TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE de la Loi sur l'assurance-emploi
- et -
d'une demande de prestations présentée par
CARMEN DUNCAN
- et -
d'un appel interjeté par la Commission devant un juge-arbitre à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à North York (Ontario) le 20 janvier 2004
DÉCISION
Appel instruit à Toronto (Ontario) le 15 octobre 2004.
Le juge-arbitre W.J. HADDAD, C.R.
Le présent appel, interjeté par la Commission de l'assurance-emploi, concerne la requête de la prestataire visant l'antidatation de sa demande. La prestataire avait appelé devant un conseil arbitral de la décision de la Commission de l'assurance-emploi de rejeter sa demande d'antidatation, et le conseil a accueilli son appel.
Les dispositions législatives pertinentes se trouvent au paragraphe 10(4) de la Loi sur l'assurance-emploi, lequel est ainsi libellé :
10(4) Lorsque le prestataire présente une demande initiale de prestations après le premier jour où il remplissait les conditions requises pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si le prestataire démontre qu'à cette date antérieure il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations et qu'il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.
La prestataire a quitté l'emploi qu'elle avait à l'University Health Network le 2 janvier 2003 pour prendre sa retraite. Elle a demandé des prestations de chômage six mois plus tard et présenté au même moment une demande d'antidatation datée du 24 juin 2003 pour que sa demande de prestations soit rétroactive au 2 janvier 2003. Une demande initiale prenant effet le 15 juin 2003 a été établie à son profit.
On remarquera que selon les dispositions du paragraphe 10(4), pour que la demande d'antidatation présentée par la prestataire soit acceptée, il faut que celle-ci montre qu'elle avait un « motif valable » d'avoir tardé pendant toute la période écoulée. La Commission a étudié les raisons invoquées par la prestataire pour expliquer qu'elle n'ait pas présenté sa demande de prestations à temps, et elle a conclu que ces raisons ne constituaient pas un motif valable.
La Commission fait appel de la décision du conseil arbitral, alléguant que celui-ci a commis une erreur de droit et fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée.
Les premières explications fournies par la prestataire pour justifier son retard sont consignées dans la demande d'antidatation qu'elle a présentée par écrit. J'estime plus commode de la citer intégralement plutôt que de la paraphraser :
Le médecin soignant de X,* fils de la prestataire, a fourni certains renseignements concernant son état de santé dans un rapport écrit daté du 6 juillet 2003. Celui-ci a passé deux semaines à l'hôpital et lorsqu'il est sorti, il avait besoin de l'assistance quotidienne de la prestataire pour accomplir les gestes de la vie courante, et celle-ci lui a apporté cette assistance, mais dans les dernières semaines, X* a pu vaquer davantage à ses activités quotidiennes sans la supervision de sa mère.
Dans son exposé écrit au conseil arbitral daté du 17 décembre 2003, la prestataire fournit pour expliquer son retard des raisons qui s'accordent avec celles qu'elle avait présentées dans sa demande d'antidatation, et je note spécialement à cet égard les observations qu'elle fait au sujet du stress, des oublis et de la pression découlant de la maladie de son fils.
Elle a dit dans cet exposé :
« Malheureusement, en janvier 2003, quand j'ai pris ma retraite, mon fils X,* avec qui je cohabitais, a eu une crise grave provoquée par le X, * dont il est atteint depuis un certain temps. Il a passé deux semaines à l'East General Hospital en janvier 2003. Sa santé est très minée et fragile, il prend des médicaments et il a maintenant besoin de ma supervision et de mes soins en tout temps (voir la lettre du médecin versée à mon dossier à Ressources humaines). À l'époque où j'aurais dû demander l'assurance-emploi, je subissais une pression énorme et j'ignorais complètement que je pouvais avoir droit à des prestations partielles. Quand je l'ai appris (par un ami en juillet), j'ai immédiatement présenté une demande [...]
[Traduction]
La prestataire ignorait qu'elle pouvait avoir droit aux prestations de chômage. Son employeur ne lui avait pas remis de relevé d'emploi lorsqu'elle est partie; elle déplore de ne pas avoir eu ce document, qui l'aurait aidée à penser aux droits qu'elle pouvait exercer.
