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  • CUB 12992A

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE DE LA Loi sur l'assurance-chômage de 1971

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    WILLIAM HOGAN «et al»

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par la Commission
    et l'employeur à l'encontre d'une décision du conseil arbitral
    rendue à Oshawa (Ontario) le 6 avril 1987.


    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-512-88


    DÉCISION

    LE JUGE REED :

    La question que vise le présent appel est celle de savoir s'il existe un conflit collectif entre des employés et leur employeur lorsque survient un lock-out par suite de la rupture de négociations de branche et que cette dernière résulte du refus d'un autre groupe de négociation (un syndicat différent représentant les employés d'un employeur différent) d'accepter une convention collective qui est proposée.

    La situation est née de négociations collectives qui ont commencé en décembre 1984 et se sont poursuivies pendant la période de janvier à mars 1985. Participaient à ces négociations les entreprises Brewers' Warehousing Company Limited, Brasserie Carling O'Keefe du Canada Limitée, Carling O'Keefe Transport Limited et Molson Ontario Breweries Limited, d'une part, et les divers syndicats représentant leurs employés, d'autre part.

    Les employés visés par le présent appel sont ceux représentés par la section locale 326 de l'Union des travailleurs unis des brasseries, farine, céréales, liqueurs douces et distilleries (BFCLD). Ils travaillent pour la Brewers' Warehousing Company Limited. Le prestataire est chauffeur de camion. Au moment du lockout, il y avait en entrepôt une provision de bière pour une semaine, qui aurait pu être livrée.

    Le lock-out a été décrété par suite du refus du Syndicat national de la Fonction publique provinciale (SNFPP) d'accepter une convention proposée aux employés pour le compte desquels il négociait. Les négociations touchant la convention, qui s'appliquerait à tous les syndicats et employeurs, avaient été menées séparément mais parallèlement.

    Le lock-out qui a eu lieu le 26 février 1985 résultait de ce que le SNFPP avait fait tenir un scrutin sur un protocole d'accord (concernant la convention collective proposée qui s’appliquerait à ses membres), qui avait été négatif. Les entreprises précitées, qui participaient aux négociations de branche, ont alors lock-outé les employés qui étaient membres des divers syndicats.

    Le prestataire a allégué qu'à l'époque, il y avait un accord préliminaire entre la Brewers' Warehousing Company Limited et ses représentants syndicaux, que ces derniers avaient accepté l'offre de l’entreprise et se proposaient de la soumettre à la ratification des membres par voie de scrutin et qu’on s'attendait à ce que les membres l'acceptent également. Ainsi, il est plaidé que les employés membres de la section locale 326 de l'Union des travailleurs unis des brasseries, farine, céréales, liqueurs douces et distilleries devraient être considérés comme ayant perdu leur emploi par suite d'une mise à pied, non pas d'un conflit collectif avec leur employeur.

    D'autres négociations ont eu lieu après le lock-out. Le protocole d'accord qu'ont finalement accepté toutes les parties le 15 mars 1985 prévoyait un taux de salaire plus élevé pour les membres de la section locale 326 de l'Union des travailleurs unis des brasseries, farine, céréales, liqueurs douces et distilleries, que celui dont il avait été provisoirement convenu le 26 février 1985. Il renfermait également une clause de ratification qui se lisait comme suit :

    Il est en outre entendu et convenu que le présent protocole n'est opérant qu'une fois ratifié et adopté par chacun des groupes de négociation et chacune des entreprises de l'Ontario qui y est partie.

