JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE
Daté :
le 11 septembre 1997
Dossier :
A-875-96
Décision du juge-arbitre :
CUB 29729A
« TRADUCTION »
CORAM :
LE JUGE MARCEAU
LE JUGE DESJARDINS
LE JUGE McDONALD
ENTRE :
ROBERT SMITH,
requérant,
- et -
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
intimé.
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le mercredi 3 septembre 1997.
MOTIFS DU JUGEMENT
(Jugement rendu à Ottawa (Ontario),
le jeudi 11 septembre 1997.)
LE JUGE DESJARDINS :
Les faits ne sont pas contestés.
Le 9 juillet 1993, le requérant avait été accusé de l’infraction de «conduite avec un taux d’alcool de plus de 0,08». Il a travaillé comme chauffeur de camion pour Highland Drivers Limited du 7 février au 14 mai 1994. Il a ensuite pris un congé de maladie du 16 mai au 1er juin 1994. Selon une condition de son emploi, le requérant devait être titulaire d’un permis de conduire de la catégorie A. Le 31 mai 1994, la Cour provinciale (Division criminelle) a ordonné que le permis de conduire du requérant soit suspendu pour un an à compter du 31 mai 1994. Le requérant a informé son employeur qu’il avait perdu son permis parce qu’il avait conduit un véhicule pendant qu’il était en état d’ébriété et il a démissionné volontairement le 4 juin 1994.
La Commission et le conseil arbitral ont tous les deux exclu le requérant du bénéfice des prestations d’assurance-chômage pour le motif qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification, contrairement au paragraphe 28(1) de la Loi sur l’assurance-chômage. 1 Le juge-arbitre a confirmé ces décisions. Toutefois, il a ajouté un second motif, à savoir que [TRADUCTION] «lorsqu’une condition de l’emploi exige le maintien d’un permis de conduire, la perte de ce permis attribuable aux actions du prestataire est suffisante pour constituer une perte d’emploi attribuable à sa propre inconduite».
Mon collègue le juge Marceau conclut que le requérant ne pouvait pas être exclu sur la base de l’article 28 de la Loi sur l’assurance-chômage étant donné que la suspension de son permis était attribuable à une infraction commise avant qu’il ait commencé à exercer son emploi.
Je ne suis pas d’accord.
Lorsqu’il est question d’«inconduite» et du fait que l’employé «quitte volontairement son emploi sans justification», il s’agit de deux concepts distincts qui sont traités différemment en vertu de la Loi et ce, même si, comme l’a fait remarquer le juge Marceau dans l’arrêt Canada (Attorney General) v. Easson 2, ils sont liés et sont sanctionnés de la même façon par une exclusion spéciale. La Commission et le conseil arbitral ont fondé leurs décisions sur le fait que l’employé avait volontairement quitté son emploi «sans justification». C’est ce concept que j’examinerai en premier lieu.
La Loi ne définit pas ce qu’on entend par «sans justification». Le sens attribué à cette notion est fondé sur le droit. Dans la décision Tanguay c. Unemployment Insurance Commission 3, des employés avaient quitté leur emploi de façon que des employés plus jeunes puissent les remplacer. Le conseil arbitral a retenu le motif invoqué comme constituant une «justification», mais le juge-arbitre a rejeté ce motif. Le juge Pratte, au nom de la Cour, a confirmé le jugement en disant ceci 4 :
[...] il semble clair que le conseil a décidé comme il l’a fait parce qu’il était d’opinion que les requérants avaient agi raisonnablement en quittant leur emploi. Cela manifeste une incompréhension totale du mot «justification» dans le paragraphe 41(1). En effet, le mot, dans le contexte où il est employé, n’est pas synonyme de «raison» ou «motif». L’employé qui a gagné le gros lot ou hérité d’une fortune peut avoir une excellente raison de quitter son emploi; il n’est pourtant pas justifié de le faire au sens du paragraphe 41(1). Ce paragraphe est une disposition importante d’une loi qui établit un système d’assurance contre le chômage et ses termes doivent être interprétés en ayant égard à l’obligation qui pèse normalement sur tout assuré de ne pas provoquer délibérément la réalisation du risque. Pour être plus précis, je dirais que l’employé qui a volontairement quitté son emploi et n’en a pas trouvé un autre s’est placé délibérément dans une situation lui permettant de forcer des tiers à lui payer des prestations d’assurance-chômage. Il n’est justifié d’avoir agi ainsi que s’il existait, au moment où il a quitté, des circonstances qui l’excusent d’avoir ainsi pris le risque de faire supporter par d’autres le fardeau de son chômage.
