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  • CUB 20138

    EN VERTU de la Loi sur l'assurance-chômage

    - et -

    RELATIVEMENT à un demande de prestations par
    JOHANNE DEBIEN "ET AL"

    RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre l'un par
    la prestataire et l'autre par la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada,
    de la décision d'un conseil arbitral rendue à Montréal, province de Québec, le 22 février 1989.


    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-814-91


    DÉCISION

    LE JUGE PINARD

    L'appel de Johanne Debien est un appel représentatif dont le résultat liera le sort de tous les prestataires énumérés à la pièce 19 au dossier. Cet appel représentatif et celui de la Commission ont été entendus en même temps et il en est disposé par ce seul jugement.

    Il s'agit ici essentiellement de l'application de l'alinéa 31(1)(a) et de l'alinéa 31(2)(a) de la Loi sur l'assurance-chômage.

    31.(1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une des éventualités suivantes :
    (a) la fin de l'arrêt de travail;
    ...
    (2) Le paragraphe (1) n'est pas applicable si le prestataire prouve :
    (a) d'une part, qu'il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l'arrêt de travail, qu'il ne le finance pas et qu'il n'y est pas directement intéressé;

    La prestataire a déposé une demande initiale de prestations le 13 mai 1988. Une période de prestations a été établie en sa faveur à partir du 8 mai 1988. Toutefois, son dernier jour de travail remontait au 23 octobre 1987, date à laquelle s'était produit l'arrêt de travail dû au conflit collectif qui prévalait alors entre l'employeur et la section locale 57 du Syndicat des employés professionnels et de bureau dont la prestataire faisait partie. Le 6 juillet 1988, la Commission, ayant déterminé que l'arrêt de travail en question n'avait toujours pas pris fin, a avisé la prestataire qu'elle était inadmissible aux prestations en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage 1 à compter du 8 mai 1988.

    Le conflit collectif résultait de la négociation d'une première convention collective, laquelle fut soumise à l'arbitrage conformément aux articles 93.1 et suivant s du Code du travail du Québec (L.R.Q., chap. C-27). À cet égard, l'arbitre Bernard Lefebvre informa les parties, dès le 5 juillet 1988, qu'il allait imposer aux parties une première convention collective. L'employeur s'est empressé le même jour de téléphoner à tous les employés membres de l'unité de négociation pour les convoquer immédiatement au travail. De son côté, le syndicat demanda alors aux mêmes employés de ne pas se présenter au travail. Le lendemain, le 6 juillet, l'employeur a écrit à ceux qui n'étaient pas rentrés pour les inciter à reprendre leurs fonctions au plus tard le 11 juillet 1988, pendant que l'arbitre Bernard Lefebvre, pour sa part, avisa alors officiellement les parties qu'il avait décidé de déterminer le contenu de la première convention collective et que sa décision prenait effet à compter de ce même 6 juillet. Le syndicat contesta cette décision devant la Cour supérieure du Québec. De fait, 6 employés membres de l'unité de négociations ont repris leurs fonctions le 6 juillet et deux autres le 11 juillet. Quant à la prestataire et aux 16 autres employées dont le sort est lié à son appel, ils ne se sont jamais présentés. Pourtant, le 11 juillet, ils avaient tous reçu du procureur de l'employeur une lettre leur précisant les sanctions auxquelles ils s'exposaient et dans laquelle il était précisé : "la grève est terminée conformément aux dispositions de l'article 93.5 2 du Code du travail du Québec". Le 22 juillet, les 17 employés furent suspendus pour une période de 11 jours. Subséquemment, le 8 août, l'employeur les avisait qu'il se voyait finalement dans l'obligation de mettre fin à leur contrat et les congédia. Ce congédiement fit l'objet d'un grief de la part des employés intéressés.

    Devant ces faits, le conseil arbitral décida unanimement comme suit :

    En conséquence des faits mentionnés dans la présente décision, suite à l'étude du dossier d'appel ainsi que des nouvelles pièces déposées au cours de l'audience et après avoir pris en considération toutes les déclarations faites au cours de l'audience, les membres du Conseil maintiennent tous les appelants dans leur droit au bénéfice des prestations à compter du 8 août 1988, date du congédiement.

    D'une part, la prestataire soumet que le conseil arbitral aurait dû mettre fin à son inadmissibilité le 6 juillet 1988 lorsque, selon elle, s'est réalisée "la fin de l'arrêt de travail". Pour sa part, la Commission plaide que le conseil arbitral a erré en droit en mettant fin à l'inadmissibilité de la prestataire le 8 août 1988, date du congédiement, puisqu'à ce moment le conflit collectif, à l'égard de cette prestataire et des 16 autres employés qui ont refusé de retourner au travail, n'était pas terminé et que l'arrêt de travail en résultant n'avait pas encore pris fin.

