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  • CUB 40657

    EN VERTU DE la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage

    - et -

    RELATIVEMENT à une demande de prestations par
    Monique CHAMBERLAND

    - et -

    RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre par la
    prestataire à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral
    rendue à Hull (Québec) le 4 septembre 1996.

    DÉCISION

    LE JUGE JOYAL

    Il s'agit d'un appel à l'encontre de la décision du Conseil arbitrale, concluant que la prestataire n'avait pas soumis de motif justifiant le délai afférent à sa demande initiale de prestation, tel que prescrit à l'article 9(4) de la Loi sur l'assurance-chômage («la Loi»). De plus, le Conseil soulignait que la prestataire n'avait pas accumulé un nombre suffisant de semaines assurables pour bénéficier des prestations.

    Les Faits:

    Les faits en l'espèce sont très simples. La prestataire quittait son emploi avec la Fonction publique fédérale le 19 juillet l995, suite à une offre de prime de départ anticipé («la PDA»). Elle recevait alors une indemnité de départ de 11 401, 41$ et un forfait de 37 767, 17$.

    Le 26 avril 1996, la prestataire déposait une demande de prestations d'assurance-chômage. Le 8 juillet suivant, la Commission l'avisait qu'elle n'était pas éligible aux prestations, parce qu'elle n'avait pas soumis de motif pouvant justifier le délai à déposer sa demande et permettre l'antidatation de cette demande. La prestataire en appellait de cette décision auprès du Conseil arbitral.

    Pour sa part, le Conseil constatait que la prestataire n'avait que 11 semaines assurables dans les 52 semaines antérieures à la demande, alors qu'un minimum de 17 semaines était requis. En conclusion, le Conseil soulignait que la prestataire avait la responsabilité de s'informer de ses droits auprès de la Commission, et rejetait l'appel.

    La prestataire fait maintenant appel de cette décision auprès du Juge-arbitre, alléguant que le Conseil arbitral a commis une erreur de fait et de droit en concluant qu'elle n'avait pas présenté de motifs valables pour justifier son retard à déposer sa demande de prestations.

    L'article 9(4) de la Loi:

    L'article 9 (4) de la Loi prévoit deux conditions essentielles à l'antidatation, soit:
    1. que le prestataire remplissait les conditions requises pour présenter une demande à partir de la date à laquelle l'antidatation est demandée; et
    2. un motif justifiant le retard du dépôt de la demande initiale.

    Cet article se lit comme suit:

    9.(4) Lorsque le prestataire présente une demande initiale de prestations après le premier jour où il remplissait les conditions requises pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si le prestataire démontre qu'à cette date antérieure il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations et qu'il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.

    Analyse:

    Le paragraphe 9(4) de la Loi a pour objectif la saine administration du régime d'assurance-chômage ainsi que le contrôle efficace et continuel par la Commission de l'éligibilité des prestataires. L'antidatation, dans bien des cas, a pour effet le paiement rétroactif des bénéfices sans que ne soit possible la vérification de la disponibilité du prestataire pour la période en cause. Pour cette raison, l'antidatation doit demeurer une mesure exceptionnelle.

    La Cour, pour sa part, a rejeté une interprétation stricte de ce paragraphe, eut égard à son libellé, qui permet l'antidatation d'une demande si "un motif justifiant le retard" est démontré. En effet, suite à la décision de la Cour d'appel dans Albrecht 1, le critère de l'homme raisonnable ou de la personne sensée est reconnu comme le test applicable en l'espèce.

    Selon la récente jurisprudence 2, la bonne foi et l'ignorance de la loi ne constituent pas à elles seules un motif de justification valable, mais toutefois ne l'excluent pas non plus, s'il est démontré qu'une personne raisonnable aurait agi de façon similaire dans les mêmes circonstances. Il est reconnu aussi qu'une information erronée provenant d'un employeur peut être déterminante lors de l'évaluation de motifs justifiant un retard 3.

    Dans le présent dossier, la prestataire allègue, dans une lettre en date du 15 juillet 1996 4, avoir été avisée par son employeur qu'elle n'était pas éligible aux prestations durant la période couverte par sa prime de départ, soit une année plus vacances. Cette information n'a pas le caractère d'une opinion légale erronée, puisque la prestataire n'était effectivement pas éligible aux prestations.

    La prestataire a-t-elle agi comme une personne raisonnable lorsqu'elle s'est fiée aux informations fournies par son employeur, le gouvernement fédéral? Doit-on s'attendre à du scepticisme à outrance de la part d'un prestataire? Il me semble que lorsqu'un employeur donne des informations concernant les modalités entourant la perte d'un emploi et l'accès à l'assurance-chômage, il est tout à fait raisonnable de croire que l'information est en connaissance de cause et pas dans le but d'induire une personne en erreur.

    Il est reconnu qu'au cours d'une longue carrière dans la Fonction publique, la prestataire n'avait eu aucune expérience avec le système d'assurance-chômage. L'information sur laquelle elle s'était fiée provenait de son employeur, qui connaissait sans doute les rouages du système. Et en plus, il est évident que l'information était véridique: la prestataire n'avait pas droit à des prestations pour la période couverte par sa prime de départ. Quelle procédure inutile que de faire tout de même une demande de prestations? Quelle personne n'aurait pas agi de la même façon? À cet égard, j'adhère à la description imagée de mon collègue le juge Muldoon, dans le CUB 11100, lorsqu'il écrit:

    [TRADUCTION] Maintenant, une personne raisonnable n'est pas une personne paranoïaque, en proie à l'anxiété, qui met en doute ou qui refuse de croire des conseils faisant apparemment autorité, au point de chercher à vérifier ces avis une deuxième et une troisième fois, chaque jour ou à intervalle régulier, de crainte que ces avis soient erronés. Une personne raisonnable, justifiée au premier abord d'accepter des avis qui font apparemment autorité, continue naturellement à les accepter jusqu'à ce qu'on attire son attention sur leur caractère erroné et peu digne de foi.

