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  • CUB 19771

    TRADUCTION

    EN VERTU DE LA Loi sur l'assurance-chômage

    - et -

    RELATIVEMENT À une demande de prestations par
    Laurent BARONETTE et al

    - et -

    d'un appel interjeté devant le juge-arbitre par
    le prestataire à l'encontre d'une décision du conseil arbitral
    rendue à Sudbury (Ontario) le 24 mai 1990.


    DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-594-91


    DÉCISION

    LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME :

    J'ai entendu cette affaire à Sudbury (Ontario) le 4 janvier 1991. Le prestataire en appelle de la décision majoritaire d'un conseil arbitral qui a confirmé celle de la Commission selon laquelle il avait perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif. Il s'agit d'un appel type 1 et selon le représentant des prestataires, il n'y a pas de différence essentielle entre les faits présentés relativement à M. Baronette et ceux se rapportant aux autres personnes visés.

    Le prestataire a été embauché par la municipalité régionale de Sudbury (la « Région ») pour travailler comme manoeuvre temporaire du 21 novembre 1988 au 20 juin 1989. Le 14 avril 1989 il a rempli une demande renouvelée de prestations dans laquelle il indiquait que son emploi avait cessé le 6 avril 1989 et une période de prestations a été établie à partir du 9 avril 1989. Toutefois, la Région a fait savoir qu'un conflit collectif l'opposant aux sections 6 et 207 du Syndicat canadien de la fonction publique [SCFP] avait donné lieu à un arrêt complet de travail à partir du 7 avril 1989. La Région a indiqué dans le relevé d'emploi du prestataire que son emploi avait cessé en raison d'une grève. Shirley Clemence, une commis du Personnel, a fait savoir que les employés temporaires sont tenus de verser des cotisations syndicales et que, même s'ils n'ont aucun droit de rappel précis, l'employeur peut les rappeler. Elle a mentionné qu'ils auraient travaillé jusqu'à la fin de la période prévue s'il n'y avait pas eu de conflit collectif et qu'ils ont été licenciés parce qu'ils occupaient des emplois compris dans l'unité de négociation et ne pourraient terminer leur contrat en raison de la grève. Le conflit collectif a apparemment cessé en septembre 1989 et le prestataire a par la suite recommencé à travailler pour la Région le 16 octobre 1989.

    Par un avis de refus daté du 29 mai 1990, la Commission a informé le prestataire qu'il n'était pas admissible au bénéfice des prestations depuis le 9 avril 1989 jusqu'à la fin de l'arrêt de travail parce qu'il avait perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif. Le prestataire a par la suite fait lever l'inadmissibilité à partir du 20 juin 1989. Le 13 juin 1989 le prestataire a interjeté appel de cette décision devant un conseil arbitral; il alléguait que son emploi auprès de la Région avait cessé le 6 avril 1989, qu'il n'était pas membre du syndicat et n'était pas intéressé au conflit ni à son issue et qu'il n'y participait pas ni ne le finançait.

    Le 17 octobre 1989, un conseil arbitral a examiné l'appel du prestataire en son absence. La majorité a rejeté l'appel à la lumière des conclusions suivantes :

    [TRADUCTION] Un arrêt de travail s'est produit le 7 avril 1989 du fait d'un conflit collectif... Le conseil conclut que le prestataire avait un intérêt direct dans le conflit puisque les conditions de son emploi étaient en train d'être négociées comme l'étaient celles de ses camarades de travail. ... Les pièces 10 et 11 révèlent que le prestataire aurait continué de travailler jusqu'au 20 juin 1989 s'il n'y avait pas eu de conflit collectif.

    Un membre dissident du conseil n'était pas de cet avis, cependant. Il soulignait que [TRADUCTION] « [r]ien au dossier ne confirme la probabilité de travail jusqu'au 20 juin », que la décision de licencier le prestataire a été prise par l'employeur [TRADUCTION] « sans que le prestataire ait quelque chose à y voir » et que l'employeur ne savait pas quand le prestataire serait rappelé. À son avis, [TRADUCTION] « le simple fait d'être mentionné dans une convention collective ne signifie pas qu'on y est assujetti », et il aurait accueilli l'appel.

