EN VERTU de la LOI sur L'ASSURANCE-EMPLOI
et
RELATIVEMENT à une demande de prestations par
Gilles BRIÈRE
et
RELATIVEMENT à un appel interjeté par le prestataire auprès d'un Juge-arbitre à l'encontre de la décision du Conseil arbitral rendue le 5 août 2003 à St Hyacinthe, Québec
DÉCISION
André Quesnel, juge-arbitre :
La Commission a refusé de verser les prestations demandées parce que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite.
Le conseil arbitral a rejeté l'appel que le prestataire avait logé devant lui, en décidant que la Commission avait eu raison de conclure que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite.
Le procureur du prestataire plaide que le conseil arbitral a erré en décidant comme il l'a fait.
Le prestataire avait été mis en arrêt de travail à cause d'une blessure qu'il s'était infligée à un orteil du pied gauche. Après consultation auprès d'un médecin, le prestataire a été déclaré totalement invalide; il ne pouvait pas reprendre son travail car il lui était impossible de porter les bottes de sécurité exigées par l'employeur.
L'incapacité en question a été prolongée à quelques reprises soit du 8 au 31 mars, toujours pour la même raison.
Cependant, pendant cette période, le prestataire s'est présenté chez son employeur pour tenter de reprendre son travail en demandant la permission de porter des chaussures adaptées à sa condition, autres que les bottes normalement exigées; la permission lui a été refusée par l'employeur pour des raisons de sécurité. Il a donc dû s'abstenir de se présenter au travail jusqu'au 31 mars, fin de son incapacité, et il a été suspendu sans solde le 21 avril suivant.
Le 5 mai, l'employeur lui signifiait son congédiement rétroactif au 21 avril précédant, en lui reprochant d'avoir exercé, pendant son absence pour incapacité totale, des activités incompatibles avec son état de santé déclaré par le médecin. On lui reprochait d'avoir, sous de fausses représentations, profité des prestations d'indemnité de remplacement de revenu auxquelles il n'avait pas droit. Invoquant en dernier lieu, le bris du lien de confiance, l'employeur a décidé de le congédier.
De fait, pendant sa période d'incapacité, le prestataire a continué à travailler sporadiquement comme livreur de pizza, emploi qu'il exerçait depuis plusieurs années au vu et au su de tout le monde dans sa communauté.
Le docteur Dionne, chirurgien orthopédiste désigné par l'employeur, dans son rapport, reprend les propos du prestataire affirmant qu'il peut se déplacer en portant un soulier fermé et que son rayon de marche se situe entre 15 et 20 minutes maximum. Le médecin, en confirmant l'incapacité totale du prestataire, malgré le témoignage du prestataire, ne lui a jamais interdit de se déplacer. De fait, le prestataire n'était pas grabataire, bien que, comme il en a informé le médecin, le prestataire, lorsqu'il était à la maison, ne faisait aucune activité et qu'il gardait son pied soulevé au repos.
Le sens du mot « inconduite » a été précisé comme suit par la Cour d'appel fédérale 1 :
Il est acquis que l'inconduite dont parle le paragraphe 28(1) « n'est pas un simple manquement de l'employé à n'importe quelle obligation liée à son emploi; c'est un manquement d'une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu'il serait susceptible de provoquer son congédiement. » Il est acquis également qu'il appartient à la Commission de faire la preuve, selon la balance des probabilités., que les conditions d'application de l'article 28 sont remplies. Il est acquis, enfin, qu'il faut « une appréciation objective permettant de dire que l'inconduite avait vraiment été la cause de la perte de l'emploi », que la seule affirmation par l'employeur que les agissements reprochés constituent à son avis de l'inconduite ne saurait suffire et que, pour qu'un conseil arbitral puisse conclure à l'inconduite d'un employé, il doit avoir devant lui une preuve suffisamment circonstanciée pour lui permettre, d'abord, de savoir comment l'employé a agi et, ensuite si ce comportement était répréhensible.
Dans le présent dossier, il n'est pas évident que le fait de livrer des pizzas est incompatible avec l'état du prestataire; il pouvait très bien se déplacer pendant plusieurs minutes, assez pour se rendre à ses rendez-vous chez les médecins et pour aller voir son employeur afin de tenter de reprendre ses activités; cependant il lui était interdit de se présenter à son travail sans endosser ses bottes protectrices.
La Cour d'appel fédérale 2 a aussi décidé que, pour savoir si une inconduite pouvait être retenue contre un prestataire, il faut tenir compte des circonstances. Elle ajoute que le manquement doit être d'une portée telle que son auteur puisse normalement prévoir qu'il serait susceptible de provoquer son congédiement.
Le prestataire affirme qu'il n'a jamais pensé que le fait de continuer à livrer des pizzas pendant qu'il était en congé maladie, pouvait lui faire perdre son emploi.
Il faut, de plus, toujours selon la Cour d'appel fédérale inserttexthere 3, pour qu'il soit qualifié d'inconduite, que le geste reproché ait été posé délibérément ou de façon tellement insouciante qu'elle frôle le caractère délibéré.
Pour le prestataire, dans les circonstances ci-dessus décrites, il n'y avait rien d'incompatible entre son activité restreinte et son état de santé réel. Il n'y a aucun rapport médical lui interdisant de se déplacer. Pour le prestataire, faire quelques pas entre son véhicule et l'endroit où il livrait une pizza, n'avait rien d'anormal et de défendu.
Un tel comportement de la part du prestataire ne saurait être qualifié d'inconduite au sens de la Loi, même si l'employeur l'a invoqué pour procéder au congédiement de son employé.
Le conseil arbitral a erré en omettant de tenir compte de toutes les circonstances et de la jurisprudence pertinente pour qualifier d'inconduite les gestes reprochés au prestataire.
En conséquence, procédant à rendre la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre, j'accueille l'appel du prestataire en déclarant qu'il n'a pas perdu son emploi à cause de son inconduite et que de ce fait, il a droit au bénéfice des prestations.
La décision rendue par le conseil arbitral dans ce dossier le 5 août 2003 est rescindée.
ANDRÉ QUESNEL
Juge-arbitre
Montréal, Québec,
le 28 avril 2004