    Le conseil arbitral, dans une décision rendue le 3 octobre l985 (pièce 20), a conclu comme suit :

    Le conseil conclut qu'il est difficile de faire un lien entre la véritable interprétation d'un conflit collectif et la présente affaire. Dans le présent cas, les employés de la Brewers' Warehousing venaient de tomber d'accord sur un projet de règlement avec la société et étaient prêts à le soumettre à la ratification des membres. À ce point, l'employeur non à cause d'un conflit avec son propre syndicat (il y avait un projet de règlement), mais d'un conflit collectif entre les principales brasseries et leur syndicat « SNFPP ». [sic]
    CONCLUSION
    Il est significatif que les exploitants de la Brewers' Warehousing Company Limited sont les principales brasseries et le conseil estime que c’est pour cette raison qu’il y a eu un lock-out. Il n’est donc pas question d'un conflit collectif dans le cas du prestataire et la décision de la société de faire un lock-out plutôt qu'une mise à pied des employés de l’entrepôt a une allure d’injustice aux yeux du conseil. Le conseil convient à l'unanimité que le prestataire n'était pas partie à un arrêt de travail dû à un conflit collectif.

    Cette décision a été portée en appel; le juge Walsh a entendu l'appel (CUB 12992); il a renvoyé l'affaire au conseil arbitral en vue d'une nouvelle audition. Ce renvoi au conseil se fondait sur l'argument de l'entreprise selon lequel il n'y avait pas d'accord préliminaire entre elle-même et la section locale 326, mais que des preuves appropriées n'avaient pas été présentés au conseil à ce propos. M. le juge Walsh a renvoyé l'affaire au conseil dans les termes suivants :

    Dans la présente affaire, même si l'on peut soutenir que le conseil pouvait en venir à la conclusion qu'il a tirée à la lumière des preuves incomplètes et possiblement inadéquates qui lui avaient été présentées, une lecture attentive de la décision révèle que le conseil a bien pu faire des erreurs de droit en concluant qu’il n'existait pas de conflit collectif ou en concluant qu’on en était venu à un accord même s'il n'avait pas été ratifié par les membres du syndicat. La décision est certainement insatisfaisante et la question à trancher est d'une importance considérable.J'ordonne donc que l'affaire soit renvoyée au conseil arbitral pour une nouvelle audition et un nouvel examen à la lumière de preuves plus définitives quant au présumé accord avec le syndicat représentant les prestataires intéressés par les présentes et pour examen de la question de droit qui est celle de savoir si l'employeur pouvait dire qu'un tel accord ne pouvait être ratifié avant qu'un accord semblable soit conclu avec le syndicat représentant les employés des brasseries, l'un étant alors lié à l'autre, même si le syndicat représentant les prestataires en cause n'avait jamais été consultés à ce sujet ni souscrits à cela. Il est permis au juge-arbitre, en vertu de l'article 96, de renvoyer une telle affaire au conseil, bien que, règle générale, je le répète, cela ne devrait pas être fait pour permettre à un prestataire, ou dans le présent cas, à un employeur de compléter et de corriger un plaidoyer déficient devant le conseil arbitral.

    La décision du conseil, après avoir entendu de nouveau l'affaire, se lit en partie comme suit :

    [TRADUCTION]
    ... Le juge Walsh a soulevé deux points :
    a) Était-il nécessaire qu'un accord soit ratifié par toutes les parties avant de prendre effet?
    b) Cela exigeait-il que le syndicat local représentant le prestataire ait été consulté et y ait souscrit?
    CONCLUSION
    Au cours de l'audition, toutes les parties présentes ont convenu que ce serait superflu et une perte de temps de revenir sur ce qui avait été examiné à l'audition précédente et qu'il serait plus approprié de se pencher sur les deux questions soulevées par le juge-arbitre dans la décision CUB 12992, qui sont citées ci-dessus.
    La position du représentant de l'employeur, M. Addario, était qu'un conflit collectif avait cours et que l'employeur avait le droit de faire un lock-out puisqu'aucun accord n'avait été signé avant le 15 mars 1985.
    La position du syndicat, selon M. Paliare, était qu’un accord verbal avait été conclu le 25 février 1985, lequel avait réglé à toutes fins utiles le conflit collectif entre les parties. Cette preuve a été présentée par M. Jack Weir qui a déclaré qu'il avait donné son accord au nom du syndicat et était prêt à soumettre l'offre à la ratification des membres. Il a témoigné que M. Chas. Jones et M. L. Bertuzzi avaient donné leur accord au nom de l'employeur. Lorsque le conseil a demandé au représentant de l'employeur pourquoi l'un de ces messieurs ou les deux n’étaient pas présents à l'audition, ce dernier a répondu qu'on estimait que c'était dans le meilleur intérêt de bonnes relations de travail de ne pas les faire participer à cette audition. Il a en outre été noté que le représentant de l’employeur à l'audition, M. J. Bowman, n'avait pas pris part personnellement aux négociations en cause.
    Bien que les parties aient signé le 15 mars 1985 un accord selon lequel tous les groupes de négociation en Ontario auraient à ratifier leur convention respective avant qu'elle puisse être en vigueur, un tel accord n'existait pas le 25 février 1985 et il n'y avait aucune preuve qu'il s’agissait là d'une condition préalable de règlement. Le conseil est d'avis qu'il existait entre les parties, le 25 février 1985, un accord préliminaire qui avait à toutes fins utiles mis fin à leur conflit collectif.
    DÉCISION
    La décision unanime du conseil est d'INFIRMER la décision de l'agent d'assurance et d'ACCUEILLIR l'appel du prestataire.

