EN VERTU de la LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI
- et -
RELATIVEMENT à une demande de prestations par
G.C.
- et -
RELATIVEMENT à un appel interjeté auprès d'un juge-arbitre
par la prestataire de la décision d'un Conseil arbitral rendue
le 4 février 2010, à Repentigny, Québec
MAXIMILIEN POLAK, juge-arbitre
La prestataire a interjeté appel d’une décision d’un Conseil arbitral qui avait accueilli l’appel de l’employeur d’une décision de la Commission à l’effet que les gestes reprochés à la prestataire par l’employeur ne démontraient pas une inconduite de sa part. La Commission avait donc approuvé la demande de prestations d’assurance-emploi de la prestataire (pièce 8).
Cet appel a été entendu à Joliette, le 18 novembre 2010. La prestataire ainsi que son procureur étaient présents.
Dans ce dossier, une demande initiale de prestations d’assurance-emploi a été établie à compter du 15 novembre 2009 (pièce 2). L’employeur, Olymel Société en Commandite, a suspendu la prestataire pour 15 jours ouvrables du 16 novembre 2009 au 4 décembre 2009 suite à une enquête selon laquelle la prestataire aurait harcelé certains employés en utilisant à leur égard un langage abusif, grossier et méprisant, en les critiquant, en les fixant de façon insistante et en les intimidant (pièce 4-1).
La prestataire nie avoir eu des regards soutenus ou accusateurs envers qui que ce soit. Elle déclare qu’on ne lui a jamais demandé d’arrêter de poser certains gestes ou dire certaines paroles mais si on le lui demandait, elle arrêterait (pièces 4-2, 4-3).
La Commission a demandé à l’employeur de fournir des détails supplémentaires du rapport de l’enquête tenue dans le cadre d’une plainte. L’employeur a refusé de fournir ces preuves compte tenu qu’il s’agit d’un cas d’harcèlement (pièce 7).
La Commission, face à une preuve équivalente de part et d’autre a accordé le bénéfice du doute à la prestataire (article 49 de la Loi sur l’assurance-emploi). La Commission a déterminé que les preuves au dossier ne permettaient pas de conclure que la prestataire avait été suspendue suite à sa propre inconduite. Elle a donc accueilli la demande de prestations d’assurance-emploi (pièce 8).
L’employeur conteste la décision de la Commission comme mal fondée en fait et en droit (pièce 9).
Il importe de citer les extraits suivants de la décision du Conseil arbitral :
« (...) Version de l’employeur
L’employeur a fourni au conseil les éléments de preuves suivants : il a reçu une plainte écrite, a mené une enquête exhaustive et a tenu compte des éléments propres à chaque dossier. Les autres employés n’ont pas été suspendus car il n’avait pas de lettre de plainte. Il a appliqué les critères de harcèlement selon les cas.
Il a appliqué l’article de la convention collective et a jugé que la raison était suffisamment sérieuse pour agir immédiatement.
Il a tenu compte des témoignages et a rejeté les simples allégations. Dans ce cas, il a conservé 5 allégations sur les 10. Il a entendu suffisamment de témoignages pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas de simples conflits personnels.
(...) Le conseil a attentivement étudié les deux versions présentées et est arrivé à la conclusion que l’employeur avait prouvé, par une enquête poussée, l’inconduite de la prestataire. Il a analysé les faits soigneusement, a entendu de nombreux témoignages et a rejeté les allégations jugées non crédibles. Il a tenu compte des éléments de preuves et de la conduite antérieure de la prestataire. Il a appliqué la politique concernant le harcèlement prescrite par les normes du travail. Il a fourni une preuve suffisante pour que le conseil puisse conclure qu’il détient les preuves nécessaires pour prouver l’inconduite en matière de harcèlement. La prestataire a affirmé qu’elle connaissait la politique en matière de harcèlement. Elle devait savoir que ce comportement volontaire et répétitif ne saurait être toléré par l’employeur. »
La prestataire, dans son appel devant moi, allègue que le Conseil arbitral a erré en fait et en droit (pièces 17-3, 17-4).
Je suis d’accord avec la prestataire. Le paragraphe 114(3) de la Loi sur l’assurance-emploi exige que le Conseil arbitral explique pourquoi il rejette les éléments de preuve soumis par une ou l’autre des parties au litige. Le paragraphe se lit comme suit :
« (...) 114(3) La décision d’un conseil arbitral doit être consignée. Elle comprend un exposé des conclusions du conseil sur les questions de fait essentielles. »
Dans le cas présent, le Conseil arbitral a basé sa décision uniquement sur la version de l’employeur sans expliquer pourquoi il a rejeté les déclarations et le témoignage détaillé de la prestataire.
