est survenue le 29 mars.

    On peut voir ainsi que la seule proposition de droit ferme que contient cet arrêt Caron est celle qui a toujours été acquise dans la jurisprudence de cette Cour, soit que la fin du conflit collectif n'impliquait pas nécessairement la fin de l'arrêt de travail au sens de l'alinéa 31(1)a) de la Loi. L'arrêt confirme également, de façon claire, l'idée qu'il faut regarder les circonstances de fait pour juger si la fin de l'arrêt de travail a coïncidé, dans une espèce donnée, avec la fin du conflit. On peut penser que l'arrêt admet aussi, indirectement, le rôle que peut avoir la volonté, mais là, on ne sait pas de quelle volonté il s'agit et sur quoi elle doit porter. Car, à cet égard, il faut bien noter qu'en insistant sur la possibilité d'une non-coïncidence entre la fin du conflit et la fin de l'arrêt de travail, l'arrêt s'oppose virtuellement à ce que la volonté des employés puisse suffire, puisqu'on peut difficilement imaginer que des employés pourraient volontairement rester en chômage et ne pas retourner au travail, même après le règlement de leur conflit collectif. Mais c'est là vraiment tout ce qu'on peut tirer de l'arrêt. De réponse au problème qui nous concerne, il n'y en a donc certes pas. Mais les points qu'il souligne évidemment s'imposent. Retenons les donc: la fin du conflit collectif et la fin de l'arrêt de travail sont deux événements distincts qui peuvent ne pas coïncider; il faut s'en rapporter aux circonstances de l'espèce; la volonté des parties a un rôle à jouer.

    2. Il importe ensuite de bien voir, dans le concret, pourquoi l'alinéa a) du paragraphe 31(1) de la Loi pose parfois un problème d'interprétation et d'application difficile à résoudre. La plupart du temps, la situation est claire: la fin de l'arrêt de travail causé par le conflit collectif a manifestement coïncidé avec la fin du conflit car, sitôt l'entente conclue, les employés sont rentrés et le travail a repris. Parfois, cependant, la situation est loin d'être aussi claire: le conflit se termine mais la reprise du travail, pour un groupe d'employés, est retardée, ou encore - situation plus rare mais fort possible puisque c'est celle qui se présente ici - le conflit se poursuit mais le travail, lui, reprend sans le retour d'un groupe d'employés. Dans ces deux cas où la fin du conflit collectif et la fin de l'arrêt de travail ne coïncident pas, comment préciser le moment où prendra fin l'inadmissibilité des employés restés sans travail? Dans le premier cas, où le conflit se termine avant que ne le fasse l'arrêt de travail pour un groupe d'employés, on peut difficilement penser que, parce qu'il y a une certaine reprise d'activité, il y a automatiquement pour tous les employés, y compris ceux dont la rentrée est retardée, fin de l'arrêt de travail dû au conflit collectif. La Loi elle-même, en effet, sanctionne une division de l'ensemble des employés, puisqu'elle parle d'une perte d'emploi due à un "arrêt de travail...à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local" où le prestataire exerçait son emploi. Dans le second cas, où le conflit continue pour un groupe d'employés récalcitrants après que le travail eût repris avec le personnel en place ou des employés de remplacement, on peut difficilement penser que, parce que l'employeur réussit à reprendre ses activités, l'inadmissibilité aux prestations des employés en grève se termine automatiquement. Il faut trouver une solution rationnelle et équitable qui respecte tout à la fois la lettre et l'esprit de la Loi.

    Dans l'arrêt Conrad Bernier c. La Commission de l'Emploi et de l'Immigration du Canada et al (arrêt non rapporté du 14 mars 1988, A-324-87), cette Cour, saisie d'un cas litigieux de cette nature, disait que, pour résoudre le problème, il fallait chercher le moment où ces employés, qui ont d'abord perdu ensemble leur emploi par suite d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif, sont devenus, en réalité, sans emploi pour une cause autre que le conflit collectif lui-même, si bien qu'à partir de là, leur volonté de retour au travail ne pouvait plus avoir aucun effet. À compter de ce moment, en effet, on ne peut plus dire que les employés sont encore en chômage dans le cadre d'un conflit collectif; on ne se trouve plus en face d'un arrêt de travail dû directement au conflit collectif. Qu'on songe, par exemple, au cas de l'usine définitivement fermée par l'employeur ou détruite par incendie. On reconnaîtra dans la solution les trois éléments de l'arrêt Caron : dissociation de la fin de l'arrêt de travail et de la fin du conflit; appréciation des circonstances de fait pour déceler survenance de cause nouvelle; rôle de la volonté des parties quant au caractère dominant de cette cause nouvelle.

    Je suis toujours d'avis que l'approche adoptée par cette Cour dans cet arrêt Bernier est la seule conforme tout à la fois au texte lui-même et à l'esprit de la Loi. La question donc est celle de savoir si, dans le cas qui nous concerne ici, le congédiement massif du 8 août était suffisant pour constituer une cause nouvelle dominante du chômage des requérantes. Si la décision de l'employeur de mettre fin au contrat d'engagement n'était pas prise comme moyen d'affaiblir la détermination des grévistes, si elle n'était pas qu'une manoeuvre artificielle, mais qu'elle était, au contraire, tenant compte des circonstances de fait et des rapports de force en présence, ferme, définitive et irrévocable, elle constituait certes une telle cause et c'est précisément, notons-le en passant, un cas analogue qui se présentait dans cet arrêt Bernier. Le fait que les employés ici n'ont pas accepté le congédiement, qu'ils en ont contesté la validité, qu'ils ont pris tous les moyens pour obtenir leur réintégration forcée ne change rien, car s'ils réussissent finalement, c'est que le congédiement aura été déclaré légalement invalide et son effet aura été annulé rétroactivement: on ne peut pas dire entre temps que l'arrêt de travail est resté rattaché directement et exclusivement au conflit collectif.

    Le Conseil arbitral, dont c'était le rôle premier d'apprécier les faits, a jugé que le congédiement du 8 août était ferme, décisif, irrévocable quant à l'employeur et non manifestement illégal. C'est à bon droit, je pense, qu'il en a déduit que, pour les requérantes, l'arrêt de travail dû au conflit collectif, et partant leur inéligibilité au bénéfice des prestations, prenait fin. Le juge-arbitre, à mon sens, je le dis avec respect, a eu tort et en droit et en fait, en contestant la décision du Conseil.

    J'accueillerais la demande, annulerais la décision du juge-arbitre et remettrais en vigueur celle du Conseil arbitral qui a déclaré les requérantes réadmissibles au bénéfice des prestations depuis le 8 août 1988 par application de l'alinéa a) du paragraphe 31(1) de la Loi.



    "Louis Marceau"
    j.c.a.



    « Je suis d'accord.

    Louis Pratte, j.c.a. »

    « Je suis d'accord.

    Gilles Létourneau, j.c.a. »


    1 L'article 93.5 du Code du travail du Québec se lit ainsi :

    93.5 Si une grève ou un lock-out est en cours à ce moment, il doit prendre fin à compter du moment où l'arbitre informe les parties qu'il a jugé nécessaire de déterminer le contenu de la convention collective pour régler le différend.

    À partir de ce moment, les conditions de travail, applicables aux salariés compris dans l'unité de négociation sont celles dont le maintien est prévu à l'article 59.

    2 En 1990 (S.C., c. 40), ce paragraphe 31(1) a été quelque peu modifié à l'occasion d'une révision d'ensemble, mais, pour l'essentiel, il est resté le même.

    3 Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2.

    4 Hills v. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513.

    2011-01-16