Le juge Pratte a cité, en l’approuvant, la remarque suivante que lord Donaldson, de la Cour d’appel anglaise, avait faite dans le jugement Crewe et al. v. Social Security Commissioner 5 :
[TRADUCTION]
[...] Il est de l’essence de l’assurance que l’assuré ne crée pas ou n’accroisse pas délibérément le risque 6.
En l’espèce, le requérant a volontairement accru le risque de perdre son emploi. Il a cherché de l’emploi dans l’industrie du camionnage pendant que son permis de conduire risquait d’être suspendu. Dans ces circonstances, peut-il s’attendre à partager le fonds d’assurance-chômage et obliger d’autres personnes à supporter le fardeau de son chômage? Je ne le crois pas. Selon les principes fondamentaux de l’assurance, le requérant s’est au départ mis dans une situation où il risquait fort de perdre son emploi sans «justification».
Le paragraphe 28(4) de la Loi 7 permet de comprendre dans une certaine mesure le sens du mot «justification» lorsqu’un employé quitte volontairement son emploi. Cette disposition prévoit l’examen de «toutes les circonstances», notamment celles qui y sont énumérées, de façon qu’il soit possible de déterminer si «son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas». L’examen des circonstances énumérées montre qu’il s’agit de situations indépendantes de la volonté du prestataire ou de situations auxquelles le prestataire n’y est pour rien. Cela s’applique à toutes les catégories de circonstances, mais il importe de noter en particulier l’alinéa j) qui se lit comme suit :
j) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur;Ce n’est pas ici le cas. À vrai dire, le départ du requérant constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Cependant, son départ était attribuable à la perte de son permis de conduire, dont il était responsable puisqu’il avait été déclaré coupable de conduite en état d’ébriété. Cela ne constituait pas une «justification».
Le juge-arbitre a parlé de l’inconduite du requérant. Il ne s’agit pas d’un cas où le requérant a perdu son emploi en raison d’une inconduite, puisqu’il a volontairement quitté son emploi. Cependant, le juge-arbitre ne s’est pas trompé lorsqu’il a déclaré qui si une condition de l’emploi exige le maintien d’un permis de conduire de la catégorie A, la perte de ce permis, attribuable aux actions du requérant, équivaut à la perte de l’emploi en raison de son inconduite. Cette remarque ne contredit pas la décision que cette cour a rendue dans l’affaire La procureure générale du Canada c. Nolet 8, citée dans le jugement Canada (Procureure générale) c. Brissette 9.
Dans l’affaire Nolet, le prestataire, qui travaillait comme chauffeur d’autobus scolaire depuis le 4 janvier 1989, avait été incarcéré pour une période d’environ six semaines pendant qu’il exerçait son emploi, parce qu’il avait été accusé de s’être livré à des agressions sexuelles sur la personne de sa fille, de 1979 à 1987. Le prestataire avait été congédié à son retour au travail pour le motif que l’employeur ne pouvait pas retenir les services de personnes qui n’étaient pas irréprochables compte tenu de la nature du travail. Le juge-arbitre et cette cour ont statué que la Commission et le conseil arbitral avaient commis une erreur en concluant que l’article 28 de la Loi pouvait s’appliquer. Le juge-arbitre, soit le juge Denault, a fait remarquer que les faits que l’employeur avait invoqués pour congédier le prestataire n’étaient pas liés à l’exercice des fonctions de ce dernier, et que le prestataire n’avait pas commis les actes en question pendant qu’il travaillait. C’est dans ce contexte que le juge Pratte a confirmé la décision:
Nous sommes tous d’avis que l’inconduite visée au paragraphe 28(1) de la Loi sur l’assurance-chômage est celle qui constitue un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail.’ Le juge-arbitre 10 a donc eu raison de conclure que des actes criminels qu’un employé aurait commis plus d’un an avant son engagement ne constituaient pas une inconduite au sens de cette disposition.
La demande sera donc rejetée.
[Je souligne]
La décision Nolet est donc essentiellement fondée sur l’existence d’un lien de causalité entre l’inconduite et l’emploi. C’est pourquoi l’inconduite reprochée doit avoir été commise pendant que le prestataire travaillait.
