TRADUCTION
EN VERTU DE la Loi sur l'assurance-chômage
- et -
RELATIVEMENT À une demande de prestations par
JEAN FREWER
- et -
RELATIVEMENT À un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par
la prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral
rendue à Toronto (Ontario) le 13 décembre 1993.
DÉCISION SUR LA FOI DU DOSSIER
L'HONORABLE W.J. HADDAD, JUGE-ARBITRE
La prestataire interjette appel de la décision d'un conseil arbitral qui confirmait la décision rendue par la Commission, selon laquelle la prestataire avait quitté son emploi sans justification.
Les faits démontrent que la prestataire a présenté une lettre de démission à son employeur. Elle dit avoir fait cela « avec JUSTIFICATION EN RAISON DE HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE, et à cause de tensions existant entre un employé et un superviseur, tensions non imputables à l'employé. » Elle affirme également avoir été congédiée injustement, puisqu'on ne l'avait pas laissée présenter sa démission comme elle l'avait prévu.
J'éprouve de la difficulté à comprendre la décision rendue par le conseil arbitral. Le conseil a exposé des preuves présentées par la prestataire et par l'employeur, sans trouver de faits solides sur lesquels s'appuyer pour résoudre les contradictions. Le conseil a conclu que la prestataire avait quitté son emploi sans justification, en alléguant ceci:
« Aucune preuve ne démontre que Mme Frewer ait pris soin de protéger son emploi, comme l'exige la Loi sur l'assurance-chômage ».
Je ne suis pas sûr de ce que veut vraiment dire cet énoncé.
J'ai pensé renvoyer l'affaire au conseil arbitral pour une nouvelle audition, et j'ai décidé de m'en abstenir en raison du temps qui s'était déjà écoulé depuis la date de la décision du conseil.
En invoquant le pouvoir qui m'est conféré, conformément à l'article 81 de la Loi sur l'assurance-chômage, j'ai l'intention d'examiner la preuve, de tirer des conclusions et de rendre le verdict que je trouverai approprié.
La société Central Park Lodges dirigeait une chaîne de maisons de retraite et de centres d'hébergement à l'échelle du Canada. La prestataire travaillait dans une maison de retraite située au 14, X, à X; * elle était coordonnatrice du bureau, aide-comptable, et faisait partie de l'équipe de direction.
Au début de juillet 1993, les membres de l'équipe de direction ont appris que le directeur général du 14, X * avait été muté à une autre succursale et que Pearl Lemdal, alors directrice générale du 10, X, * allait devenir la directrice générale du 10 et du 14.
Le dossier ne contient pas la date exacte à laquelle Mme Lemdal est entrée en fonction en tant que directrice générale du no 14. La meilleure preuve que j'ai pu obtenir est qu'elle a officiellement occupé son poste à la mi-août 1993.
La prestataire a porté plusieurs plaintes contre le style de gestion de Mme Lemdal. Avant d'assumer ses responsabilités, Mme Lemdal a visité le no 14. La prestataire allègue que, à l'occasion de ces visites, Mme Lemdal a fait des commentaires méprisants et insidieux à son sujet, devant d'autres membres du personnel.
La prestataire prétend également que, le 2 septembre, Mme Lemdal lui a dit avoir reçu des plaintes sur sa façon de s'occuper du personnel; elle lui a également fait savoir qu'elle n'aimait pas sa façon de répondre aux appels téléphoniques. La prestataire allègue qu'elle n'a pas eu la possibilité de s'expliquer et de se défendre.
Au cours de sa première réunion avec l'équipe de direction, Mme Lemdal a déclaré, selon la prestataire: « il n'y a qu'une seule façon de faire les choses: la mienne. Si vous n'êtes pas contents, la porte est toujours ouverte -- vous pouvez partir ». Mme Lemdal nie avoir fait cette remarque.
Au début du mois de septembre, la prestataire a pris deux semaines de vacances. Lorsqu'elle est retournée chez elle le 20 septembre 1993, elle a trouvé un message l'avisant de téléphoner immédiatement au Lodge, pour s'enquérir d'une tâche qu'elle avait effectuée pour Mme Lemdal avant de partir en vacances. La prestataire n'a pas téléphoné ce jour-là, étant donné que c'était sa dernière journée de vacances. Elle a préféré voir Mme Lemdal le lendemain, lorsqu'elle retournerait au travail, soit le 21 septembre.
Lorsqu'elle est arrivée à son bureau, la prestataire a remarqué que la plaque « coordonnatrice du bureau » qui était posée sur sa porte avait été remplacée par une plaque indiquant « aide-comptable ».
Lorsque la prestataire et Mme Lemdal se sont rencontrées ce jour-là, cette dernière a critiqué le rendement de la prestataire. Cette dernière remarque a poussé la prestataire à annoncer verbalement qu'elle démissionnait. Mme Lemdal a demandé à la prestataire de remettre sa démission par écrit. Je considère que cela équivalait à dire qu'une démission verbale ne serait pas acceptée.