    Le 23 octobre 1989, le représentant du prestataire, M. James Arenburg, de la Clinique juridique de Sudbury, a demandé une nouvelle audition de l'appel de son client parce que la Commission n'avait apparemment jamais reçu sa lettre du 11 octobre 1989 par laquelle il demandait un ajournement. Dans de longues observations au conseil arbitral datées du 24 mai 1990, M. Arenburg a fait valoir que le prestataire n'a pas perdu son emploi du fait du conflit collectif et, subsidiairement, qu'étant visé au paragraphe 31(2), il ne devrait pas être jugé inadmissible. Il estimait que l'intérêt que le prestataire pouvait l'avoir dans la grève n'était que conditionnel et spéculatif, fondé sur la simple possibilité que la Région retienne ses services à une date ultérieure, et que les travailleurs temporaires de la Région constituaient « un groupe ou une catégorie de travailleurs » qui ne participaient pas au conflit collectif.

    Le prestataire, James Arenburg et Wendy Turner de la Clinique juridique communautaire, et Lila Anderson, conseillère en services d'assurance de la Commission, ont comparu devant le conseil arbitral le 24 mai 1990 pour une nouvelle audition « complète » de l'affaire. La majorité a noté ce qui suit :

    [TRADUCTION] Le prestataire a été embauché comme manoeuvre temporaire par la [Région] le 21 novembre 1988. Un arrêt de travail est survenu le 7 avril 1989 à cause d'un conflit collectif entre la [Région] et les sections locales 6 et 207 du [SCFP]. Selon l'employeur, l'emploi devait durer sept mois et aurait cessé le 20 juin 1989. Le 4 avril 1989 les sections locales 6 et 207 du SCFP ont signifié à la municipalité régionale de Sudbury qu'un arrêt de travail surviendrait à 8 heures le 7 avril 1989. L'employeur affirme que par suite de la signification de l'avis précité, les employés temporaires ont été licenciés à la fin de leur poste le 6 avril 1989 parce qu'ils occupaient des emplois compris dans l'unité de négociation et ne pourraient terminer leur contrat en raison de la grève. L'employeur affirme également que le prestataire aurait pu continuer de travailler si la grève n'avait pas eu lieu.

    La majorité a donc jugé que le prestataire avait perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif parce que [TRADUCTION] « l'avis de cessation d'emploi délivré à la fin du poste du prestataire le 6 avril 1989 l'a été à cause de la décision du syndicat d'arrêter le travail le 7 avril 1989 » et a rejeté son appel.

    Toutefois, un membre dissident du conseil a retenu que l'avis de cessation d'emploi a été délivré un jour avant le retrait des services du syndicat et, s'appuyant sur l'arrêt Létourneau, A-1082-84, selon lequel l'employé qui démissionne avant le début d'une grève ne sera pas déclaré inadmissible, il a conclu que [TRADUCTION] « les prestataires n'étaient donc pas employés par la Région quand la grève a commencé ». Il a souligné que c'était l'employeur qui avait pris l'initiative de licencier le prestataire avant l'arrêt de travail et que ce dernier n'a donc jamais été en grève. Il a conclu que le prestataire n'avait pas fait de piquetage ni participé de quelque autre façon à la grève et, s'appuyant sur la déclaration du prestataire selon laquelle [TRADUCTION] « il n'avait pas voté pour ou contre la grève ni pour ou contre le contrat proposé », il a accueilli l'appel.

    Le prestataire en appelle devant le juge-arbitre de la décision majoritaire du conseil en vertu de l'alinéa 80b) de la Loi sur l'assurance-chômage. Il soutient que les prestataires qui perdent leur emploi par suite de la décision d'un employeur de les licencier avant le début d'un conflit collectif ne le perdent pas « du fait d'un arrêt de travail ». Il affirme qu'il n'était pas membre du syndicat, qu'il n'avait pas le droit de voter, qu'il n'a rien eu à voir à la décision de déclencher la grève et qu'il n'a pas participé à la grève ni reçu d'indemnité de grève. Il soutient que tout intérêt qu'il a pu avoir à être réembauché à une date ultérieure et à bénéficier ainsi du conflit collectif est indirect et spéculatif, dépend uniquement du bon plaisir de la Région et que rien n'autorise à penser qu'une possibilité de rappel futur au travail suffit pour prouver qu'un prestataire est « directement intéressé ». Finalement, il soutient que les employés temporaires constituent « un groupe ou à une catégorie de travailleurs » distincts des employés permanents et stagiaires de la Région en ce que leurs relations de travail sont sensiblement différentes et que leurs avantages et privilèges sont beaucoup moins favorables.

