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  • CUB 37174

    EN VERTU DE la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage

    - et -

    RELATIVEMENT à une demande de prestations par
    Jean-Claude SAUMURE

    - et -

    RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre
    par le prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral
    rendue à Hull (Québec) le 23 janvrier 1996.

    DÉCISION

    LE JUGE JOYAL

    Le prestataire interjette appel de la décision unanime du conseil arbitral à l'effet qu'il n'était pas en chômage du 1er mai au 15 septembre pour les années 1991, 1992, 1994 et 1995 1, puisqu'il exploitait une entreprise à titre de cointéressé au sens de l'alinéa 43(l)a) du Règlement sur l'assurance-chômage et qu'il avait donc fait 26 fausses déclarations contrairement à l'article 33 de la Loi sur l'assurance-chômage pendant ces périodes en indiquant qu'il ne travaillait pas.

    Lors du renouvellement de la demande du prestataire, débutant le 28 février 1993, la Commission apprenait que le prestataire était un des propriétaires du centre de villégiature Pavillon des Pins Gris depuis septembre 1990. Le prestataire déposait alors tous les documents pertinents à l'entreprise. À cette occasion, la Commission décidait de ne pas enquêter au sujet des années 1991 et 1992. Le 19 avril 1993, la Commission avisait le prestataire qu'il n'était pas en chômage et qu'il était donc inadmissible aux prestations à compter du 31 mai 1993, puisqu'il exploitait une entreprise à titre de cointéressé jouissant de 50% des parts, avec deux partenaires détenant chacun une part de 25%. Cependant, le prestataire recevait encore des prestations pour la période du 1er mai au 24 juin 1994 et à compter du 1er mai 1995.

    Le 29 mai 1995, soit plus de deux ans après que la Commission était informée que le prestataire détenait une part dans l'entreprise et bien que ce dernier ait reçu des prestations pendant une période de trois mois, la Commission décidait de convoquer le prestataire à une entrevue. Il n'y a aucune preuve au dossier pour indiquer si ce délai était attribuable à la mauvaise foi ou était tout simplement preuve d'incompétence.

    Lors de l'entrevue, un agent de la Commission notait que le prestataire était le seul responsable de l'entreprise, qu'il avait deux employés, soit son épouse et son fils, et que la période forte était la période estivale entre le 1er mai et le 15 septembre. Les notes d'entrevue indiquent qu'il admettait ne pas être disponible à travailler pendant cette saison. Le prestataire déclarait qu'il n'avait pas indiqué ce travail à la Commission puisque la compagnie n'opère pas avant le mois de mai de chaque année.

    Les 25 et 27 octobre 1995, sans plus d'enquête sur le fonctionnement du centre de villégiature ou sur le rôle qu'y jouait le prestataire, mais s'appuyant uniquement sur les informations ci-dessus, la Commission rendait 15 décisions. Elle décidait que le prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations puisqu'il n'était pas en chômage du ler mai au 13 septembre 1991, du 1er mai au 15 septembre 1992, du 1er mai au 24 juin 1994 et à partir du 1er mai 1995. De plus, la Commission imposait une pénalité totale de 9, 139 $ pour avoir sciemment fait 26 fausses déclarations sur ses cartes de demande. Enfin, la Commission répartissait sur les années 1990 à 1994 les revenus nets de l'entreprise, ainsi que la valeur du loyer de la résidence principale du prestataire et sa famille sur les lieux.

    Le 20 novembre 1995, le prestataire envoyait sa lettre d'appel au conseil arbitral. Ce n'est qu'à la lecture des explications y inclues que la Commission décidait de se pencher sur la question à savoir si la valeur du loyer de sa résidence principale devait être répartie sur les quatres périodes où le prestataire avait reçu des prestations. Le 7 décembre 1995, le prestataire confirmait que sa résidence principale lui appartenait. Le 8 décembre 1995, la Commission décidait d'annuler les 12 décisions du 25 octobre 1995 concernant la répartition des gains nets de l'entreprise.