La prestataire a écrit une lettre de démission, datée du 21 septembre 1993, dans laquelle elle annonçait qu'elle démissionnait en date du 1er octobre 1993; cette lettre a été présentée à Mme Lemdal le 23 septembre 1993. La prestataire expliquait dans sa lettre que sa dernière journée de travail serait le 28 septembre parce que « trois jours de congé lui étaient dus. » Lorsqu'elle a reçu la lettre de démission de la prestataire, Mme Lemdal est entrée dans le bureau de la prestataire à 11h pour lui demander de quitter immédiatement. Selon la prestataire, Mme Lemdal lui aurait dit : « Sortez d'ici. Maintenant, immédiatement », et elle a été escortée jusqu'à la sortie, humiliée. La prestataire décrit les événements de façon quelque peu crue. Heureusement, on a pu la raccompagner chez elle après l'avoir laissée ramasser ses effets personnels.
Mme Lemdal affirme, de son côté, qu'elle a exigé de la prestataire qu'elle quitte immédiatement, étant donné que ce serait dans l'intérêt de tous qu'elle le fasse. La prestataire refuse de reconnaître qu'on lui a demandé de quitter les lieux pour cette raison.
Quoi qu'il en soit, je suis convaincu que la réaction de Mme Lemdal a été hâtive et que la prestataire a été renvoyée rapidement, sans consultation et sans égard pour ses sentiments.
En date de janvier 1994, qui correspond à la date de l'avis de l'appel, le chèque de salaire qu'avait reçu la prestataire comptait deux jours de travail en moins.
En examinant le dossier, je suis persuadé de la crédibilité de la prestataire en ce qui concerne sa version des événements.
Selon moi, la question consiste à établir si la démission a été acceptée telle qu'elle a été soumise.
Bien que la prestataire ait entrepris d'interrompre la relation de travail, on l'a empêchée de compléter la durée de son emploi. Elle n'a pas quitté les lieux volontairement le 23 septembre 1993. On a mis un terme à son intention de continuer à travailler jusqu'au 28 septembre 1993.
L'avocat de la prestataire cite, dans ses arguments, la décision du juge-arbitre Martin dans la cause de Ireland, dans le CUB 13930, qui portait sur une démission conditionnelle dont les conditions n'avaient pas été respectées par l'employeur. Il a établi le raisonnement suivant :
« Selon moi, une démission conditionnelle n'est pas une démission acceptable, à moins que, en même temps, les conditions soient acceptées. La corporation n'avait pas le droit d'accepter la démission du prestataire, sans en accepter les conditions. Lorsqu'elle a prétendu accepter la démission du prestataire et a demandé à celui-ci de quitter son bureau, la corporation a mis fin à l'emploi du prestataire sous forme d'un congédiement. Même si la lettre de démission conditionnelle du prestataire a pu provoquer les événements entraînant son congédiement, on ne peut pas dire que, dans les circonstances de cette affaire, il a quitté volontairement son emploi. »
L'avocat de la prestataire fait également référence à l'affaire de Oxman c. Dustbane Enterprises Ltd. (1989) 23 C.C.E.L. 157. Dans cette affaire, la Cour d'appel de l'Ontario a indiqué que « si l'offre de démission (d'un employé) n'est pas acceptée telle que soumise... son acceptation ne lie pas l'employé et ne met pas fin à l'emploi. »
En dépit du fait que la lettre de démission de la prestataire ait pu provoquer les événements qui ont suivi, les conditions de la lettre n'ont pas été respectées par l'employeur. La première condition est que sa démission entre en vigueur le 1er octobre 1993 et, deuxièmement, que sa dernière journée au bureau soit le mardi 28 septembre 1993. L'employeur n'a pas payé son salaire jusqu'au 1er octobre et, ce qui est encore plus important, l'employeur n'a pas respecté la condition de la démission de la prestataire en lui permettant de demeurer en poste jusqu'au 28 septembre. Elle a été sommairement congédiée le 23 septembre.
Dans les circonstances, je conclus que le comportement de l'employeur a entraîné un congédiement le 23 septembre. L'employée n'a pu quitter son emploi volontairement et sans justification ce jour-là.
Je vais également considérer les motifs de conflits sur lesquels la prestataire fonde son argumentation. Je crois que la prestataire a eu raison d'interjeter appel pour ces motifs. Selon moi, l'attitude antagoniste de Mme Lemdal était manifeste dans son comportement et, plus particulièrement, dans les critiques adressées à la prestataire; elle a été encore plus évidente dans sa manière de réagir à la lettre de démission de la prestataire. La prestataire ne peut être blâmée pour le conflit.
En tenant compte de toutes les circonstances que j'ai étudiées, j'accueille l'appel et j'annule la décision du conseil arbitral.
"W.J. Haddad"
W.J. Haddad, C.R. - Juge-Arbitre
Daté à Edmonton (Alberta)
le 2 février 1995.