    La disposition pertinente au présent appel est l'article 31 de la Loi :

    31. (1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une des éventualités suivantes :
    a) la fin de l'arrêt de travail;
    b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la sienne;
    c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation d'une façon régulière.
    (2) Le paragraphe (1) n'est pas applicable si le prestataire prouve :
    a) d'une part, qu'il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l'arrêt de travail, qu'il ne le finance pas et qu'il n'y est pas directement intéressé;
    b) d'autre part, qu'il n'appartient pas à un groupe ou à une catégorie de travailleurs dont certains exerçaient, immédiatement avant le début de l'arrêt de travail, un emploi à l'endroit où s'est produit l'arrêt de travail et participent au conflit collectif, le financent ou y sont directement intéressés.

    Il faut donc faire une analyse en deux étapes pour décider d'abord si le prestataire a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail et ensuite si, quoi qu'il en soit, il devrait échapper à l'inadmissibilité en vertu du paragraphe 31(2).

    Le prestataire a-t-il perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail?

    Il est clair que, n'eût été le conflit collectif, le prestataire aurait continué de travailler pour la Région jusqu'à ce que sa période contractuelle se termine le 20 juin 1989. Le représentant du prestataire allègue néanmoins que le prestataire a perdu son emploi non pas du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif mais par suite de la décision de la direction de licencier tous les travailleurs temporaires. Il s'appuie sur les décisions rendues par la Cour d'appel fédérale dans les affaires Hurren v. A.G. Canada (1986), 69 N.R. 117, et Létourneau c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada), [1986] 2 C.F. 82, 24 D.L.R. (4th) 688, pour soutenir que le paragraphe 31(1) ne s'applique pas au prestataire.

    Dans l'affaire Hurren, la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la question de savoir si un employé en grève qui prend sa retraite pendant une grève demeure inadmissible au bénéfice des prestations d'assurance-chômage. Le juge Hugessen, au nom de la Cour, a décidé que l'inadmissibilité de l'employé devrait dès lors cesser. Son raisonnement était que :

    L'employé qui prend sa retraite (volontairement ou en y étant forcé, peu importe) rompt les liens qui l'unissent à son employeur. Il n'a plus rien à tirer ni à perdre de l'issue d'un conflit collectif. Il est désormais libre. La cause de la perte de son emploi, facteur décisif à la détermination de l'inadmissibilité visée au paragraphe 44(1), n'importe plus car il a volontairement renoncé à la possibilité de jamais reprendre son emploi.

    Donc, la Cour a reconnu que le prestataire qui rompt ses liens avec son emploi au cours d'un conflit collectif peut, même s'il a à bon droit été jugé inadmissible au début du conflit, invoquer dès lors l'exception prévue au paragraphe 31(2).

    Dans l'affaire Létourneau, la Cour a jugé que le paragraphe 31(1) ne s'applique pas à un employé qui, avant le début d'une grève, quitte définitivement son emploi. Le juge Marceau a souligné la nature « finale » de la perte d'emploi et distingué l'acte collectif de l'acte individuel relativement à la perte d'emploi :

    L'article utilise l'expression « perd son emploi » mais, il ne faut pas s'y tromper, il s'agit de la « perte d'emploi » du gréviste (ou de celui qui est sous le coup d'un lock-out), une perte d'emploi fort spéciale qui résulte d'une « cessation de travail » collective, ne crée pas d'état de chômage, et constitue une simple étape de solution d'un conflit employeur-employés. Or, celui qui démissionne avant le déclenchement de la grève ne « perd pas son emploi » à la manière du gréviste : la perte d'emploi dans son cas est individuelle, elle le rend chômeur et elle est définitive. On n'a plus aucune raison de maintenir à son égard l'inadmissibilité du gréviste.