Dans l’affaire Canada (Procureure générale) c. Brissette 11, l’intimé travaillait comme chauffeur de camion. La possession d’un permis de conduire valide était une condition essentielle de son emploi. M. Brissette avait perdu son permis de conduire parce qu’il avait conduit pendant qu’il était en état d’ébriété en dehors de ses heures de travail. Le juge-arbitre avait statué que l’employé n’avait pas commis d’inconduite au sens de l’article 28 de la Loi, puisque l’inconduite laisse entendre que l’employé a commis un acte délibéré ou volontaire à l’endroit de son employeur. Cette cour a accueilli l’appel interjeté par la Commission en disant que l’employé avait manqué à une obligation expresse du contrat de travail par suite de l’acte illicite qu’il avait commis. Voici ce que le juge Létourneau a dit :
[...] Il faut tout d’abord une relation causale entre l’inconduite et le congédiement. Il ne suffit pas, pour que l’exclusion joue, que l’inconduite ne serve que de simple excuse ou prétexte pour le renvoi (voir Raphaël Fuller, CUB-4503, 4 février, 1977, juge Mahoney). Il faut qu’elle cause la perte d’emploi et qu’elle en soit une cause opérante. Il n’est pas nécessaire pour les fins du présent litige de déterminer si elle doit être la seule cause opérante du renvoi.
À cet égard, rappelons que le procureur de l’intimé soutient que la perte de l’emploi fut occasionnée par la perte du permis de conduire. À notre avis, c’est se livrer à un analyse et à une interprétation trop étroites de la situation et du paragraphe 28(1) de la Loi que de conclure que la perte de l’emploi résulte de la perte du permis et non de l’inconduite de son titulaire. Prenons par exemple le cas d’un employé qui, sur les lieux mêmes du travail, viole délibérément et systématiquement les conditions de son emploi de sorte que l’employeur exaspéré le congédié. Peut-on sérieusement prétendre qu’il n’est pas congédié pour son inconduite, mais seulement pour son défaut de respecter les conditions de son emploi? Il est évident qu’il faut examiner la cause du défaut de respecter les conditions de l’emploi. Un employé peut faire défaut de respecter les conditions de l’emploi parce qu’il est malade, incompétent, sans permis d’opérer ou parce qu’il se conduit mal.
Il faut également, en plus de la relation causale, que l’inconduite soit commise par l’employé alors qu’il était à l’emploi de l’employeur et qu’elle constitue un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail (Canada (Procureure générale) c. Nolet, C.A.F., A-517-91, 19 mars 1992).
Le juge a ensuite conclu ceci 12 :
Dans le présent cas, l’employé devait, comme condition matérielle essentielle de son emploi, détenir un permis de conduire valide. En le perdant par sa faute, il a manqué à une obligation explicite du contrat de travail. Ce manquement découle directement de son inconduite.
En l’espèce, le requérant a été accusé de conduite en état d’ébriété avant de commencer à exercer son emploi. Il a par la suite trouvé du travail dans l’industrie du camionnage, où la possession d’un permis de conduire valide était une condition essentielle de son emploi 13. Le fait que le requérant n’a pas pu conserver son emploi et qu’il s’est vu obligé de démissionner à la suite de la perte de son permis constitue certainement un manquement à une obligation qui s’est produit pendant que le requérant exerçait son emploi. Ce manquement découlait directement de l’inconduite du requérant. Affirmer que l’inconduite a eu lieu avant que le requérant exerce son emploi et qu’il ne s’agit donc pas d’un motif d’exclusion, c’est appliquer les jugements Brissette et Nolet d’une façon trop mécanique. On omet de tenir compte du fait que le facteur temps n’existe pas isolément. Ce n’est qu’un aspect particulier du lien de causalité qui doit exister entre l’inconduite et la perte de l’emploi.
Je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.
Alice Desjardins
J.C.A.
1 Le paragraphe 28(1) de la Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1 est ainsi libellé:
28.(1) Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations versées en vertu de la présente partie s'il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s'il quitte volontairement son emploi sans justification.
7 Le paragraphe 28(4) de la Loi sur l'assurance-chômage est ainsi libellé :
28.(4) Pour l'application du présent article, le prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas :a) harcèlement, de nature sexelle ou autre;
b) nécessité d'accompagner son conjoint ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence;
c) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne;
d) conditions de travail dangereuses pour sa santé et sa sécurité
e) nécessité de prendre soin d'un enfant ou d'un proche parent;
f) assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir immédiat;
g) modification importante de ses conditions de rémunération;
h) excès d'heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci;
i) modification importante des fonctions;
j) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur;
k) pratiques de l'employeur contraires au droit;
l) discrimination relative à l'emploi en raison de l'appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs;
m) incitation indue par l'employeur à l'égard d'employés à quitter leur emploi;
n) toute autre circonstance raisonnable prescrite.
