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  • CUB 73528

    TRADUCTION

    DANS L'AFFAIRE de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI

    - et -

    d'une demande de prestations présentée par
    X

    - et -

    d'un appel interjeté devant un juge-arbitre par la prestataire à l'encontre de la décision rendue par un conseil arbitral à Burnaby (Colombie-Britannique) le 15 décembre 2008

    DÉCISION

    Le juge-arbitre GERALD T.G. SENIUK

    La prestataire interjette appel de la décision du conseil arbitral qui, en annulant la décision de la Commission, a accueilli l'appel de l'employeur et a déterminé que la prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Les décisions se fondaient sur les articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi.

    Mme X a présenté une demande initiale de prestations qui a pris effet le 6 juillet 2008 (pièce 2). La preuve fournie par l'employeur indiquait que la prestataire avait été renvoyée parce qu'elle avait agressé physiquement l'une de ses collègues lors d'une vive dispute. La collègue en question aurait rapporté à l'employeur des commentaires négatifs que la prestataire aurait formulés au sujet de l'employeur. Quelqu'un a été témoin de la dispute qui s'en est suivie, et l'employeur a congédié la prestataire le même jour (pièces 3, 5 et 6).

    La prestataire reconnaît qu'il y a eu dispute, mais soutient qu'il est très exagéré de dire qu'elle a « agressé » sa collègue car elle l'a seulement poussée du doigt pour bien se faire comprendre (pièce 11-1). La prestataire admet avoir crié après sa collègue, mais affirme ne pas avoir utilisé un langage grossier (pièce 7).

    La Commission a jugé que les faits ne permettaient pas de conclure à une inconduite parce qu'il n'existait aucune preuve que la prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Par conséquent, la Commission a approuvé la demande de prestations aux termes du paragraphe 30(1) de la Loi (pièce 8).

    L'employeur a contesté la décision de la Commission et interjeté appel devant un conseil arbitral au motif que « l'accès de violence, prémédité et injuste » [Traduction] de la prestataire était inacceptable. L'employeur était d'avis que la Commission, en approuvant la demande de prestations, avait récompensé la prestataire « d'avoir porté atteinte à la sécurité d'une autre personne, ce qui établit un précédent dangereux » [Traduction] (pièce 9).

    Dans le cadre de l'appel devant le conseil arbitral, la Commission a défendu sa position en déclarant ce qui suit (pièce 11-2) :

    « Le paragraphe 30(2) de la Loi prévoit qu'un prestataire doit être exclu du bénéfice des prestations pour une période indéterminée s'il perd son emploi en raison de son inconduite. Pour que la conduite en question constitue de l'inconduite au sens de l'article 30 de la Loi, elle doit être volontaire ou délibérée ou procéder d'une telle insouciance qu'elle frôle le caractère délibéré. Il doit également exister une relation de cause à effet entre l'inconduite et le congédiement.

    En l'espèce, la Commission a examiné les renseignements supplémentaires présentés par l'employeur, le témoin et la collègue de la prestataire (pièces 9-1 à 9-8 et 10-1 à 10-7), et elle a jugé que la preuve portée à sa connaissance ne permettait pas de conclure à une inconduite. Il ne fait pas de doute que la prestataire a perdu son emploi en raison des gestes qu'elle a posés le jour de son congédiement, mais il est impossible de conclure que ces gestes étaient délibérés ou qu'ils procédaient d'une telle insouciance qu'ils frôlaient le caractère délibéré. La prestataire s'est disputée avec une collègue de travail et la situation a dégénéré, mais aucun élément de preuve ne montre que la prestataire aurait pu prévoir que son comportement entraînerait son congédiement, nuirait à son rendement au travail ou aux intérêts de l'employeur, ou causerait du tort à sa relation avec son employeur. »

    [Traduction]

    La Commission a fondé sa décision sur des dispositions législatives et des cas de jurisprudence qui me semblent appropriés à tout point de vue. Le conseil arbitral a néanmoins annulé la décision de la Commission (pièce 19). En outre, je ne comprends pas pourquoi le conseil donne à la prestataire le nom de famille Braun tout au long de sa décision, alors que son véritable nom est X; aucun renseignement au dossier n'explique cette erreur. Il est pourtant clair, d'après l'exposé des faits, que le conseil ne s'est pas trompé d'affaire et qu'il a examiné les bonnes questions en litige. Le conseil a rendu sa décision en indiquant ce qui suit (pièces 19.4 à 19.5) :