    Je signalerais que M. le juge Walsh a ordonné la tenue d'une nouvelle audition en vertu de l'article 96 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, et ses modifications, non pas de l'article 99. En conséquence, toutes les parties ont considéré que l'appel de la décision rendue à la nouvelle audition n'avait pas à être entendu par M. le juge Walsh. Bref, toutes les parties ont fait comme si M. le juge Walsh n'avait pas été saisi du présent appel.

    L'avocat du prestataire plaide vigoureusement qu'un appel interjeté devant un juge-arbitre est un « examen limité », que le critère approprié que doit appliquer un juge-arbitre consiste à examiner « s’il y avait quelque élément de preuve justifiant le conseil arbitral de conclure comme il l'a fait ou si ce dernier a commis une quelconque erreur de principe »; voir Roberts C. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1985), 60 N.R. 349, (C.A.F.); Chapdelaine c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1986), 72 N.R. 1 (C.A.F.); Dubois c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (184), 61 N.R. 230 (C.A.F.).

    La décision CUB 8508, aux pages 8-9, est citée :

    « ...Il existe une jurisprudence volumineuse selon laquelle le juge-arbitre ne peut... annuler une décision du conseil arbitral, et rejeter ou modifier d'une manière quelconque les conclusions tirées par le conseil, à moins que cette décision ou ces conclusions ne semblent manifestement erronées par rapport à l'ensemble du dossier, autrement dit à moins que les conclusions ne soient erronées ou tirées de façon absurde ou arbitraire.

    J'accorde que les juges-arbitres ne réévaluent pas à la légère les conclusions de fait tirées par les conseils arbitraux. L'alinéa 95c) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, et ses modifications dispose :

    Toute décision ou ordonnance d'un conseil arbitral peut, de plein droit, être portée en appel... au motif que
    c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

    Toutefois, l'alinéa 95b) prévoit qu'une décision peut être portée en appel lorsque :

    b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

    À mon avis, la question à trancher, en l'espèce, est celle de savoir si la conclusion tirée par le conseil des faits qu'il a établis était erronée à la lumière de ces faits (c'est-à-dire qu'aucun conflit collectif n’existait au sens où cette expression est employée au paragraphe 44(1) de la Loi). Il s’agit là d'une question de droit.

    Je conviens, comme l'a conclu le conseil, qu'un accord préliminaire existait entre l'employeur et le syndicat. Je conviens qu'aucun protocole n’avait été signé en date du 26 février 1985, qui exigeait que tous les employeurs et tous les syndicats qui participaient aux négociations parallèles soient tous d'accord avant qu'une convention entre n’importe quel deux d'entre eux soit acceptée. De plus, on avait l'habitude, apparemment depuis 1950, de mener des négociations de branche (voir pièce 31-4). En outre, l'action de l'employeur était reliée au déroulement de ces négociations.