8 (19 mars 1992), A-517-91 (C.A.F.).
9 [1994] 1. C.F. 684, à la p. 688.
10 Clément Nolet (26 avril 1991), CUB 19706 (juge Denault).
12 [1994]1 C.F. 684, à la p. 691.
13 [1994]1 C.F. 684, à la p. 688.
LE JUGE McDONALD :
J’ai lu les motifs de mon collègue le juge Marceau et, avec égards, je dois dire que je ne souscris pas à la conclusion qu’il a tirée, à savoir que le juge-arbitre, la Commission et le conseil arbitral ont commis une erreur en concluant que le requérant n’avait pas droit aux prestations étant donné qu’il était exclu en vertu de l’article 28 de la Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1.
À mon avis, dans des circonstances spéciales, il peut être tenu compte de l’inconduite qui a eu lieu avant que la relation employeur-employé prenne naissance en vertu de l’article 28 de la Loi. Ces circonstances spéciales existent lorsque la peine relative à l’inconduite est infligée pendant qu’il existe une relation employeur-employé et empêche l’employé d’être capable de remplir une condition expresse de son contrat de travail. En arrivant à cette conclusion, je tiens compte du fait que, dans des décisions antérieures, il a été jugé que l’inconduite doit avoir lieu pendant la période d’emploi 1 Toutefois, il est important de remarquer que ces décisions ne portaient pas sur une situation semblable à celle qui nous occupe. En outre, je n’interprète pas ces décisions comme voulant dire qu’il ne peut pas être tenu compte, en vertu de l’article 28, de l’inconduite qui a eu lieu avant que la relation employeur-employé prenne naissance.
Comme mon collègue le juge Marceau le dit, les faits de la présente affaire sont simples : le 9 juillet 1993, le requérant a été accusé de conduite en état d’ébriété. Le 31 mai 1994, après maints retards, il a été déclaré coupable et son permis de conduire a été suspendu pou un an (du 31 mai 1994 au 31 mai 1995). Entre le moment où il avait été accusé de l’infraction et celui où il en avait été déclaré coupable, le requérant a cherché et trouvé un emploi comme camionneur. Du 7 février au 14 mai 1994, il a travaillé comme chauffeur de camion pour Highland Creek Drivers Limited (Highland). Il a donc cherché du travail comme camionneur en sachant qu’il faisait face à une accusation qui pourrait entraîner la suspension de son permis de conduire. Il savait également que, selon une condition de son emploi, il devait en tout temps être titulaire d’un permis de conduire valide de la catégorie A.
Le 16 mai 1994, le requérant a pris un congé de maladie et a commencé à toucher une indemnité d’accident du travail. Il a été en congé et a touché une indemnité jusqu’au 1er juin 1994, date à laquelle il devait retourner travailler chez l’employeur. Toutefois, le 6 juin 1994, le requérant a informé son employeur qu’il ne retournerait pas travailler. Il a expliqué qu’il avait perdu son permis de conduire par suite d’une infraction commise avant qu’il commence à travailler pour Highland. Le requérant a présenté une demande de prestations d’assurance-chômage sept jours plus tard.
Par une lettre datée du 11 juillet 1994, un agent d’Emploi et Immigration Canada (la Commission) a informé le requérant qu’il avait été exclu du bénéfice des prestations d’assurance-chômage parce qu’il avait volontairement quitté son emploi sans justification.
Le requérant a interjeté appel devant le conseil arbitral contre la décision de la Commission. Par une décision datée du 26 août 1994, le conseil a rejeté à l’unanimité l’appel et a conclu que le requérant avait volontairement quitté son emploi sans justification au sens du paragraphe 28(1) de la Loi sur l’assurance-chômage.
Le requérant a interjeté appel contre la décision du conseil arbitral devant le juge-arbitre, qui a rejeté l’appel pour le motif que le requérant avait perdu son emploi à cause de sa propre inconduite et que le simple fait qu’il avait démissionné volontairement, au lieu d’être congédié, ne constituerait pas une «justification». Les motifs de la décision du juge-arbitre ont été reproduits par mon collègue.