Le juge Linden a bien exprimé le devoir du Conseil arbitral dans McDonald (A-297-97) en disant : « Il faut absolument que le Conseil arbitral aborde soigneusement les points litigieux réellement soulevés devant lui et qu’il explique ses conclusions dans un raisonnement cohérent et logique. Tout ce qui est moindre est inacceptable. »
En omettant d’agir ainsi, le Conseil arbitral a commis une erreur de droit. Mais il y a plus. Le 14 décembre 2009, la prestataire explique à une agente de la Commission qu’elle ne sait pas les dates ni même les mots ou gestes qu’on lui reproche, elle dit que ce sont des ouï-dire (pièce 5). Le 17 décembre 2009, l’employeur, par l’entremise de son directeur des ressources humaines, refuse de donner des renseignements contenus dans le dossier des employés parce que c’est un dossier de harcèlement (pièce 7-1).
La Commission a donc approuvé la demande de la prestataire parce que la preuve était insuffisante pour prouver l’inconduite de la prestataire (pièce 8).
La prestataire a toujours coopéré dans le cadre d’une enquête de harcèlement psychologique. Le 28 septembre 2009, elle a donné une déclaration détaillée à l’effet qu’elle n’a jamais harcelé d’autres employés (pièce 4-2).
On ne peut pas dire que les plaignants et l’employeur démontraient autant de coopération. La politique de l’employeur, visant à contrer toute forme de harcèlement, prévoyait la médiation dans les termes suivants : « Possibilité de médiation en tout temps. Si une enquête est entamée, il est préférable de la suspendre afin de maintenir un climat propice à la résolution de conflit » (pièce 12-6). Il est difficile à comprendre pourquoi tous les plaignants ont refusé la médiation (pièce 15-3). C’était certainement une raison pour le Conseil arbitral d’être prudent avec l’évaluation de la preuve des plaignants. L’employeur témoigne devant le Conseil arbitral que, pour chacune des allégations, il a confronté la prestataire sans mentionner la provenance de la preuve. Je suis d’accord avec la prestataire quand elle a déclaré :
« (...) Jamais personne ne nous a dit d’arrêter de dire ou de faire quoi que ce soit à l’égard de qui que ce soit. Après cette interrogation, nous ne savons toujours pas ce qui se passe. C’est seulement qu’au 16 novembre 2009 que nous trois, nous apprenons par un avis écrit, que nous sommes suspendus. Nous avons été punis, mais nous ne savons toujours pas pourquoi. Nous ne savons pas qui nous avons harcelé, ni de quelle façon ».
L’employeur, dans sa lettre du 16 novembre 2009, avise la prestataire qu’on lui a donné une dernière chance compte tenu de ses longues années de service et son dossier disciplinaire vierge. Une suspension de 15 jours a été imposée (pièce 4-1).
Cependant la convention collective prévoit la gradation des mesures disciplinaires comme suit :
- un avertissement verbal
- un avertissement écrit
- une réprimande écrite
- la suspension
- le congédiement (pièce 6-2).
Il est difficile à comprendre pourquoi l’employeur n’a pas respecté les étapes décrites dan la convention collective et a donné une dernière chance à une employée avec 33 ans de service et un dossier disciplinaire vierge en imposant immédiatement une suspension. Une autre raison pour le Conseil arbitral d’être prudent dans l’évaluation de la preuve de l’employeur.
Je fais miennes les paroles du juge-arbitre Denault dans CUB 17649 qui disait : « Comment alors un conseil arbitral peut-il respecter les principes de justice naturelle alors qu’il tire une conclusion de faits en s’appuyant uniquement sur des faits contestés relativement auxquels l’employeur n’a présenté aucune preuve que le prestataire pouvait vérifier? »
Le Conseil arbitral n’a pas adéquatement apprécié la preuve devant lui. En écartant une preuve fondamentale de la part de la prestataire sans justifier sa décision, le Conseil arbitral a erré en droit
(Bellefleur c. Canada (PG), 2008 CAF 13).
L’enquête tenue par l’employeur n’a pas respecté les principes de justice naturelle. Le Conseil arbitral a accepté une preuve que la prestataire ne pouvait pas vérifier parce que l’employeur refusait de révéler les noms des plaignants et les détails du harcèlement. En même temps, ce Conseil arbitral écartait une preuve très détaillée de la prestataire sans dire pourquoi.
Le moins qu’on puisse dire dans ce dossier, c’est que les éléments de preuve présentés de part et d’autre à cet égard sont équivalents.
Selon l’article 49(2), le bénéfice du doute dans un tel cas doit être accordé à la prestataire.
Pour ces motifs, je conclus que le Conseil arbitral a erré en fait et en droit.
En conséquence, l’appel de la prestataire est accueilli, la décision du Conseil arbitral est annulée.
Maximilien Polak
JUGE-ARBITRE
Montréal, Québec
Le 24 décembre 2010