EN VERTU de la Loi sur l'assurance-chômage
- et -
RELATIVEMENT à une demande de prestations par
Jocelyne VIEL et al
- et -
RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre
par la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada
de la décision d'un conseil arbitral rendue
à Rimouski, Québec le 7 février 1996
DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-194-97
DÉCISION DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE CORRESPONDANTE : A-725-99
DÉCISION
LE JUGE DENAULT
La Commission en appelle de la décision du conseil arbitral qui a renversé la décision initiale de son agent à l'effet que l'intimée 1 n'avait pas droit à des prestations d'assurance-chômage vu qu'elle continuait à tirer des revenus de son emploi et n'avait donc pas subi un arrêt de rémunération.
Il s'agit d'un appel représentatif visant des exploitants de fermes laitières dans la région du Bas-Saint-Laurent. Cette décision s'applique donc aux personnes dont les noms apparaissent en annexe, comme si elle s'adressait à chacune d'elles. Les faits, fort simples, ne sont pas contestés mais l'application de la Loi et du Règlement en regard de ceux-ci est l'objet d'une vive controverse.
La prestataire, son conjoint et son fils exploitent une entreprise de production laitière, Ferme Gérald Marquis Inc. Détentrice de 20% des actions 2, la prestataire a travaillé pour cette compagnie du 22 mai au 13 octobre 1995, date de sa mise à pied pour manque de travail. Lorsqu'elle a demandé des prestations d'assurance-chômage, la Commission a jugé que les revenus générés par la vente des produits laitiers de la compagnie dont elle détenait des actions constituait une rémunération à laquelle la prestataire avait droit comme travailleuse indépendante dans l'agriculture et que ces revenus empêchaient de se produire l'arrêt de rémunération requis, pendant sept jours consécutifs, pour qu'elle ait droit à des prestations 3. Ce faisant, la Commission se fondait sur l'article 6 de la Loi sur l'assurance-chômage (la Loi) et les paragraphes 37, 57(2) et 58(7) du Règlement sur l'assurance-chômage (le Règlement).
J'estime nécessaire de souligner certains autres faits essentiels à la compréhension du litige :
Le conseil arbitral, après avoir énoncé les faits pertinents 4 a accueilli rappel de la prestataire en tenant le raisonnement suivant:
La Commission a conclu que la prestataire n'avait pas subi un arrêt de rémunération qui est nécessaire à l'établissement d'une période de prestations en raison du fait qu'elle est travailleuse indépendante en agriculture selon l'article 57(2) et 57(6)b) du Règlement de l'assurance-chômage.
Selon le Conseil arbitral nous considérons qu'il y a une distinction entre son emploi et ses actions dans l'entreprise.
Est-ce qu'un employé travaillant pour une compagnie dont il possède des actions est automatiquement considéré comme un travailleur indépendant? Nous sommes d'avis que la réponse est négative.
La Commission ne nous a pas fait la preuve que la prestataire était une travailleuse indépendante en agriculture.
En ce qui a trait à l'éventuel revenu de ses actions, nous sommes d'avis que la Commission doit tenir compte du revenu des actions peu importe la provenance (compagnie ou société), mais dans le cadre de la détermination de la rémunération aux fins des prestations; c'est-à-dire lors d'une période de prestations.
DÉCISION
Pour ces motifs, le Conseil de façon intime, accueille l'appel de la prestataire et considère qu'elle a subi un arrêt de rémunération depuis le 13 octobre 95.
La Commission soutient que le conseil arbitral a commis plusieurs erreurs: a) en décidant que la prestataire avait subi un arrêt de rémunération aux fins de l'article 6 de la Loi et du paragraphe 37(1) du Règlement; 2) en considérant que les revenus tirés par la prestataire à titre de "travailleur indépendant" ne pouvaient être considérés pour déterminer l'arrêt de rémunération; c) en omettant de tenir compte de la définition de "emploi" prévue au paragraphe 57(1) du Règlement; d) en déterminant que les revenus provenant des actions de la prestataire devaient être considérés pour les fins des montants à déduire des prestations.
Je crois utile, pour la compréhension du texte qui suit, de reproduire les articles pertinents de la Loi et du Règlement:
LOI
2.(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente Loi.
"arrêt de rémunération" L'arrêt de rémunération d'un assuré qui se produit dans les cas et aux moments déterminés par règlement.
"assuré" Personne qui exerce ou a exercé un emploi assurable.
"emploi assurable" Emploi spécifié au paragraphe 3(1).
3.(1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est selon le cas:
a) un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;
...
6.(1) Les prestations d'assurance-chômage sont payables, ainsi que le prévoit la présente partie, à un assuré qui remplit les conditions requises pour recevoir ces prestations.
