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  • Jugement de la Cour d’Appel Fédérale #A-787-81 - GIONEST, ODILON, ET AL c. COMMISSION, DUBE, J.


    CUB CORRESPONDANT : 6801A


    JUGEMENT DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE

    Date :
    le 12 mai 1982

    Dossier :
    A-787-81

    Décision du juge-arbitre :
    CUB 6801;

    CORAM :

    L'HONORABLE JUGE PRATTE
    L'HONORABLE JUGE RYAN
    L'HONORABLE JUGE LALANDE

    ENTRE :

    ODILON GIONEST ET AUTRES,

    demandeurs,

    - vs. -

    COMMISSION D'ASSURANCE-CHÔMAGE,

    - et -

    MONSIEUR LE JUGE DUBÉ en sa qualité de Juge-arbitre,

    défendeurs.

    Audience tenu à Québec, le mercredi, 12 mai 1982.

    MOTIFS DU JUGEMENT
    (Prononcés à l'audience à Ottawa,
    vendredi le 11 juin 1982) ;
    Prononcé par

    LE JUGE PRATTE :

    Ce pourvoi, fondé sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, est dirigé contre une décision prononcée par un juge-arbitre en vertu de la Partie V de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Par cette décision le juge-arbitre a infirmé la décision d'un conseil arbitral et jugé, en fait, que les requérants ont indûment reçu certaines des prestations d'assurance-chômage qui leur ont été payées au printemps 1980.

    La coopérative "Les Pêcheurs Unis du Québec" exploite plusieurs usines de transformation de poisson en Gaspésie. Ces usines ne sont ouvertes que pendant la saison de pêche; elles ferment durant l'hiver. Ceux qui y sont employés sont mis à pied en novembre ou décembre; on les rappelle au travail lors de la réouverture, en avril ou mai de l'année suivante.

    En 1979, les requérants ont travaillé à l'usine Les Pêcheurs Unis du Québec à Newport. Leurs conditions de travail étaient fixées par une convention collective intervenue entre le syndicat accrédité pour les représenter et leur employeur. Cette convention prévoyait, entre autres, que l'employeur devait, lors de la réouverture de l'usine au printemps de chaque année, offrir du travail à ses employés de l'année précédente, en commençant par les plus anciens. Elle prit fin le 31 décembre 1979 après que les requérants eussent été mis à pied pour l'hiver. En mars, avril et mai 1980, des représentants du syndicat et de l'employeur se rencontrèrent pour négocier une nouvelle convention. Ces négociations portèrent fruit : la nouvelle convention fut signée le 9 mai 1980. Aussitôt après, l'employeur rouvrit son usine et les requérants retournèrent au travail. Cette réouverture aurait pu avoir lieu plus tôt, mais, dès le début des négociations, en mars, l'employeur avait décidé de maintenir l'usine fermée aussi longtemps que la nouvelle convention n'aurait pas été signée. Il était déjà arrivé, au cours de négociations antérieures, que les employés aient fait la grève pour appuyer les revendications de leur syndicat. L'employeur ne voulait pas que cela se répète. À cause de cela, l'employeur tarda à rouvrir l'usine au printemps 1980 et les requérants demeurèrent en chômage plus longtemps qu'ils ne l'auraient été autrement. Le seul problème que soulève cette affaire concerne le droit des requérants de recevoir des prestations d'assurance-chômage pendant cette prolongation de leur chômage attribuable à la décision de l'employeur de ne pas rouvrir l'usine avant la signature de la nouvelle convention collective. La Commission leur a réclamé le remboursement des prestations qu'ils avaient reçues pendant cette période au motif que, suivant l'article 44 de la Loi, ils étaient inadmissibles au bénéfice des prestations parce qu'ils avaient perdu leur emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif. Les requérants interjetèrent appel devant un conseil arbitral. Le conseil leur donna raison et jugea que l'article 44 était inapplicable en l'espèce parce que l'arrêt de travail n'était pas dû à un conseil collectif. Cet arrêt était dû au fait que les parties étaient à négocier une convention collective. Or, suivant le conseil, il n'y a pas de conflit entre des parties qui négocient une convention collective dans le cas où les négociations se déroulent bien, sans interruption, et qu'il n'y a ni demande de conciliation, ni refus de travailler, ni piquetage.

    La Commission appela devant le juge-arbitre. Celui-ci fit droit à l'appel et jugea que, suivant l'article 44, les requérants étaient inadmissibles à recevoir les prestations en question. Suivant le juge, il y avait conflit entre l'employeur et les employés au sens du paragraphe 44(4) lorsque ceux-ci négociaient une convention collective et les requérants devaient être considérés comme ayant perdu leur emploi du fait d'un arrêt de travail dû à (ce) conflit. C'est cette décision qui fait l'objet de ce pourvoi.