    Devant le conseil arbitral, le prestataire eût enfin l'opportunité d'expliquer qu'il n'exploitait pas l'entreprise, mais qu'il détenait plutôt un placement dans la pourvoirie où se trouve sa résidence principale en vue de revente à un moment propice. Il expliquait de plus qu'il ne saurait jamais compter sur cette entreprise comme moyen principal de subsistance, les bénéfices étant loin d'être suffisants.

    À l'appui de cette prétention et pour démontrer sa disponibilité pendant la période pertinente, il notait des relevés d'emploi démontrant qu'à plusieurs reprises, il avait travaillé à un autre emploi à plein temps tout en assistant à la gestion de la pourvoirie. En effet, durant la période depuis l'achat de la pourvoirie en 1988 jusqu'au 10 septembre 1990, le prestataire avait travaillé 60 heures par semaine à titre de représentant des ventes chez Gérard Hubert Auto Ltée à Maniwaki. Du 11 au 30 novembre 1991, il avait travaillé 40 heures par semaine comme ouvrier chez A. Prévost & Fils à Grand Remous. Du 20 décembre 1990 au 2 mars 1991, du 19 décembre 1991 au 3 mars 1992 et du 27 décembre 1992 au 27 février 1993, il avait travaillé 40 heures par semaine pour la Commission de la capitale nationale à Ottawa. Ses employeurs successifs indiquaient toujours que le prestataire avait été mis à pied en raison du manque de travail et non pas de son propre gré. Pendant chaque période où le prestataire avait travaillé à l'extérieur, la pourvoirie continuait à fonctionner avec ses deux employés.

    En date du 23 janvrier 1996, le conseil arbitral concluait ainsi :

    Après avoir pris considération [sic] le témoignage du prestataire et l'argumentation de son représentant, le conseil arbitral est d'avis que le prestataire dans les faits était responsable de la réussite de l'entreprise du fait de son investissement, de l'injection de fonds et du fait qu'il demeurait sur les lieux. Le conseil arbitral en conclue que le prestataire n'était pas en chômage.
    La décision de la Commission est donc maintenue à l'unanimité.
    Les raisons avancées par le prestataire pour n'avoir pas déclarer à la Commission qu'il était propriétaire d'une entreprise ne peuvent pas être retenues car le prestataire avait la responsabilité de le déclarer à la Commission et ne l'a pas fait à plusieurs reprises.
    Le conseil arbitral à l'unanimité est d'avis que les pénalités s'imposent dans ce cas.

    Il est vrai que les pièces au dossier sont nombreuses et qu'il est passablement difficile de bien comprendre la chronologie des événements. Reste qu'il m'est impossible de réconcilier la décision du conseil avec les éléments de preuve dont il était saisi. En effet, je dois conclure que le conseil arbitral n'a pas appliqué le bon critère. Le fait que le prestataire était responsable de la réussite d'une entreprise, en raison de son investissement et de l'injection de fonds, et le fait qu'il demeurait sur les lieux, ne tient pas compte de l'exception prévue à l'article 43(2) du Règlement, qui parle d'y consacrer "si peu de temps".

    Je cite à cet égard la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Jouan (1995), 179 N.R. 127; 122 D.L.R. (4th) 347, où le juge Marceau explique :

    J'estime, cependant, que le facteur le plus important, le plus pertinent, et qui est aussi le seul facteur essentiel à entrer en ligne de compte, doit dans tous les cas être le temps qui est consacré à l'entreprise. C'est ce que prévoit de manière non ambiguë la version française, le membre de phrase ambigu « so minor in extent » qui se trouve dans la version anglaise devant être lu dans le contexte des mots dénués de toute ambiguïté « il y consacre si peu de temps » utilisés dans la version française. (Voir, à cet égard, Côté, Pierre-André, Interprétation des lois, Blais 1982, aux pp. 297-298). C'est d'ailleurs la démarche qu'impose le bon sens. Quelle que soit l'importance des autres facteurs en jeu (qu'il s'agisse des capitaux investis, de la réussite de l'entreprise, ou encore de la durée de celle-ci), ces autres éléments n'ont pas de pertinence propre, car, dans chaque cas, la conclusion dépendra directement et nécessairement du « temps consacré », car la seule chose qui nous intéresse en l'occurrence c'est l'idée de « travailler une semaine entière ». Le prestataire qui, chaque semaine, consacre ordinairement 50 heures aux activités de sa propre entreprise ne saurait en aucun cas se prévaloir de l'exception prévue au paragraphe 43(2). Un tel prestataire se verra nécessairement appliquer la présomption générale posée au paragraphe 43(l) et sera considéré comme travaillant une semaine entière.