(2) L'assuré autre qu'une personne qui devient ou redevient membre de la population active remplit les conditions requises pour recevoir des prestations en vertu de la présente Loi si:
a) d'une part, il a, au cours de sa période de référence, exercé un emploi assurable pendant au moins le nombre de semaines indiqué au tableau 1 de l'annexe en fonction du taux régional de chômage qui lui est applicable;
b) d'autre part, il y a eu arrêt de la rémunération provenant de son emploi
RÈGLEMENT
Arrêt de rémunération
37.(1) Sous réserve des dispositions du présent article, un arrêt de rémunération survient quand, après une période d'emploi, l'assuré est licencié ou cesse d'être au service de son employeur, et se trouve ou se trouvera à ne pas avoir travaillé pour cet employeur durant une période de sept jours consécutifs ou plus, à l'égard de laquelle aucune rémunération provenant de cet emploi, autre que les rémunérations dont il est question au paragraphe 58(12), ne lui est payable ni attribuée.
Détermination de la rémunération aux fins des prestations
57.(1) Dans le présent article,
"revenu" s'entend de tout revenu en espèces ou non que le prestataire reçoit ou recevra d'un employeur ou d'une autre personne;
"emploi" désigne
a) tout emploi, assurable, non assurable ou exclu, faisant l'objet d'un contrat de louage de services exprès ou tacite, ou d'une autre forme de contrat de travail,
(i) que des services soient ou doivent être fournis ou non par le prestataire à une autre personne, et
(ii) que le revenu du prestataire provienne ou non d'une personne autre que celle à laquelle il fournit ou doit fournir des services,
b) out emploi à titre de travailleur indépendant, exercé soit à son compte, soit à titre d'associé ou de cointéressé;
...
(2) Sous réserve du présent article, la rémunération dont il faut tenir compte pour déterminer s'il y a eu arrêt de rémunération et fixer le montant à déduire des prestations payables en vertu des paragraphes 15(1) ou (2), 17(4), 18(5) ou 20(3) de la Loi, ainsi que pour l'application des articles 37 et 38 de la Loi, est:
a) le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi;
...
(6) Aux fins de l'alinéa (2)a), "revenu" comprend
b) dans le cas d'un prestataire qui est un travailleur indépendant dans le secteur de l'agriculture, seulement 15 pour cent du revenu brut qu'il tire:
(i) d'opérations agricoles, et
(ii) en subsides qu'il reçoit en vertu d'un programme fédéral ou provincial;
58.(7) La rémunération d'un prestataire qui est un travailleur indépendant dans l'agriculture doit être répartie de la façon suivante:
a) si elle provient, d'une opération, elle est attribuée à la semaine au cours de laquelle l'opération a eu lieu;
b) si elle lui est versée sous forme de subvention, elle est attribuée à la semaine au cours de laquelle la subvention a été versée.
ANALYSE
Pour avoir droit à des prestations d'assurance-chômage, un assuré doit remplir les conditions requises par la Loi (paragraphe 6(1) dont le fait d'avoir exercé un emploi assurable. Ces conditions sont énoncées au paragraphe 6(2) de la Loi: a) avoir exercé un emploi assurable pendant un nombre minimal de semaines et b) avoir eu un arrêt de la rémunération provenant de son emploi. En l'espèce, il n'est pas contesté que la prestataire a occupé un emploi jugé assurable et ce, durant le nombre de semaines requis. C'est l'arrêt de rémunération qui pose problème.
Il faut s'en référer au paragraphe 37(1) du Règlement pour savoir quand survient un arrêt de rémunération. Je reproduis à nouveau l'essentiel du paragraphe 37(1): "... un arrêt de rémunération survient quand, après une période d'emploi, l'assuré ... cesse d'être au service de son employeur, et se trouve ... à ne pas avoir travaillé pour cet employeur durant une période de sept jours consécutifs ou plus, à l'égard de laquelle aucune rémunération provenant de cet emploi, ... ne lui est payable ni attribuée." (mon soulignement).
C'est ici que se situe le litige entre les parties. La Commission plaide que la prestataire n'a pas subi d'arrêt de rémunération dans la mesure où, en tant que travailleuse indépendante dans l'agriculture, il fallait lui opposer une part des revenus de la compagnie en proportion du nombre d'actions qu'elle détient. La prestataire suggère, au contraire, que la reconnaissance de son statut de travailleuse agricole occupant un emploi assurable exclut qu'elle puisse être considérée aussi comme une travailleuse indépendante dans l'agriculture.
La Commission, pour analyser la rémunération de la prestataire dont il faut tenir compte pour déterminer si elle a subi un arrêt de rémunération, s'en reporte au paragraphe 57(2) du Règlement. Elle estime qu'il faut tenir compte du revenu intégral de la prestataire provenant de tout emploi (57(2)a)), dont celui en tant que travailleuse indépendante dans le secteur de l'agriculture (57(6)b)). Et la Commission de se servir, à cette fin, de la définition très large du terme "emploi" apparaissant au paragraphe 57(1) du Règlement pour conclure que le revenu visé est celui provenant de tout emploi, assurable, non assurable ou exclu et celui à titre de travailleur indépendant, exercé soit à son compte, soit à titre d'associé ou de cointéressé.
Je ne suis pas d'accord avec ce raisonnement.