    Toutefois, le juge Pratte a insisté sur la possibilité qu'une grève puisse se produire ou non après que l'employé a rompu sa relation de travail pour mettre l'accent sur l'acte de l'employé comme la « cause » de la perte d'emploi plutôt que le conflit collectif :

    Pour que cette disposition s'applique, il faut donc que la perte d'emploi ait été causée par l'arrêt du travail lui-même. Ce n'est pas le cas ici. Il est logiquement impossible qu'un événement en ait causé un autre si cet autre événement se serait produit même si le premier n'avait pas eu lieu. Comme le requérant avait quitté son emploi avant que la grève ne commence, il était toujours possible que cette grève n'ait pas lieu et, alors, le requérant n'aurait pas retrouvé son emploi. En réalité, le requérant n'a donc pas perdu son emploi « du fait » de la grève, il l'a perdu, plutôt, parce qu'il prévoyait que la grève aurait lieu.

    Finalement, le juge MacGuigan a conclu que la rupture complète de la relation de travail était déterminante :

    En effet, le gréviste retient ses liens avec son employeur mais le démissionnaire a complètement abandonné son droit de retourner à son emploi. En l'espèce le prestataire a rompu ses liens avec son employeur par son acte de démission et il ne serait pas réaliste selon la Loi de caractériser cet acte autrement qu'une perte volontaire sans justification.

    M. Arenburg estime que les arrêts Hurren et Letourneau peuvent être appliqués à cette situation où l'employeur prend l'initiative de rompre la relation de travail avant le début d'un conflit collectif. Toutefois, ce serait défier la logique que de prétendre que l'acte de l'employeur en l'espèce n'avait pas pour cause l'arrêt de travail imminent. Il y a lieu de croire que l'acte de l'employeur a été précipité par l'avis de grève et que, n'eut été la grève, le prestataire aurait continué de travailler pour la Région. Je conclus donc que la majorité a à bon droit décidé que le prestataire avait perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail.

    Le prestataire peut-il prouver qu'il devrait échapper à l'inadmissibilité en vertu du paragraphe 31(2)?

    Toutefois, la majorité, ayant conclu que le prestataire était visé au paragraphe 31(1), ne s'est pas penchée sur la question de savoir s'il échappait à l'inadmissibilité en vertu du paragraphe 31(2). Compte tenu des pouvoirs que confère à un juge-arbitre l'article 81 de la Loi, j'ai décidé d'examiner si le prestataire a à bon droit été jugé inadmissible en vertu de l'article 31 au lieu de renvoyer l'affaire au conseil arbitral.

    Dans l'affaire Mensforth, CUB 12900, le juge-arbitre McNair a énoncé les conditions que doit remplir un prestataire pour être visé au paragraphe 31(2) :

    1. le prestataire ne doit pas avoir participé au conflit collectif qui a causé l'arrêt de travail;
    2. le prestataire ne doit pas avoir financé le conflit collectif;
    3. le prestataire ne doit pas avoir été intéressé directement au conflit collectif; et
    4. le prestataire ne doit pas avoir été membre d'un groupe de travailleurs de même classe ou de même rang qui, immédiatement avant le début de l'arrêt de travail, exerçaient un emploi à l'endroit où s'est produit l'arrêt de travail et qui participaient au conflit collectif, le finançaient ou y étaient directement intéressés.

    D'après les éléments de preuve dont je suis saisi, il semble que le prestataire puisse remplir les deux premières conditions. La Cour suprême du Canada a décidé récemment dans l'affaire Hills c. Canada (Procureur général), [1988] R.C.S. 513, que le mot « finance » exige une contribution voulue et délibérée de la part du prestataire. Madame le juge L'Heureux-Dubé a affirmé, à la page 554 :

    ... on ne saurait ignorer le fait que le verbe « finance », à l'al. 44(2)a), sous-entend un lien actif entre le financement et la grève. L'adverbe « directement » qui est joint au terme « intéressé » aurait été redondant s'il avait été joint au terme « finance », puisque ce dernier terme indique en soi une action directe.

    Selon l'arrêt Hills, on ne peut dire que parce que des cotisations syndicales étaient obligatoirement retenues dans le cas des employés non syndiqués, le prestataire « finançait » le conflit. Ni ne semble-t-il qu'il « participait » au conflit. Dans son affidavit du 22 mai 1990, le prestataire a déclaré sous serment qu'il n'avait pas [TRADUCTION] « participé au piquetage ou à d'autres activités de grève » et qu'il ne [TRADUCTION] « ne connaissait pas d'autres employés temporaires qui avaient reçu des indemnités de grève ou fait du piquetage ». En outre, dans une lettre datée du 12 octobre 1989, un représentant du SCFP a affirmé qu'à sa connaissance, [TRADUCTION] « aucun employé temporaire n'avait participé au piquetage pendant le conflit collectif ».