    Le conseil arbitral n'a pas considéré le temps que le prestataire aurait consacré à cette entreprise. Compte tenu de la preuve au dossier à l'effet que le prestataire avait pu, à plusieurs occasions, détenir un emploi à plein temps sans que la pourvoirie n'en souffre ou soit contrainte d'engager des employés supplémentaires, je n'ai aucune difficulté à conclure que le prestataire y consacrait si peu de temps qu'il n'aurait pas su compter sur la pourvoirie comme moyen de subsistance. Un simple examen de son historique d'emploi suffit à me convaincre de sa disponibilité pour travailler tout en détenant sa part dans l'entreprise. Je cite à l'appui la décision du Juge-arbitre dans l'affaire Endicott (CUB 26138), plus tard confirmée par le Cour d'appel fédérale dans le dossier de la Cour A-707-94 (30 août 1995). Ces jugements sont annexés. Aussi, je réfère les parties à la décision de Monsieur le juge Muldoon dans le CUB 20259, en date du 7 décembre 1991.

    Le point soulevé dans l'affaire Jouan est à mon avis le point essentiel. Les faits soulignés par le conseil arbitral pour conclure que le prestataire exerçait un emploi à son propre compte ne sont que marginalement pertinents au litige et m'indiquent que les membres du conseil ont évité complètement le texte clair et précis de l'article 43(2) du Règlement. De plus, la Loi n'impose aucune obligation à un prestataire de déclarer à la Commission son avoir-propre, ses aventures financières, ses créances ou ses obligations, à moins que ces informations ne soient essentielles au litige.

    Si le conseil arbitral n'en dit pas plus, reste néanmoins que l'on retrouve, parmi les multiples pièces au dossier, environ neuf relevés d'emploi couvrant la période en question. On y trouve aussi des formules T-4 pour les deux employés de l'entreprise, les états financiers pour les années 1990-1994, et les montants de salaire versés aux deux employés (variant entre 10 000$ et 14 000$ par année). Ces éléments de preuve, analysés individuellement, ne règlent pas nécessairement le litige, mais nous indiquent que l'entreprise ne se tenait pas debout avec des broches à foin. De plus, tous ces éléments, y inclus les chiffres d'affaire, les salaires, les placements, les pertes, les relevés d'emploi, tous accordent au moins un sens de crédibilité aux prétentions du prestataire et réfutent effectivement les conclusions tirées par le conseil arbitral.

    Ces conclusions me portent à croire que les membres du conseil ne se seraient penchés que sur l'élément de contrôle exercé sur l'entreprise par le prestataire. C'est dire qu'ils n'ont pas étudié ou considéré le reste de la preuve au dossier. C'est dire aussi que dans les circonstances, le juge-arbitre est en aussi bonne posture que le conseil pour trancher le débat un fois pour toute et, selon l'article 81 de la Loi, rendre la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre.

    En décidant ainsi, je tiens compte des nombreuses déclarations au dossier, mais plus particulièrement la déclaration d'un agent de la Commission en date du 6 juin 1995 (pièce 32-2), à l'effet que le prestataire s'était déclaré non disponible au cours des mois d'été. Je tiens compte, cependant, que cette déclaration n'a pas été soulevée par la Commission ou par le conseil arbitral, qu'elle constitue du ouï-dire et, à son meilleur, est ambiguë.

    Pour toutes ces raisons, l'appel du prestataire est accueilli. Selon l'article 81 de la Loi, je déclare que le prestataire n'est pas censé travailler une semaine entière au sens de l'article 43(l)a) du Règlement. Les trop-payés et les pénalités sont annulés en conséquence.

    L. Marcel Joyal

    Juge - Arbitre

    OTTAWA (Ontario)
    le 11 férier 1997.




    1 Les dates exactes sont du 1er mai au 13 septembre 1991, du 1er mai au 15 septembre 1992, du 1er mai au 24 juin 1994 et à partir du 1er mai 1995.

    2011-01-16