Rappelons d'abord que selon l'article 57 du Règlement, dont l'intitulé est "Détermination de la rémunération aux fins des prestations" (mon soulignement), la rémunération dont il faut tenir compte pour déterminer s'il y a eu un arrêt de rémunération est le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi et que la définition très large du mot "emploi", aux seules fins de cet article 5, inclut à la fois tout emploi assurable ou non faisant l'objet d'un contrat de louage de services et un emploi à titre de travailleur indépendant exercé à titre de cointéressé. Mais le paragraphe 37(1) qui, selon son intitulé même, traite plutôt d'"arrêt de rémunération", a une portée beaucoup plus restreinte: on n'y parle pas de rémunération de tout emploi mais de cet emploi.
Je tire deux conclusions de cette distinction. D'abord, j'estime que le législateur, en utilisant l'adjectif démonstratif "cet" au lieu de l'adjectif qualificatif "tout", entendait manifestement ne considérer que l'arrêt de rémunération provenant de l'emploi qu'il décrivait dans ce paragraphe soit celui que l'assuré venait de perdre, qu'il n'avait pas occupé durant sept jours consécutifs, et à l'égard duquel aucune rémunération ne lui était payable ni attribuée. De plus, le fait même de décrire l'emploi dont provient l'arrêt de rémunération rend inapplicable, à cette fin, la définition d'emploi se trouvant à l'article 57 qui, elle, ne vaut que pour la détermination de la rémunération aux fins des prestations: alors, et alors seulement, on tiendra compte du revenu intégral provenant de tout emploi, y compris celui prévu à l'alinéa 57(6)b).
Bref, j'estime qu'en l'espèce on ne pouvait tenir compte, aux fins de la détermination de l'arrêt de rémunération, des revenus provenant de la compagnie dont la prestataire détenait des actions 6. Par contre la Commission est justifiée d'opposer à la prestataire, le cas échéant, le pourcentage du revenu brut qu'elle tire de l'exploitation de cette ferme laitière en proportion des actions qu'elle détient dans la compagnie, comme travailleuse indépendante dans le secteur de l'agriculture, pour réduire voire même annuler les prestations qui lui seraient autrement payables.
Le procureur de la prestataire a plaidé, jurisprudence à l'appui 7, l'impossibilité d'être à la fois un travailleur agricole et un travailleur indépendant dans le secteur de l'agriculture. Dans tous les cas cités, la question en litige n'était pas de savoir si le prestataire avait subi un arrêt de rémunération mais s'il avait prouvé être en chômage. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire, aux fins du présent appel, de faire ces distinctions.
Pour ces motifs, sans nécessairement partager le langage utilisé par le conseil arbitral dans sa décision 8, j'estime qu'il a eu raison de considérer que la prestataire avait subi un arrêt de rémunération depuis le 13 octobre 1995 et que, le cas échéant, si elle tire des revenus aux termes de l'alinéa 57(6)b) du Règlement comme travailleuse indépendante dans le secteur de l'agriculture, ces revenus peuvent lui être opposés pour réduire voire même annuler ses prestations d'assurance-chômage mais qu'ils ne pouvaient servir à la disqualifier au titre d'un arrêt de rémunération.
L'appel de la Commission est rejeté.
PIERRE DENAULT
JUGE-ARBITRE
OTTAWA,
le 20 janvrier 1997
ANNEXE
Afin de respecter les recommandations du gouvernement fédéral à l'effet de n'utiliser le numéro d'assurance-sociale d'une personne qu'aux seuls usages spécifiés par législation ce numéro a été omis à dessein de la présente liste de prestataires.
BEAULIEU, Bruno | Causapscal |
---|---|
CHAREST, RENALD | Causapscal |
LAUZIER, Sylvain | Causapscal |
LEBLANC, René | Causapscal |
LEVESQUE, Françoise | Causapscal |
PAQUET, Daniel | Causapscal |
PAQUET, Yves | Causapscal |
RIOUX, Remi | Causapscal |
ROY, Marielle | Causapscal |
VIEL, Serge | Causapscal |
BEAULIEU, Francis | Rimouski |
---|---|
BEAULIEU, Marius | Rimouski |
BERUBE, Sylvain | Rimouski |
BRILLANT, Marcel | Rimouski |
BRISSON, Luc | Rimouski |
D'ASTOUS, Guillaume | Rimouski |
DUCHESNE, Marco | Rimouski |
DUCHESNE, Mario | Rimouski |
FOURNIER, Jean-Yves | Rimouski |
LAVOIE, Michel | Rimouski |
LECHASSEUR, Thérèse | Rimouski |
LEPAGE, Eric | Rimouski |
LEPAGE, Rejean | Rimouski |
LEVESQUE, Marc-Yvan | Rimouski |
SICARD, Daniel | Rimouski |
SOUCY, Gilles | Rimouski |
BERUBE, Yves | Rivière-du-Loup |
---|---|
COTE, Yves | Rivière-du-Loup |
CLOUTIER, Monique | Rivière-du-Loup |
MORIN, Charlotte | Rivière-du-Loup |
ROY, Jean-Louis | Rivière-du-Loup |
ST-PIERRE, Yvan | Rivière-du-Loup |
THIBAULT, Serge | Rivière-du-Loup |
2 Le conjoint et le fils de la prestataire détiennent respectivement 60% et 20% des actions.
2011-01-16