    L'argument se rapporte donc essentiellement à la question de savoir si le prestataire remplit les troisième et quatrième conditions énoncées dans l'affaire Mensforth. La Commission oppose que le salaire et les conditions de travail du prestataire faisaient l'objet du conflit collectif et il est proposé que le fait que le prestataire ait reçu une augmentation rétroactive de salaire et que la Région l'ait réembauché le 16 octobre 1989 révèle qu'il était directement intéressé au conflit collectif. Toutefois, dans l'affaire Wallace, CUB 13738, je me suis penché sur une situation de fait relativement semblable et j'ai affirmé qu'une augmentation de salaire rétroactive pouvait simplement être une somme versée à l'égard de services antérieurs; j'y soulignais qu'on pouvait faire une distinction entre la poursuite d'un contrat subsistant et le réemploi aux termes d'un nouveau contrat.

    Dans l'affaire Wallace, le prestataire a été embauché pour travailler comme employé temporaire jusqu'en octobre 1984, mais été licencié en raison d'un manque de travail lorsque la section locale 181 du SCFP a déclenché une grève contre l'employeur, le 10 septembre 1984. Il n'a pas fait de piquetage ni participé physiquement à la grève. La grève a pris fin le 26 décembre 1984 et il a été réembauché pour cinq semaines afin de terminer un projet. J'ai affirmé que le prestataire devait démontrer qu'il avait à un moment donné cessé d'être employé par son employeur ou d'être lié au syndicat pour que le paragraphe 31(2) puisse s'appliquer, et que le fait qu'il ait travaillé pendant cinq autres semaines après la grève n'était pas pertinent pour déterminer les conditions du contrat :

    La question consiste plutôt à déterminer si, par ces cinq semaines de travail, le prestataire a complété un contrat qui se poursuivait ou s'il avait été réembauché en vertu d'un nouveau contrat.

    En l'espèce, le prestataire n'a pas été rappelé au travail par la Région à la fin de la grève en septembre 1989. Toutefois, le 16 octobre 1989, il a accepté un autre emploi temporaire auprès de la Région, qui, soutient-il, constitue un nouveau contrat et n'a aucun lien avec l'emploi qu'il a perdu avant le début de la grève. Dans son affidavit du 22 mai 1990, il affirme :

    [TRADUCTION]
    8. Je savais qu'à titre d'employé temporaire, il n'y avait pas de garantie que je serais réembauché par la Région une fois la grève terminée. Étant un employé temporaire, je n'avais pas de privilège d'ancienneté ni de droit de rappel et c'était tout à fait à la Région de décider de m'embaucher ou non de nouveau.
    9. Pendant la grève j'ai cherché d'autre travail, mais je n'ai rien trouvé de convenable à temps plein. Si j'avais trouvé un autre emploi convenable à temps plein, je l'aurais pris.
    10. À la fin de la grève, au début de septembre 1989, je n'ai pas été rappelé au travail. Toutefois, j'ai été réembauché aux termes d'un contrat temporaire distinct le 16 octobre 1989.

    De même, dans une lettre datée du 12 octobre 1989, le représentant du SCFP affirme également ce qui suit :

    [TRADUCTION]
    1. Je crois comprendre que tous les employés temporaires de la Région ont été licenciés au début de la grève.
    2. À partir du moment du licenciement, ces personnes n'avaient pas de droits aux termes de la convention collective, droit de rappel compris, et comme il a été indiqué, le rappel dépendait uniquement du bon plaisir de la Région.

    Finalement, une lettre de la Région à M. Arenburg, datée du 26 janvier 1990, révèle que « même si les employés temporaires n'ont pas de droit de rappel, certains PEUVENT être réembauchés selon que l'exige la charge de travail ».

    À mon avis, la simple possibilité d'être rappelé au travail selon le bon plaisir de l'employeur ne suffit aucunement pour constituer en l'espèce un « intérêt direct » dans le conflit collectif. Je conclus que l'emploi subséquent du prestataire ne résultait pas d'un contrat subsistant avec la Région et, quoi qu'il en soit, j'estime qu'il n'est pas approprié de décider rétrospectivement que parce qu'il a éventuellement été réembauché, il existait plus qu'une simple possibilité de rappel au moment où il a été licencié. Je trouve également appui dans les observations faites par Madame le juge Wilson, au nom de la Cour, dans l'arrêt Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, à la p. 10 :

    Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire.