    Dans les circonstances, après délibération, j'estime que la fin légale du conflit collectif, le 6 juillet 1988, décrétée par l'article 93.5 du Code du travail du Québec, n'a pas nécessairement entraîné la fin simultanée d'un arrêt du travail pour ces 17 employés. De plus, "la fin de l'arrêt de travail" n'est même pas survenu avant l'audition devant le conseil arbitral. J'en viens à cette conclusion à la lumière des principes édictés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Caron c. Canada, jugement rendu le 17 janvier 1991, où la majorité a retenu pour l'essentiel la position de la majorité de la Cour d'appel fédérale 3 et où, sous la plume de Madame le juge l'Heureux-Dubé, elle a exprimé ce qui suit :

    C'est donc le changement d'intention qui a marqué la fin de l'arrêt du travail et ceci a coïncidé en l'instance avec la signature, le 29 mars, de la convention collective.
    ...
    Je suis substantiellement d'accord avec la position de la majorité de la Cour d'appel fédérale. Rien dans la Loi (telle qu'elle se lisait à l'époque) n'appuie l'usage de critères, tels les divers niveaux de production et le retour au travail d'un nombre quelconque d'employés, aux fins d'interpréter les mots "fin de l'arrêt du travail". Même si on l'a suggéré, je ne lis pas les motifs de la majorité comme laissant entendre que la fin d'un conflit de travail implique nécessairement, dans chaque cas, la fin d'un arrêt du travail. Bien que la fin du conflit de travail et la fin de l'arrêt du travail aient coïncidé dans la présente instance, il pourrait en être autrement dans d'autres cas. À mon avis, la majorité de la Cour d'appel fédérale, a eu raison de conclure qu'ici la fin de l'arrêt du travail est survenue le 29 mars.

    (J'ai souligné)

    En effet, dans le présent cas, les 17 employés syndiqués concernés, dont la prestataire, n'ont jamais, à mon point de vue, eu l'intention, avant l'audition devant le conseil arbitral, de mettre fin au conflit collectif concerné et à leur arrêt de travail; bien au contraire, ils ont délibérément choisi de ne pas retourner au travail, et ce, malgré la fin légale du conflit collectif survenu le 6 juillet 1988 et décrétée par l'article 93.5 du Code du travail du Québec.

    Ensuite il faut considérer si ces employés, à cause de leur congédiement du 8 août 1988, n'étaient plus directement intéressés, au sens de l'alinéa 31(2)(a) de la Loi, au conflit collectif qui a causé l'arrêt de travail. À mon point de vue, compte tenu des griefs qu'ils ont déposés pour obliger l'employeur à les réintégrer à l'emploi, le lien employeur - employé, dans leur cas, n'a pas été rompu de façon définitive. Ainsi, j'accepte l'argument de la Commission à l'effet que contrairement à la situation dans l'affaire Hurren c. Canada 4, la prestataire ne peut ici démontrer qu'à la date du congédiement elle n'était plus intéressée aux résultats du conflit et qu'elle ne pouvait en retirer aucun bénéfice. En effet, dans Hurren, l'employé, en prenant sa retraite volontaire, avait "volontairement renoncé à la possibilité de jamais reprendre son emploi". Ce n'est certes pas le cas ici, la prestataire visant plutôt à être réintégrée dans son emploi. Ne pouvant donc répondre aux exigences du paragraphe 31(2) de la Loi, la prestataire ne pouvait voir son inadmissibilité au bénéfice des prestations prendre fin avant la réalisation de l'une des éventualités stipulées aux alinéas 31(1)(a), (b), ou (c), éventualités qui ne s'étaient pas encore réalisées le 8 août 1988, ni même avant l'audition devant le conseil arbitral.

    Pour toutes ces raisons, l'appel de la prestataire doit être rejeté et celui de la Commission, maintenu.

    YVON PINARD

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA, ONTARIO
    Ce 3ième jour de juillet 1991.




    1 Maintenant paragraphe 31(1) de la Loi sur l'assurance-chômage

    2 93.5 Si un grève ou un lock-out est en cours à ce moment, il doit prendre fin à compter du moment où l'arbitre informe les parties qu'il a jugé nécessaire de déterminer le contenu de la convention collective pour régler le dirrérend.

    A partir de ce moment, les conditions de travail applicables aux salariés compris dans l'unité de négociation sont celles dont le maintien est prévu à l'article 59.

    3 (1989) 1 C.F. 628

    4 (1986), 69 N.R. 117 (C.F.A.)

    2011-01-16