En concluant que le juge-arbitre a commis une erreur de droit, Monsieur le juge Marceau a conclu que, pour être considérée comme un motif d’exclusion en vertu de l’article 28 de la Loi, l’inconduite en question doit de toute façon être commise pendant qu’il y a une relation employeur-employé. À son avis, si l’inconduite se produit lorsqu’il n’y a pas de relation employeur-employé, indépendamment des circonstances, il ne peut pas en être tenu compte en vertu de l’article 28. Le juge cite les arrêts Brissette, ci-dessus, et Nolet, ci-dessus, à titre d’arrêts faisant autorité à l’égard de cette thèse. Comme il en a déjà été fait mention, contrairement à l’opinion de mon collègue, je n’interprète pas ces arrêts comme voulant dire que le prestataire ne peut jamais être exclu du bénéfice des prestations en raison d’une inconduite qui a eu lieu avant que la relation employeur-employé prenne naissance. De fait, à mon avis, le raisonnement qui a été fait dans l’arrêt Nolet (qui, dans l’arrêt Brissette, est cité comme faisant autorité à l’égard de la thèse susmentionnée) est que, pour qu’il y ait exclusion en vertu de l’article 28, il doit y avoir une relation causale entre l’inconduite et la perte d’emploi et non qu’il ne peut jamais être tenu compte, en vertu de l’article 28, de l’inconduite qui a eu lieu avant que la relation employeur-employé prenne naissance en vertu de l’article 28. Cela devient évident une fois que le contexte factuel de l’affaire Nolet est connu.
Dans l’affaire Nolet, le prestataire avait été déclaré coupable d’agressions sexuelles sur le personne de sa fille, lesquelles avaient été commises de 1979 à 1987 (avant que le prestataire commence à travailler comme chauffeur d’autobus). Lorsqu’il a été mis en liberté, le prestataire voulait retourner travailler, mais son employeur a mis fin à son emploi. en alléguant qu’il n’avait pas l’intégrité nécessaire pour s’acquitter de sa tâche. La Commission et le conseil arbitral ont statué que le prestataire était exclu du bénéfice des prestations pour le motif qu’il avait été mis fin à son emploi à cause de sa propre inconduite. Toutefois, le juge-arbitre a annulé la décision de la Commission en disant ceci:
[TRADUCTION]
En l’espèce, les actes que le prestataire aurait censément commis ont eu lieu entre 1979 et 1987, soit bien avant qu’il ait commencé à travailler pour son employeur, le 4 janvier 1989. En outre, les faits allégués n’ont rien à voir avec le rendement professionnel actuel du prestataire et ne se sont pas produits dans l’exercice de ses fonctions [...]Bref, l’employeur avait peut-être raison, afin de maintenir sa crédibilité auprès des clients, de congédier cet employé aux moeurs douteuses, bien que ce ne fût pas une question que la Commission ait eu à trancher, mais d’autre part, cela ne veut pas dire que nous avons affaire à un cas d’inconduite au sens de l’article 28 de la Loi sur l’assurance-chômage. 2
Par conséquent, la Cour a souligné qu’il devait exister un lien de causalité entre l’inconduite et la cessation d’emploi. Elle a reconnu qu’en l’absence de pareil lien, le prestataire qui a un casier judiciaire ne pourrait jamais être admissible aux prestations en vertu de la Loi, même si la perte de son emploi n’était pas liée aux infractions commises par le passé. L’arrêt ne dit pas que l’inconduite se rapportant à un événement qui s’est produit avant que la relation employeur-employé prenne naissance, à l’égard de laquelle une peine est infligée pendant qu’il existe une relation employeur-employé et qui rend l’employé incapable d’exercer ses fonctions, ne peut jamais être un motif d’exclusion en vertu de l’article 28.