    J'accepte l'argument du prestataire voulant que, conformément au raisonnement de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Abrahams et Hills, les mots « directement intéressé » soient interprétés étroitement de façon à ne pas rendre inadmissibles les victimes innocentes de conflits collectifs et ne pas aller au-delà de l'objectif de la politique d'éviter que les fonds d'assurance-chômage servent à subventionner les parties à ces conflits.

    Finalement, le prestataire soutient que les employés temporaires de la Région constituaient « un groupe ou une catégorie de travailleurs » qui ne finançaient pas le conflit collectif, n'y participaient pas et n'y étaient pas directement intéressés et qu'ils en étaient les innocentes victimes. Dans une lettre datée du 12 octobre 1989, le représentant du SCFP a également exposé les différences entre les employés temporaires et les autres catégories d'employés, qui sont énoncées dans la convention collective :

    [TRADUCTION]
    Les employés temporaires ... n'acquièrent aucun droit d'ancienneté et n'ont pas de droit de rappel après un licenciement.
    Relativement aux offres d'emploi, les employés temporaires sont considérés en troisième lieu, ne jouissant d'aucun droit, juste avant que l'offre soit faite publiquement. Ils n'ont droit à aucun congé sans l'approbation de l'employeur et ne bénéficient d'aucune assurance-maladie, dentaire et vie collective même si l'employeur retient de leur salaire les cotisations au RAMO en leur en imposant la totalité du coût.
    Les employés temporaires peuvent recourir à la procédure de règlement des griefs en ce qui concerne les questions qui les touchent aux termes de la convention collective.

    L'article 34 de la convention collective décrit trois catégories d'employés - les employés permanents, les employés stagiaires et les employés temporaires. Ces derniers ne peuvent être embauchés que pour une période n'excédant pas sept mois consécutifs, ils n'acquièrent aucun droit d'ancienneté au cours de cette période et ils peuvent être renvoyés n'importe quand selon le bon plaisir de la Région.

    Cette question a été abordée dans un certain nombre de décisions assez récentes du juge-arbitre. Dans l'affaire Doré, CUB 15795, le juge-arbitre Rouleau a décidé qu'une étudiante employée pendant l'été n'était pas directement intéressée au conflit collectif à son lieu de travail :

    En conclusion, je suis d'avis que l'appel de la prestataire doit être accueilli. Après avoir lu l'analyse du but de l'article 44 par le juge L'Heureux-Dubé je suis convaincu qu'une étudiante embauchée pour combler un poste temporaire créé pour la saison estivale, qui ne participe pas au piquetage, n'est pas admissible aux allocations de grève et qui est mise à pied un seul jour avant le déclenchement d'une grève, est une innocente victime d'un conflit de travail. Dans les circonstances, la prestataire est une personne visée par les dispositions du paragraphe 44(2) de la Loi et doit pouvoir bénéficier des prestations d'assurance-chômage.
    Il est important de noter qu'il est possible que les conditions de travail de la prestataire auraient pu être améliorées suite à la grève puisque la convention collective déterminait l'échelle de salaire des étudiants. Cependant, le paragraphe 44(2) stipule que seuls les prestataires « directement intéressés » sont inadmissibles aux prestations. À mon avis, une étudiante embauchée pour quelques mois, tels les titulaires d'emplois occasionnels, ne porte pas d'intérêt direct envers les buts à long terme du syndicat et des autres grévistes.

    Dans l'affaire Cormier, CUB 14585, la prestataire était employée à titre temporaire comme sélectionneuse de bouteilles lorsqu'une grève est survenue à son lieu de travail. Elle n'était pas membre du syndicat, elle était en stage et, aux termes de la convention collective, elle devait avoir travaillé pendant 45 jours consécutifs avant de pouvoir être placée sur une liste d'ancienneté à titre de membre du syndicat. Le juge McNair a souligné que la convention collective établissait une distinction claire entre les stagiaires et les membres de longue date du syndicat; en outre, la prestataire avait constamment maintenu qu'elle n'avait pas les mêmes droits et privilèges que les membres du syndicat. Il a conclu, par conséquent, qu'elle ne pouvait être considérée comme membre d'un groupe ou d'une catégorie de travailleurs avant d'avoir acquis les mêmes droits et privilèges que ces derniers.