J'interviens ici pour dire que le conseil a commis une erreur lorsqu'il s'est fondé en partie sur le fait que l'employeur n'avait pas informé la prestataire de ses droits en matière de prestations. Le principe invoqué par le conseil est sans fondement et ne s'appuie pas sur la jurisprudence. Malgré tout, ce n'est pas ce principe qui a motivé la décision du conseil. Le conseil a également critiqué l'employeur pour ne pas avoir remis à la prestataire son relevé d'emploi dans un délai raisonnable. Il convient de rappeler à ce sujet qu'il n'est pas nécessaire d'avoir en main un relevé d'emploi pour présenter une demande de prestations.
Dans l'examen qu'il a fait de la preuve, le conseil arbitral a noté que la prestataire avait mentionné que son départ obligatoire à la retraite lui causait des difficultés financières et que la maladie grave dont souffrait son fils la stressait énormément. Le conseil a dit avoir tenu compte de l'état d'esprit dans lequel se trouvait la prestataire et des préoccupations qu'elle avait, en raison de la maladie de son fils, lorsqu'elle elle a quitté son emploi.
Le conseil a fini par conclure « que le niveau élevé de stress et l'importante responsabilité auxquels a dû faire face la prestataire durant cette période » constituait un motif valable pour avoir tardé et il a déterminé que « la prestataire a agi comme l'aurait fait toute personne raisonnable dans la même situation ».
Dans la décision citée, Canada (P.G.) c. Albrecht (1985) 1 FC 170, 60 N.R. 213, la Cour d'appel fédérale a établi le critère permettant de déterminer l'existence d'un « motif valable » :
« [...] lorsqu'un prestataire a omis de formuler sa demande dans le délai imparti et qu'en dernière analyse, l'ignorance de la loi est le motif de cette omission, on devrait considérer qu'il a prouvé l'existence d'un « motif valable » s'il réussit à démontrer qu'il a agi comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s'assurer des droits et obligations que lui impose la Loi. »
La Commission soutient que la négligence de la prestataire et son ignorance de la loi ne peuvent être considérées comme un « motif valable ». Ce principe est bien établi. La Commission prétend que le conseil ne pouvait raisonnablement conclure, d'après la preuve dont il était saisi, que la prestataire avait agi « comme l'aurait fait une personne raisonnable dans la même situation ». La prestataire n'a pas, affirme la Commission, établi qu'elle avait, chaque jour de la période visée, un motif valable de tarder.
La Commission souligne dans un exposé convaincant que même si la prestataire était stressée par la maladie de son fils, cette maladie durait depuis dix ans et que la prestataire avait continué de prendre soin de lui pendant qu'elle travaillait. La Commission prétend en outre que le fils avait passé seulement deux semaines à l'hôpital en janvier, après que la prestataire eut pris sa retraite, et que rien n'empêchait cette dernière de communiquer avec la Commission pour s'enquérir de ses droits, comme l'aurait fait une personne raisonnable.
Malgré les arguments sur lesquels s'appuie la Commission, j'estime qu'il existe des éléments de preuve à l'appui des constatations et conclusions du conseil arbitral. Le conseil a choisi d'accepter la preuve de la prestataire indiquant que le stress et la tension causés par la maladie de son fils lui avait fait oublier des choses, même si elle admet qu'elle ignorait être admissible au bénéfice des prestations. La prestataire a vite demandé des prestations lorsqu'elle a compris qu'elle pouvait y avoir droit. Elle n'a pas fait preuve d'indifférence ou de désinvolture à l'égard de ses droits.
Comme il existe des éléments de preuve à l'appui de la décision du conseil, je ne suis pas disposé à intervenir et pour cette raison, je rejette l'appel de la Commission.
L'appel est rejeté.
« W.J. Haddad »
W.J. Haddad, c.r. - Juge-arbitre
Edmonton (Alberta)
Le 24 novembre 2004