    Ainsi qu'il est mentionné précédemment, la question cruciale à trancher est celle de savoir si la cessation d'emploi qui a eu lieu doit être considérée comme une mise à pied ou comme la conséquence d'un conflit collectif, au sens du paragraphe 44(1) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, et ses modifications :

    (1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n’est pas admissible au bénéfice des prestations tant que ne s’est pas réalisée l'une des éventualités suivantes, à savoir :
    a) la fin de l'arrêt du travail,
    b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs dans le cadre de l’occupation qui est habituellement la sienne,
    c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation d'une façon régulière.

    Il est admis que les employés représentés par le SNFPP travaillent dans différents locaux et pour différents employeurs que les membres du syndicat dont le prestataire fait partie.

    À mon avis, le conseil arbitral a commis une erreur de droit en concluant des faits que la cessation d'emploi était une « mise à pied » plutôt qu’une perte d'emploi due à un conflit collectif. L'employeur a lock-outé les employés. Il y a eu un lock-out parce que l'employeur insistait pour que la convention collective qu’on négociait renferme la clause de ratification précitée (exigeant l'accord de tous les syndicats et des employés) comme condition de règlement. Bien qu’il ait pu y avoir un « accord préliminaire » sur les dispositions de fond de la convention collective, il est clair qu'il était « préliminaire » aux yeux de l’employeur au sens qu'il exigeait l'accord de tous les groupes de négociation.

    Il n'est pas suggéré que les actions de l’employeur constituaient un lock-out illégal. L'avocat de l'employeur plaide que selon la Loi sur les relations de travail de l'Ontario, S.R.O. 1980, chap. 228, les employés, en l'espèce, étaient en droit de débrayer le 26 février 1985 et les employeurs de décréter un lock-out. Il est plaidé que cette situation restait telle en vertu de la Loi (article 72 de la Loi sur les relations de travail) jusqu’à ce qu'une nouvelle convention soit conclue. En outre, il est plaidé qu'à cette fin, un protocole d'accord devrait avoir été ratifié. L'expression « convention collective » est définie à l'alinéa l(l)e) de la Loi sur les relations de travail comme suit :

    convention écrite conclue entre un employeur ou une association patronale, d'une part, et un syndicat ou un conseil de syndicats représentant les employés de l'employeur ou les employés des membres de l'association patronale, d'autre part, y compris une convention provinciale, qui comprend des dispositions relatives aux conditions d'emploi ou aux droits, privilèges ou obligations de l'employeur, de l'association patronale, du syndicat et des employés.

    L'avocat soutient que la Commission des relations de travail de l'Ontario, interprétant la définition de « convention collective », a dit que de simples engagements oraux ne constituaient pas une convention collective valide. L'avocat soutient que dans nombre de cas, la Commission des relations de travail a affirmé qu'il ne serait conclu à l'existence d'une convention collective que si les parties avaient terminé leurs négociations et consigné leur accord dans un document quelconque. La décision de la Commission des relations de travail dans Graphic Centre Inc., [1976] O.L.R.B. Reports, mai 1976, 27l à 228, porte :

    [TRADUCTION]
    En l'absence d'une « convention écrite » (c’est-à-dire signée par les parties) témoignant de la fin des négociations quoique sous réserve de ratification, s'il est établi que les parties n'ont pas réglé toutes les questions les opposant, la Commission ne peut conclure qu'il existe une convention collective ».

    Voir également: Sears Canada Inc., [1986] O.L.R.B. Reports, août 1159; Ferranti-Packard Limited, [1977] O.L.R.B. Reports, mars 169; Canteen of Canada (1984), 15 L.A.C. (3d) 305.

    Dans Molson Ontario Breweries Limited [1985] O.L.R.B. Reports, avril 558, la Commission des relations de travail de l'Ontario s’est penchée sur la légalité de l'insistance des brasseurs sur ce que j'appellerais une clause de ratification « de branche » dans les négociations dont il s'agit en l’espèce. Cette décision n’avait pas trait à la position de la section locale 326 relativement aux négociations ni à exactement la même situation de fait qu’en l'espèce. Néanmoins, à mon avis, le raisonnement sous-tendant cette décision est très pertinent en l'espèce. La décision Molson avait trait au lock-out maintenu par les employeurs après la signature d'un protocole d'accord, en mars 1985, par certains syndicats mais non pas tous. Bref, cette décision avait trait à une étape de négociation postérieure à celle dont il s'agit en l'espèce.