    Dans l'affaire Cole, CUB 14021, je me suis penché sur la question de savoir si la prestataire, qui était employée comme enseignante occasionnelle ou suppléante pour remplacer une enseignante permanente en congé de maternité, appartenait au même groupe ou à la même catégorie que les membres en grève de la Fédération des enseignantes-enseignants des écoles secondaires de l'Ontario (« FEESO «). La prestataire n'était pas membre de la FEESO et, à titre d'enseignante suppléante, était expressément exclue de la FEESO et non assujettie à sa convention collective. J'ai également conclu que la nature du travail fait par la prestataire différait de celui des enseignants membres de la FEESO :

    Il est expressément interdit au conseil scolaire de contracter de façon permanente avec les enseignants suppléants. Ceux-ci ne peuvent aspirer à rien de plus que des contrats de suppléance. Par conséquent, la relation avec leur employeur diffère considérablement de celle des enseignants permanents. En outre, les fonctions qu'ils exécutent diffèrent à des degrés divers de celles qu'exécutent les enseignants permanents et leurs conditions de travail sont nettement différentes en ce qui touche les avantages et la sécurité.
    ...
    Quant à la possibilité que la prestataire fasse une nouvelle demande pour enseigner à cette école, et bénéficie ainsi des conditions résultant du conflit collectif, j'adopte l'opinion exprimée par le juge Hugessen dans cette cause, à savoir qu'un tel intérêt dans un conflit ne serait pas du tout direct.

    S'appuyant sur la jurisprudence précitée, le juge-arbitre Reed, dans l'affaire Parsik, CUB 15629, a proposé qu'il fallait appliquer un critère à volets multiples, dont la nature du travail fait, les droits et privilèges du prestataire et l'affiliation au syndicat en grève, pour trancher la question. Elle a également proposé que chaque cas soit examiné à la lumière de ses faits propres, en tenant compte du but de l'article 31 tel que l'a énoncé Madame le juge L'Heureux-Dubé, au nom de la majorité, dans l'affaire Hills :

    Comme le fonds d'assurance-chômage se composait des cotisations versées par les employeurs, les employés et le gouvernement, on considérait qu'il était peu souhaitable, voire inéquitable, que les prestations provenant de ce fonds servent à soutenir, à l'encontre de ce même employeur, ses employés en grève ou en lock-out. À cet égard, la neutralité de l'État face aux conflits de travail a été une considération primordiale. Cependant, on peut raisonnablement conclure du texte de l'art. 44 que cette disposition n'avait pas pour but de pénaliser les victimes innocentes d'un conflit de travail.

    En l'espèce, je conclus que le prestataire n'était pas membre d'un groupe ou d'une catégorie de travailleurs qui participaient au conflit, le finançaient ou y étaient directement intéressés. Même si la convention collective établissait dans une certaine mesure ses conditions d'emploi, le prestataire n'était pas membre du syndicat en grève et ses droits, privilèges et avantages à titre d'employé temporaire étaient tout à fait distincts de ceux des employés permanents et stagiaires de la Région, surtout en ce qui concerne les droits d'emploi et de rappel. À la lumière de ces faits je dois donc conclure que le prestataire ne devrait pas être pénalisé en ce que, à l'instar des enseignants suppléants dans l'affaire Cole, les stagiaires d'été dans l'affaire Doré et la sélectionneuse temporaire à temps partiel de bouteilles dans l'affaire Cormier, il n'était pas directement intéressé au conflit collectif, ni n'appartenait au groupe ou à la catégorie de travailleurs qui l'étaient.

    En conséquence, même si le prestataire a à bon droit été jugé inadmissible en vertu du paragraphe 31(1), il a pu faire valoir qu'il est visé au paragraphe 31(2) et son appel est accueilli. Il est donc admissible au bénéfice des prestations pour la période du 9 avril 1989 au 20 juin 1989.

    James A. Jerome

    JUGE-ARBITRE EN CHEF

    Ottawa (Ontario)
    Le 7 mai 1991




    1 Sont visés par le présent appel Vance HAMILTON, Michel POULIN, Michel TROTTIER, Ronald LARIVIÈRE et Glenda MARCOUX. Les quatre premiers étaient des manoeuvres temporaires et la dernière une secrétaire temporaire.

    2011-01-16