    L'avocat des requérants a d'abord soutenu que le juge-arbitre avait commis une erreur de droit en décidant qu'il peut y avoir conflit, au sens de l'article 44, entre deux parties qui négocient normalement une convention collective. Suivant l'avocat des requérants, il n'y a conflit entre employeur et employés à l'occasion de la négociation d'une contravention collective qu'au moment Où les négociations sont rompues et où les parties cessent de se parler. Cet argument me parait mal fondé. À mon sens, un conflit c'est un désaccord, une mésentente. Les parties qui négocient une convention collective sont en désaccord. Si elles s'entendaient, la négociation ne serait pas nécessaire. Le but de la négociation est précisément de mettre fin au désaccord, au conflit. Le juge-arbitre a donc eu raison de décider qu'il y avait un conflit entre la coopérative et ses employés. Sur ce point, sa décision me paraît irréprochable.

    L'avocat des requérants a aussi prétendu que, de toute façon même si l'on jugeait qu'il y avait un conflit collectif à l'usine où travaillaient les requérants n'avaient pas perdu leur emploi du fait d'un arrêt de travail.

    Ce second argument me semble fondé. Le paragraphe 44(1) prononce l'inadmissibilité du prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail dû à un conflit collectif. On ne peut perdre ce qu'on ne possède pas. Une personne ne peut perdre son emploi si elle n'a d'abord un emploi qu'elle perd subséquemment. Il est vrai que celui qui est sans emploi et qui perd une chance, une occasion d'être employé, perd, en un certain sens, un emploi; mais il ne perd pas son emploi puisque cet emploi n'a jamais été le sien. En l'espèce, les requérants étaient déjà en chômage lorsque employeur, en raison des négociations en cours, a retardé l'ouverture de l'usine. Ils n'avaient, à ce moment, aucun emploi et, à cause de cela, ne pouvaient perdre leur emploi. Peut-être avaient-ils, en vertu de la convention collective expirée, le droit d'être rappelés au travail lors de l'ouverture de l'usine. Mais ce droit n'était pas un emploi. Et, en outre, ils ne l'ont jamais perdu : ce droit était conditionnel à la réouverture de l'usine et n'existait qu'après cette réouverture.

    À mon avis, donc, le juge-arbitre a commis une erreur de droit en prenant pour acquis qu'une personne qui est sans emploi et qui perd une occasion d'être employée, perd son emploi au sens du paragraphe 44(1). Je sais qu'en décidant de cette façon le juge n'a fait que suivre une jurisprudence arbitrale bien établie. Je ne peux, cependant, concilier cette jurisprudence avec le texte de l'article 44.

    Pour ces motifs, je ferais droit à la requête, je casserais la décision attaquée et je renverrais l'affaire au juge-arbitre pour qu'il la décide en prenant pour acquis que des personnes qui, comme les requérants, n'étaient pas employées ne pouvaient perdre leur emploi au sens de l'article 44 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage.



    « Louis Pratte »
    J.F.C.C.


    LE JUGE LALANDE :

    Je souscris à la conclusion du juge Pratte, je ferais droit à la requête et renverrais l'affaire au juge-arbitre pour jugement conformément aux directives qu'il lui donne.

    Je ne suis pas prêt cependant à souscrire à l'opinion exprimée par mon collègue, savoir que des parties qui négocient le renouvellement d'une convention collective sont nécessairement en désaccord et en état de conflit au sens du paragraphe (1) de l'article 44 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. À mon avis, il s'agit là d'une question de fait et, à moins de pouvoir dire que le conseil arbitral a fondé sa décision sur une constatation qui soit erronée comme le veut l'alinéa c) de l'article 95 de la Loi, le juge-arbitre n'a pas le pouvoir d'infirmer la conclusion de fait à laquelle en est venu le conseil.



    « Léon Lalande »
    J.S.C.F.C.


    LE JUGE RYAN :

    Je suis d'accord avec le juge Pratte que la demande faite en vertu de l'article 28 devrait être accordée et que l'affaire devrait être renvoyée au juge-arbitre comme il le propose. Je partage, en effet, l'opinion exprimée par le juge Pratte qu'une personne qui n'est pas employée et qui perd une chance de l'être ne perd pas son emploi au sens du paragraphe 44(1) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage.



    « William F. Ryan »
    J.

    2011-01-16