    La Commission des relations de travail, à la page 577 de la décision Molson, décrit la question dont elle était saisie comme suit :

    [TRADUCTION]
    Le fond des plaidoyers est que même si l'employeur avait le droit de demander et de négocier une clause de ratification du genre de celle contenue dans le protocole, il ne pouvait légalement l'exiger jusqu'à l'impasse. Ils estimaient que cette impasse s'est produite au plus tard lorsque, le protocole n'ayant pas été ratifié par les deux groupes de négociation précités, les employeurs on refusé aux autres groupes les conditions de règlement qu'il contenait, sans la clause de ratification attaquée. Ils estimaient également que ce refus des employeurs constituait une infraction à l'article 15 de la Loi. L'avocat de la section locale 304 a également soutenu que la Commission devrait conclure que les conventions collectives prévues par le protocole étaient en vigueur (en ce qui a trait aux deux groupes de négociation de la section locale 304 qui l'avait ratifié), au motif que l'insistance des employeurs sur l'inclusion de la clause de ratification attaquée était le seul point qu'il restait à régler. Ainsi, il estimait que les conventions collectives entre ces parties étaient légalement entrées en vigueur. Il estimait également que le fait pour l’employeur de continuer d'insister sur cette clause contrevenait à l'article 64 de la Loi. Il a ajouté que le refus de l'employeur de ratifier le protocole n'avait aucune importance juridique parce qu’à ses yeux, la seule raison pour laquelle il ne l'avait pas fait était qu’il continuait d’insister sur la clause de ratification.
    L'avocat des intimés a plaidé que le lock-out n’était pas illégal parce que la Loi ne l'interdisait pas au moment où il a été décrété. À ce propos, il a fait observer qu’aucun des employeurs intimés n’avait ratifié le protocole. Il a également fait valoir que la définition de lock-out à l'alinéa l(l)k) prévoit expressément une action patronale du type dont il s’agit en l'espèce, puisqu’elle renferme ce qui suit :
    ...la fermeture d'un lieu de travail, la suspension du travail ou le refus d'un employeur de conserver à son service un certain nombre de ses employés en vue de les contraindre ou de les inciter, ou d'aider un autre employeur à contraindre ou à inciter ses employés à ne pas exercer les droits ni les privilèges que leur confère la présente loi ou à donner leur accord à des dispositions ou à des modifications aux dispositions qui ont trait aux conditions d'emploi ou aux droits, privilèges ou obligations de l’employeur, d'une association patronale, du syndicat ou des employés.

    La Commission des relations de travail a confirmé la légalité de l'action des employeurs. Elle affirmait, en partie, aux pages 568-569 :