    « En l'espèce, Mme X s'est présentée à son lieu de travail pendant son jour de congé et elle a pris sa collègue à partie peu après 8 h. Mme X a déclaré qu'elle s'était rendue sur les lieux pour prendre son chargeur de téléphone cellulaire. Le conseil constate que Mme X vivait juste à côté de son lieu de travail et qu'elle avait une clé, dont elle et son mari se servaient fréquemment, pour entrer dans l'édifice, et que Mme X aurait pu passer prendre son chargeur pendant la fin de semaine. Elle n'avait pas besoin de se rendre sur les lieux à la première heure le lundi matin. Le conseil tient pour avéré que Mme X espérait voir la collègue avec laquelle elle avait un différend. Le conseil considère que Mme X aurait pu envisager d'autres solutions avant de se rendre sur les lieux de travail pendant son jour de congé. Elle aurait pu rencontrer sa collègue en présence de l'employeur, pendant un jour de travail. Mme X a également reconnu qu'elle avait donné une bourrade à sa collègue pendant qu'elle lui parlait, et que ce comportement n'est pas opportun en milieu de travail.

    Le conseil tient pour avéré que Mme X a fait preuve d'imprudence lorsqu'elle a tenté de résoudre des problèmes en se rendant sur les lieux de travail pendant son jour de congé afin de prendre sa collègue à partie.

    Le conseil estime que la prestataire a perdu son emploi en raison de la présumée infraction.

    Dans l'arrêt Luc Cartier (A-168-00), la Cour a confirmé le principe selon lequel il doit y avoir une relation de cause à effet entre l'inconduite et le congédiement. En l'espèce, une telle relation existe.

    Le conseil conclut que l'acte reproché à Mme X constituait de l'inconduite au sens de la Loi.

    Le conseil fait remarquer que le milieu de travail de la prestataire est très malsain et hostile, et qu'un langage grossier est employé par toutes les parties pour s'adresser les unes aux autres. D'après la preuve présentée au conseil aujourd'hui, il apparaît clairement que de nombreux conflits opposaient toutes les parties présentes et qu'il y avait beaucoup de problèmes avant que Mme X soit congédiée. »

    La prestataire interjette appel de la décision du conseil devant le juge-arbitre. Lorsqu'il revient au juge-arbitre de se pencher sur des questions d'inconduite, il existe une distinction entre les conclusions de droit (que le juge-arbitre peut examiner) et les décisions de fait (la déférence accordée aux conclusions du conseil). Habituellement, la question de savoir si la conduite d'un employé ayant entraîné la perte de son emploi constitue de l'« inconduite » dépend grandement des circonstances propres à chaque affaire. L'interprétation du mot « inconduite » est une question de droit; par ailleurs, la question de savoir si une omission ou un geste particulier de la part d'un employé constitue de l'inconduite est une question de fait (voir Canada (P.G.) c. Bedell, [1985] A.C.F. No 515 (C.A.F.) A-1716-83).

    Les principaux faits de l'affaire, à savoir que la prestataire s'est vivement disputée avec sa collègue et qu'elle l'a poussée du doigt pour se faire comprendre, ne sont pas contestés. De toute évidence, le noeud du litige se trouve plutôt dans l'interprétation de ces faits. En effet, la Commission et le conseil ne sont pas du tout du même avis quant à savoir si la prestataire s'est rendue coupable d'inconduite en agissant de manière délibérée. Je ne vois pas comment le conseil a pu conclure que les faits principaux étaient suffisants pour établir que la prestataire avait agi intentionnellement et s'était rendue coupable d'inconduite, d'autant plus que le fardeau de la preuve repose sur le conseil dans ce genre d'affaire1. En outre, le fait que le conseil ait considéré le milieu de travail de la prestataire comme « malsain » et tendu renforce ma conviction qu'il a mal interprété la définition légale de l'inconduite en déterminant que la prestataire s'était rendue coupable de cette offense par sa réaction spontanée et émotive, tout à fait ponctuelle.