Je conclus que dans certaines circonstances, semblables à celles qui existent en l’espèce, l’inconduite qui a lieu avant que la relation employeur-employé prenne naissance peut être considérée comme un motif d’exclusion en vertu de l’article 28 parce que je connais les effets néfastes qui se produiraient si l’interprétation de mon collègue devait l’emporter : en effet, cela encouragerait les employés qui sont accusés de conduite dangereuse pendant qu’ils exercent un emploi à démissionner parce que, s’ils continuaient à travailler, ils n’auraient pas droit aux prestations d’assurance-chômage en cas de déclaration de culpabilité. Toutefois, les employés qui démissionnent immédiatement, mais qui cherchent ensuite un autre emploi dans le même domaine en sachant que, s’ils sont déclarés coupables, il se peut qu’ils ne soient pas capables de satisfaire à une exigence essentielle de leur emploi, pourront toucher des prestations d’assurance-chômage pour la seule raison qu’ils ont démissionné et qu’ils ont trouvé un autre emploi. À mon avis, c’est ce genre de distinction arbitraire qui a amené la Cour, dans l’affaire Nolet, à conclure qu’il pourrait être tenu compte, en vertu de l’article 28, de l’inconduite qui se produit en dehors des heures de travail, mais pendant qu’il existe une relation employeur-employé. De fait, ma conclusion est étayée par les remarques suivantes que le juge Létourneau, qui parlait au nom de la Cour dans son ensemble, à faites :
Contrairement à ce que prétend l’intimé, il n’est pas, selon nous, nécessaire que cette inconduite soit commise au travail, sur les lieux du travail ou dans le cadre de la relation de travail avec l’employeur. [...] Il serait absurde et irréaliste de conclure que la perte de permis n’existe que si elle survient alors que la faute est commise par l’employé durant ses heures de travail. Enfin, que dire de l’employé qui est condamné à purger une peine d’emprisonnement de six mois et qui, en conséquence, se voit congédier par son employeur si ce n’est que la perte d’emploi résulte de sa propre inconduite, laquelle l’empêche de satisfaire à une condition matérielle essentielle du contrat de travail, soit la prestation du service ? Encore là, il importe peu que le crime ait été ou non commis par l’employé contre son employeur ou dans le cadre de sa relation de travail avec l’employeur. 3
Il ressort clairement de ce passage que la Cour a reconnu jusqu’à quel point on aboutirait à des conséquences absurdes s’il devait être jugé qu’il faut tenir compte de l’inconduite qui a lieu pendant les heures de travail mais qu’il ne faut pas tenir compte de l’inconduite qui a lieu en dehors des heures de travail. La Cour a compris que, dans l’un ou l’autre cas, la peine est la même; la relation employeur-employé ne peut pas continuer. La Cour a donc jugé qu’il ne conviendrait pas de faire une distinction entre les deux cas et a rejeté cet argument.
À mon avis, le raisonnement qui a été fait dans l’arrêt Nolet s’applique en l’espèce. Le législateur ne peut pas avoir voulu que l’article 28 soit interprété de façon à encourager l’employé à démissionner et à chercher un emploi identique chez un autre employeur de façon que, s’il est déclaré coupable d’une infraction, il ait droit aux prestations d’assurance-chômage, étant donné que l’inconduite n’a pas été commise pendant la seconde relation employeur-employé. De fait, il serait «absurde et irréaliste de conclure» qu’il ne peut pas être tenu compte de l’inconduite qui a lieu avant que la relation employeur-employé prenne naissance en vertu de l’article 28. Comme la Cour l’a mentionné dans l’arrêt Brissette : «Dans le présent cas, l’employé devait, comme condition matérielle essentielle de son emploi, détenir un permis de conduire valide. En le perdant par sa faute, il a manqué à une obligation explicite du contrat de travail. Ce manquement découle directement de son inconduite.» 4 Par conséquent, le juge arbitre a eu raison de statuer que le requérant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance chômage en vertu de l’article 28 de la Loi.
Toutefois, en énonçant ma conclusion, je tiens à souligner ici encore la nature restreinte de l’inconduite se produisant avant que la relation employeur-employé prenne naissance qui peut être utilisée comme motif d’exclusion en vertu de l’article 28 de la Loi. Il ne peut être tenu compte de pareille inconduite que si la peine s’y rapportant influe sur la relation employeur-employé de façon que l’employé soit amené à violer une disposition expresse de son contrat de travail. En l’espèce, une disposition expresse du contrat de travail prévoyait que l’employé devait avoir et conserver un permis de conduire de la catégorie A. Le permis du requérant a été suspendu pour un an par suite de sa propre inconduite. Par conséquent, ce sont ses propres actions qui ont amené l’employé à violer une disposition expresse de son contrat de travail. Il est également important de noter que l’exigence selon laquelle il doit exister un lien de causalité entre l’inconduite et la perte de l’emploi doit néanmoins être satisfaite, de façon à assurer que des situations comme celle qui existait dans l’affaire Brissette ne soient pas utilisées comme motif d’exclusion en vertu de l’article 28.