    [TRADUCTION]
    ...Bien qu'une telle clause serve à une fin légitime en matière de relations de travail dans le contexte de négociations de branche, elle présente également le risque, qui s’est réalisé en l'espèce, que le règlement soit rejeté parce qu'un ou plusieurs groupes de négociation refusent de le ratifier. Il n'est pas nécessaire de décider en l’espèce si un syndicat qui a signé un protocole renfermant une telle clause peut légalement insister pour revenir à des négociations par groupe individuel dès qu'un tel refus de ratifier se produit. Aux fins de la présente décision, je suis prêt à supposer, sans en décider ainsi, qu'un syndicat peut légalement faire cela. Il ne s'ensuit pas, toutefois, que l'article 15 de la Loi exige que l'employeur, dans de telles circonstances, fasse à chaque groupe de négociation exactement la même offre que celle prévue par le protocole d'accord général. Ainsi qu'il ressort de l'espèce, les employeurs peuvent bien être prêts à faire des concessions lors de négociations collectives afin d'obtenir une clause de ratification du type précité, ce que M. Bertuzzi a bien décrit comme étant ce qui fait marcher les négociations de branche. Si un employeur ne peut avoir l'avantage ou la protection d'une telle clause, alors il peut bien souhaiter et avoir légalement le droit de réviser ces propositions et de refuser d'offrir (ou de ratifier), relativement à un groupe de négociation, une offre qu'il serait prêt à faire ou à ratifier dans le contexte de négociations de branche. Le fait que les employeurs étaient prêts à payer un prix pour obtenir une telle clause montre également l'injustice fondamentale de la position que les requérants, en l'espèce, ont fait valoir devant la Commission. Comme ils étaient prêts à signer un protocole d'accord renfermant la clause de ratification déjà mentionnée, les requérants ont obtenu des employeurs une meilleure offre que celle qu’ils auraient probablement pu obtenir s'ils avaient négocié par groupe. Maintenant que le risque inhérent d'une telle clause s'est réalisé, ils demandent à la Commission d'annuler cette dernière et d’imposer aux employeurs un protocole qui ne la renferme pas.

    ...

    En l'espèce, il n'est aucunement suggéré que les employeurs intimés ont insisté sur l'inclusion de la clause de ratification attaquée en vue d'éviter d'avoir à conclure une convention collective; au contraire, les employeurs intimés souhaitaient l'inclusion d'une telle clause de façon que les conventions collectives qu'ils désiraient conclure le soient simultanément avec tous les douze groupes de négociation, de façon à éliminer les salaires et d'autres conditions d'emploi importantes comme facteur de concurrence entre eux et de façon à s'assurer de conserver, dans la mesure du possible, leur position concurrentielle sur le marché lors de l'imposition de sanctions économiques nécessaires pour obtenir des conventions collectives acceptables.
    Bref, la Commission estime que les scrutins de ratification dont il a été question n’ont pas mené à la conclusion d'une convention collective par aucune des parties à l'espèce parce que le protocole, dont avaient légalement convenu les parties, n’a pas été ratifié conformément à ce qu’il exigeait. La commission estime en outre que, dans les circonstances, les employeurs intimés n'étaient pas légalement tenus d'offrir de conclure des conventions collectives avec chacun des groupes de négociation individuellement sans ne faire d'autre changement que de supprimer la clause de ratification attaquée.

    La Commission des relations de travail de l'Ontario a jugé qu’il était légal que les brasseurs négocient et exigent ce que j'ai appelé une clause de ratification de branche. C'est ce que faisait l'employeur du prestataire lorsqu'il a lock-outé ce dernier et les autres membres de la section locale 326. La perte d'emploi, dans ce cas, était clairement due au conflit collectif; il ne s’agissait pas d'une mise à pied. Si l’on estime que le lock-out était illégal, c'est à la Commission des relations de travail de l'Ontario qu'il faut s’adresser, non à la présente Cour. Il a souvent été jugé qu'une grève ou un lock-out n’avait pas besoin d'être légal pour qu'il existe un conflit collectif au sens de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage (CUB 3357, CUB 3608). Le fond du litige ou sa légalité n'est pas pertinent pour l'application de la Loi sur l'assurance-chômage (CUB 3608, 4398, 5888). Le paragraphe 44(1) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage n'est pas fondé sur une notion de faute (CUB 3357, 4183, 4979). Il n'importe que de savoir s'il existe de fait un conflit entre les parties. Je renverrais également les parties à la décision CUB 7454, confirmée par la cour d'appel fédérale, nodu greffe A-1198-82, le 16 février 1984. Elle a trait à une situation de fait semblable à celle dont il s'agit en l'espèce.

    Il s’agit d'un appel représentatif comme le sont deux autres entendus en même temps (Lynne Duncan; Stewart Wilson et autres). Les présents motifs s'appliquent également aux questions soulevées dans ces appels.

    Pour les motifs précités, l'appel est accueilli.

    _________________

    JUGE-ARBITRE

    OTTAWA (Ontario)
    Le 7 mars 1988

    2011-01-16