    La Commission a à juste titre fondé son raisonnement sur une affaire semblable, la décision CUB 51310, où le juge-arbitre Haddad a déterminé ce qui suit :

    « En rendant sa décision, le conseil arbitral a présenté un compte rendu précis des principes à observer lorsqu'on définit l'inconduite. Pour rejeter l'appel de la prestataire, le conseil a par la suite appliqué le raisonnement suivant :

    "Le conseil arbitral reconnaît que certaines circonstances ont pu occasionner un certain niveau de stress, et même entraîner une provocation quelconque. Le conseil croit néanmoins que la conclusion raisonnable à tirer dans la présente affaire est que les faits et gestes de l'appelante étaient, à tout le moins, d'une nature si imprudente ou négligente qu'il y a lieu d'affirmer que celle-ci a délibérément omis de tenir compte des conséquences de ses actes sur son emploi. Il est clair que l'employeur a cru que la bousculade et le langage outrageant portaient atteinte, soit de façon exprimée ou sous-entendue, à une conduite dite acceptable, et étaient suffisamment graves, dans le contexte des lignes directrices établies par l'employeur relativement à l'inconduite, qu'elles aient été communiquées ou non, pour entraîner le congédiement de l'appelante presque immédiatement après l'incident."

    Il convient de faire remarquer que le conseil arbitral a accepté les "directives" de l'employeur relativement à la détermination de l'inconduite et a appuyé sa décision sur ces directives en tenant compte du concept sous-jacent à ce terme aux fins de la Loi sur l'assurance-emploi. En agissant ainsi, le conseil arbitral a commis une erreur de droit. D'autre part, le conseil a reconnu qu'il existait certaines "circonstances susceptibles de causer un niveau élevé de stress et de provoquer une confrontation".

    La signification du mot "inconduite" est une question d'ordre juridique. Chaque affaire étant différente, le terme s'applique aux faits particuliers correspondants. Dans chaque cas particulier, on doit examiner la conduite d'un employé pour déterminer si sa conduite, en tenant compte des circonstances correspondantes, répond aux critères de "l'inconduite" et permet d'arriver à bien cerner l'intention prescrite par les dispositions législatives. Pour qu'un geste soit considéré comme une inconduite, il faut pouvoir être en mesure de démontrer que la conduite d'un employé nuit à son rendement au travail, ou qu'elle est préjudiciable aux intérêts de l'employeur, ou encore qu'elle cause des torts irréparables à la relation employeur-employé.

    [...]

    La prestataire ne s'est pas engagée dans une conversation et n'a pas eu de mésentente avec un agent ou un employé de l'employeur. Bien que la conduite de la prestataire peut, selon le point de vue de l'employeur, avoir détérioré la relation établie entre l'employeur et la prestataire d'une façon suffisamment grave pour qu'il se juge contraint de la congédier, la perception de l'employeur relativement à l'inconduite ne rejoint pas nécessairement la signification adoptée aux fins de l'application de la Loi. De plus, indépendamment du fait que l'on peut attribuer une connotation intentionnelle à la riposte et aux propos outrageants de la prestataire, les circonstances qui ont conduit à l'incident étaient inhabituelles et alimentées par un certain niveau de provocation. La prestataire s'est ni plus ni moins retrouvée victime des circonstances.

    Le conseil arbitral a commis une erreur de droit en se pliant au point de vue de l'employeur relativement à l'inconduite. De plus, le conseil a aussi commis une erreur de droit en omettant de tenir compte des circonstances qui ont conduit à l'incident et des répercussions minimes de cet incident sur l'employeur et sur la capacité de l'employée à accomplir son travail. En tenant compte de l'ensemble des circonstances, la conduite de la prestataire, selon les concepts juridiques, ne correspond nullement à la signification de l'inconduite telle que la définit la Loi.

    Par les présentes, les décisions du conseil arbitral et de la Commission sont annulées et l'appel est accueilli. »

    En l'espèce, le conseil a commis une erreur de droit semblable. En tenant compte de l'ensemble des circonstances, la conduite de la prestataire ne correspond nullement à la signification de l'inconduite donnée dans la Loi.

    Par les présentes, la décision du conseil arbitral est annulée, et la décision de la Commission est confirmée.

    Gerald T.G. Seniuk

    JUGE-ARBITRE

    Saskatoon (Saskatchewan)
    Le 3 novembre 2009




    1 Davlut c. Canada (P.G.), [1982] A.C.F. No 398 (C.A.F.); Joseph c. C.A.E.C., [1986] A.C.F. No 169 (C.A.F.) A-636-85; M.E.I. c. Bartone, [1989] A.C.F. No 21 (C.A.F.) A-369-88; Meunier c. C.A.E.C., [1996] A.C.F. No 1347 (C.A.F.) A-130-96; Canada (P.G.) c. Langlois, [1996] A.C.F. No 241 (C.A.F.) A-94-95; Gauthier c. Canada (P.G.), [1998] A.C.F. No 1704 (C.A.F.) A-6-98.

    2011-01-16