TRADUCTION
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
et
d'une demande de prestations présentée par
JENNIFER SMITH
et
d'un appel interjeté par la Commission à l'encontre de la décision d'un conseil arbitral rendue à Nanaimo (Colombie-Britannique) le 20 décembre 2005
DÉCISION
Le juge David G. Riche
La question en litige consistait à déterminer si la prestataire était disponible pour travailler et si elle était fondée à quitter son emploi.
La prestataire travaillait en Ontario avant de déménager en Colombie-Britannique. Elle a une formation d'ébéniste. Elle a été embauchée par une entreprise connue sous le nom de Woodform Interiors et y a travaillé jusqu'au 30 septembre 2005. Elle a alors quitté son emploi pour retourner aux études puisqu'elle ne gagnait que 13,50 $ l'heure, ce qui était nettement insuffisant pour une famille monoparentale. Elle a commencé un cours de formation le 3 octobre 2005. Elle devait être en classe du lundi au vendredi, de 7 h à 12 h 30.
La prestataire a déclaré au conseil arbitral du fait qu'elle avait quitté son emploi d'ébéniste parce qu'elle avait l'impression de faire l'objet de discrimination en raison de son sexe. Elle a aussi indiqué qu'elle éprouvait des problèmes de santé attribuables à cet emploi. Elle a consulté un médecin à plusieurs reprises à ce propos.
Ayant quitté son emploi, la prestataire a décidé que sa priorité était de suivre son cours de formation.
Le conseil arbitral a jugé que la prestataire était disponible pour travailler pendant qu'elle suivait son cours de formation. Il a estimé qu'elle était en mesure de travailler en dehors de la plage habituelle des heures de travail, soit de 9 h à 17 h. Le conseil a aussi constaté que la prestataire avait éprouvé des problèmes de santé attribuables à son emploi et qu'elle avait fait l'objet de discrimination au travail parce qu'elle était une femme travaillant dans un milieu traditionnellement réservé aux hommes. Il a aussi fait remarquer qu'on lui avait confié la tâche de nettoyer les toilettes, en lui versant plus d'argent pour le faire. La prestataire a estimé que cette tâche était dégradante. Des éléments de preuve montrent également qu'on a déjà demandé à la prestataire de faire la vaisselle, ce qu'elle a refusé.
Le conseil a conclu que la prestataire était crédible et il a accueilli son appel.
La Commission interjette appel au motif que le conseil arbitral a omis d'observer un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence, et qu'il a commis une erreur de droit et de fait.
La Commission fait remarquer que même si la prestataire consultait un médecin, celui-ci ne lui avait pas recommandé de quitter son emploi. Il lui a dit que ses malaises pouvaient être attribuables à son emploi.
La Commission conteste aussi la question soulevée par la prestataire en ce qui concerne la discrimination au travail puisque lors de son embauche, elle n'a pas demandé quelles étaient les tâches des autres employés. La Commission fait aussi remarquer que la prestataire a conservé son emploi pendant environ deux ans malgré le fait qu'elle n'était pas satisfaite de sa rémunération.
La Commission est d'avis que la prestataire n'a pas été en mesure de prouver qu'elle était fondée à quitter son emploi pour retourner aux études. Il incombait à la prestataire de démontrer qu'elle avait épuisé toutes les solutions raisonnables avant de quitter son emploi, en vertu de l'alinéa 29c) de la Loi.
Concernant sa disponibilité pour travailler, la Commission est d'avis que la prestataire ne pouvait travailler qu'en dehors des heures de travail normales en raison de ses études, de 9 h à 12 h 30 tous les jours, et qu'elle ne pouvait travailler qu'après ces heures et après avoir étudié.
Il est établi dans la jurisprudence, notamment dans l'arrêt Sarto Landry (A-719-91), qu'un prestataire qui suit un cours de formation à temps plein est présumé ne pas être disponible pour travailler. Cette présomption peut toutefois être réfutée si le prestataire peut prouver que des circonstances exceptionnelles s'appliquaient. Il est aussi question de l'arrêt Faucher (A-56-96), dans lequel il est écrit que « la disponibilité devait se vérifier par l'analyse de trois éléments, soit le désir de retourner sur le marché du travail aussitôt qu'un emploi convenable serait offert, l'expression de ce désir par des efforts pour se trouver cet emploi convenable, et le non-établissement de conditions personnelles pouvant limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail ».