Je rejetterais donc la, demande de contrôle judiciaire, et je confirmerais la décision par laquelle le juge-arbitre a confirmé la décision rendue par le conseil arbitral, à savoir que le requérant devrait être exclu du bénéfice des prestations en vertu de la Loi. Le juge-arbitre n’a pas commis d’erreur susceptible de révision justifiant l’intervention de cette cour.
F.J. McDonald
J.C.A.
1 Voir Canada (Procureure générale) c. Brissette (1994), 168 N.R. 60; Tanguay et al c. Commission de l'assurance-chômage et al. (1994), 168 N.R. 155; Procureure générale du Canada c. Clément Nolet, A-517-91, décision du 19 mars 1992, confirmant CUB 19706, inédit.
2 CUB 19706 du 15 septembre 1992, Juge Denault, confirmé par la Cour d'appel fédérale (inédit), A-517-91), le 19 mars 1992.
3 Nolet, supra, aux p. 66 à 69.
LE JUGE MARCEAU :
La présente demande de contrôle judiciaire, qui a été présentée à la suite d’une décision que le juge-arbitre avait rendue en vertu de la Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. (1985) ch. U-1, soulève encore une fois un problème d’interprétation et d’application de l’article 28 de la Loi. Il s’agit d’une disposition bien connue qui exclut le prestataire du bénéfice des prestations s’il a perdu son emploi en raison d’une inconduite ou s’il a quitté son travail volontairement sans justification 1. Il peut être surprenant qu’une disposition qui a donné lieu à un si grand nombre de litiges au fil des ans puisse encore poser des problèmes lorsqu’il s’agit de comprendre d’une façon générale sa portée réelle. Les faits ne peuvent pas être plus simples et la question qu’ils soulèvent est tout à fait évidente.
Le requérant a commencé à travailler comme chauffeur de camion pour Highland Creek Drivers Limited en février 1994. En juin 1994, il a avisé son employeur qu’il ne pouvait pas continuer à travailler comme chauffeur parce que son permis de conduire venait d’être suspendu à la suite d’une décision par laquelle un tribunal confirmait, avec un retard énorme, une infraction qu’il avait commise en juillet 1993, soit sept mois avant qu’il commence de travailler pour Highland. De toute évidence, il s’agit de savoir si le requérant doit être assujetti à la disposition d’exclusion de l’article 28 de la Loi.
La Commission a décidé que l’exclusion s’appliquerait parce que le prestataire avait volontairement quitté son emploi sans justification et le conseil arbitral a confirmé la décision. Quant au juge-arbitre, il s’est montré aussi ferme. Il a simplement dit ceci:
[TRADUCTION]
Il est bien établi en droit que lorsqu’une condition de l’emploi exige le maintien d’un permis de conduire, la perte de ce permis attribuable aux actions du prestataire est suffisante pour constituer une perte d’emploi attribuable à sa propre inconduite. Le fait que le prestataire a volontairement quitté son emploi parce qu’il avait perdu son permis ne peut aucunement être considéré comme une «justification» au sens de la Loi. C’était la propre action de l’appelant, indépendamment de la question de savoir à quel moment l’infraction a été commise, qui a entraîné la perte de son permis. Le fait que la suspension elle-même a eu lieu après son emploi, à mon avis, ne peut aucunement modifier les exigences de la Loi et le prestataire est clairement exclu du bénéfice des prestations en vertu du paragraphe 28(1) de la Loi.
La réaction du juge-arbitre est à première vue tout à fait compréhensible. De toute évidence, il adopte le point de vue selon lequel une personne ne devrait pas toucher de prestations si la perte de son emploi est attribuable à des circonstances qui ne sont imputables qu’à elle seule. Toutefois, après mûre réflexion, ce point de vue perd de la force; de toute façon, cette cour a toujours refusé de l’adopter sans réserves. La dernière fois qu’elle a eu l’occasion de faire des réserves, et j’en reparlerai ci-dessous, c’était en rendant jugement dans l’affaire Canada (Procureure générale) c. Brissette 2 .