    Reste à ajouter que la question à savoir s'il existe "un motif justifiant le retard" demeure une question mixte de fait et de droit. Lorsque le Juge-arbitre se penche sur les conclusions du Conseil arbitral, il peut contester le sens donné par le Conseil à cette expression, puisqu'il s'agit d'une interprétation législative. À cet effet, je cite le juge Marceau dans la décision Albrecht 5:

    À mon sens, la question de savoir s'il existe "un motif justifiant le retard" n'est pas une question de fait et de pouvoir discrétionnaire mais bien une question de fait et de qualification. La question est une question mixte de fait et de droit. Le Juge-arbitre ne conteste nullement les simples conclusions de fait qu'a tirées le conseil; au contraire, elle les accepte toutes. Ce qu'elle conteste, c'est le sens que le conseil donne aux mots "motif justifiant son retard" tels qu'employés dans la Loi. L'interprétation d'un texte législatif est impliqué, ce qui constitue évidemment une question de droit.

    Préjudice:

    Dans le présent dossier, il m'est difficile de cerner le préjudice que subirait la Commission si l'antidatation était permise. L'indemnité de départ, le montant forfaitaire et l'allocation de service sont considérés comme une rémunération en vertu de l'article 57 du Règlement sur l'assurance-chômage.

    La prestataire ne rencontrait donc pas, en juillet 1995, la définition de l'arrêt de rémunération tel que prévu à l'article 6 de la Loi.

    En effet, si la Commission permettait le dépôt rétroactif de la demande initiale, le seul recours offert à la prestataire, étant donné la prime de départ reçue, serait celui prévu aux paragraphes 7(3), 7(4)(b) et 9(7)(b) de la Loi. Ces articles se lisent comme suit:

    7(3) Lorsqu'une personne prouve de la manière que la Commission peut ordonner qu'au cours d'une période de référence visée à l'alinéa (1)(a) elle ne pouvait pendant une ou plusieurs semaines, établir un arrêt de rémunération à cause de la répartition, aux termes des règlements d'application de l'article 44, de la rémunération qu'elle avait touchée en raison de la rupture de tout lien avec son ancien employeur, cette période de référence sera, pour l'application du présent article, prolongée d'un nombre équivalent de semaines.
    7(4) La période de référence en cause est de nouveau prolongée d'un nombre équivalent de semaines lorsqu'une personne prouve de la manière que la Commission peut ordonner [...]
    (b) au cours de la prolongation d'une période de référence visée au paragraphe (3), elle a touché, pendant une ou plusieurs semaines, une rémunération en raison de la rupture de tout lien avec son ancien employeur.
    9(7) La période de prestations qui a été établie au profit d'un prestataire est prolongée du nombre de semaines à l'égard desquelles le prestataire prouve, de la manière que la Commission peut exiger, qu'il n'avait pas droit à des prestations parce que, selon le cas:
    [...]
    (b) touchait une rémunération versée en raison de la rupture de tout lien avec son ancien employeur.

    Ainsi, la Commission pourrait, sous les conditions qu'elle établit, prolonger la période de référence de la prestataire sans qu'aucune prestation ne soit versée à cette dernière. La Commission ne peut donc prétendre qu'en l'espère, elle subirait un préjudice. L'indemnité de départ de la prestataire, qui couvre une période d'environ 52 semaines, ne lui offrirait que la possibilité d'une demande de prolongation de sa période de référence, Si l'antidatation était accordée, la Commission n'aurait pas à assumer le paiement rétroactif des prestations sans qu'il ne lui soit possible de contrôler l'éligibilité de la prestataire.

    Conclusion:

    De ce qui précède, je conclus que le Conseil arbitral a commis une erreur de droit en concluant que la prestataire n'avait pas soumis de motifs valables pour justifier son retard à présenter sa demande initiale de prestations.

    L'appel de la prestataire est donc accueilli, la décision arbitrale est cassée, et je déclare que la prestataire a droit de produire sa demande de prestations en dehors des délais prévus par la Loi.

    L-Marcel Joyal

    Juge-arbitre

    OTTAWA, Ontario
    le 5 février 1998.






    1 P.G.C. c. Albrecht, [1985] 1 R.C.F. 710.

    2 Voir Canada c. Rouleau, [1995] A.C.F. no. 1203; Canada c Larouche, (1994) 176 N.R. 69 (C.A.F.); P.G.C. c Caron, (1986) 69 N.R. 132 (C.A.F.).

    3 Voir les CUBs 18335, 16333, 14318, et plus particulièrement, le CUB 10025, où Madame le juge Reed fait une analyse éclairante sur la question de renseignements donnés par des tiers.

    4 Voir pièce n° 8 au dossier.

    5 P.G.C. c. Albrecht, [1985] 1 R.C.F. 710, p. 715.

    2011-01-16