J'ai examiné la décision du conseil arbitral ainsi que les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Je souscris à la décision du conseil arbitral selon laquelle les tâches qu'on a demandé à la prestataire d'assumer relativement à son emploi démontrent qu'elle a fait l'objet de discrimination puisqu'on lui a demandé de se charger de corvées que les employés de sexe masculin n'avaient pas à faire. Lorsque j'ai demandé à l'employeur si l'un de ses employés de sexe masculin avait eu à nettoyer les toilettes, il a répondu non. Toutefois, il ne s'agit pas de la raison pour laquelle la prestataire a quitté son emploi, mais plutôt l'un des facteurs l'ayant incitée à le faire et à retourner aux études. Le deuxième facteur était qu'elle touchait une rémunération inférieure à celle des autres employés. L'employeur soutient que la raison pour laquelle la prestataire gagnait moins que les employés de sexe masculin était qu'elle ne pouvait travailler aussi bien qu'eux. Selon moi, la prestataire aurait dû en être informée très rapidement après avoir été embauchée.
Je remarque également que la prestataire éprouvait des problèmes de santé attribuables à son emploi et que, même si on ne lui avait pas recommandé de le quitter, il s'agit d'un autre facteur ayant contribué à sa décision.
Le conseil arbitral a jugé que la prestataire était crédible et que, par conséquent, ses déclarations devaient être considérées comme des faits, en vertu du sous-alinéa 29c)(iv), conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité, et du sous-alinéa 29c)(iii), discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Selon les éléments de preuve, il est évident que même si la prestataire a accepté de nettoyer les toilettes, cela ne faisait pas partie de ses tâches; de plus, c'est à elle qu'on a demandé de le faire et non à un des employés de sexe masculin. On lui a aussi demandé de faire la vaisselle et, même si elle a refusé, le fait qu'on le lui ait demandé montre qu'on la traitait différemment des hommes.
À la lumière de ces faits, je suis convaincu que le conseil arbitral a pris la bonne décision lorsqu'il a jugé que la prestataire était fondée à quitter son emploi. Il me semble que c'est la combinaison des facteurs susmentionnés, soit sa rémunération inférieure, des conditions dangereuses pour sa santé et la discrimination dont elle faisait l'objet, qui a incité la prestataire à quitter son emploi et à retourner aux études.
En ce qui concerne la disponibilité, je suis convaincu que le conseil arbitral a commis une erreur en jugeant que la prestataire était disponible pour travailler alors qu'elle était en classe du lundi au vendredi, de 7 h à 12 h 30. Elle devait aussi étudier en dehors de ces heures. Comme ses antécédents ne montrent pas qu'elle a déjà travaillé tout en poursuivant des études, elle n'a pas réussi à prouver que des circonstances exceptionnelles s'appliquaient pour qu'elle puisse se soustraire à la présomption établie dans la jurisprudence selon laquelle une personne qui suit un cours de formation à temps plein n'est pas disponible pour travailler. Le conseil arbitral n'a pas tenu compte du fait que la disponibilité de la prestataire était conditionnelle à ses heures de cours. Il est clairement établi dans la jurisprudence qu'un prestataire doit être disponible pour travailler tous les jours ouvrables, c'est-à-dire être en mesure de se rendre au travail et ne pas pouvoir se trouver un travail convenable malgré une recherche d'emploi quotidienne.
Concernant la disponibilité, je suis d'avis que le conseil arbitral a commis une erreur en omettant d'appliquer la loi comme le soulignent clairement les arrêts Landry et Faucher. Pour ces motifs, j'accueille l'appel de la Commission en ce qui a trait à la question de la disponibilité et j'annule la décision du conseil arbitral.
David G. Riche
Juge-arbitre
St. John's (Terre-Neuve-et-Labrador)
Le 8 janvier 2007