Il ne m’est pas difficile de conclure que l’article 28 de la Loi doit s’appliquer dans le cas d’un prestataire qui perd son emploi pour le motif qu’une fois son permis de conduire suspendu, il ne peut plus satisfaire à une exigence de l’emploi. En théorie, il ne s’agit pas d’un cas de rejet par l’employeur, ni d’un départ volontaire de l’employé. Ni l’employeur ni l’employé n’avaient pas le choix. Il s’agit du cas d’un employé qui soudainement ne peut plus exécuter son travail. Toutefois, comme le juge Létourneau, qui parlait au nom de la Cour dans son ensemble, l’a dit dans l’arrêt Brissette, ci-dessus, en souscrivant ainsi aux remarques qui avaient été faites dans des décisions antérieures, »[...] c’est se livrer à une analyse et à une interprétation trop étroites de la situation et du paragraphe 28(1) de la Loi que de conclure que la perte de l’emploi résulte de la perte du permis et non de l’inconduite de son titulaire» 3. Il est maintenant établi que la perte du permis, soit la cause immédiate de la cessation brusque de l’emploi, ne constitue pas en soi un acte commis par l’employé, mais résulte des actions de l’employé et que, conformément à l’esprit de la disposition, c’est de ces actions, si elles sont répréhensibles, dont il faut tenir compte.
Il ne m’est également pas difficile d’adopter la position que le juge-arbitre a prise, à savoir qu’il importe peu que l’employeur ou l’employé ait pris l’initiative de mettre fin à la relation employeur-employé. Il a été mis fin à l’emploi par nécessité, et si un acte répréhensible doit être identifié à titre de cause réelle de cette situation soudaine, c’est l’inconduite, indépendamment d’une justification, et ce, selon l’un ou l’autre volet du paragraphe 28(1).
Là où le juge-arbitre a commis une erreur, et avant lui, la Commission et le conseil arbitral, c’est en donnant au point de vue sur lequel il s’est fondé une portée illimitée et en cherchant à le considérer comme un cas d’application de la maxime de droit civil ex turpi causa non oritur actio 4. Pareille application rigoureuse serait peut-être plus acceptable dans le cadre d’un programme d’aide purement social comportant des conséquences moins draconiennes. Toutefois, il ne s’agit pas ici d’un programme purement social et la peine en cause est la perte de toutes les prestations régulières.
Il est maintenant établi 5 que deux conditions sont nécessaires pour que l’article 28 s’applique : en premier lieu, la conduite répréhensible, qui peut être identifiée comme la cause de la perte de l’emploi, doit avoir un certain rapport avec les fonctions de l’emploi si elle est commise ailleurs qu’au lieu de travail et, en second lieu, dans tous les cas, la conduite répréhensible doit avoir eu lieu pendant la période d’emploi. Cette dernière exigence est conforme aux raisonnement qui sous-tend le paragraphe 28(1) et que le juge Pratte, qui parlait au nom de la Cour dans son ensemble dans l’arrêt Tanguay, ci-dessus, a eu l’occasion d’énoncer clairement :
Ce paragraphe est une disposition importante d’une loi qui établit un système d’assurance contre le chômage et ses termes doivent être interprétés en ayant égard à l’obligation qui pèse normalement sur tout assuré de ne pas provoquer délibérément la réalisation du risque. 6Si l’acte répréhensible qui empêche l’employé de satisfaire aux exigences de son emploi a été commis avant que le contrat de travail ait été conclu, on ne peut pas dire que l’acte est l’inconduite d’un employé assuré par laquelle ce dernier accroissait le risque de perdre son emploi ou compromettait son contrat de travail.
Par conséquent, le requérant ne pouvait pas être exclu sur la base de l’article 28 de la Loi, la suspension de son permis étant attribuable à une infraction commise avant qu’il exerce l’emploi sur lequel il se fonde pour demander les prestations.
À mon avis, il devrait être fait droit à la demande, la décision contestée du juge-arbitre devrait être infirmée et l’affaire devrait être renvoyée pour nouvelle décision annulant la décision que la Commission avait rendue au sujet de l’exclusion du requérant, laquelle avait été confirmée par le conseil arbitral.
Louis Marceau
J.C.A.
1 Le premier paragraphe, qui établit les règles, se lit comme suit:
28.1 Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations versées en vertu de la présente partie s'il perd son emploi en raison de sa propre inconduite ou s'il quitte volontairement son emploi sans justification.
2 Publié dans (1994), 168 N.R. 60.
4 Cette maxime est définie comme suit dans Black's Law Dictionary, 5e éd., (H.C. Black, St-Paul Minn: West Publishing Co., 1979) :
[TRADUCTION]2011-01-16
Une action ne prend pas sa naissance [ ne peut pas prendre naissance] par suite d'une vile considération [illégale ou immorale].